Faune sous-marine à Mayotte

AIRES MARITIMES PROTÉGÉES : Un moyen de protection à long terme

Dossier : MerMagazine N°706 Juin/Juillet 2015
Par François GAUTHIEZ (87)

Le développe­ment des AMP date de quelques années seule­ment. Quel en a été le déclencheur ?

Peut-être pas un change­ment décisif dans la cul­ture française, qui reste pour l’essentiel peu tournée vers la mer, mais suff­isam­ment d’événements pour par­ler d’un tour­nant dans la prise en compte de la mer dans nos poli­tiques : la loi du 14 avril 2006, qui crée l’Agence des aires marines pro­tégées et les parcs naturels marins, le « Grenelle de la mer » en 2009, l’adoption au niveau européen en 2008 de la direc­tive-cadre sur la stratégie pour le milieu marin, l’adoption au plan inter­na­tion­al des « objec­tifs d’Aichi » par la con­ven­tion sur la diver­sité biologique en 2010.

Le développe­ment de la dimen­sion envi­ron­nemen­tale va de pair avec le renou­veau de la prise de con­science des oppor­tu­nités économiques offertes par les océans, comme en témoignait le Grenelle de la mer.

REPÈRES

Fin 2013, la France accueillait à Marseille le troisième congrès mondial des AMP ; en 2014, la proportion des eaux françaises couvertes par au moins une AMP dépasse les 16 %. Le contraste est fort avec un passé encore récent : le premier congrès mondial des AMP, tenu en Australie en 2005, voyait une participation française quasi inexistante, à l’image du développement des AMP dans notre pays à cette époque.

Des réalités très diverses

La déf­i­ni­tion habituelle­ment retenue en France d’une AMP est la suiv­ante : « Un espace délim­ité en mer au sein duquel un objec­tif de pro­tec­tion de la nature à long terme a été défi­ni, objec­tif pour lequel un cer­tain nom­bre de mesures de ges­tion sont mis­es en oeu­vre : suivi sci­en­tifique, pro­gramme d’actions, chartes de bonne con­duite, pro­tec­tion du domaine pub­lic mar­itime, régle­men­ta­tions, sur­veil­lance, infor­ma­tion du pub­lic, etc.

“ L’objectif de protection n’est pas exclusif d’autres objectifs ”

Sur la base de cette déf­i­ni­tion, l’objectif de pro­tec­tion n’est pas exclusif d’autres objec­tifs, notam­ment de développe­ment économique maîtrisé (util­i­sa­tion et exploita­tion durables des ressources marines). »

Cette déf­i­ni­tion se traduit par des réal­ités divers­es : des lieux de pro­tec­tion stricte de la nature (réserves naturelles, coeurs de parcs nationaux, sites du pat­ri­moine mon­di­al de l’Unesco, etc.), en général de dimen­sions lim­itées ; des lieux, sou­vent plus vastes et défi­nis selon une logique d’écosystème, répon­dant à des final­ités de pro­tec­tion de la nature mais aus­si d’accompagnement et de développe­ment d’activités économiques durables (parcs naturels marins, aire mar­itime adja­cente des parcs nationaux, etc.).

D’autres caté­gories exis­tent, en par­ti­c­uli­er les sites Natu­ra 2000 qui répon­dent à un objec­tif spé­ci­fique de bon état d’une liste déter­minée d’espèces et d’habitats.

Associer les acteurs locaux

CINQ NOUVELLES CRÉATIONS ET CINQ PROJETS

Depuis la création du parc d’Iroise en 2007, six autres PNM ont été créés : Mayotte en 2010, golfe du Lion en 2011, Glorieuses en 2012, estuaires picards et mer d’Opale en 2012, Arcachon en 2014, estuaire de la Gironde et mer des Pertuis en 2015. Les conditions de mise en place diffèrent à chaque fois, mais, par exemple dans le cas d’Arcachon, la création du parc a été fortement soutenue par la population.
Quatre autres projets sont à divers stades d’avancement : golfe normand- breton, Martinique, cap corse, mor braz.

L’histoire de la créa­tion de l’Agence des AMP et de l’outil du parc naturel marin est intime­ment liée à celle du pro­jet d’un parc nation­al en mer d’Iroise.

Ce pro­jet, lancé dans les années 1990, a ren­con­tré une forte oppo­si­tion locale, notam­ment de la part des pêcheurs plai­sanciers qui craig­naient une inter­dic­tion de leur activ­ité, au point que l’idée de parc nation­al a été aban­don­née au prof­it de celle de parc naturel marin (PNM), out­il nou­veau intro­duit par la loi du 14 avril 2006.

La créa­tion de cet out­il témoigne d’une évo­lu­tion de la con­cep­tion des poli­tiques de pro­tec­tion de la nature : l’approche descen­dante et très mar­quée par la régle­men­ta­tion est désor­mais com­plétée par une approche qui laisse davan­tage de temps aux acteurs locaux et fait le pari de bâtir dans la durée une poli­tique cohérente qui inclut la pro­tec­tion de la nature.

Sensibiliser le public

À sa créa­tion, le PNM est sim­ple­ment défi­ni par un périmètre, une liste de grandes ori­en­ta­tions et une instance de gou­ver­nance (le con­seil de ges­tion). Le con­seil de ges­tion éla­bore le plan de ges­tion qui con­stitue la vision com­mune des acteurs du parc (élus, pro­fes­sion­nels de la mer, divers usagers, asso­ci­a­tions, sci­en­tifiques, État, etc.).

En Iroise, la mise en oeu­vre de ce plan de ges­tion se traduit par des actions dans des domaines var­iés : mise en place d’un label « ormeau de Molène », inter­dic­tion des jet-skis dans l’archipel de Molène, mod­i­fi­ca­tion de la régle­men­ta­tion de l’exploitation des algues lam­i­naires, ense­mence­ment expéri­men­tal de coquilles Saint-Jacques, aide à la con­cer­ta­tion entre pêcheurs pro­fes­sion­nels et plai­sanciers, avis négatif (et auquel l’État a l’obligation de se con­former) sur l’autorisation d’extension d’une porcherie dans le bassin ver­sant de la baie de Douarnenez, ramas­sage d’algues vertes, pour ne citer que quelques exemples.

Le parc développe la sen­si­bil­i­sa­tion du pub­lic au milieu marin, y com­pris dans les écoles, il con­tribue aus­si à la con­nais­sance du pat­ri­moine cul­turel mar­itime de l’Iroise. Tout cela repose sur des activ­ités sci­en­tifiques (car­togra­phie du champ de lam­i­naires, mar­quage de bars, suiv­is visuels et acous­tiques des mam­mifères marins, etc.) et une présence sig­ni­fica­tive sur le ter­rain d’agents pra­ti­quant du suivi sci­en­tifique et des contrôles.

Couvrir 20 % de nos eaux

Bio­di­ver­sité hydraire à Mayotte

Quelques sites excep­tion­nels préex­is­taient à ces évo­lu­tions, à l’instar de la réserve naturelle des Sept Îles créée en 1912 ou du parc nation­al de Port-Cros créé en 1963.

Mais ce type d’espace pro­tégé n’était pas adap­té à l’ambition de dévelop­per l’emprise des AMP sur une frac­tion désor­mais sig­ni­fica­tive de l’espace marin : la stratégie nationale de créa­tion et de ges­tion des AMP ambi­tionne en effet de cou­vrir, en 2020, 20 % de nos eaux par des AMP (c’est-à-dire plus que la cible d’Aichi qui place l’ambition mon­di­ale à 10 % des océans).

Un des change­ments majeurs réside dans le choix d’une gou­ver­nance adap­tée où inter­vi­en­nent toutes les par­ties con­cernées, où l’État garde sa place mais ouvre aus­si la porte aux col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales jusqu’ici à l’écart de la gou­ver­nance de la mer.

Ain­si, con­seils de ges­tion de PNM, con­seils mar­itimes de façade (ou de bassin ultra­marin en out­re-mer), con­seil nation­al de la mer et du lit­toral sont autant de « par­lements de la mer » agis­sant à dif­férentes échelles, certes dénués de prérog­a­tives régle­men­taires, mais lieux de débats et d’orientation des poli­tiques, témoins d’une appro­pri­a­tion des enjeux marins par l’ensemble de la société et gar­di­ens de l’acceptabilité des poli­tiques de pro­tec­tion et de mise en valeur de la mer.

Protéger la biodiversité

La stratégie nationale pré­cise quelques enjeux essen­tiels pour le développe­ment de nos AMP. L’importance de l’outre-mer est une évi­dence, tant d’un point de vue sur­facique (97 % de nos eaux se situent out­re-mer) que biologique (la richesse de la bio­di­ver­sité des fonds marins français d’outre-mer est considérable).

“ Le plan de gestion constitue la vision commune des acteurs du parc ”

La Nou­velle-Calé­donie a créé récem­ment la plus grande AMP du monde, le parc naturel de la mer de Corail ; d’ambitieux pro­jets d’AMP sont aus­si en ges­ta­tion autour de l’archipel des Mar­quis­es en Polynésie française ou dans les eaux du large de Ker­gue­len et de Crozet.

La pro­tec­tion stricte de la bio­di­ver­sité, incar­née par des out­ils régle­men­taires tels que les réserves naturelles, doit aus­si se dévelop­per pour crédi­bilis­er le volet « pro­tec­tion de la nature » de ce réseau d’AMP en fort développement.

Les parcs naturels marins et les out­ils sim­i­laires, en inté­grant l’ensemble des enjeux d’un vaste espace et en per­me­t­tant la con­struc­tion de con­sen­sus dans la durée, seront cer­taine­ment les lieux priv­ilégiés pour per­me­t­tre à de nou­veaux sites de pro­tec­tion stricte d’éclore.

Nouveaux métiers

Les AMP voient aus­si naître de nou­veaux métiers : des équipes de ter­rain ren­for­cent les capac­ités de con­trôle de la sphère de l’action de l’État en mer et con­tribuent à la capac­ité col­lec­tive de con­nais­sance et de suivi du milieu marin et de ses usages.

“ La Nouvelle-Calédonie a créé récemment la plus grande AMP du monde ”

À leurs côtés, des équipes d’ingénierie conçoivent des pro­jets tech­niques ou dévelop­pent la médi­a­tion avec les nom­breux parte­naires locaux des AMP. Ain­si se tis­sent de nou­veaux réseaux, agis­sant au niveau local mais forte­ment con­nec­tés aux niveaux nation­al et inter­na­tion­al, à l’image du réseau Med­PAN des ges­tion­naires d’AMP de la mer Méditerranée.

VERS UNE GESTION DIFFÉRENCIÉE DES ESPACES MARINS

Olivier LAROUSSINIE (83)Olivier Laroussinie (83), directeur de l’Agence des aires marines protégées, témoigne.
« La mer a un rôle fondamental dans le fonctionnement de la biosphère. L’humanité y a trouvé des ressources et des services écosystémiques. Elle y cherche des voies pour son développement. Les conditions de sa durabilité supposent toutefois un effort de connaissance des milieux marins qui soit équivalent à celui dédié aux ressources économiques.
Il faudra en tirer une gestion différenciée des espaces marins et de leurs usages avec une part d’aires marines protégées : des réserves, mais aussi des parcs marins qui offrent une approche liant développement et protection, dans une gouvernance associant tous les acteurs. »

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