Salinité au large de l’Amazone.

L’océan modélisé, un atout pour la science et la croissance bleue

Dossier : MerMagazine N°706 Juin/Juillet 2015
Par Pierre BAHUREL (89)

En 1995, une trentaine de sci­en­tifiques océanographes, météoro­logues, math­é­mati­ciens et ingénieurs se réu­nis­sent dans un petit vil­lage du Périg­ord. Ils ont une ambi­tion com­mune : décrire et prévoir l’océan de façon opéra­tionnelle, comme la météo décrit l’atmosphère et prévoit le temps qu’il fait.

“ Le savoir-faire scientifique se lit en temps réel, sur une carte du monde ”

Toutes les con­di­tions sont alors réu­nies pour la ren­dre pos­si­ble : les pre­miers satel­lites altimétriques mesurent le « relief » des océans avec une pré­ci­sion remarquable,

les pre­miers mod­èles de prévi­sions s’essaient au temps réel avec suc­cès, et un pool de com­pé­tences est con­sti­tué au sein de grands organ­ismes publics français. Le pari est pris le 26 juin 1995. Le « pro­jet Mer­ca­tor » est né.

REPÈRES

La conjonction des progrès en matière d’observation de la Terre par des satellites et des bouées autonomes d’une part et de leur prise en compte dans une modélisation numérique tridimensionnelle d’autre part sont à l’origine d’une discipline scientifique qui a tout juste vingt ans : l’océanographie opérationnelle.
La France est en pointe dans ce domaine, notamment via les activités de Mercator Océan, une société fondée en 2002 par six acteurs français majeurs du domaine : le CNRS, l’IFREMER, l’IRD (Institut pour la recherche et le développement), Météo-France, le SHOM (Service hydrographique et océanique de la Marine) et le CNES, l’agence spatiale française.

Un premier bulletin de prévisions

L’engagement col­lec­tif joue à plein, les pre­miers bul­letins de prévi­sions sont dif­fusés sur l’Atlantique, les sys­tèmes régulière­ment améliorés, et, dix ans plus tard, le 14 octo­bre 2005, Mer­ca­tor Océan dif­fuse le pre­mier bul­letin océanique cou­vrant l’ensemble du globe.

C’est une brèche sci­en­tifique de pre­mier plan : le savoir-faire sci­en­tifique se lit en temps réel, sur une carte du monde, déclinée en tem­péra­ture, courants, salin­ité, ani­mée des tour­bil­lons d’un océan qu’on par­court dans ses pro­fondeurs, et dont on prévoit les évolutions.

Mod­èle de prévi­sion de la salin­ité à l’embouchure de l’Amazone après la sai­son des pluies (taux faible en bleu)

Dynamique européenne

Au même moment, une dynamique s’amorce autour du pro­gramme européen GMES (Glob­al Mon­i­tor­ing for Envi­ron­ment and Secu­ri­ty), renom­mé plus tard Coper­ni­cus, dont l’ambition est de don­ner à l’Union européenne une capac­ité autonome et opéra­tionnelle en matière d’infrastructures d’observation spa­tiale et in situ et d’opérer six ser­vices de sur­veil­lance de la Terre en lien avec les océans, l’atmosphère, le cli­mat, les ter­ri­toires, les sit­u­a­tions d’urgence et la sécurité.

“ Rendre disponible à tous la meilleure information sur l’état de l’océan ”

En ce qui con­cerne les océans, les activ­ités se struc­turent bien­tôt avec des pro­jets soutenus par les 6e et 7e pro­grammes- cadres de recherche de l’Union européenne : de 2004 à 2014, l’Union aura ain­si injec­té 76 mil­lions d’euros dans une suite de pro­jets col­lab­o­rat­ifs des­tinés à faire émerg­er une capac­ité européenne de prévi­sion océanique (hors de tout coût lié aux infra­struc­tures, dont les satellites).

Cinq mille abonnés

UN CHOIX RATIONNEL

Le choix de l’Union européenne n’est pas le fruit du hasard. La France est une grande nation maritime de par son histoire et sa géographie : elle occupe le deuxième espace maritime au monde. La Marine nationale a des capacités au meilleur niveau mondial, le poids économique et social de la France dans le maritime est un des premiers d’Europe avec 65 milliards d’euros de valeur de production et plus de 300 000 emplois directs.

La France, représen­tée par l’Ifremer puis Mer­ca­tor Océan, a piloté cette série de pro­jets de bout en bout, fédérant pour cela sur l’ensemble du ter­ri­toire européen une com­mu­nauté d’une soix­an­taine de parte­naires, tous déten­teurs d’une com­pé­tence unique et volon­taires pour con­tribuer à l’émergence d’un ser­vice européen inté­gré, le « Coper­ni­cus Marine Service ».

L’essai est trans­for­mé : fournir en accès libre et gra­tu­it à tra­vers un point d’entrée unique (por­tail Web) des infor­ma­tions génériques, fiables, sci­en­tifique­ment qual­i­fiées et mis­es à jour sur l’océan glob­al et les mers régionales européennes, leur état physique et biogéochim­ique en sur­face comme en pro­fondeur : tem­péra­ture, courants, salin­ité, hau­teur de mer, glace de mer, couleur de l’eau, chloro­phylle, acid­ité, etc.

Fin 2014, ce nou­veau ser­vice européen d’intérêt général délivre un ser­vice préopéra­tionnel à près de cinq mille abon­nés à tra­vers le monde.

L’Union européenne se déclare con­va­in­cue, décide de pass­er à la phase opéra­tionnelle, organ­ise une con­sul­ta­tion, choisit d’en con­fi­er la respon­s­abil­ité au cen­tre français Mer­ca­tor Océan et alloue 144 mil­lions d’euros à l’opération jusqu’en 2021. Cet accord signe la recon­nais­sance européenne de toute la fil­ière française de l’océanographie opéra­tionnelle, du suc­cès de sa démarche col­lab­o­ra­tive et ouverte, des com­pé­tences qui la sou­ti­en­nent et de la déter­mi­na­tion à créer une nou­velle valeur de service.

Au service de la science, de l’économie et du citoyen

Le Coper­ni­cus Marine Ser­vice, ouvert début mai 2015, a pour objec­tif de ren­dre disponible à tous, de façon libre et gra­tu­ite, sim­ple et immé­di­ate, la meilleure infor­ma­tion sur l’état de l’océan qu’on puisse éla­bor­er en com­bi­nant en opéra­tionnel satel­lites, mesures en mer et modèles.

Les 4 domaines d’application de Copernicus Marine Service
Les 4 domaines d’application.

Il met en oeu­vre des méth­odes com­plex­es pour livr­er une infor­ma­tion sim­ple d’usage. Il est le fruit d’un effort de mutu­al­i­sa­tion européen à l’échelle poli­tique et sci­en­tifique, au béné­fice des États mem­bres comme des poli­tiques européennes. Dont en par­ti­c­uli­er la direc­tive « cadre stratégie pour le milieu marin », qui vise à met­tre en oeu­vre des plans d’action en faveur du bon état des eaux marines d’ici 2020.

Le Coper­ni­cus Marine Ser­vice a pour ambi­tion de servir l’ensemble des acteurs privés et publics con­cernés dans les États mem­bres de l’Union européenne. Il est des­tiné à de nom­breux usages, qu’ils soient de nature com­mer­ciale, sci­en­tifique, ou pour des mis­sions de ser­vice pub­lic national.

Dépen­dant en amont des obser­va­tions de l’océanographie spa­tiale (satel­lites) et de l’océanographie in situ (navires), le Coper­ni­cus Marine Ser­vice va con­tribuer à dynamiser l’usage de ses don­nées « brutes » sur des fil­ières avales spé­cial­isées dans le domaine de l’environnement, de la pêche, de l’aquaculture, de l’énergie off­shore, du routage et du sauve­tage en mer, de la recherche, de la défense, etc.

Des usages nombreux

Con­naître et prévoir, entre autres, la tem­péra­ture, les courants, la salin­ité, l’épaisseur des glaces de mer de tous les océans du globe, en sur­face comme en pro­fondeur mais aus­si leur teneur en oxygène, en nutri­ments, en phos­phate, en nitrate répond à de mul­ti­ples besoins.

Don­ner aux acteurs en charge de la sécu­rité des biens et des per­son­nes en mer, la marine mil­i­taire et les marines d’intervention, une con­nais­sance fiable de leur théâtre d’action ; apporter aux étab­lisse­ments man­datés sur ces mis­sions une descrip­tion générale qu’ils spé­cialis­eront en fonc­tion des opéra­tions et de leurs pro­pres sources d’information.

Aider la nav­i­ga­tion (90 % du fret mon­di­al est mar­itime), en par­ti­c­uli­er par des prévi­sions des courants et de l’état des glaces en zones polaires.

Connaître et protéger le milieu marin

L’exploration off­shore en milieu marin, tout comme les éner­gies marines renou­ve­lables, s’appuie égale­ment sur la couran­tolo­gie sur toute la pro­fondeur de l’océan, les experts en charge de l’énergie ther­mique des mers sur des his­toriques de dif­féren­tiels de tem­péra­ture en zones tropicales.

Modèle de glace de mer
Mod­èle glace de mer.

Les analy­ses biogéochim­iques du Coper­ni­cus Marine Ser­vice sont utiles aux sci­en­tifiques comme aux ser­vices d’aide à la pêche, car elles four­nissent notam­ment la teneur en chloro­phylle, présente à tra­vers le pre­mier mail­lon de la chaîne ali­men­taire : le phytoplancton.

L’étude de la bio­masse océanique, con­sti­tuée à 98 % de planc­tons, est cap­i­tale dans le cadre de la recherche sur la bio­di­ver­sité et sur l’impact du change­ment climatique.

L’océan trans­porte et trans­forme la pol­lu­tion en mer. Cal­culer la dérive de pol­lu­ants exige des prévi­sions de courants. Autre exem­ple, les pays lim­itro­phes de la mer Noire, qui souf­fre de la pol­lu­tion à l’échelle de la den­sité de son traf­ic mar­itime, ont besoin de l’historique des courants, pour retrou­ver, en cal­cu­lant les dérives à rebours, les pol­lueurs qui ont dégazé en haute mer.

Pour la pro­tec­tion de l’environnement côti­er et la plan­i­fi­ca­tion des infra­struc­tures côtières (les zones côtières de l’UE représen­tent près de 10 % de la sur­face du ter­ri­toire), l’information côtière a une valeur stratégique (défense, envi­ron­nement) et économique (amé­nage­ment, activ­ités) déterminante.

La recherche cli­ma­tique pro­gresse par l’étude des témoins des cli­mats passés mais aus­si par les avancées en matière de mod­éli­sa­tion cli­ma­tique qui reposent sur des mod­éli­sa­tions cou­plées entre l ’ a t m o s p h è r e et l’océan. Les mod­èles d’océan sont donc indis­pens­ables aux mod­èles climatiques.

Miser sur l’économie bleue

“ Les zones côtières de l’UE représentent près de 10 % de la surface du territoire ”

Les mers et les océans sont des moteurs de l’économie française et européenne et offrent un poten­tiel con­sid­érable en matière d’innovation et de crois­sance. L’économie « bleue » représente 5,4 mil­lions d’emplois et une valeur ajoutée brute de près de 500 mil­liards d’euros par an dans l’Union européenne.

Pré­paré depuis dix ans, passé en phase opéra­tionnelle en mai 2015, le Coper­ni­cus Marine Ser­vice de l’Union européenne con­court à la stratégie de la « crois­sance bleue », une crois­sance durable dans les secteurs marin et maritime.

Calcul de dérive de particules passivesCalcul de dérive de particules passives
Sur base du mod­èle de prévi­sion de courants au 1/12° (c’est-à-dire dont la « maille » a une longueur de 9 km à l’équateur), sim­u­la­tion sur 90 jours d’une dérive de par­tic­ules pas­sives lâchées à par­tir de la cen­trale de Fukushi­ma à par­tir du 12 mars 2011. La zone est tra­ver­sée par le courant de Kuroshio, le sec­ond plus grand courant marin au monde après le Gulf Stream. C’est la grande traînée blanche trans­verse. Crédit : Mer­ca­tor Océan

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