La coopération, enjeu sociétal planétaire

Dossier : La météorologie partie 1Magazine N°747 Septembre 2019
Par Florence RABIER
Par Michel JARRAUD (71)

La coopéra­tion inter­na­tionale en matière de météorolo­gie est à la fois indis­pens­able et béné­fique. C’est pourquoi la France s’y est tou­jours large­ment investie – tant au niveau mon­di­al qu’au niveau européen – et entend rester un des moteurs de la coopération.

Quiconque a regardé les ani­ma­tions d’images satel­li­taires l’a con­staté : les nuages et tem­pêtes ne s’arrêtent pas aux fron­tières. En pra­tique, aucun pays ne peut faire de prévi­sion météorologique pour le lende­main, sans dis­pos­er d’observations sur les pays voisins. Au-delà de 5 à 6 jours il est même indis­pens­able de cou­vrir l’ensemble de la planète ! Ce besoin de coopéra­tion à l’échelle glob­ale est si essen­tiel que, dès le milieu du dix-neu­vième siè­cle et la créa­tion des pre­miers ser­vices météorologiques nationaux, les ini­tia­tives se mul­ti­plient pour faciliter la coopéra­tion entre ceux-ci et pour per­me­t­tre l’échange rapi­de des obser­va­tions, ren­du pos­si­ble par l’invention du télé­graphe. C’est ain­si que l’OMI (Organ­i­sa­tion météorologique inter­na­tionale) fut fondée en 1873 pour faciliter la col­lecte et l’échange, en temps réel, d’observations stan­dard­is­ées et d’informations rel­a­tives au temps par-delà les fron­tières nationales. L’OMI se trans­forme en 1950 en Organ­i­sa­tion météorologique mon­di­ale (OMM), et devient une insti­tu­tion inter­gou­verne­men­tale du sys­tème des Nations unies, spé­cial­isée dans la météorolo­gie et le cli­mat, l’hydrologie et les sci­ences géo­physiques con­nex­es. Avec ses 146 ans d’existence, il s’agit de la 2e plus anci­enne organ­i­sa­tion inter­na­tionale. Elle regroupe actuelle­ment 192 mem­bres et son rôle a été décisif pour con­tribuer à faire de la météorolo­gie la dis­ci­pline sci­en­tifique où la coopéra­tion est la plus établie et la plus universelle.


REPÈRES

C’est en 1873, lors du con­grès météorologique inter­na­tion­al de Vienne, que fut décidée la créa­tion d’une organ­i­sa­tion météorologique internationale.
La France était absente mais en 1878, elle a pu se join­dre au proces­sus de mise sur pied de l’organisation, dont la créa­tion a été offi­cial­isée en 1879.
Dix ans plus tard, en 1889, les pre­miers tableaux météorologiques inter-nationaux furent publiés.


De multiples réalisations

Par­mi les mul­ti­ples illus­tra­tions, on peut citer la Veille météorologique mon­di­ale, lancée en pleine guerre froide (1963), qui a per­mis de ren­forcer l’échange entre tous les pays mem­bres, quels que soient leurs choix poli­tiques, de leurs obser­va­tions météorologiques en temps réel, y com­pris celles issues de satel­lites. On peut citer encore le Pro­gramme de recherche atmo­sphérique glob­al (GARP) de 1967 à 1982 coor­gan­isé par l’OMM et l’ICSU (Con­seil inter­na­tion­al des unions sci­en­tifiques), qui reste à ce jour peut-être la plus grande expéri­ence de coopéra­tion sci­en­tifique inter­na­tionale. L’OMM a égale­ment joué un rôle majeur dans la détec­tion de la destruc­tion de la couche d’ozone et dans le développe­ment des mécan­ismes inter­na­tionaux pour assur­er sa pro­tec­tion. Depuis 1976, elle a été à la pointe de l’action pour alert­er sur l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et plus générale­ment sur les change­ments cli­ma­tiques, entre autres à tra­vers l’organisation des trois Con­férences mon­di­ales sur le cli­mat, le développe­ment du Pro­gramme mon­di­al de recherche sur le cli­mat et la créa­tion en 1988 du GIEC (avec le pro­gramme des Nations unies pour l’environnement). Par ailleurs, depuis sa créa­tion, l’OMM a soutenu le développe­ment d’applications de la météorolo­gie à quan­tité de domaines : avi­a­tion, activ­ités marines, agri­cul­ture, énergie, préven­tion des cat­a­stro­phes naturelles, tourisme, san­té, ges­tion des ressources en eau… (la liste est presque sans lim­ites), con­tribuant ain­si à ren­forcer la sécu­rité des pop­u­la­tions, le bien-être économique et la pro­tec­tion de l’environnement. Les béné­fices socio-économiques des investisse­ments en météorolo­gie sont con­sid­érables, quels que soient les pays (voir l’en­cadré en fin d’article), et tous les pays, même les plus grands, retirent de la coopéra­tion inter­na­tionale beau­coup plus que leur contribution.

1975 : naissance d’une organisation au niveau européen

Cela est vrai à l’échelle glob­ale, mais qu’en est-il à l’échelle régionale et européenne ? Comme suite à la Sec­onde Guerre mon­di­ale, l’idée de con­struc­tion européenne a ger­mé et s’est éten­due à de nom­breux domaines, inclu­ant la météorolo­gie. Cette dis­ci­pline est alors en plein essor, grâce notam­ment à l’émergence des cal­cu­la­teurs et de ce que l’on appelle la prévi­sion numérique du temps. Dans les années 70, avec l’explosion de la puis­sance des super­cal­cu­la­teurs, l’accroissement des don­nées d’observation de la Terre, y com­pris satel­li­taires, tant en quan­tité et en qual­ité et une meilleure com­préhen­sion sci­en­tifique des mécan­ismes régis­sant l’évolution de l’atmosphère et ses inter­ac­tions avec les autres com­posantes du sys­tème plané­taire (océans, cryosphère, sys­tèmes ter­restres…), les cen­tres météorologiques arrivent à prévoir le temps à typ­ique­ment 2 à 3 jours à l’avance. C’est alors que les Européens se pren­nent à rêver d’une prévi­sion à « moyenne échéance » ou « moyen terme », c’est-à-dire au-delà de 3 jours, et s’étendant pourquoi pas jusqu’à 10 jours ! L’idée du Cen­tre européen de prévi­sion météorologique à moyen terme (CEPMMT ou ECMWF en anglais) est née. Le CEPMMT est une organ­i­sa­tion inter­gou­verne­men­tale établie en 1975 avec pour mis­sion de faire avancer la recherche météorologique afin d’améliorer la prévi­sion numérique du temps. Le CEPMMT est soutenu par 22 États mem­bres et 12 États coopérants, prin­ci­pale­ment européens, répar­tis de l’Islande à la Turquie et de la Fin­lande au Maroc. La recherche en prévi­sion numérique du temps est à la pointe de sa dis­ci­pline, ce qui per­met au CEPMMT de pro­duire quo­ti­di­en­nement les meilleures prévi­sions météorologiques à l’échelle glob­ale, jusqu’à 15 jours d’échéance.

“Le modèle européen est loin devant les modèles nationaux, selon les statistiques compilées dans le cadre de l’OMM”

Des résultats probants

Le mod­èle européen est loin devant les mod­èles nationaux, selon les sta­tis­tiques com­pilées dans le cadre de l’Organisation météorologique mon­di­ale. Meilleur que les prévi­sions du Japon, de l’Aus­tralie, du Cana­da, de la Chine et des États-Unis, au grand dam de ces pays qui nous envient cet écla­tant suc­cès européen. Et les pro­grès con­tin­u­ent au rythme d’environ un jour de prévis­i­bil­ité par décen­nie, ce qui veut dire que la qual­ité d’une prévi­sion à 7 jours aujourd’hui est sem­blable à la qual­ité d’une prévi­sion à 3 jours il y a quar­ante ans. Il est indé­ni­able que les avancées de la prévi­sion numérique, dans la sec­onde moitié du XXe siè­cle et le début du XXIe, représen­tent l’un des plus grands suc­cès sci­en­tifiques, toutes dis­ci­plines con­fon­dues, bien que ces avancées aient été rel­a­tive­ment dis­crètes car régulières et pro­gres­sives. La clé de ce suc­cès réside dans la mise en com­mun de ressources (super­cal­cu­la­teurs puis­sants), l’échange de don­nées météorologiques, et le rassem­ble­ment dans un même lieu et œuvrant pour un même but de sci­en­tifiques bril­lants venant de tous les pays européens. La col­lab­o­ra­tion sci­en­tifique au CEPMMT s’étend au-delà des ser­vices météorologiques de ses États mem­bres, avec des échanges fructueux dans toute la com­mu­nauté sci­en­tifique en Europe et au-delà. On peut not­er que l’une des avancées majeures per­me­t­tant de mieux utilis­er les don­nées satel­li­taires est issue d’une col­lab­o­ra­tion étroite avec des pro­fesseurs et ingénieurs ayant été ini­tiés au con­trôle opti­mal par Jacques-Louis Lions. Une méthode dite vari­a­tion­nelle a ain­si été dévelop­pée, avec un tel suc­cès qu’elle a été ensuite reprise par les prin­ci­paux cen­tres de prévi­sion numérique de par le monde.

Train RER A à l’ap­proche de la sta­tion de Vincennes.

Copernicus ou « La Terre vue par l’Europe »

Out­re le développe­ment des mod­èles météorologiques et la four­ni­ture de don­nées de prévi­sions aux États mem­bres, le CEPMMT s’est récem­ment vu octroy­er la respon­s­abil­ité de deux ser­vices Coper­ni­cus par l’Union européenne. Coper­ni­cus, ou « La Terre vue par l’Eu­rope », pro­pose un regard sur notre planète et son envi­ron­nement dans l’intérêt de tous les citoyens européens. Les deux ser­vices dont le CEPMMT a la respon­s­abil­ité sont le Coper­ni­cus Cli­mate Change Ser­vice et le Coper­ni­cus Atmos­phere Mon­i­tor­ing Ser­vice. Le CEPMMT est égale­ment le cen­tre pro­duisant les prévi­sions de crues et de feux aux échelles européennes et mon­di­ales dans le cadre du Coper­ni­cus Emer­gency Man­age­ment Ser­vice. Pourquoi ces nou­velles activ­ités dans un cen­tre de prévi­sion numérique ? Tout sim­ple­ment parce que les out­ils sont très sim­i­laires et forte­ment con­nec­tés : l’atmosphère n’agit pas en iso­la­tion, elle inter­ag­it avec la total­ité du sys­tème Terre (océan, ter­res émergées, com­po­si­tion chim­ique…). De même, les besoins en traite­ment d’observations, notam­ment satel­li­taires, et l’expertise qui en découle, sont semblables.
D’où l’extension logique de la col­lab­o­ra­tion européenne de la météo à ces appli­ca­tions connexes.

Défis à venir

Quels sont les défis à venir en prévi­sion du temps ? La pro­gres­sion vers un sys­tème Terre à l’échelle kilo­métrique présente de forts enjeux en matière de puis­sance de cal­cul et d’adaptation de nos codes de cal­cul aux super­cal­cu­la­teurs du futur. Il s’agit là d’un défi tech­nologique majeur, qui requiert une coopéra­tion étroite entre les sci­en­tifiques experts de la mod­éli­sa­tion en prévi­sion numérique, les infor­mati­ciens et les com­pag­nies pro­posant de nou­velles archi­tec­tures infor­ma­tiques. Le CEPMMT est local­isé à Read­ing, en Grande-Bre­tagne, mais a récem­ment décidé de déplac­er son cen­tre de cal­cul à Bologne, en Ital­ie, où le technopôle en cours de créa­tion a une enver­gure telle qu’il per­me­t­tra d’abriter les cal­cu­la­teurs à venir.

Accueil des sta­giaires par Geral­dine BOUDART (DIROI/ECMPF)
La Direc­tion inter­ré­gionale de Météo-France pour l’océan Indi­en a organ­ise du 17 sep­tem­bre au 25 sep­tem­bre 2015, une for­ma­tion inter­na­tionale sur les cyclones trop­i­caux, en parte­nar­i­at avec l’Or­gan­i­sa­tion météorologique mon­di­ale (OMM).
Elle a été suiv­ie par 16 prévi­sion­nistes de 14 ser­vices météorologiques et hydrologiques nationaux des États mem­bres du Comité des cyclones trop­i­caux de la région Afrique de l’OMM.
Les pays représen­tés sont : Afrique du Sud, Comores, France (La Réu­nion), Kenya, Lesotho, Mada­gas­car, Malawi, Mau­rice, Mozam­bique, Nami­bie, Sey­chelles, Swazi­land, Tan­zanie, Zimbabwe.

Des liens à renforcer face aux défis du développement durable

En con­clu­sion, la météorolo­gie est indé­ni­able­ment l’un des domaines où la col­lab­o­ra­tion à toutes les échelles (du glob­al au région­al) est la plus exis­ten­tielle. Les moyens tech­nologiques, humains et donc financiers sont tels que même les plus grands pays européens n’auraient pu attein­dre leur niveau actuel de lead­er­ship mon­di­al sans ces choix stratégiques de coopéra­tion étroite. La France a joué un rôle impor­tant dans cette entre­prise, avec de nom­breux Français ou Français­es issus de ses organ­ismes de recherche et de son ser­vice météorologique, tels que les auteurs de cet arti­cle ayant œuvré dans des organ­i­sa­tions inter­na­tionales. La France a tou­jours joué un rôle moteur et affir­mé un sou­tien clé aux organ­i­sa­tions con­cernées. Mais il ne s’agit que d’une étape. En ce début du XXIe siè­cle, dans un monde mar­qué à la fois par une glob­al­i­sa­tion omniprésente, mais aus­si par des ten­ta­tions nation­al­istes et des replis sur des pri­or­ités à court terme, un cer­tain nom­bre de défis requer­ront une con­tri­bu­tion accrue de la com­mu­nauté météorologique. En par­ti­c­uli­er il ne pour­ra y avoir de développe­ment durable sans prise en compte de la lutte con­tre les change­ments cli­ma­tiques d’origine anthropique. Cela passera par une coopéra­tion encore plus étroite entre pays, mais aus­si entre des dis­ci­plines jusque-là rel­a­tive­ment cloisonnées.


CEPMMT : Cen­tre européen de prévi­sion météorologique à moyen terme

OMM : Organ­i­sa­tion météorologique mondiale


Les bénéfices socio-économiques des services météorologiques

par Michel Jarraud

Dans le monde mod­erne, la plu­part des secteurs socio-économiques sont de plus en plus sen­si­bles aux phénomènes météorologiques, hydrologiques ou cli­ma­tiques. Cette ten­dance est exac­er­bée par les change­ments cli­ma­tiques d’origine humaine, ain­si que par l’évolution démo­graphique. L’utilisation d’informations appro­priées pour la prise de déci­sions à tous les niveaux, des gou­verne­ments aux entre­pris­es et aux indi­vidus, per­met de sauver de nom­breuses vies lors de phénomènes extrêmes et de génér­er des béné­fices con­sid­érables ou d’éviter des coûts inutiles, con­tribuant ain­si à un développe­ment plus durable.

Un cer­tain nom­bre d’études ont essayé de quan­ti­fi­er ces béné­fices et une con­férence mon­di­ale sur le sujet a été organ­isée en 2007 à Madrid par l’OMM. Les rap­ports entre les investisse­ments dans les ser­vices météorologiques et les béné­fices obtenus oscil­lent dans une fourchette de 1/5 à 1/15 voire plus, et cela est vrai tant dans les pays en développe­ment que dans les pays les plus dévelop­pés. De tels rap­ports sont spec­tac­u­laires et inhabituels.

Des résultats spectaculaires

Récem­ment, un cer­tain nom­bre de ser­vices météorologiques nationaux, en Grande-Bre­tagne, en Alle­magne, en France, en Aus­tralie, aux États-Unis, ain­si que le CEPMMT ont fait réalis­er des études pour éval­uer les béné­fices à atten­dre, pour l’ensemble des usagers, d’investissements dans une puis­sance accrue de leurs super­or­di­na­teurs. Les résul­tats sont encore plus spec­tac­u­laires avec des rap­ports bénéfices/investissements dépas­sant fréquem­ment 10 et voire 50 ! Il est d’ailleurs intéres­sant de not­er que, dans les études les plus récentes, ces rap­ports sont sen­si­ble­ment plus élevés que dans les études plus anci­ennes. Cela reflète prob­a­ble­ment le fait que ces nou­velles analy­ses pren­nent en compte des secteurs qui n’avaient pas été inclus aupar­a­vant, mais aus­si la sen­si­bil­ité crois­sante des économies mod­ernes aux aléas météorologiques ou cli­ma­tiques, à leur vari­abil­ité et à leurs extrêmes. Par­mi les secteurs où ces béné­fices sont les plus impor­tants, on peut men­tion­ner la préven­tion des cat­a­stro­phes naturelles d’origine hydrologique ou météorologique, l’énergie, les trans­ports (en par­ti­c­uli­er aérien et mar­itime), la san­té, la ges­tion de l’eau, l’agriculture et la sécu­rité ali­men­taire, le tourisme, le com­merce, la con­struc­tion… La météorolo­gie apportera ain­si une con­tri­bu­tion majeure aux objec­tifs du développe­ment durable, comme ceux ci-dessus, mais aus­si à ceux liés aux océans, aux écosys­tèmes, à l’éducation…

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