Rôles et enjeux d’un service météo dans la logique de crise

Dossier : La météorologie partie 1Magazine N°747 Septembre 2019
Par Cédric BOURILLET (97)
Par Jacques WITKOWSKI
Par Paul BOURGEOIS

En France, la sécu­rité des per­son­nes et des biens au regard des risques naturels relève du domaine régalien. Les ser­vices de l’État assur­ant cette fonc­tion auprès de la pop­u­la­tion agis­sent à plusieurs niveaux : con­nais­sance du risque, préven­tion, antic­i­pa­tion, ges­tion de crise et retour d’expérience, en lien avec d’autres par­ties prenantes, à com­mencer par les col­lec­tiv­ités locales.
Ils s’appuient pour cela sur dif­férents organ­ismes dont c’est la spé­cial­ité. Dans le cas des risques météorologiques et cli­ma­tiques, il s’agit de Météo-France.

Paul Bourgeois : Comment la politique de l’État en termes de sécurité des personnes et des biens se décline-t-elle aux différentes échelles territoriales ?

Jacques Witkows­ki, directeur de la DGSCGC : Les Français sont habitués aux inter­ven­tions de prox­im­ité menées par les sapeurs-pom­piers. Par­fois, nos théâtres d’opérations dépassent le cadre du départe­ment voire de la zone de défense, par exem­ple lors d’événements météorologiques de très grande ampleur, comme les tem­pêtes de 1999 ou la tem­pête Xyn­thia : il est alors néces­saire d’organiser une coor­di­na­tion des ser­vices de la sécu­rité civile à l’échelle nationale, afin de pro­jeter des moyens sup­plé­men­taires dans les zones les plus sin­istrées, tout en préser­vant un min­i­mum de capac­ités d’intervention sur l’ensemble du ter­ri­toire. L’échelon nation­al coor­donne cette organ­i­sa­tion, en métro­pole comme en out­re-mer, et assure la remon­tée d’informations et l’interface avec le monde poli­tique. Les infor­ma­tions météorologiques sont essen­tielles pour pré­par­er et pren­dre les déci­sions, tout comme les élé­ments de préven­tion des risques.

Cédric Bouril­let, directeur de la DGPR : Le suc­cès des poli­tiques publiques de préven­tion des risques naturels passe par une impli­ca­tion con­stante des acteurs de ter­rain, que ce soit au sein des col­lec­tiv­ités qui dis­posent de beau­coup de leviers d’action et d’information des pop­u­la­tions, au niveau de chaque acteur – entre­prise comme par­ti­c­uli­er – pour réduire sa vul­néra­bil­ité et adapter son com­porte­ment, et aus­si bien sûr dans les ser­vices décon­cen­trés de l’État (DDT et Dreal). Ce sont ces ser­vices, par exem­ple, qui acquièrent les con­nais­sances les plus adap­tées à la réal­ité de chaque ter­ri­toire et les met­tent à dis­po­si­tion de tous les acteurs, qui accom­pa­g­nent les col­lec­tiv­ités dans leurs démarch­es de préven­tion ou encore qui assurent la sur­veil­lance et la prévi­sion des crues. L’échelon nation­al pro­pose et coor­donne les poli­tiques glob­ales. Les plans d’envergure nationale comme la Stratégie nationale de ges­tion du risque d’i­non­da­tion sont ain­si dévelop­pés au sein de nos services.

“Le facteur déterminant pour
la sécurité civile est l’anticipation de la crise”


REPÈRES

La Direc­tion générale de la préven­tion des risques (DGPR) définit les poli­tiques de réduc­tion de la vul­néra­bil­ité, en matière de risques naturels et tech­nologiques. Elle agit en s’appuyant sur les ser­vices décon­cen­trés de l’État : direc­tions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du loge­ment (Dreal) et direc­tions départe­men­tales des ter­ri­toires (DDT), d’autres direc­tions du min­istère, les dif­férents min­istères et les opéra­teurs tech­niques de l’État. La ges­tion de crise est incar­née sur le ter­ri­toire par les ser­vices de la Direc­tion générale de la sécu­rité civile et de la ges­tion des crises (DGSCGC), s’appuyant sur les ser­vices départe­men­taux d’incendie et de sec­ours, forts de 240 000 sapeurs-pom­piers pro­fes­sion­nels, volon­taires et mil­i­taires, sur les moyens nationaux et sur le per­son­nel de la direc­tion générale de la sécu­rité civile.


PB : Quels sont vos besoins en termes de connaissance de l’aléa météorologique et quel appui vous est fourni par Météo-France ?

CB : La con­nais­sance sur le court ou le long terme, la prévi­sion et la sur­veil­lance du ter­ri­toire sont des mail­lons essen­tiels de la chaîne qui per­met in fine d’aboutir à une réduc­tion de notre vul­néra­bil­ité. La vig­i­lance est un exem­ple de dis­posi­tif pour lequel nous nous appuyons sur le savoir-faire de Météo-France. Créée à la suite des tem­pêtes extrêmes de 1999, la vig­i­lance météo vise à don­ner aux pop­u­la­tions un pre­mier niveau d’alerte sur le risque pour les inviter à mieux se ren­seign­er sur un événe­ment en cours ou pos­si­ble, et à adopter les com­porte­ments adap­tés ; elle se révèle être un cas d’école de retour d’expérience de crises passées. Ce dis­posi­tif, qui est égale­ment porté par le Schapi (Ser­vice cen­tral d’hydrométéorologie et d’appui à la prévi­sion des inon­da­tions) con­cer­nant la vig­i­lance « crue », per­met de sen­si­bilis­er l’ensemble de la population.

JW : Le fac­teur déter­mi­nant pour la sécu­rité civile est l’anticipation de la crise. Grâce à ses mod­èles numériques et l’expertise de ses agents, Météo-France est en mesure de nous prévenir plusieurs jours à l’avance sur cer­tains types d’aléas de grande échelle comme les cyclones. Un dia­logue con­tinu per­met d’évaluer l’évolution de la sit­u­a­tion, en ter­mes de local­i­sa­tion, d’intensité et de prob­a­bil­ité d’occurrence.

Ce lien entre des spé­cial­istes de la ges­tion de crise et des prévi­sion­nistes météoro­logues est par­ti­c­ulière­ment impor­tant dans les régions ultra­marines, qui sont uniques tant en ter­mes de vul­néra­bil­ité que de météo, et néces­si­tent, de ce fait, des com­pé­tences spé­ci­fiques. Hélas – c’est l’état de l’art de la sci­ence – cer­tains phénomènes météorologiques ne peu­vent pas être anticipés plus de quelques heures à l’avance, voire quelques min­utes. C’est le cas des épisodes local­isés de pluie intense ou d’orages en zone de mon­tagne qui sont des phénomènes très dif­fi­ciles à prévoir. Une analyse humaine de la sit­u­a­tion en temps réel est alors indis­pens­able. L’organisation en horaire per­ma­nent du Cen­tre nation­al de prévi­sion et des cen­tres régionaux de Météo-France per­met de fournir un appui à la ges­tion de crise de jour comme de nuit et tout au long de l’année par des spé­cial­istes à l’expérience reconnue.

PB : Comment parvenez-vous à hybrider efficacement les expertises pour aboutir à une approche intégrée entre risques naturels et technologiques ?

CB : Les dif­férentes mis­sions de la DGPR nous invi­tent à avoir une vision trans­ver­sale et cohérente en matière de préven­tion des risques pour notre ter­ri­toire. Cette trans­ver­sal­ité per­met d’une part de s’in­ter­roger sur la méthodolo­gie d’évaluation des risques, le partage de l’in­for­ma­tion, le choix des out­ils et les chantiers pri­or­i­taires pour réduire la vul­néra­bil­ité de notre pays face à ces risques, mais aus­si de gér­er des risques croisés, par exem­ple les phénomènes naturels majeurs sus­cep­ti­bles de génér­er un suraccident.

Plusieurs opéra­teurs de l’État inter­vi­en­nent à la fois dans le domaine des risques tech­nologiques, des risques san­i­taires et des risques naturels. Le dis­posi­tif de Vig­i­lance vagues-sub­mer­sion (VVS) est par exem­ple le fruit d’une col­lab­o­ra­tion entre Météo-France, le Shom (voir article
p. 48) et le Cerema.

JW : Prenons l’exemple du risque nucléaire, tech­nologique par nature mais qui peut être déclenché ou en con­jonc­tion avec un aléa naturel d’ampleur excep­tion­nel, comme ce fut le cas à Fukushi­ma. La pos­si­bil­ité d’un effet domi­no est donc prise en compte dans les Plans par­ti­c­uliers d’intervention (PPI) des cen­trales nucléaires d’EDF qui vien­nent d’être révisés par les pré­fec­tures. Des répons­es sont prévues à tous les niveaux : chaque ser­vice départe­men­tal d’in­cendie et de sec­ours ayant dans son périmètre une cen­trale nucléaire dis­pose de moyens d’intervention adap­tés ; trois rég­i­ments mil­i­taires for­més à l’intervention en milieu à risque radi­ologique sont inté­grés au min­istère de l’Intérieur ; le Cen­tre de coor­di­na­tion de la réac­tion d’urgence au niveau européen peut aus­si être sol­lic­ité pour deman­der des moyens sup­plé­men­taires. Là encore, la météorolo­gie est déterminante.

PB : Comment anticipez-vous l’apparition des nouveaux risques liés au changement climatique ? Dans quelle mesure vous appuyez-vous sur Météo-France pour vous y préparer ?

JW : Nous savons que le change­ment cli­ma­tique va mod­i­fi­er pro­fondé­ment la nature même de l’aléa. D’après les pro­jec­tions du GIEC, il est par exem­ple prob­a­ble que la fréquence des cyclones reste con­stante d’ici 2100 mais que leur inten­sité max­i­male aug­mente. Le risque auquel sont con­fron­tés nos ter­ri­toires d’outre-mer s’en retrou­ve accru. Nous devons nous y pré­par­er en tirant un max­i­mum d’enseignement des crises que nous vivons actuelle­ment, comme Irma en 2017, afin de plan­i­fi­er la ges­tion de la crise dans un con­texte encore plus extrême.

Les feux de forêt sont un autre aléa forte­ment impacté par le change­ment cli­ma­tique. Les experts esti­ment que la lim­ite des feux remonte d’environ dix kilo­mètres par an, soit l’équivalent du ter­ri­toire français en un siè­cle ! S’il est bien enten­du néces­saire de met­tre en place des plans de préven­tion, notam­ment con­cer­nant les com­porte­ments indi­vidu­els à risque, il s’agit égale­ment de se dot­er des moyens d’agir face à une sit­u­a­tion annon­cée, en adap­tant nos moyens aéro­portés, ter­restres et humains.

CB : De même, la DGPR cherche bien sûr à pren­dre la mesure du pro­fond boule­verse­ment qui attend nos sociétés. Le cli­mat est en train d’évoluer et avec lui la plu­part des risques naturels. Pour ne citer qu’un seul exem­ple, il est acquis que le niveau des mers s’élève, et cette dynamique se pour­suiv­ra tout au long du xxie siè­cle. L’intensité des phénomènes de sub­mer­sion marine va donc s’amplifier, éten­dant le risque dans cer­taines zones aujourd’hui réputées assez sûres.

Au-delà de l’évo­lu­tion d’aléas naturels déjà con­nus (sub­mer­sion marine, incendie de forêt, etc.), le change­ment cli­ma­tique va égale­ment créer de nou­veaux risques, par exem­ple en mon­tagne avec la fonte par­fois désor­don­née des glac­i­ers ou encore l’évo­lu­tion des car­ac­téris­tiques de la neige qui va mod­i­fi­er les risques asso­ciés – des avalanch­es de print­emps en hiv­er, typiquement.

Nous nous appuyons large­ment sur les experts des opéra­teurs, en par­ti­c­uli­er de Météo-France, pour quan­ti­fi­er l’évolution des risques dans un con­texte de change­ment cli­ma­tique. Dans le champ qui est le nôtre, il est pri­mor­dial d’intégrer dès aujourd’hui ces évo­lu­tions : en ter­mes de trans­for­ma­tion des ter­ri­toires par exem­ple, le taux de renou­velle­ment des habi­tats est d’environ un pour cent par an. Afin d’être prêt pour la fin du siè­cle, il faut donc agir dès main­tenant, ce qui com­mence par une bonne con­nais­sance des enjeux, une com­préhen­sion partagée par toutes les par­ties prenantes, et la mobil­i­sa­tion des out­ils exis­tants, tels les Plans de préven­tion des risques naturels élaborés sous l’égide des préfets, les Pro­grammes d’action de préven­tion des inon­da­tions portés par les col­lec­tiv­ités locales, qui doivent être perçus comme des oppor­tu­nités et non comme des con­traintes. Dès à présent, les Plans de préven­tion des risques sub­mer­sion marine intè­grent l’évolution du niveau de la mer.


Une gestion de crise complexe

La plu­ral­ité des aléas, qui peu­vent être cor­rélés entre eux, mobilise de fac­to des com­pé­tences très divers­es pour organ­is­er la ges­tion de crise. Un acci­dent nucléaire majeur sur le ter­ri­toire français con­duirait ain­si à l’armement de la Cel­lule inter­min­istérielle de crise (CIC) sous l’égide du Pre­mier min­istre, pour regrouper ces com­pé­tences. L’ensemble des min­istres con­cernés y siè­gent, ain­si que les opéra­teurs tech­niques con­cernés, dont fait par­tie Météo-France pour l’analyse des con­di­tions atmo­sphériques et le trans­port éventuel de matières radioactives.


PB : Pour conclure, quelle est selon vous la place du citoyen dans la gestion de sa propre sécurité ? Comment pensez-vous capitaliser sur les nouvelles technologies pour améliorer encore le fonctionnement de vos services ?

JW : Le citoyen n’a jamais eu autant d’outils à sa dis­po­si­tion pour se pré­mu­nir con­tre le risque, quel qu’il soit. Et para­doxale­ment, ses exi­gences et ses attentes envers les ser­vices de l’État n’ont jamais été aus­si élevées. Nous devons donc pren­dre en compte à la fois la sit­u­a­tion objec­tive, telle qu’elle est présen­tée par les experts, et la sit­u­a­tion sub­jec­tive, telle que nous pen­sons être le ressen­ti de la pop­u­la­tion face au risque. C’est un exer­ci­ce périlleux qui néces­site d’être à l’affût sur les réseaux soci­aux, les chaînes d’information en con­tinu, etc. Les vul­néra­bil­ités évolu­ent, l’exposition égale­ment, tant en milieux urbains que ruraux, en métro­pole comme en outre-mer.

Cet état de fait, qui rend notre tra­vail plus dif­fi­cile dans un cer­tain sens, présente égale­ment une oppor­tu­nité unique au niveau de la dif­fu­sion de l’information, de l’éducation comme de l’alerte. Nous con­tin­uons bien sûr à employ­er des médias qui ont fait leurs preuves, comme les sirènes du sys­tème nation­al d’alerte et d’information des pop­u­la­tions, mais la viral­ité de l’information sur les réseaux soci­aux en fait un vecteur d’alerte alter­natif à con­sid­ér­er, notam­ment en cas d’événement à ciné­tique rapi­de, comme un tsunami.

CB : La préven­tion des risques naturels est d’autant plus effi­cace que cha­cun se sent respon­s­able, et en pre­mier lieu infor­mé. Nous faisons des efforts con­ti­nus en ce sens, tant pour mod­erniser l’information mise en ligne que pour met­tre en place régulière­ment des cam­pagnes de sen­si­bil­i­sa­tion sur les « bons » com­porte­ments. La pop­u­la­tion s’empare très rapi­de­ment des nou­velles tech­nolo­gies disponibles sur le marché.

Aujourd’hui, inter­net, les smart­phones, les réseaux soci­aux font par­tie du quo­ti­di­en de la grande majorité des Français. Il sera donc impor­tant de s’appuyer sur ces out­ils pour fournir une infor­ma­tion péd­a­gogique et acces­si­ble, voire dif­fuser des mes­sages d’avertissement ou d’alerte aux populations.

Le développe­ment de ces tech­nolo­gies présente égale­ment une oppor­tu­nité d’améliorer nos ser­vices, en util­isant la masse d’information pro­duite gra­tu­ite­ment et en temps réel. Nous pen­sons que l’utilisation intel­li­gente de ce fonds dif­fus de don­nées est un levi­er promet­teur pour con­tin­uer à faire pro­gress­er nos ser­vices dans un monde qui évolue, tant en ter­mes d’attente de la part du citoyen que de con­texte envi­ron­nemen­tal, social et économique. 

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