L’innovation au cœur de l’action dans la construction navale

Dossier : MerMagazine N°706 Juin/Juillet 2015
Par Édouard LENHARDT (93)
Par Stéphane KLEIN

Pour amélior­er la per­for­mance des navires qu’elle con­stru­it, STX France a con­cen­tré ses efforts de R & D sur les thèmes iden­ti­fiés comme les plus stratégiques :

  • la prof­itabil­ité pour les arma­teurs et notam­ment la réduc­tion de la fac­ture énergé­tique des navires ;
  • la prise en compte des nou­velles exi­gences envi­ron­nemen­tales induites par la régle­men­ta­tion et par une sen­si­bil­ité du pub­lic (croisiéristes, riverains des ports, etc.) ;
  • la sécu­rité des navires et de leurs passagers ;
  • la com­péti­tiv­ité du chantier.

REPÈRES

Il faut prendre la mesure de la complexité d’un projet de conception et de fabrication d’un paquebot géant tel que l’Oasis III, le plus grand paquebot du monde. C’est l’équivalent d’une petite ville avec tous ses services associés, comme la production d’énergie (presque 100 MW), la production et la distribution d’eau, le traitement des déchets ; un casino, des salles de spectacle, des restaurants, un hôpital ; etc. Tout doit être conçu, fabriqué, assemblé et testé en 36 mois, de la signature du contrat à sa livraison à l’armateur.
Il faut pour cela mobiliser dans un temps très court plus de 450 ingénieurs et techniciens regroupés en plateau pendant 24 mois. Il faut ensuite faire intervenir sur le chantier de construction plus de 2 500 personnes couvrant une large palette de métiers, des soudeurs, charpentiers métalliques, mécaniciens, tuyauteurs, électriciens, peintres et agenceurs, aux ingénieurs en réseaux et télécommunications ou en système de contrôle-commande intégré, ou encore des spécialistes en acoustique et vibration, qui vérifieront au cours des essais que les performances définies au stade du projet sont atteintes. La construction de cette ville flottante exige une planification et une coordination précises et réactives.

Efficacité énergetique et environnementale

L’augmentation du prix des com­bustibles, asso­ciée à la mise en place de nou­velles régle­men­ta­tions lim­i­tant l’utilisation de fuel lourd bon marché mais haute­ment soufré donc pol­lu­ant, a large­ment réduit la prof­itabil­ité des arme­ments. La fac­ture énergé­tique est dev­enue, pour les navires de croisière, le pre­mier poste de dépenses.

“ Concentrer les efforts de R & D sur les thèmes les plus stratégiques ”

Antic­i­pant le besoin de navires plus économes en car­bu­rant et plus respectueux de l’environnement, STX a lancé en 2007 son pro­gramme de R & D « Ecori­zon ». Une équipe dédiée d’ingénieurs a pour mis­sion de divis­er par deux la con­som­ma­tion d’un paque­bot d’ici 2020, par rap­port à des navires mis en ser­vice en 2010, et de répon­dre aux exi­gences des nou­veaux règle­ments envi­ron­nemen­taux, notam­ment sur les fumées d’échappement.

À ce jour, la moitié du chemin est par­cou­rue. STX peut affich­er un gain de 25 %, notam­ment grâce à ses travaux sur la cogénéra­tion, la récupéra­tion de l’énergie ther­mique des moteurs, l’hydrodynamisme des carènes, l’efficacité des propulseurs, la pro­duc­tion et la dis­tri­b­u­tion de l’énergie électrique.

Pour la ques­tion des émis­sions pol­lu­antes, STX est aujourd’hui en mesure de pro­pos­er des solu­tions fiables, économiques et dépas­sant les exi­gences régle­men­taires grâce à ses travaux sur la propul­sion au gaz naturel liqué­fié et sur les tech­nolo­gies de cap­ture du soufre dans les fumées (scrub­ber).

Optimisation des processus

Dans un con­texte de con­cur­rence inter­na­tionale très forte, une autre com­posante essen­tielle du pro­gramme de R & D porte sur les proces­sus d’études et de con­struc­tion des navires. Nous met­tons en œuvre un proces­sus de « réal­i­sa­tion con­cour­ante » : pour tenir les délais très courts (36 mois en moyenne), la fab­ri­ca­tion et le mon­tage du navire sont démar­rés alors que la total­ité des études n’est pas terminée.

“ L’utilisation d’outils de simulation numérique s’est largement répandue ”

Pour ce faire, des solu­tions très inno­vantes d’ingénierie-PLM (prod­uct life-cycle man­age­ment) sont mis­es au point, reposant sur l’interfaçage très étroit entre out­ils de CAO et ERP (enter­prise resource plan­ning) autour d’une maque­tte numérique unique.

L’utilisation d’outils de sim­u­la­tion numérique s’est large­ment répan­due, que ce soit dans le domaine des cal­culs pour opti­miser l’hydrodynamisme des carènes ou dans celui de la réal­ité virtuelle grâce au sou­tien de l’association Clarté de Laval (par exem­ple pour la sim­u­la­tion de l’accessibilité d’un équipement dans une zone du navire par­ti­c­ulière­ment dense).

Cela per­met d’améliorer la qual­ité des études et d’éviter les mod­i­fi­ca­tions ultérieures, sources de surcoût.

Un robot intelligent

Présentation de simulation numérique
L’utilisation d’outils de sim­u­la­tion numérique s’est large­ment répandue.

Les procédés de fab­ri­ca­tion font égale­ment l’objet d’une activ­ité de R & D et d’optimisation soutenue. Le pro­jet « Char­man », par exem­ple, con­siste à dévelop­per un robot de soudage de coque (bor­dé) en col­lab­o­ra­tion avec l’Institut de recherche tech­nologique Jules-Verne de Nantes. Il s’agit d’un robot capa­ble de se mou­voir sur un bor­dé ver­ti­cal pour réalis­er la jonc­tion de deux blocs de navire.

Ce robot aura toute l’« intel­li­gence » néces­saire pour suiv­re la bonne tra­jec­toire et adapter son cor­don de soudage à la géométrie des tôles à soud­er. C’est un exem­ple sig­ni­fi­catif d’accroissement de la pro­duc­tiv­ité (plus besoin des échafaudages néces­saires au soudage manuel) mais aus­si de la sécu­rité des opéra­teurs (plus de travaux en hauteur).

En 2014, nous avons égale­ment mis en ser­vice une nou­velle unité de fab­ri­ca­tion : l’unité d’armement des pan­neaux (UAP). Elle a per­mis d’atteindre, pour l’Oasis III, un taux de préarme­ment des pan­neaux et des blocs (tuyaux, gaines de ven­ti­la­tion, chemins de câbles, etc.) iné­galé jusqu’à présent, avant leur assem­blage dans la cale. Les gains de pro­duc­tiv­ité sont significatifs.

Ces mêmes blocs sont peints et équipés de leurs bal­cons dans des abris mis en place sur l’aire de pré­mon­tage : on s’affranchit ain­si des aléas météo, tout en amélio­rant la qualité.

Enfin, le nou­veau por­tique, d’une capac­ité de 1 400 tonnes, per­met de con­stru­ire des blocs plus lourds et plus volu­mineux, d’où une réduc­tion du nom­bre de blocs et de la durée d’assemblage des navires.

Les énergies marines

Le chantier naval de Saint-Nazaire, son envi­ron­nement indus­triel, les com­pé­tences en matière d’ingénierie et de fab­ri­ca­tion qui s’y trou­vent con­stituent un excel­lent ter­reau pour le développe­ment de nou­velles activ­ités indus­trielles en mer.

C’est pourquoi STX France s’est naturelle­ment tourné depuis quelques années vers l’une de ces activ­ités en fort développe­ment : les éner­gies marines. À titre d’exemple, deux mod­ules off­shore ont été réal­isés en 2014 à Saint-Nazaire.

Le pre­mier est des­tiné aux marchés des éner­gies marines renou­ve­lables : il s’agit d’une sta­tion élec­trique (top­side, fon­da­tion jack­et et piles) d’une puis­sance de 210 MW, éle­vant le courant d’une ten­sion de 33 kV en prove­nance des éoli­ennes à une ten­sion de 132 kV pour pou­voir l’exporter vers la terre.

Cette sta­tion élec­trique est aujourd’hui en opéra­tion en Grande-Bre­tagne dans le parc éolien off­shore de West­ern­most Rough. Un des prin­ci­paux enjeux a été son très court délai de réal­i­sa­tion (17 mois).

Le deux­ième est des­tiné au marché pét­role et gaz puisqu’il s’agit d’un mod­ule tech­nique élec­trique et de con­di­tion­nement d’air des­tiné à la FPSO Giras­sol en Ango­la (float­ing pro­duc­tion stor­age and offload­ing unit, unité flot­tante de pro­duc­tion, de stock­age et de décharge­ment), pour en aug­menter la capac­ité de production.

Un des prin­ci­paux enjeux de la réal­i­sa­tion de ce mod­ule a été de con­cevoir une struc­ture légère de manière à pou­voir réalis­er les travaux d’intégration off­shore avec le moyen de lev­age mobil­isé à cet effet.

Offshore pétrolier et éolien

Dans le domaine de l’off­shore pétroli­er, le développe­ment de nou­velles tech­nolo­gies a accom­pa­g­né l’évolution des unités de pro­duc­tion fix­es vers des unités flot­tantes (FPSO) ancrées à des pro­fondeurs de plus en plus impor­tantes, ren­dant ain­si acces­si­bles de nou­velles ressources en hydrocarbures.

Module de conditionnement d'air
Mod­ule tech­nique de con­di­tion­nement d’air instal­lé en Angola.

STX France a déjà réal­isé plusieurs études de con­cep­tion de FPSO ou d’unité flot­tante de pro­duc­tion de GNL axées sur la struc­ture du flot­teur, ou sur les quartiers d’habitation. Les fab­ri­ca­tions elles-mêmes peu­vent être exé­cutées ailleurs qu’à Saint-Nazaire.

Le secteur des éner­gies marines renou­ve­lables est encore peu mature, à l’exception de l’éolien off­shore posé qui dis­pose à ce jour d’une base instal­lée opéra­tionnelle de taille sig­ni­fica­tive. En juil­let 2014, on compt­abil­i­sait (d’après les sta­tis­tiques de l’EWEA – Euro­pean Wind Ener­gy Asso­ci­a­tion) plus de 8 GW rac­cordés au réseau électrique.

En France, six pro­jets éoliens off­shore au large des côtes mét­ro­pol­i­taines ont été attribués à dif­férents groupe­ments, pour une puis­sance totale de l’ordre de 3 GW. Ces pro­jets devraient voir le jour dans les années qui vien­nent, et d’autres vont être lancés pour pour­suiv­re le déploiement en France et ain­si con­tribuer de manière sig­ni­fica­tive à l’objectif de 32 % d’énergies renou­ve­lables dans la con­som­ma­tion finale d’énergie en 2030 fixé par la loi sur la tran­si­tion énergétique.

Pour y par­venir il fau­dra toute­fois que l’innovation et le déploiement à grande échelle puis­sent en réduire les coûts à un niveau accept­able pour le con­som­ma­teur : notam­ment par l’augmentation de la puis­sance uni­taire des tur­bines (il existe des développe­ments de machines pou­vant aller jusqu’à 10 MW), par l’augmentation de la taille des rotors (meilleur fac­teur de charge des machines), par la réduc­tion des délais de con­struc­tion (donc de la durée d’immobilisation du capital).

Grâce à l’innovation et à la R & D, les postes de trans­for­ma­tion élec­trique off­shore et les fon­da­tions métalliques d’éolienne off­shore peu­vent aus­si forte­ment con­tribuer à la réduc­tion des coûts de l’électricité éoli­enne off­shore.

Optimiser les plateformes

Station électrique sous-marine
Sta­tion élec­trique de West­ern­most Rough (Grande-Bre­tagne).

Les postes de trans­for­ma­tion off­shore ont une fonc­tion clé dans la ferme éoli­enne, qui con­siste à con­cen­tr­er l’électricité pro­duite par les éoli­ennes, en élever la ten­sion et l’exporter vers la terre. Un cer­tain nom­bre de sys­tèmes de super­vi­sion et de sécu­rité de la ferme éoli­enne y sont égale­ment installés.

Le pro­gramme de recherche et développe­ment « Wat­te­ole » est lancé depuis trois ans. Il pour­suit plusieurs objec­tifs dont celui de la stan­dard­i­s­a­tion. En effet, avec six pro­jets aujourd’hui attribués en France d’une puis­sance d’environ 500 MW cha­cun, il paraît tout à fait réal­iste de tra­vailler sur la déf­i­ni­tion d’une plate­forme commune.

Elle per­me­t­trait de pass­er d’une logique de « pro­duit uni­taire » à une logique de « pro­duit série ». Les gains obtenus liés à l’industrialisation du pro­duit et à la courbe d’apprentissage ou encore au vol­ume d’achat seraient significatifs.

“ Un excellent terreau pour le développement de nouvelles activités ”

Un autre objec­tif de ce pro­gramme est de réduire la masse de la struc­ture en aci­er de la plate­forme. En effet, la masse est un impor­tant induc­teur du coût de la plate­forme ; la réduire per­met de dimin­uer les coûts de fab­ri­ca­tion, de trans­port et d’installation en mer, et de réduire égale­ment la masse de la struc­ture sup­port de la plateforme.

L’enjeu est impor­tant et c’est bien une analyse de coût com­plet de la fonc­tion qui doit être réal­isée. Il sera par­fois préférable de ne pas pouss­er à l’extrême la cure d’amaigrissement : par exem­ple, les qual­ités des aciers devront être adap­tées à leur util­i­sa­tion, tout en étant raisonnable­ment disponibles sur le marché.

Des structures des navires à celles des plateformes

Une des inno­va­tions mis­es en œuvre pour réduire les mass­es repose sur l’utilisation de méth­odes de con­cep­tion de la struc­ture issues de la con­struc­tion navale plutôt que celles habituelle­ment util­isées dans l’off­shore pétrolier.

“ Le croisement d’idées est une source importante d’innovation ”

Le stan­dard de l’off­shore pétroli­er, dont s’est naturelle­ment inspirée l’industrie de l’éolien off­shore, est de con­cevoir des struc­tures dites de type « poteaux-poutres » : seuls les poteaux et les poutres sont struc­turels, les cloi­sons ver­ti­cales et les ponts ayant des fonc­tions telles que l’étanchéité ou l’isolation.

Dans les plate­formes élec­triques conçues par STX France, les cloi­sons ver­ti­cales et les ponts sont fab­riqués en pan­neaux d’acier raidis et con­tribuent à la tenue de l’ouvrage. Out­re la réduc­tion de masse, c’est aus­si l’industrialisation des procédés qui per­met de réduire les coûts de fabrication.

En effet la fab­ri­ca­tion de pan­neaux d’acier raidis peut être plus facile­ment automa­tisée que l’assemblage par soudage de poteaux et de poutres.

Croiser les idées

Les dif­férents thèmes d’innovation et de R & D évo­qués illus­trent la com­plex­ité des prob­lé­ma­tiques ren­con­trées et per­me­t­tent de soulign­er l’importance de la col­lab­o­ra­tion entre les dif­férents acteurs. Ils démon­trent aus­si que, comme sou­vent, le croise­ment des idées en prove­nance de dif­férents domaines tels que celui de l’off­shore pétroli­er, celui de la con­struc­tion navale et celui des éner­gies marines renou­ve­lables, est une source impor­tante d’innovation.

Rap­pelons qu’un fort développe­ment des éner­gies marines renou­ve­lables en France con­tribuera aus­si à la mise en place d’une indus­trie pérenne source de créa­tion d’emplois : c’est aus­si l’objectif de STX, qui a décidé d’investir 20 mil­lions d’euros dans la réal­i­sa­tion d’une unité de pro­duc­tion dédiée aux éner­gies marines, actuelle­ment en con­struc­tion, qui déploiera des moyens et des méth­odes de pro­duc­tion de pointe.

Plateforme électrique offshore de STX France
Dans les plate­formes élec­triques conçues par STX France, les cloi­sons ver­ti­cales et les ponts sont fab­riqués en pan­neaux d’acier raidis.

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