Croiser météorologie et agronomie pour servir le secteur agricole

Dossier : La météorologie partie 2Magazine N°748 Octobre 2019
Par François BRUN
Par Grégoire PIGEON

Les pro­duc­tions agri­coles sont for­te­ment déter­mi­nées par les condi­tions météo­ro­lo­giques tout au long du cycle cultu­ral. Au tra­vers de cet article, en par­tant des besoins spé­ci­fiques de l’agriculture, nous pré­sen­te­rons com­ment des ser­vices météo­ro­lo­giques peuvent y répondre en s’appuyant sur les oppor­tu­ni­tés et inno­va­tions émergentes.

Le sec­teur agri­cole a besoin d’informations météo­ro­lo­giques pour la plu­part des acti­vi­tés pour aider à la prise de mul­tiples déci­sions, à toutes les échelles de temps et d’espace. À l’échelle glo­bale, des struc­tures éta­tiques ou supra­na­tio­nales et des acteurs éco­no­miques suivent l’évolution des condi­tions cli­ma­tiques tout au long des cam­pagnes cultu­rales pour anti­ci­per des situa­tions de défi­cit ou de sur­plus de pro­duc­tion. C’est le cas de la Com­mis­sion euro­péenne à tra­vers le ser­vice Moni­to­ring Agri­cul­tu­ral ResourceS. À l’autre extré­mi­té du spectre, un agri­cul­teur aura besoin d’informations sur ses dif­fé­rentes par­celles, de voir les varia­tions à l’intérieur de ses par­celles, pour pla­ni­fier les tra­vaux à venir, défi­nir la dose d’irrigation à appor­ter, suivre le risque d’apparition de mala­dies ou choi­sir la bonne fenêtre pour l’application d’un trai­te­ment ou l’épandage d’une fertilisation.


REPÈRES

En 2016, la fin du prin­temps par­ti­cu­liè­re­ment plu­vieux a engen­dré des fortes pertes de ren­de­ment en blé et de la vigne dans de larges zones de pro­duc­tion et a rap­pe­lé la forte dépen­dance des pro­duc­tions agri­coles aux condi­tions cli­ma­tiques. La météo du jour et des jours à venir reste donc une ‑pré­oc­cu­pa­tion quo­ti­dienne pour la plu­part des acti­vi­tés agri­coles : ain­si, 76 % des ‑agri­cul­teurs consultent la météo en ligne plu­sieurs fois par semaine (enquête du minis­tère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, 2015).


Couvrir le passé, le présent et le futur

Les don­nées devront cou­vrir le pas­sé, le pré­sent et le futur. Si le futur semble une évi­dence pour pla­ni­fier des tra­vaux quand les condi­tions sont pro­pices ou déployer des sys­tèmes de pro­tec­tion contre une menace immi­nente tels un coup de gel ou une averse de grêle, l’utilisation du pré­sent et du pas­sé mérite plus d’explications. De nom­breux évé­ne­ments qui affectent le déve­lop­pe­ment des cultures résultent de pro­ces­sus cumu­la­tifs tout au long d’une cam­pagne de culture. La crois­sance des plantes est prin­ci­pa­le­ment pilo­tée par l’accumulation des tem­pé­ra­tures ; les besoins en irri­ga­tion dépendent des réserves en eau dans le sol, consti­tuées lors des pré­ci­pi­ta­tions anté­rieures et de la demande des plantes en eau ; le déve­lop­pe­ment d’une mala­die résulte éga­le­ment fré­quem­ment de l’accumulation de cer­taines condi­tions cli­ma­tiques favo­rables à celle-là au cours de la campagne.

Enfin, si l’on pousse l’analyse jusqu’au bout, l’agriculteur sera inté­res­sé de pou­voir com­pa­rer les condi­tions de la cam­pagne en cours avec les cam­pagnes anté­rieures pour avoir recours à sa propre expé­rience et agir en consé­quence. Les agri­cul­teurs prennent du temps à acqué­rir ces infor­ma­tions, notam­ment les don­nées pré­vi­sion­nelles, et ils n’hésitent pas à recroi­ser les infor­ma­tions. L’ensemble consti­tue une masse d’informations de plus en plus longue à trai­ter, aus­si leur inté­gra­tion dans des outils spécialisés
et ergo­no­miques faci­lite l’accès aux don­nées essen­tielles pour des agri­cul­teurs qui tendent à avoir des exploi­ta­tions de plus en plus étendues.

Si le concept et l’équipement des sta­tions météo­ro­lo­giques n’ont pas beau­coup chan­gé, la grande nou­veau­té des sta­tions actuelles est la dis­po­ni­bi­li­té de cap­teurs à bas coût, du relai bas débit à moindre coût (per­mis par Sig­fox par exemple), le tout relié au cloud, ce qui faci­lite le déve­lop­pe­ment de ser­vices asso­ciant pré­vi­sions et obser­va­tions, cou­plés aux autres ser­vices exis­tant via des API. © Chris­tophe Fouquin

Protéger l’environnement et la santé

Par ailleurs, l’agriculture est contrainte de réduire ses impacts sur l’environnement et sur la san­té humaine. Cette exi­gence passe par une opti­mi­sa­tion des inter­ven­tions agri­coles : appor­ter la juste dose d’irrigation, limi­ter le recours aux pro­duits phy­to­sa­ni­taires lorsque le risque de mala­die est avé­ré. Aus­si tout sys­tème d’information qui per­met d’optimiser la ges­tion des intrants sera béné­fique pour le sec­teur agri­cole. Et ce, d’autant plus que l’amélioration de la pro­duc­tion autant en quan­ti­té qu’en qua­li­té reste un objec­tif majeur pour les agri­cul­teurs pour répondre à une démo­gra­phie tou­jours crois­sante, des consom­ma­teurs de plus en plus exi­geants et la mon­dia­li­sa­tion qui accroît la com­pé­ti­tion entre bas­sins de production.

“De nombreux événements
qui affectent le développement des cultures résultent
de processus cumulatifs”

La technologie au service de l’agriculture

Les agri­cul­teurs cherchent à mieux tirer par­ti de la révo­lu­tion tech­no­lo­gique et numé­rique pour s’adapter à cet envi­ron­ne­ment mou­vant. Ils expriment en effet une forte demande pour les équi­pe­ments et ser­vices inno­vants per­met­tant de mieux pré­voir et de mieux pilo­ter les opé­ra­tions cultu­rales dépen­dantes des condi­tions agro­mé­téo­ro­lo­giques : infor­ma­tique et don­nées, cap­teurs connec­tés ou drones, sont aujourd’hui déployés en milieu agri­cole. Ces ser­vices sont désor­mais plus faciles d’accès car inté­grés dans les outils de ges­tion de l’exploitation ou acces­sibles via des smart­phones. Ils per­mettent d’accéder à des infor­ma­tions utiles en temps réel. Ain­si, une majo­ri­té d’agriculteurs uti­lise Inter­net (4 sur 5) et 79 % d’entre eux recon­naissent l’utilité de ces nou­velles tech­no­lo­gies. L’utilisation des appli­ca­tions pro­fes­sion­nelles est en très forte pro­gres­sion (110 % entre 2013 et 2015 ; enquête MAAF, 2015).

De nom­breux ser­vices sont déve­lop­pés pour satis­faire ces dif­fé­rents besoins et appor­ter des réponses en matière d’observations météo­ro­lo­giques, puis de pré­vi­sions et enfin de ser­vices inté­grés. Alors que les agri­cul­teurs rele­vaient tra­di­tion­nel­le­ment les tem­pé­ra­tures ou les pré­ci­pi­ta­tions sur leurs exploi­ta­tions, de nou­velles solu­tions ont vu le jour au cours des der­nières années. Du côté des ser­vices météo­ro­lo­giques natio­naux, la mul­ti­pli­ca­tion des sources d’observation et leur recou­pe­ment dans des algo­rithmes de spa­tia­li­sa­tion ou d’assimilation ont per­mis le déve­lop­pe­ment de ser­vices d’observations vir­tuelles à une réso­lu­tion kilo­mé­trique sur l’ensemble de la métro­pole. En com­plé­ment des plu­vio­mètres au sol, un réseau de 26 radars couvre le ter­ri­toire français.

Croiser les données

Le croi­se­ment de ces sources d’information et d’observation issues des satel­lites d’observation de la Terre per­met d’estimer les pré­ci­pi­ta­tions tous les kilo­mètres avec une pré­ci­sion proche de celle des plu­vio­mètres. Pour les tem­pé­ra­tures ou l’humidité, c’est le recours aux don­nées des modèles numé­riques qui per­met de com­plé­ter les obser­va­tions col­lec­tées par les sta­tions de mesure. Ces infor­ma­tions sont cal­cu­lées en temps réel pour déli­vrer aux uti­li­sa­teurs une actua­li­sa­tion en conti­nu des condi­tions météo­ro­lo­giques récentes. Plus récem­ment, l’équipement en cap­teurs météo des exploi­ta­tions agri­coles a été redy­na­mi­sé par dif­fé­rents four­nis­seurs pro­po­sant des sta­tions auto­ma­tiques connec­tées à prix d’acquisition modeste en s’appuyant sur la stan­dar­di­sa­tion de l’électronique, la dimi­nu­tion des coûts des cap­teurs, l’apparition de nou­veaux pro­to­coles de télé­com­mu­ni­ca­tion sans fil (Sig­fox, Lora) et le déve­lop­pe­ment de l’Internet des objets.

Les agriculteurs à la pointe de la technologie

Ces sta­tions inté­ressent beau­coup les agri­cul­teurs qui, en les pla­çant dans leurs exploi­ta­tions, accèdent à une don­née au plus près de la réa­li­té du ter­rain. Si cela ouvre de nou­velles pers­pec­tives, il est impor­tant de bien accom­pa­gner cette popu­la­tion de plus en plus tech­no­phile dans cette muta­tion. La sim­pli­ci­té d’installation de ces équi­pe­ments ne doit pas faire oublier que la repré­sen­ta­ti­vi­té des mesures dépen­dra du posi­tion­ne­ment de la sta­tion et que la qua­li­té des mesures sera fonc­tion d’une sur­veillance et d’une main­te­nance régu­lières. Aus­si l’Acta – Les ins­ti­tuts tech­niques agri­coles, Arva­lis –Ins­ti­tut du végé­tal, l’IFV (Ins­ti­tut fran­çais de la vigne et du vin) et Météo-France se sont asso­ciés dans le cadre du pro­jet Meteo­prec « Les apports de la météo de pré­ci­sion au ser­vice des agri­cul­teurs » pour tra­vailler en ce sens.

Ces orga­nismes visent à éva­luer la qua­li­té des sta­tions dis­po­nibles sur le mar­ché et les solu­tions de contrôle des obser­va­tions pro­po­sées pour accom­pa­gner l’utilisation de ces sta­tions. Ces dif­fé­rentes inno­va­tions per­mettent à l’agriculteur d’accéder à des obser­va­tions de plus en plus fiables et pré­cises puisqu’on a désor­mais une esti­ma­tion des para­mètres météo à l’échelle de l’exploitation, voire de la parcelle.

Des outils basés sur les probabilités

L’agriculteur a éga­le­ment besoin de pré­vi­sions et d’une esti­ma­tion quan­ti­ta­tive des para­mètres météo pour les heures, les jours, les semaines ou les mois à venir, pour adap­ter la conduite de son exploi­ta­tion et limi­ter les risques qui peuvent peser sur ses cultures. Dans ce domaine, si les modèles météo­ro­lo­giques font constam­ment des pro­grès impor­tants, les incer­ti­tudes de pré­vi­sion res­tent impor­tantes au-delà de quelques jours. Aus­si, les pro­chains gains à attendre sont sur­tout liés à l’approche pro­ba­bi­liste déve­lop­pée par la plu­part des centres météo­ro­lo­giques. En effet, ces der­niers, dont Météo-France, ont mis en œuvre des sys­tèmes de pré­vi­sion d’ensemble qui per­mettent d’accéder à une esti­ma­tion de l’incertitude des condi­tions météo­rologiques prévues.

Aujourd’hui, ces infor­ma­tions ne sont pas valo­ri­sées dans les outils d’aide à la déci­sion du sec­teur agri­cole. Le consor­tium déjà cité a éga­le­ment lan­cé des déve­lop­pe­ments pour que ces don­nées puissent être inté­grées dans cer­tains outils et per­mettre aux agri­cul­teurs de mieux anti­ci­per et déci­der en pre­nant en compte leur dis­per­sion. Pour cer­tains évé­ne­ments qui affectent les cultures, le déve­lop­pe­ment d’une telle approche peut être ren­du com­plexe par les inter­ac­tions exis­tantes entre les para­mètres météorologiques.

Par exemple, les besoins d’irrigation varient en fonc­tion des tem­pé­ra­tures, de l’humidité et du vent. Il faut alors dis­po­ser d’un ensemble de scé­na­rios qui rendent compte des incer­ti­tudes sur ces para­mètres tout en assu­rant une cohé­rence météo­ro­lo­gique entre eux. Enfin, au-delà des échéances tra­di­tion­nelles de l’ordre d’une dizaine de jours, les pré­vi­sions men­suelles et sai­son­nières peuvent éga­le­ment pré­sen­ter un inté­rêt. C’est ce qu’ont mon­tré des tra­vaux récents pour les pré­vi­sions de tem­pé­ra­ture en France métro­po­li­taine pour anti­ci­per le cycle de crois­sance du blé.

“4 agriculteurs sur 5 utilisent l’Internet”

Le développement de l’agrométéorologie

L’ensemble de ces nou­velles pos­si­bi­li­tés ouvre la voie à une véri­table agro­mé­téo­ro­lo­gie de pré­ci­sion pour l’agriculteur et le monde agri­cole. En paral­lèle de l’acquisition de ces don­nées, des modèles de simu­la­tion sont déve­lop­pés et per­mettent de pré­voir une par­tie du fonc­tion­ne­ment du sys­tème de culture de manière fiable comme le cycle de déve­lop­pe­ment, le risque d’apparition de mala­die, les besoins en irri­ga­tion, en fertilisation. 

Des règles de déci­sion ont éga­le­ment pu être déve­lop­pées pour déter­mi­ner les condi­tions les plus favo­rables à la pul­vé­ri­sa­tion des pro­duits phy­to­sa­ni­taires. Ces outils ali­men­tés par les don­nées météo­ro­lo­giques et par­fois d’autres don­nées sur la culture per­mettent d’apporter une infor­ma­tion syn­thé­tique à l’agriculteur. L’essor des tech­no­lo­gies de l’information au tra­vers des smart­phones per­met une plus large dif­fu­sion de ce type d’outils. C’est notam­ment le pari qu’ont fait ces der­nières années Arva­lis – Ins­ti­tut du végé­tal et Météo-France en déve­lop­pant le ser­vice Taméo qui per­met l’accès pour les agri­cul­teurs à toute une gamme de conseils pour leurs cultures de céréales et de maïs.

L’agriculture du XXIe siècle devra rele­ver de mul­tiples défis : ren­de­ments aug­men­tés, pro­duc­tions de qua­li­té, res­pect de l’environnement et des hommes. L’économie, la sûre­té et la per­for­mance seront en par­tie per­mises grâce à une uti­li­sa­tion opti­male des infor­ma­tions four­nies par le ser­vice météo­ro­lo­gique et les ins­ti­tuts agri­coles. Avec les agri­cul­teurs, ils œuvrent main dans la main pour tirer le meilleur par­ti des modèles numé­riques agro­mé­téo­ro­lo­giques, et en com­bi­ner les pré­vi­sions aux obser­va­tions acquises loca­le­ment, sur chaque par­celle, par les exploi­tants à l’aide de sys­tèmes d’observation connectés. 

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