Météorologie et aéronautique

Dossier : La météorologie partie 1Magazine N°747 Septembre 2019
Par Patrick GANDIL (75)
Par Anne DEBAR (91)

Météorolo­gie et aéro­nau­tique parta­gent un même objet, l’atmosphère, et sont liées par une his­toire com­mune. Cha­cune stim­ule l’autre dans une effi­cace recherche à la fois de sécu­rité et de meilleure per­for­mance économique. L’im­por­tance de l’e­space aérien français donne à la France un rôle inter­na­tion­al majeur dans le domaine de la météorolo­gie aéronautique.

Au sor­tir de la Pre­mière Guerre mon­di­ale, l’industrie aéro­nau­tique et l’aviation français­es sont par­mi les plus per­for­mantes du monde et leur développe­ment encour­age celui de la météorolo­gie : sci­ences, moyens, ser­vices pro­gressent pour l’aviation. L’assistance aux pre­mières tra­ver­sées de l’Atlantique démon­tre l’essor de la météorolo­gie aéro­nau­tique. Depuis, l’aviation civile n’a cessé de stim­uler l’innovation et les pro­grès tech­niques en météorolo­gie, et de tir­er béné­fice de ser­vices de plus en plus poin­tus, avec deux objec­tifs majeurs : sécu­rité et per­for­mance économique des opéra­tions, en gérant au mieux les vents favor­ables et en évi­tant les aléas con­traires. Pré­pa­ra­tion des plans de vol, assis­tance en vol, routage, for­ma­tion des pilotes… sont autant de ser­vices qui visent à faciliter l’évolution des avions au sein de l’atmosphère, en croisière et en phas­es d’approche. Aujourd’hui les infor­ma­tions météo sont mis­es à jour en temps réel sur des tablettes mis­es à dis­po­si­tion des pilotes d’Air France et des plus grandes com­pag­nies avant et durant le vol.


REPÈRES

La con­quête de la 3e dimen­sion a réu­ni la météorolo­gie et l’aéronautique dès l’aube du xxe siè­cle : en 1898, décou­verte de la stratosphère et pré­fig­u­ra­tion des radiosondages actuels ; en 1909, tra­ver­sée de la Manche… Citons aus­si un immense per­son­nage, Gus­tave Eif­fel, qui s’intéressa d’abord au vent
pour le cal­cul des struc­tures, puis devint à la fois un grand chercheur en ‑météorolo­gie et un pio­nnier en souf­flerie pour l’étude de l’aérodynamisme des pre­miers avions.


Les avions : des capteurs au service de la météo

Les avions sont de for­mi­da­bles moyens d’observation per­me­t­tant de dis­pos­er de pro­fils ver­ti­caux de l’atmosphère et de mesures en croisière (tem­péra­ture, vent mais aus­si com­po­si­tion atmo­sphérique) avec une réso­lu­tion spa­tiale fine et une grande fréquence. Les obser­va­tions des pilotes et les mesures embar­quées ont large­ment con­tribué à faire pro­gress­er les recherch­es et les appli­ca­tions opérationnelles.

La den­sité des obser­va­tions in situ en alti­tude reste en effet faible. Aus­si, la Direc­tion des ser­vices de la nav­i­ga­tion aéri­enne (DSNA) et Météo-France œuvrent sans cesse à la con­sol­i­da­tion de la mise à dis­po­si­tion des météoro­logues d’un flux opéra­tionnel sur les don­nées mesurées ou déduites des relevés des vols.

Opéra­tions de dégivrage à Paris-Charles-de-Gaulle, fin novem­bre 2010.

La France est un contributeur essentiel

Cette stim­u­lante coopéra­tion gag­nant-gag­nant se donne aujourd’hui de nou­veaux défis.

Les ser­vices français gèrent l’un des espaces aériens les plus grands d’Europe, avec les espaces méditer­ranéens et du pour­tour atlan­tique que lui délègue l’Organisation de l’aviation civile inter­na­tionale (OACI). À cela s’ajoutent les espaces aériens d’outre-mer. Par ailleurs, le traf­ic con­trôlé par la France con­naît des évo­lu­tions struc­turelles impor­tantes avec des vari­a­tions mar­quées, aus­si bien saison­nières, heb­do­madaires, quo­ti­di­ennes et horaires. Dis­pos­er d’informations météo enrichies est l’un des leviers impor­tants pour faire face à ces enjeux capac­i­taires aux­quels s’adossent aus­si des impérat­ifs économiques et envi­ron­nemen­taux (réduc­tion des émis­sions, du bruit). Et surtout les ser­vices météo se doivent d’être à la pointe pour accom­pa­g­n­er une mis­sion de ser­vice pub­lic où les enjeux de sécu­rité sont critiques.

La météo, enjeu majeur pour la sécurité aéronautique

La com­préhen­sion et la prévi­sion des con­di­tions atmo­sphériques advers­es, de leurs effets sur les aéronefs et moteurs, demeurent des enjeux majeurs. L’activité con­vec­tive entraîne un cortège de risques pour la nav­i­ga­tion aéri­enne tels que la tur­bu­lence, le foudroiement, le givrage, les cristaux de glace, le cisaille­ment de vent, phénomènes qui peu­vent égale­ment sur­venir en ciel dit « clair », ou être dra­ma­tiques en phase d’approche.

Le trans­port aérien est par­ti­c­ulière­ment gêné par la for­ma­tion du brouil­lard qui con­duit les aéro­ports à adopter un mode de fonc­tion­nement dégradé, la Low Vis­i­bil­i­ty Pro­ce­dure ou LVP, avec un espace­ment plus grand des avions. Retards, annu­la­tions de vols, déroute­ments, mis­es en attente induisent des com­pli­ca­tions et sur­coûts en cas­cade pour les com­pag­nies et les pas­sagers. Com­ment prévoir avec antic­i­pa­tion l’heure de for­ma­tion et de dis­si­pa­tion d’une nappe de brouil­lard avec une pré­ci­sion de quelques cen­taines de mètres ? L’information sur la lev­ée pos­si­ble de procé­dure LVP même sur une seule des pistes d’un hub aéro­por­tu­aire peut en effet per­me­t­tre la réal­lo­ca­tion des vols et éviter la saturation.

Le givrage de tous les dangers

Un autre phénomène dan­gereux en aéro­nau­tique est le givrage. Il peut, par exem­ple, alour­dir l’avion, déformer son pro­fil aéro­dy­namique, obstruer des cap­teurs essen­tiels. Il est dû à la présence dans les nuages d’eau sous forme liq­uide à des tem­péra­tures néga­tives (sur­fu­sion). Ce phénomène est bien con­nu mais aus­si insta­ble, et très diver­si­fié. Il dépend des con­di­tions météo, de la taille des gout­telettes d’eau nuageuses, mais aus­si de paramètres pro­pres à l’avion (vitesse, type d’avion, temps de vol passé sous cer­taines con­di­tions, matéri­aux…). Des inci­dents sans dépôt de glace depuis les années 90 ont mis aus­si en évi­dence un phénomène dif­férent du givrage clas­sique, dit de « cristaux de glace » se pro­duisant à haute alti­tude. Une meilleure com­préhen­sion des phénomènes de for­ma­tion de ces cristaux de glace per­me­t­tra d’améliorer la détec­tion et l’évitement des zones où se pro­duisent ces phénomènes, zones peu vis­i­bles avec les radars actuels des avions, mais aus­si la pro­tec­tion des avions et de leurs équipements en faisant évoluer les stan­dards de cer­ti­fi­ca­tion. De tels pro­grès néces­si­tent le croise­ment des dis­ci­plines et la col­lab­o­ra­tion entre météoro­logues, chercheurs, pilotes, con­trôleurs aériens, con­cep­teurs d’équipements et avionneurs.

Cendres et éruptions solaires sous surveillance

D’autres phénomènes plus rares sont mis sous la sur­veil­lance atten­tive des météoro­logues. La France a une mis­sion inter­na­tionale de Cen­tre d’avis de cen­dres vol­caniques (VAAC) pour un secteur cou­vrant une par­tie de l’Europe, l’Asie, de l’océan Atlan­tique et la total­ité de l’Afrique. Avec les don­nées d’observation satel­li­taires et son mod­èle de chimie atmo­sphérique Mocage, Météo-France prévoit la tra­jec­toire de dis­per­sion des cen­dres très dan­gereuses pour les moteurs d’avion. Plus récem­ment, la France a été désignée par l’OACI comme cen­tre mon­di­al d’observation de la météorolo­gie de l’espace, pour faire face aux risques liés à l’activité solaire. Une érup­tion solaire peut en effet génér­er plusieurs types d’impacts : per­tur­ba­tions des sys­tèmes de géolo­cal­i­sa­tion et de com­mu­ni­ca­tion (radio, satel­lite), aug­men­ta­tion du niveau de radi­a­tion du per­son­nel et des pas­sagers, per­tur­ba­tion de l’aviation en haute altitude.


Le trafic passagers va doubler en 15 ans

Les pro­jec­tions de l’Association du trans­port aérien inter­na­tion­al (IATA) indiquent que le nom­bre de pas­sagers aériens va presque dou­bler d’ici 2036,
atteignant 7,8 mil­liards de voyageurs par an.


Des outils collaboratifs innovants

La météorolo­gie aéro­nau­tique ne cesse donc d’ouvrir de nou­velles per­spec­tives aux pro­grès sci­en­tifiques et techniques.

Elles ne doivent pas mas­quer le poten­tiel de l’innovation dans le domaine de la dif­fu­sion des ser­vices. Les pro­grès sci­en­tifiques n’ont de sens que s’ils se traduisent en infra­struc­tures, out­ils et con­seils adap­tés aux besoins d’aide à la déci­sion des acteurs de l’Aviation civile. L’ergonomie des vecteurs de dif­fu­sion est par exem­ple un fac­teur de com­préhen­sion de l’information météorologique. L’améliorer néces­site de faire dia­loguer les exper­tis­es et l’action humaine. C’est ain­si que la DSNA et Météo-France ani­ment un réseau col­lab­o­ratif de con­trôleurs et ingénieurs en vue de faire émerg­er et vivre des pro­jets inno­vants. Il s’agit notam­ment de dévelop­per des sys­tèmes inté­grés per­me­t­tant d’optimiser les flux de traf­ic par des por­tails mul­ti­ap­pli­cat­ifs qui peu­vent être mis à dis­po­si­tion des con­trôleurs, mais aus­si des dis­patcheurs des com­pag­nies aéri­ennes ou des ges­tion­naires de plateformes.

Échelle européenne et échelle mondiale

Les pro­grammes européens SESAR (Sin­gle Euro­pean Sky ATM Research) encour­a­gent au développe­ment d’interfaces entre les sys­tèmes de nav­i­ga­tion aéri­enne et les ser­vices météorologiques. Le pro­gramme TBS Lord est un sys­tème de régu­la­tion dynamique des avions à l’atterrissage ten­ant compte des con­di­tions de vent qui sera mis en place sur la plate­forme de CDG à l’horizon de 2021. Il s’agit dans un pre­mier temps de réduire le temps de sépa­ra­tion entre deux avions sur une durée fixe, réduc­tion applic­a­ble à par­tir de seuils de vent préal­able­ment défi­nis. Dans un deux­ième temps, le sys­tème doit per­me­t­tre de cal­culer en temps réel le temps de sépa­ra­tion entre deux avions à par­tir de pro­fils de vent observés et prévus sur l’axe de descente. La France est aus­si respon­s­able du développe­ment de la plate­forme MET-GATE qui per­me­t­tra, à l’horizon 2025, de dis­pos­er d’un point d’entrée unique, à l’échelle européenne, pour les don­nées météo en for­mat har­mon­isé à l’échelle mon­di­ale dans un sys­tème glob­al de ges­tion de l’information (Sys­tem Wide Infor­ma­tion Man­age­ment ou SWIM).

Anticiper les menaces

Sécu­rité, inno­va­tion, con­seil, interopéra­bil­ité, pro­duits à haute valeur ajoutée, aide à la déci­sion… Ces mots qui fédèrent le parte­nar­i­at entre les femmes et les hommes de l’aéronautique et de la météorolo­gie se déclineront demain dans de nou­veaux défis. Le méti­er de décon­flic­tion des tra­jec­toires de vols s’exercera dans des espaces aériens éten­dus aux couch­es les plus bass­es (vols de drones) ou plus élevées (vols sub­or­bitaux). Il aura à s’adapter à des usages futurs, civils ou mil­i­taires, pro­fes­sion­nels ou de loisirs, avec de nou­veaux aéronefs sans pilotes à bord. L’impératif de sécu­rité devra mesur­er et anticiper de nou­velles men­aces, telles que les cyber­me­n­aces. Le ciel est, depuis Léonard de Vin­ci, une for­mi­da­ble aven­ture humaine, et restera indu­bitable­ment un espace sen­si­ble de notre sys­tème Terre. Les experts de l’aéronautique et de la météorolo­gie auront tou­jours en com­mun ce même regard tourné vers les nuages.


Sortir du brouillard grâce à l’ANR

L’ANR (Agence nationale de la recherche) finance un pro­gramme ambitieux de recherche, SOFOG3D, porté par Météo-France avec des parte­naires français, anglais et ital­ien. À compter d’octobre 2019 démarre une cam­pagne d’observation de six mois pour mieux com­pren­dre les proces­sus à l’œuvre. Il s’agit de com­bin­er des pro­fils ver­ti­caux four­nis par des instru­ments de télédé­tec­tion inno­vants (radiomètre micro-onde, radar nuage et lidar Doppler) et par des mesures in situ sous bal­lons cap­tifs, sur drones, ou issues d’un réseau dense de sta­tions de sur­face, afin d’explorer notam­ment les hétérogénéités spa­tiales du brouil­lard. Le brouil­lard est en effet très dif­fi­cile à prévoir ; présent par poche, il se forme ou se dis­sipe rapi­de­ment. Il met en jeu des proces­sus com­plex­es, en inter­ac­tion avec la com­po­si­tion atmo­sphérique et la sur­face. Com­pren­dre et prévoir le brouil­lard est un véri­ta­ble défi sci­en­tifique. SOFOG3D com­bin­era des obser­va­tions 3D pré­cis­es sur des natures de sols dif­férentes (types de végé­ta­tion, cours d’eau, relief) avec des sim­u­la­tions numériques 3D à réso­lu­tion métrique.

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