Innovation et logistique

L’innovation au cœur d’une logistique en pleine mutation

Dossier : LogistiqueMagazine N°772 Février 2022
Par Marie-Christine LOMBARD

Si la logis­tique est l’art et la manière de syn­chro­ni­ser des flux à une échelle mon­diale, la crise sani­taire impose de rendre la sup­ply chain plus rési­liente et révèle un des sec­teurs actuel­le­ment le plus en néces­si­té de muta­tion et d’innovation.

Si la logis­tique est res­tée dans l’ombre un cer­tain nombre d’années, elle est aujourd’hui sur le devant de la scène mon­diale depuis la crise sani­taire qui a révé­lé, ou plu­tôt réaf­fir­mé, son carac­tère stra­té­gique car essen­tiel. Les États, les entre­prises, les ter­ri­toires ont com­pris que sans les logis­ti­ciens aucune acti­vi­té éco­no­mique n’est pos­sible et, sans une logis­tique natio­nale forte, il n’y aurait pas de sou­ve­rai­ne­té. Trop sou­vent invi­sible, le mar­ché mon­dial de la logis­tique pèse pour­tant très lourd, envi­ron 5 700 Md€ en 2020, dont 2 900 Md€ sont exter­na­li­sés à des logis­ti­ciens comme Geodis. 

Nous esti­mons que la part out­sour­cée devrait croître un peu plus vite que le PIB mon­dial entre 2020 et 2024, soit une pro­gres­sion de 4,7 %. C’est donc un sec­teur qui emploie en masse par­tout dans le monde, qui crée de la richesse, avec de très belles entre­prises inter­na­tio­nales et d’autres plus locales au sein des ter­ri­toires, et qui est aujourd’hui en pleine muta­tion. Cette muta­tion exige dès à pré­sent une évo­lu­tion des modèles éco­no­miques et de nou­velles com­pé­tences que les entre­prises du sec­teur se dis­putent déjà.

Logistique innovante avec un camion Geodis en tournée de livraison.
Camion Geo­dis en tour­née de livraison.

La crise sanitaire pourrait être bénéfique à l’attractivité du secteur

Dès lors, on peut se poser la ques­tion de la non-attrac­ti­vi­té de ce sec­teur, mal connu et vic­time d’une vision très étri­quée de ce qu’il est réel­le­ment. Il est vrai que, sur les trois plus grandes régions que sont l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie-Pacifique, près de 70 % du mar­ché en valeur est cap­té par le trans­port rou­tier, y com­pris la livrai­son du der­nier kilo­mètre. Il est donc aisé de ne résu­mer ce sec­teur qu’aux camions qui véhi­culent une image néga­tive, dont le sec­teur n’arrive pas à se déta­cher et qui est res­pon­sable en par­tie de ce manque d’attractivité qui a fini par créer une pénu­rie de main‑d’œuvre.

Aux États-Unis, l’Association amé­ri­caine du poids lourd estime qu’il man­que­ra 100 000 chauf­feurs en 2023 et 160 000 en 2028. Même constat en France avec une pénu­rie de 50 000 chauf­feurs. Or la logis­tique va bien au-delà. La logis­tique, c’est l’art et la manière de syn­chro­ni­ser des flux à une échelle mon­diale, depuis les matières pre­mières jusqu’au pro­duit fini, en uti­li­sant tous les modes de trans­port, et donc au-delà de la route, le rail, l’aérien, le mari­time, mais aus­si de l’entreposage et de la pré­pa­ra­tion de com­mande. Et tout cela en uti­li­sant les meilleures tech­no­lo­gies dis­po­nibles, notam­ment numé­riques. Les logis­ti­ciens sont donc de véri­tables chefs d’orchestre des flux mon­diaux et ont pour objec­tif prin­ci­pal que les pro­duits se trouvent au bon endroit au bon moment.

“Les logisticiens sont de véritables chefs d’orchestre des flux mondiaux.”

La vision pas­sée et pas­séiste dont souffre la logis­tique est en train d’évoluer. Nous le croyons et nous l’espérons. La crise sani­taire res­te­ra pour le monde entier dra­ma­tique, mais elle aura en revanche révé­lé que rien ne sert d’avoir des usines dans les pays à bas coût si les pro­duits qui y sont fabri­qués ne peuvent pas arri­ver dans les bas­sins de consom­ma­tion. La crise a grip­pé la chaîne d’approvisionnement sur un cer­tain nombre de pro­duits, ce qui a comme consé­quence aujourd’hui pour les comi­tés de direc­tion des entre­prises de se repo­ser une ques­tion : quel est le bon équi­libre entre pro­duc­tion de matières pre­mières, pays assem­bleur et pays consom­ma­teur ? En d’autres termes : com­ment puis-je rendre ma sup­ply chain plus résiliente ?


Repères

Geo­dis est un lea­der mon­dial du trans­port et de la logis­tique. Fort de ses cinq métiers (Freight For­war­ding, logis­tique contrac­tuelle, dis­tri­bu­tion & express, Road Trans­port et Sup­ply Chain Opti­mi­za­tion) et d’un réseau mon­dial cou­vrant près de 170 pays, Geo­dis se classe au pre­mier rang en France et au sep­tième rang mon­dial de son sec­teur. En 2020, Geo­dis compte plus de 41 000 col­la­bo­ra­teurs et a réa­li­sé un chiffre d’affaires de 8,4 mil­liards d’euros.


Chariot téléopéré, une innovation en matière de logistique
Cha­riot télé­opé­ré de Geo­dis © Jean-Claude Moschetti

Le secteur à l’aube d’une profonde mutation

Cette recherche d’une plus forte rési­lience de la sup­ply chain aura des impacts pro­fonds sur le sec­teur. Nous anti­ci­pons une pro­gres­sion accen­tuée de l’externalisation de la ges­tion de la chaîne logis­tique, qui exi­ge­ra d’entreprises comme Geo­dis d’investir de plus en plus for­te­ment dans des actifs immo­bi­liers stra­té­giques, éco­lo­giques (neutres en car­bone) et des sys­tèmes de méca­ni­sa­tion et de robo­ti­sa­tion. Cela demande des inves­tis­se­ments impor­tants qui consti­tuent déjà une réelle bar­rière à l’entrée et qui vont pro­ba­ble­ment trans­for­mer le pay­sage concurrentiel.

La logis­tique ne s’est jamais tant rap­pro­chée du modèle indus­triel. La crois­sance très forte du e‑commerce n’est pas étran­gère à cette muta­tion. Au niveau mon­dial, ce mar­ché a crû de 28 % entre 2019 et 2020 et nous esti­mons sa crois­sance à 14 % entre 2019 et 2024. Le com­merce en ligne modi­fie les flux et a bou­le­ver­sé la pré­pa­ra­tion de com­mande. Cela exige de la part des logis­ti­ciens d’adapter leurs entre­pôts par un niveau éle­vé d’automatisation et de robotisation.

Il y a une dizaine d’années, la robo­ti­sa­tion concer­nait avant tout les char­riots que nous uti­li­sions dans nos entre­pôts. Aujourd’hui, 80 % des dos­siers que nous trai­tons en logis­tique contrac­tuelle (entre­pôt, sto­ckage, pré­pa­ra­tion de com­mande) intègrent un volet auto­ma­ti­sa­tion avec un niveau qui dépasse par­fois celui de l’industrie.

chariot élévateur téléopéré Geodis
Le cha­riot élé­va­teur télé­opé­ré faci­lite l’accès au métier de cariste… © Jean-claude Moschetti

La solu­tion Count Bot, per­met d’effectuer les tra­vaux d’inventaire et de contrôle des stocks en temps réel. © Come and Comm

Des robots Locus faci­litent et opti­misent la pré­pa­ra­tion de com­mande. © Ally­son Sprague

L’automatisation, un remède à la pénibilité du travail, la pénurie d’emploi et la décarbonation

Il s’agit par exemple de faci­li­ter et d’optimiser encore la pré­pa­ra­tion de com­mande au tra­vers de robots mobiles auto­nomes (AMR) qui, inté­grant une car­to­gra­phie pré­dé­fi­nie, sont auto­ri­sés à déci­der eux-mêmes du che­min à prendre d’un point à un autre au sein de l’entrepôt. C’est typi­que­ment adap­té aux entre­pôts logis­tiques, avec des flux moins linéaires que ceux d’une usine de pro­duc­tion. On peut éga­le­ment citer l’utilisation d’un drone comme la solu­tion Geo­dis Count Bot, déve­lop­pée avec Del­ta Drone, un sys­tème auto­ma­tique sta­bi­li­sé grâce à un drone, capable d’effectuer les tra­vaux d’inventaire et de contrôle des stocks en temps réel, sans inter­ven­tion humaine autre qu’un opé­ra­teur de super­vi­sion et sans équi­pe­ment par­ti­cu­lier. Les pre­miers essais démontrent que le temps d’inventaire dans un entre­pôt de 10 000 m² peut être for­te­ment réduit, de deux jour­nées à trois heures. 

Au-delà de la com­pé­ti­ti­vi­té, tous ces nou­veaux déve­lop­pe­ments per­mettent de répondre à un envi­ron­ne­ment de plus en plus contraint. D’un point de vue social d’abord, ils réduisent la péni­bi­li­té de cer­taines tâches pour les opé­ra­teurs, sou­vent un frein à l’embauche. Le cha­riot élé­va­teur télé­opé­ré est un exemple, pré­cur­seur d’une révo­lu­tion du tra­vail dans l’industrie logis­tique. Pou­vant être pilo­té à des mil­liers de kilo­mètres, cette solu­tion, que nous avons tes­tée chez Geo­dis, faci­lite l’accès au métier de cariste, par exemple aux femmes, aux per­sonnes souf­frant de han­di­cap phy­sique, aux per­sonnes iso­lées géo­gra­phi­que­ment ou dans des zones où le chô­mage est très éle­vé… La tech­no­lo­gie devient donc une réponse à la pénu­rie de main‑d’œuvre.

La technologie et le numérique au service d’une logistique plus verte

L’in­no­va­tion per­met­tra éga­le­ment à la logis­tique de répondre à l’urgence envi­ron­ne­men­tale, et c’est un impé­ra­tif. Si le trans­port de mar­chan­dises n’est pas le pre­mier contri­bu­teur, il repré­sente néan­moins 8 % des émis­sions de CO2 dans le monde. Nous, logis­ti­ciens, nous fai­sons donc par­tie de la solu­tion. La décar­bo­na­tion de l’industrie pas­se­ra néces­sai­re­ment par un ver­dis­se­ment du parc de véhi­cules, dans un pre­mier temps en uti­li­sant plu­sieurs types d’énergies alter­na­tives comme le bio­gaz – Geo­dis a d’ailleurs com­man­dé 200 véhi­cules au bio­gaz en 2021 – ou les bio­car­bu­rants, et demain l’électrique et l’hydrogène.

Les acteurs éco­no­miques tra­vaillent main dans la main, trans­por­teurs et construc­teurs, pour conce­voir les véhi­cules de demain selon les usages. Nous sommes nous-mêmes enga­gés chez Geo­dis aux côtés d’un construc­teur pour le déve­lop­pe­ment d’un démons­tra­teur dédié à la logis­tique urbaine. La réduc­tion de notre empreinte envi­ron­ne­men­tale pas­se­ra éga­le­ment par des entre­pôts plus verts, à éner­gie posi­tive, et par la capa­ci­té d’entreprises comme la nôtre à mesu­rer pré­ci­sé­ment les émis­sions. C’est ce que nous fai­sons chaque jour pour nos clients et Geo­dis est même un des pre­miers acteurs au monde à avoir été cer­ti­fié par l’Afaq pour sa démarche métho­do­lo­gique d’écoconception, visant à iden­ti­fier l’impact envi­ron­ne­men­tal d’une pres­ta­tion logis­tique lors de toutes les étapes de son cycle de vie et à pro­po­ser des axes d’optimisation.

“Identifier l’impact environnemental d’une prestation logistique lors de toutes les étapes.”

Enfin, la recherche d’une plus grande effi­cience de la sup­ply chain res­te­ra un levier que les logis­ti­ciens cher­che­ront conti­nuel­le­ment à action­ner. Et cette plus grande effi­cience, elle, pas­se­ra désor­mais par le numé­rique. En 2018, Geo­dis a inno­vé en lan­çant sa place de mar­ché, Upply, afin d’améliorer la mise en rela­tion des acteurs tout en leur don­nant une lec­ture éco­no­mique de la logis­tique à tra­vers le monde, notam­ment via un bench­mark des prix du trans­port. Aujourd’hui, les nou­velles tech­no­lo­gies telles que l’internet des objets, la blo­ck­chain, l’intelligence arti­fi­cielle, la robo­tique et la 5G sont suf­fi­sam­ment matures pour aller au-delà et accom­pa­gner la com­plexi­té de la chaîne logistique.

Les logis­ti­ciens que nous sommes déve­loppent des solu­tions qui ont voca­tion à amé­lio­rer la visi­bi­li­té de bout en bout, la tra­ça­bi­li­té des colis, mais aus­si l’optimisation du rem­plis­sage des moyens de trans­port et d’entreposage. Pour que cette numé­ri­sa­tion soit réelle à un niveau glo­bal dans la sup­ply chain, elle doit être assise sur un lan­gage com­mun, un stan­dard qui per­met­tra à tous les acteurs, petits comme grands, d’échanger faci­le­ment des infor­ma­tions, des don­nées… Sur ce volet, nous avons un tra­vail col­la­bo­ra­tif à mener et la France a toute sa place dans cette course au standard.

Il n’est de richesse que d’hommes…

La trans­for­ma­tion du sec­teur est donc en marche. C’est en ce moment que nos entre­prises ont plus que jamais besoin de recru­ter des talents, par­tout dans le monde, des femmes et des hommes pas­sion­nés par la conduite du chan­ge­ment, dans un envi­ron­ne­ment qui évo­lue très vite avec des ten­sions géo­po­li­tiques qui redis­tri­buent conti­nuel­le­ment les cartes du com­merce inter­na­tio­nal. Notre sec­teur a tout autant besoin de forces vives, sans qua­li­fi­ca­tion, qui pour­ront gran­dir au sein de nos entre­prises ; nous don­nons leur chance à ceux qui en ont envie d’avoir une car­rière. Pour ma part, j’ai quit­té le monde de la finance il y a plus de vingt ans pour rejoindre le sec­teur de la logis­tique et je ne l’ai jamais quitté. 

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