Les énergies marines renouvelables : l’innovation hydrolienne

Dossier : MerMagazine N°706 Juin/Juillet 2015
Par Jérôme CREST (X04)
“Une hydrolienne est de taille plus modeste qu’une éolienne de même puissance”

Outre l’éolien off­shore posé, qui a déjà atteint les phas­es de déploiement indus­triel et com­mer­cial à grande échelle, l’exploitation de la ressource des courants de marées par des tur­bines hydroli­ennes pour pro­duire de l’électricité est l’énergie la plus mature, par­venant au stade précommercial.

REPÈRES

Les EMR, utilisant l’énergie des océans, comprennent notamment l’hydrolien (énergie cinétique des marées), le houlomoteur (énergie des vagues) ou l’énergie thermique des mers (ETM). L’Agence internationale de l’énergie a évalué le potentiel mondial à 748 gigawatts en 2050, dont 100 GW pourraient être exploités en Europe.
Plus de 600 millions d’euros de financements privés ont été investis ces sept dernières années dans cette filière en pleine émergence. La France dispose de tous les atouts sur ce marché : ressource substantielle, tissu industriel expérimenté issu de l’industrie pétrolière et des chantiers navals et capacités de recherche importantes.
Les EMR forment l’une des 18 filières industrielles stratégiques de la croissance verte. Le « Grenelle de la mer » prévoit le déploiement de 6 GW d’ici 2020, dont 3 GW sont déjà lancés. Les EMR (hors éolien offshore posé) permettraient de créer 20 000 emplois d’ici 2035 en Europe.

Concepts et technologies

Une hydroli­enne suit le rythme des marées qui s’inversent toutes les six heures. Les pro­duc­tions asso­ciées sont donc inter­mit­tentes mais très prévis­i­bles, ce qui présente un intérêt pour leur inté­gra­tion dans le réseau.


Les dif­férents con­cepts d’hydroliennes. © COMMISSION ÉNERGIES MARINES DU SYNDICAT DES ÉNERGIES RENOUVELABLES

Les hydroli­ennes sont le plus sou­vent com­plète­ment immergées, cer­taines fixées au fond, d’autres ancrées ou flot­tantes. Les pro­fondeurs d’eau sont vari­ables mais par­fois impor­tantes pour ne pas per­turber le traf­ic mar­itime ou la pêche.

La pre­mière tur­bine hydroli­enne expéri­men­tale rac­cordée au réseau se situe à Ham­mer­fest, en Norvège. D’une puis­sance de 0,3 MW, elle pro­duit de l’électricité depuis 2003. Le plus grand site expéri­men­tal est en Écosse, à l’EMEC (Euro­pean Marine Ener­gy Cen­tre), qui accueille actuelle­ment de nom­breux pro­to­types, de 1 MW environ.

Il existe une grande diver­sité de con­cepts : axe hor­i­zon­tal ou ver­ti­cal mais aus­si hydro­foil ou tur­bine à effet Ven­turi (voir ci-dessus).

Les prototypes existants

On assiste à une con­ver­gence vers des sys­tèmes à axe hor­i­zon­tal, notam­ment des tur­bines à trois pales sans caré­nage, sem­blables aux éoli­ennes. Les prin­ci­paux acteurs dis­posant de pro­to­types à l’échelle réelle sont Alstom, Andritz, MCT, DCNS (ci-dessous).

L’hydrolienne Oceade™ de 1,4 MW dévelop­pée par Alstom et dotée d’un rotor de 18 mètres de diamètre présente l’avantage d’être flot­tante et détach­able de sa fon­da­tion posée sur le fond marin. Elle peut ain­si être aisé­ment récupérée en mer par des navires de type remorqueur, ce qui représente un avan­tage com­péti­tif impor­tant pour les opéra­tions de main­te­nance qui doivent être réal­isées à terre.

Perspectives économiques et industrielles

La ressource hydroli­enne est estimée entre 50 et 100 GW dans le monde (6 GW au Roy­aume-Uni, 3 GW en France, con­cen­trée autour des sites raz Blan­chard, raz de Barfleur et Fromveur, 3 GW au Cana­da et 2 GW aux États- Unis).

Bien que la mise au point récente de pro­to­types et de démon­stra­teurs per­me­tte d’envisager le développe­ment d’une fil­ière à fort poten­tiel d’exportation dans les quinze prochaines années, de nom­breux efforts restent néces­saires pour con­cré­tis­er le poten­tiel de la France, por­tant sur des aspects tech­nologiques (val­i­da­tion des con­cepts, réduc­tion des coûts, aug­men­ta­tion des per­for­mances) et non tech­nologiques (con­cer­ta­tion éten­due, régle­men­ta­tion, infrastructures).

Une poli­tique inci­ta­tive sera fon­da­men­tale pour per­me­t­tre l’émergence d’une fil­ière nationale com­péti­tive, notam­ment par l’annonce d’objectifs ambitieux en ter­mes de capac­ité instal­lée et le lance­ment d’appels d’offres dédiés.

Un développement pas à pas

Le développe­ment de l’hydrolien suit un sché­ma par étapes, per­me­t­tant de lever pro­gres­sive­ment les divers ver­rous technologiques.

La puis­sance élec­trique que l’on peut extraire des déplace­ments des mass­es d’eau est pro­por­tion­nelle au cube de la vitesse du courant, à la sur­face bal­ayée par le sys­tème et à la den­sité de l’eau. L’eau étant 800 fois plus dense que l’air, les hydroli­ennes sont donc de taille rel­a­tive­ment mod­este par rap­port aux éoli­ennes de même puis­sance, et bien adap­tées pour l’extraction de l’énergie des mers en faible pro­fondeur. En pra­tique, une hydroli­enne immergée de 10 mètres de diamètre pro­duira en sor­tie d’alternateur 125 kW avec un courant de 2 m/s et plus de 450 kW avec un courant de 3 m/s.

Les pre­mières études con­ceptuelles au début des années 2000 ont con­duit à la fab­ri­ca­tion de pro­to­types à échelle réduite, testés en bassin et en mer, puis à des pro­to­types à échelle réelle, testés notam­ment sur le site d’essai de l’EMEC en Écosse.

Ces étapes néces­si­tent un accom­pa­g­ne­ment pub­lic en matière de R & D, soutenu en France notam­ment par les pro­grammes d’investissements d’avenir, par les col­lec­tiv­ités locales (fonds régionaux ou FEDER), et par l’investissement des indus­triels, par­fois regroupés au sein de struc­tures collaboratives.

Les indus­triels de la fil­ière ont à ce jour validé leurs pro­to­types à échelle réelle qui ont pro­duit plusieurs cen­taines de mégawattheures sur le réseau.

Des fermes pilotes

La prochaine étape est la réal­i­sa­tion de fer­mes pré­com­mer­ciales de quelques hydroli­ennes pour valid­er les dernières briques tech­nologiques (inter­ac­tions entre machines, effets de sil­lage, robustesse, taux de disponi­bil­ité, coûts, etc.) et les élé­ments économiques per­me­t­tant d’en maîtris­er le coût com­plet sur plusieurs années (pro­ductible en sit­u­a­tion réelle, coûts d’exploitation-maintenance).

Dans ce con­texte l’ADEME, ges­tion­naire des investisse­ments d’avenir pour les éner­gies renou­ve­lables, a désigné ENGIE/Alstom et EDF EN/DCNS lau­réats de l’appel à man­i­fes­ta­tion d’intérêt pour la con­struc­tion de deux fer­mes pilotes dans le raz Blanchard.

Ces fer­mes pilotes vont per­me­t­tre aux dif­férents acteurs d’obtenir un retour d’expérience pré­cieux. La fil­ière néces­sit­era alors des appels d’offres com­mer­ci­aux pour des capac­ités impor­tantes (de l’ordre de 1 GW comme pour l’éolien off­shore), afin de démon­tr­er la com­péti­tiv­ité de l’hydrolien en don­nant suff­isam­ment de vis­i­bil­ité et de vol­ume pour dimin­uer le coût de l’énergie et réalis­er des investisse­ments indus­triels de série.

Hydrolienne Alstom
© ALSTOM

Hydrolienne ANDRITZ
© ANDRITZ

Hydrolienne MARINE CURRENT TURBINES
© MARINE CURRENT TURBINES

Hydrolienne DCNS
© DCNS

Acceptation sociétale

La réus­site du déploiement de la fil­ière hydroli­enne en France repose égale­ment sur des prob­lé­ma­tiques d’ordre socié­tal, régle­men­taire et struc­turel. Indépen­dam­ment de la fil­ière et de la tech­nolo­gie choisie, les con­di­tions d’utilisation et d’exploitation des parcs doivent être accep­tées par les pop­u­la­tions et les usagers de la mer, à tra­vers une large con­cer­ta­tion préalable.

Potentiel hydrolien en Europe et en France
Marché européen et prin­ci­paux sites français. © ENGIE

Sur le plan socié­tal, l’énergie hydroli­enne démon­tr­era dans le cadre des fer­mes pilotes qu’elle s’intègre de façon opti­male dans le milieu du point de vue envi­ron­nemen­tal et qu’elle ne per­turbe pas les activ­ités anthropiques, voire qu’elle présente un béné­fice pour l’activité économique au niveau local, région­al et national.

Sur le plan régle­men­taire, les procé­dures actuelles sont lour­des et très longues. Ce cadre doit être sim­pli­fié et amélioré : la créa­tion d’un guichet unique et une adap­ta­tion des codes applic­a­bles sim­pli­fierait le proces­sus, per­me­t­trait de min­imiser les coûts de développe­ment, sta­bilis­erait les délais de recours et accélér­erait le rythme de développe­ment de la filière.

Enfin, pour ce qui con­cerne les infra­struc­tures et réseaux, les fer­mes com­mer­ciales néces­siteront des adap­ta­tions des espaces por­tu­aires, des navires per­me­t­tant les opéra­tions mar­itimes et des réseaux élec­triques assur­ant l’exportation de l’énergie pro­duite. Une poli­tique publique nationale et régionale anticipée et coor­don­née est indispensable.

Une belle opportunité

L’énergie hydroli­enne, pro­pre et pré­dictible, sus­cite un intérêt crois­sant sur les impacts économiques et indus­triels qu’elle peut générer.

“ Une politique publique anticipée et coordonnée est indispensable ”

Une des ques­tions impor­tantes est de savoir à quel coût glob­al l’électricité sera pro­duite une fois la matu­rité atteinte et quand elle devien­dra com­péti­tive par rap­port aux autres éner­gies décar­bonées. L’étape des fer­mes pilotes prévue à par­tir de 2017 est donc fondamentale.

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