L’observation, base de tout le processus

Dossier : La météorologie partie 1Magazine N°747 Septembre 2019
Par Alain RATIER (78)

L’observation des dif­férents com­par­ti­ments du sys­tème cli­ma­tique est déter­mi­nante, qu’il s’agisse de la recherche pour la com­préhen­sion des proces­sus et des phénomènes, ou des ser­vices opéra­tionnels de prévi­sion, d’analyse a pos­te­ri­ori d’événements ou de diag­nos­tics de l’évolution du climat.

L’observation depuis l’espace est un ingré­di­ent indis­pens­able de la recherche et des prévi­sions météorologiques, des échéances de quelques min­utes ou quelques heures à celles des prévi­sions « saison­nières » : quelle prob­a­bil­ité d’un hiv­er plus ou moins froid à nos lat­i­tudes ou d’une sai­son cyclonique plus ou moins intense sous les tropiques ? Cela n’enlève rien à l’observation in situ, com­plé­men­taire (voir encadré de Marie Dumont) et indis­pens­able référence pour l’étalonnage.

Un atout pour les prévisions

Cette impor­tance s’explique par les capac­ités de cou­ver­ture et d’échantillonnage spa­tiotem­porel uniques des satel­lites, par la diver­sité des paramètres observ­ables depuis l’espace, mais aus­si par les pro­grès réal­isés dans l’exploitation des obser­va­tions spa­tiales, désor­mais com­plète­ment inté­grées au sein des sys­tèmes de prévi­sion numérique ou de fusion de données.

La con­ti­nu­ité opéra­tionnelle est une exi­gence majeure des pro­grammes d’Eumet­sat, garantie même en cas d’échec au lance­ment par la fab­ri­ca­tion en série de plusieurs satel­lites iden­tiques et le recou­vre­ment plan­i­fié entre deux satel­lites suc­ces­sifs de même généra­tion et entre deux généra­tions suc­ces­sives. Ces recou­vre­ments garan­tis­sent égale­ment les interé­talon­nages indis­pens­ables à la cohérence cli­ma­tologique de longues séries d’observations : plus de quar­ante ans pour les satel­lites Meteosat.

“Une coordination
planétaire sous l’égide
des Nations unies”

Meteosat : L’orbite géostationnaire au service de la prévision « immédiate »

En four­nissant en temps réel des images super­pos­ables avec une fréquence de quelques min­utes, l’imagerie des satel­lites géo­sta­tion­naires Meteosat sert avant tout la prévi­sion à quelques heures d’échéance des phénomènes météorologiques à développe­ment rapi­de et fort enjeu.

Disponible toutes les cinq min­utes sur l’Europe, l’imagerie vis­i­ble et infrarouge per­met de car­ac­téris­er dans le temps et l’espace les pro­priétés physi­co-optiques des nuages, leur développe­ment ver­ti­cal mesuré par leur tem­péra­ture som­mi­tale ain­si que leur tex­ture et leur mor­pholo­gie. Com­binée au champ de pré­cip­i­ta­tion observé par les radars météorologiques et à d’autres infor­ma­tions, elle per­met l’analyse du développe­ment des sys­tèmes con­vec­tifs organ­isés ou de cel­lules orageuses isolées devenant dan­gereuses. Sur l’océan, l’imagerie Meteosat est déter­mi­nante pour la sur­veil­lance des sys­tèmes con­vec­tifs trop­i­caux dan­gereux pour l’aviation, la détec­tion de cyclones en for­ma­tion et la car­ac­téri­sa­tion de leur tra­jec­toire, taille et intensité.


REPÈRES

En Europe, 30 pays, dont 26 mem­bres de l’UE, s’appuient sur l’Organisation européenne pour l’exploitation des satel­lites météorologiques, Eumet­sat pour déploy­er et exploiter pour leur compte des sys­tèmes de satel­lites opéra­tionnels pour la météorolo­gie et la sur­veil­lance du climat.


L’orbite polaire : décisive pour la prévision numérique du temps

La fréquence de revis­ite des obser­va­tions d’un satel­lite en orbite polaire aug­mente avec la lat­i­tude et la largeur du champ de vue des instru­ments embar­qués, mais ne dépasse pas six heures. En revanche, la cou­ver­ture est glob­ale et l’altitude de vol, de l’ordre de 800 km, per­met d’exploiter des instru­ments hyper­fréquences ou act­ifs (radars, lidars) et d’obtenir une réso­lu­tion au sol supérieure.

Aujourd’hui, les satel­lites en orbite polaire équipés de spec­tromètres infrarouges, de son­deurs hyper­fréquences et de récep­teurs GNSS per­me­t­tant l’observation de la réfrac­tion des sig­naux GNSS occultés par l’atmosphère sont les seuls satel­lites pour­voyeurs de pro­fils ver­ti­caux de tem­péra­ture et d’humidité. Les satel­lites Metop d’Eumetsat embar­quent égale­ment un radar en bande C pour l’observation du champ de vent à la sur­face de l’océan et de l’humidité du sol ain­si qu’un spec­tromètre UV/visible pour l’observation glob­ale de la com­po­si­tion atmosphérique.

Les obser­va­tions des satel­lites Metop, lancés à par­tir de 2006, ont encore l’impact le plus élevé sur la per­for­mance de la prévi­sion numérique glob­ale. En 2018, 27 % de la réduc­tion de l’erreur de prévi­sion à 24 heures réal­isée par l’ensemble des obser­va­tions disponibles en temps réel était attribuée aux obser­va­tions des satel­lites Metop, 45 % au sys­tème polaire partagé avec la NOAA (Metop et JPSS) et 70 % à l’ensemble des satellites.

Une contribution mondiale coordonnée

Au sein des Nations unies, l’Organisation météorologique mon­di­ale définit l’architecture cible du sys­tème d’observation spa­tial qui ali­mente tous les ser­vices météorologiques et qu’aucun État ne peut s’offrir. Les opéra­teurs de satel­lites, Améri­cains, Chi­nois, Coréens, Européens, Indi­ens, Japon­ais et Russ­es y con­tribuent de manière coor­don­née, en assur­ant la cou­ver­ture com­plète des lat­i­tudes inférieures à 60 degrés par une « cein­ture » équa­to­ri­ale de satel­lites géo­sta­tion­naires et en déploy­ant leurs satel­lites en orbite polaire sur des orbites com­plé­men­taires de façon à aug­menter la fréquence des obser­va­tions globales.

Au même titre que l’accroissement de la puis­sance de cal­cul et les avancées de la recherche, l’observation spa­tiale est l’un des moteurs du pro­grès de toutes les prévi­sions, grâce à l’accroissement des capac­ités des satel­lites et aux inno­va­tions en matière d’instrumentation.

Ce qui est vrai pour la prévi­sion du temps l’est aus­si pour celles de l’océan et de la com­po­si­tion chim­ique de l’atmosphère, ce qui place l’observation depuis l’espace au cen­tre des prob­lé­ma­tiques de prévi­sion inté­grée qui doivent impéra­tive­ment pren­dre en compte les inter­ac­tions entre les dif­férentes com­posantes du sys­tème Terre, toutes observ­ables depuis l’espace.

C’est pour cette rai­son que les satel­lites d’Eumetsat, de la NOAA améri­caine et de la CMA Chi­noise ne sont pas seule­ment météorologiques, et qu’Eumetsat est par­tie prenante du pro­gramme Coper­ni­cus de l’UE, comme opéra­teur des mis­sions Sen­tinel ‑3, ‑4, ‑5 et ‑6 de sur­veil­lance de l’océan et de la com­po­si­tion atmo­sphérique, et, à l’avenir, d’une mis­sion Sen­tinel de sur­veil­lance du CO2 atmosphérique.


Les systèmes de nouvelle génération

Les sys­tèmes MTG et EPS-SG sont conçus pour répon­dre aux exi­gences très ambitieuses for­mulées par les util­isa­teurs pour faire pro­gress­er la prévi­sion. La mis­sion Earth Explor­er Aeo­lus de l’ESA, qui vient de valid­er la mesure du pro­fil de vent par lidar Doppler, pour­rait pré­fig­ur­er une série complémentaire
de min­isatel­lites opéra­tionnels envis­agée par l’ESA et Eumetsat.


Des satellites de nouvelle génération à partir de 2021

Les sys­tèmes Meteosat de troisième généra­tion (MTG) et EPS de sec­onde généra­tion (EPS/Me­top-SG) seront déployés dans la péri­ode 2021–2025, à rai­son d’un lance­ment par an. Cha­cun des deux sys­tèmes com­porte deux mod­èles de satel­lites équipés d’instruments com­plé­men­taires inno­vants – cer­tains sont des pre­mières mon­di­ales – exploités simultanément.

Une fois com­plète­ment déployé, en 2025, le sys­tème MTG exploit­era deux satel­lites d’imagerie MTG‑I et un satel­lite de sondage MTG‑S. Les satel­lites MTG‑I fer­ont pass­er l’imagerie Meteosat de 12 à 16 ban­des spec­trales avec une réso­lu­tion atteignant 500 m dans le vis­i­ble et 1 km dans l’infrarouge et une fréquence d’observation allant jusqu’à 2,5 min­utes sur l’Europe, en ajoutant une capac­ité de détec­tion optique des éclairs. Le satel­lite MTG‑S intro­duira une capac­ité inédite de sondage hyper­spec­tral infrarouge (IRS) pro­duisant des pro­fils ver­ti­caux de tem­péra­ture et d’humidité tous les 4 km, avec une répéti­tiv­ité de 30 min­utes sur l’Europe. Embar­qués sur MTG‑S, le son­deur IRS et l’instrument Sentinel‑4 de Coper­ni­cus seront exploités en syn­ergie pour la sur­veil­lance de la qual­ité de l’air en Europe.

La révolution de l’observation satellitaire

La com­bi­nai­son imagerie – sondage per­me­t­tra pour la pre­mière fois une sur­veil­lance à haute fréquence de l’atmosphère en trois dimen­sions (4D Weath­er Cube), ce qui devrait révo­lu­tion­ner la prévi­sion à courte échéance en Europe.

Le sys­tème EPS-SG sera égale­ment con­sti­tué de deux satel­lites, Metop-SG A et Metop-SG B, le pre­mier assur­ant une mis­sion d’imagerie optique et de sondage et le sec­ond une mis­sion d’imagerie hyper­fréquence. Des instru­ments de nou­velle généra­tion amélioreront sub­stantielle­ment toutes les obser­va­tions des satel­lites Metop actuels, et de nou­velles obser­va­tions des aérosols, des pré­cip­i­ta­tions et des nuages de glace seront pro­duites par trois instru­ments de type nou­veau, dont un polarimètre imageur et un radiomètre imageur micro-onde à hautes fréquences (jusqu’à 664 GHz) qui seront des pre­mières mon­di­ales sur des satel­lites opéra­tionnels. Embar­qués sur Metop-SG A, le son­deur infrarouge IASI-NG et l’instrument Sentinel‑5 de Coper­ni­cus seront exploités en syn­ergie pour la sur­veil­lance glob­ale de la qual­ité de l’air.

Chaque satel­lite Metop-SG dif­fusera ses obser­va­tions acquis­es en temps réel à un réseau européen de sta­tions en bande X, ce qui per­me­t­tra d’extraire dans un délai de 15 à 30 min­utes des pro­duits cou­vrant toute l’Europe, util­is­ables avec les obser­va­tions MTG pour la prévi­sion à courte échéance.

“L’Europe leader de l’observation opérationnelle du système Terre”

Des microsatellites en complément

C’est avant tout l’amélioration de la pré­ci­sion des obser­va­tions spa­tiales qui a con­tribué aux pro­grès récents de la prévi­sion grâce à des instru­ments très inno­vants, comme le son­deur infrarouge IASI.

Des con­stel­la­tions de microsatel­lites pro­duisant des obser­va­tions moins pré­cis­es mais plus fréquentes pour­raient com­pléter les obser­va­toires MTG et EPS-SG, lorsqu’il est avéré qu’un plus grand nom­bre d’observations, même de moin­dre pré­ci­sion, devrait amélior­er cer­taines prévi­sions. C’est le cas pour les sondages micro-ondes et des obser­va­tions de radio-occul­ta­tion GNSS.

Ces con­stel­la­tions pour­raient être exploitées par des opéra­teurs privés, soit pour le compte d’acteurs publics, soit pour leur pro­pre compte pour la com­mer­cial­i­sa­tion de ser­vices de don­nées à con­di­tion qu’un mod­èle économique viable se dégage dans un con­texte où l’échange gra­tu­it des obser­va­tions util­isées en prévi­sion numérique est la norme, et où les pro­duits de la prévi­sion numérique sont générale­ment plus per­ti­nents pour les appli­ca­tions que les obser­va­tions elles-mêmes.


De l’observation à microéchelle à l’espace : l’exemple de la neige

Marie Dumont (2002), Cen­tre d’études de la neige, Cen­tre nation­al de recherch­es météorologiques

Con­naître le plus pré­cisé­ment pos­si­ble l’état de la sur­face de la Terre est essen­tiel pour un grand nom­bre d’applications envi­ron­nemen­tales et socié­tales. La présence de neige au sol en est un cas par­ti­c­uli­er impor­tant : la neige mod­i­fie les échanges d’énergie et de masse entre le sol et l’atmosphère, et est un des élé­ments clés de l’équilibre cli­ma­tique ter­restre, à la fois ressource (disponi­bil­ité en eau, hydroéléc­tric­ité, tourisme) et men­ace (avalanch­es et crues). Aus­si, com­pren­dre, recon­stru­ire, suiv­re et prédire les évo­lu­tions du man­teau neigeux est capital.

La neige est un matéri­au fasci­nant mais com­plexe, con­sti­tué à la fois d’eau sous ses trois phas­es et par­fois aus­si d’autres par­tic­ules (sable, débris végé­taux…). Son évo­lu­tion macro­scopique, qui va entre autres déter­min­er sa vitesse de fonte, est intime­ment liée à des proces­sus physiques à microéchelle.

Des neiges pas éternelles

Le suivi et la prévi­sion de l’état du man­teau neigeux sont effec­tués grâce à l’observation et la mod­éli­sa­tion à dif­férentes échelles. Les obser­va­tions les plus fines démar­rent au micron, à l’aide de tech­niques d’imagerie rayons X. Elles per­me­t­tent de mieux com­pren­dre cer­tains proces­sus à l’origine de l’évolution du man­teau neigeux. De nom­breuses obser­va­tions sont égale­ment effec­tuées aux échelles locales, c’est-à-dire en un point, en par­ti­c­uli­er via des sites d’observations dédiés. Ces obser­va­tions in situ améliorent notre com­préhen­sion des proces­sus, de l’échelle de la par­celle à celle d’un mas­sif. Sur le long terme, elles sont des témoins essen­tiels des change­ments cli­ma­tiques. Sur trente ans au col de Porte en Char­treuse (France), on observe une perte de presque 40 cm de l’épaisseur moyenne de neige. 

Enfin, des obser­va­tions, allant de l’échelle du cen­timètre au kilo­mètre, peu­vent être effec­tuées par télédé­tec­tion, grâce à des drones, des instru­ments aéro­portés ou par satel­lite. Ces sys­tèmes sont aujourd’hui les plus promet­teurs pour suiv­re l’évolution du man­teau neigeux, dont la vari­abil­ité spa­tiale est impor­tante et qui se situe bien sou­vent dans des zones dif­fi­cile­ment acces­si­bles. Les obser­va­tions depuis le ciel ou l’espace ren­seignent sur la présence ou l’absence de neige au sol, ain­si que cer­taines pro­priétés de sur­face. Les développe­ments récents de la stéréo­scopie et de la pho­togram­métrie per­me­t­tent dans cer­tains cas d’estimer égale­ment le vol­ume de neige.

Améliorer les prévisions

La mod­éli­sa­tion numérique et l’observation satel­li­taire con­stituent deux sources d’information essen­tielles pour la com­préhen­sion, la sur­veil­lance et la prévi­sion de l’état du man­teau neigeux. Ces deux sources d’informations sont toutes deux entachées d’incertitudes. Comme pour la prévi­sion numérique du temps, de nom­breux travaux sont menés pour com­bin­er ces deux moyens, notam­ment via des tech­niques d’assimilation de don­nées, qui appor­tent dans le cas général une amélio­ra­tion d’environ 50 % de la pré­ci­sion des prévi­sions. La disponi­bil­ité accrue des obser­va­tions satel­li­taires à haute et moyenne réso­lu­tion (et donc adap­tées aux zones mon­tag­neuses, tels Sen­tinels et MTG entre autres) et l’augmentation des capac­ités de cal­culs asso­ciés à de nou­veaux moyens d’observation promet­tent dans un avenir proche des prévi­sions à haute performance.

Vue satellitaire du Caucase russe
Image du satel­lite Sentinel‑2 (20 m de réso­lu­tion) obtenue en avril 2018 sur le Cau­case russe après un fort événe­ment de dépôt de sable saharien.
manteau neigeux au col du Lautaret
Obser­va­tion clas­sique de la strati­gra­phie du man­teau neigeux sur le ter­rain, ici au col du Lautaret (France)
Observation de la neige en volume 3D
3 views of a secret, l’observation de la neige à dif­férentes échelles : vol­ume 3D recon­sti­tué à par­tie d’imagerie en rayons X

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