Porte conteneur de la CMA-CGM le Jules Vernes

Construire aujourd’hui le transport et les services maritimes de demain

Dossier : MerMagazine N°706 Juin/Juillet 2015
Par Éric BANEL

Les eaux polaires, peu fréquen­tées, restent aujourd’hui de véri­ta­bles zones d’exploration. Con­traire­ment aux décou­vertes des siè­cles passés, ces nav­i­ga­tions se font en sécu­rité pour les pas­sagers et sans risque pour l’environnement.

Une com­pag­nie française, Ponant, a été pio­nnière sur ce nou­veau marché. Ses navires, qui con­cen­trent les inno­va­tions tech­nologiques les plus récentes, appliquent d’ores et déjà les normes du nou­veau Code polaire, qui vient juste d’être adop­té à l’Organisation mar­itime inter­na­tionale (OMI).

REPÈRES

Le transport maritime achemine près de 90 % du commerce international. En vingt ans, le trafic maritime a quintuplé. Les évolutions climatiques et de nouvelles demandes industrielles ou touristiques ouvrent aujourd’hui de nouvelles zones d’activité à découvrir.
Depuis dix ans, l’enjeu pour les armateurs français et européens est de construire des navires toujours plus sûrs, plus propres et plus économes en énergie. Le prix du carburant, qui peut représenter jusqu’à 40 % du coût de l’expédition, et le pari de l’excellence, face à une concurrence impitoyable de la part des pays émergents, expliquent ce choix assumé de la modernité et de la performance. De ce fait, l’innovation est présente dans tous les secteurs du transport maritime.

Nouvelles frontières

Les grands fonds marins (au-delà de 200 mètres de pro­fondeur) sont une autre « nou­velle fron­tière » pour la con­nais­sance et l’exploration. Alors même qu’ils cou­vrent plus de la moitié de notre planète, l’homme ne con­naît que 5 % de ces sous-sols oubliés et de leur bio­di­ver­sité : nous con­nais­sons mieux la topogra­phie de la Lune ou celle de Mars.

“ Nous connaissons mieux la Lune que les grands fonds marins ”

Les cam­pagnes menées depuis une trentaine d’années ont toute­fois per­mis de mieux con­naître les richess­es des grands fonds : éner­gies fos­siles (hydrates de méthane) ou con­cen­tra­tions de métaux (nod­ules polymé­talliques, etc.).

L’accès à ces ressources demande encore des pro­grès sig­ni­fi­cat­ifs, mais le chemin par­cou­ru est déjà excep­tion­nel, puisque nous savons aujourd’hui extraire le gaz et le pét­role jusqu’à des pro­fondeurs de 3 000 mètres.

Le défit des grands fonds

Pour relever ce défi des grands fonds, la France est très bien placée, dans le domaine sci­en­tifique (Ifre­mer, Comex) comme dans les navires de ser­vice off­shore (Louis-Drey­fus Arma­teurs, Bour­bon, CGG Veritas).

La course a d’ores et déjà com­mencé, avec le pro­gramme d’extension du plateau con­ti­nen­tal (Extraplac), dont la France entend béné­fici­er, et avec l’allotissement des pre­miers per­mis d’exploration des fonds marins situés en zone internationale.

Dans ce con­texte nou­veau, les com­pag­nies mar­itimes ont su adapter leurs navires et leurs modes d’exploitation : c’est ici que l’exploration rejoint l’innovation.

Les nou­veaux porte-con­teneurs de la com­pag­nie CMA-CGM met­tent en œuvre une série de prouess­es tech­nologiques en matière de motorisation.

Le navire sûr

Les règles actuelles de l’OMI garan­tis­sent un haut niveau de sécu­rité des navires, mais les arma­teurs français et européens n’ont d’autre choix que d’aller au-delà et d’anticiper sur les régle­men­ta­tions à venir. Les chantiers les plus récents et les plus promet­teurs sont d’une part le développe­ment de l’e‑navigation et d’autre part l’autoprotection des navires.

L’e‑navigation vise à créer des « passerelles intel­li­gentes ». Il s’agit de col­lecter et d’échanger en temps réel des infor­ma­tions, de les traiter et de les analyser, et de pro­pos­er des solu­tions opéra­tionnelles pour le bord. L’objectif est d’améliorer la sécu­rité de la nav­i­ga­tion mar­itime tout en réduisant la charge de tra­vail pour les navigants.

Rap­pelons que 80 % des acci­dents de mer sont dus à une erreur humaine. À terme, cer­tains s’intéressent déjà au car­go drone entière­ment automa­tisé et com­mandé à dis­tance, à l’image du pro­jet Blue Ocean de Rolls Royce.

Ces inno­va­tions révo­lu­tion­nent la nav­i­ga­tion mar­itime, la passerelle d’un navire ressem­blant de plus en plus à un cen­tre de com­man­de­ment automa­tisé, lui-même relais d’un cen­tre situé à terre.

Pirates à tribord

CYBERPIRATERIE

L’e‑navigation fait apparaître une nouvelle menace à laquelle les navires n’étaient pas confrontés auparavant, la cybercriminalité. La prise de contrôle d’un navire à distance ou la falsification des données de navigation afin de susciter un échouage ou une collision ne sont plus de la fiction. L’augmentation des échanges de données entre la terre et le bord et la mise en réseau progressive de tous les systèmes à bord des navires conduisent à mettre en place, au sein de chaque entreprise, une politique active de lutte contre la cyberpiraterie.

Le trans­port mar­itime reste con­fron­té à une activ­ité illicite aus­si anci­enne que lui, la pira­terie, ce qui oblige à innover.

Dans le cadre des investisse­ments d’avenir, lancés en 2010, le pro­gramme dit « Navire du futur », doté de 100 mil­lions d’euros, com­prend un volet dédié à un pro­jet promet­teur de démon­stra­teur pour l’autoprotection des navires con­tre la pira­terie (répulseur à eau asservi sur la cible, cap­teur infrarouge sta­bil­isé, pro­tec­tion par blindage des zones sen­si­bles et des accès, sys­tème de local­i­sa­tion en temps réel de l’équipage, inter­face homme-machine mobile grâce à des tablettes tac­tiles, per­me­t­tant de con­trôler les sys­tèmes de nav­i­ga­tion à distance).

“ Une nouvelle menace, la cybercriminalité ”

Le con­sor­tium d’entreprises français­es qui porte ce pro­jet développe ain­si un sys­tème com­plet regroupant des moyens de pro­tec­tion automa­tisés. Cet ensem­ble, s’il est mis sur le marché à un prix accept­able dès la fin de la phase d’expérimentation, répon­dra aux besoins de la pro­fes­sion, sans pour autant se sub­stituer à la pro­tec­tion embarquée.

Le navire propre

C’est cer­taine­ment le domaine dans lequel l’innovation est la plus présente et la plus impres­sion­nante. L’objectif est à la fois de réduire l’empreinte envi­ron­nemen­tale du trans­port et de lim­iter sa fac­ture énergé­tique. Les derniers navires entrés en flotte sont la preuve des efforts engagés par les chantiers et les armateurs.

30 % DE CO2 EN MOINS

Les nouveaux porte-conteneurs de la compagnie CMA-CGM mettent en œuvre une série de prouesses technologiques en matière de motorisation (moteur à injection électronique) et d’hydrodynamisme (stator à pales fixes, safran à bords orientés). Depuis 2015, ces innovations ont permis de réduire de 30 % en moyenne la consommation de carburant et les émissions de CO2.

À titre d’exemple.

La pro­tec­tion de l’environnement n’a pas non plus été oubliée à bord de ces nou­veaux navires. Ils sont équipés de sys­tèmes de traite­ment inno­vants des eaux de bal­last pour sup­primer le trans­fert d’espèces inva­sives d’un port à l’autre, ou de sys­tèmes de récupéra­tion d’hydrocarbures en cas de naufrage, dits Fast Oil Recov­ery Systems.

Ces amélio­ra­tions s’inscrivent dans une décen­nie d’efforts pour réduire l’empreinte énergé­tique du trans­port mar­itime et amélior­er son effi­cac­ité. En con­séquence, la part déjà faible du trans­port mar­itime inter­na­tion­al dans les émis­sions mon­di­ales de gaz à effet de serre est passée de 2,6 % à 2,1 % entre 2007 et 2012, alors que le traf­ic aug­men­tait de 14 % : c’est aujourd’hui le mode de trans­port le plus pro­pre à la tonne transportée.

Remettre les voiles

Pour réduire encore plus dras­tique­ment les émis­sions atmo­sphériques, les arma­teurs réfléchissent à de nou­veaux modes de propul­sion. L’une des solu­tions les plus inno­vantes est l’utilisation du gaz naturel liqué­fié (GNL), qui per­met de sup­primer les émis­sions de dioxyde de soufre et de réduire les émis­sions d’oxydes d’azote et même de CO2.

Il représente un saut tech­nologique impor­tant pour de nom­breux inter­venants de l’industrie mar­itime, car il exige de réu­nir des com­pé­tences var­iées pour créer les infra­struc­tures de la chaîne logis­tique, met­tre en place un soutage adap­té dans les ports et organ­is­er le stock­age et l’utilisation à bord du navire. C’est sans doute un virage aus­si impor­tant que le pas­sage de la voile au charbon.

Et pourquoi pas un retour au navire à voile ? Il ne s’agirait évidem­ment pas d’une pure propul­sion vélique soumise à trop d’aléas dif­fi­cile­ment accept­a­bles aujourd’hui, mais de solu­tions d’appoint pou­vant per­me­t­tre de réduire de 20 % la con­som­ma­tion de car­bu­rant et donc les émis­sions résul­tantes. Des expéri­men­ta­tions sont en cours, et on peut citer Neo­line d’Éric Gavo­ty, ou Beyond the Sea, expéri­ence de trac­tion par cerf-volant du nav­i­ga­teur Yves Par­li­er, aux­quels Arma­teurs de France apporte son soutien.

Tirer parti de ses atouts

Grâce à un âge moyen de sept ans et à sa grande tech­nic­ité, la flotte nav­iguant sous pavil­lon français a été récom­pen­sée en 2013 et en 2014 comme la plus sûre et la plus respectueuse de l’environnement sur le plan international.

“ Assistance vélique et GNL pour améliorer l’impact sur l’environnement ”

Ce résul­tat a été ren­du pos­si­ble par un pro­fond renou­velle­ment de la flotte et un recours per­ma­nent à l’innovation. Ce pari tech­nologique est un choix des arma­teurs français, con­fron­tés à une con­cur­rence mon­di­al­isée qu’ils ne peu­vent com­bat­tre à armes égales sur le ter­rain du coût.

C’est pourquoi ils se sont engagés dans un plan de tran­si­tion énergé­tique qui doit con­duire à amélior­er encore l’efficacité énergé­tique – donc le coût – du trans­port mar­itime et à réduire de 30 % les émis­sions de CO2, à l’horizon 2025, par rap­port au niveau de 2010.

Pour y arriv­er, nous aurons besoin de nou­velles inno­va­tions, qui devront être testées et mis­es en œuvre grâce à une col­lab­o­ra­tion ren­for­cée entre équipemen­tiers, chantiers navals et armateurs.

Le trans­port mar­itime s’inscrit ici dans une logique de fil­ière indus­trielle qui engage l’ensemble de la com­mu­nauté mar­itime française.

C’est à ce prix que la France pour­ra rester un lieu d’excellence et d’innovation tech­nologique, et qu’elle pour­ra relever le défi des nou­velles fron­tières des zones polaires et des grands fonds.

Au-delà des mots et des dis­cours, elle pour­ra ain­si relever le défi du Grenelle de la mer et devenir une puis­sance mar­itime capa­ble de tir­er par­ti des atouts que la géo­gra­phie et l’histoire lui ont donnés.

Porte conteneur Kerguelen de la CMA CGM

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