Transport routier de marchandises, vers une transition énergétique

Transport routier de marchandises : où en est la transition énergétique ?

Dossier : LogistiqueMagazine N°772 Février 2022
Par Florence BERTHELOT

Très sou­vent décrié, notam­ment d’un point de vue envi­ron­nemen­tal, le trans­port routi­er de marchan­dis­es (TRM) con­naît pour­tant une pro­fonde muta­tion en la matière, et ce depuis de nom­breuses années. C’est bien avec le TRM et non con­tre lui qu’il faut envis­ager la tran­si­tion énergé­tique du secteur du trans­port de marchandises.

Le trans­port routi­er de marchan­dis­es (TRM) fait par­tie des pre­miers secteurs qui se sont emparés du sujet envi­ron­nemen­tal, il y a une ving­taine d’années. Un secteur précurseur, con­traire­ment à l’image d’Épinal qui peut cir­culer sur la pro­fes­sion. Si du chemin reste à faire, les résul­tats sont déjà là. Les enjeux envi­ron­nemen­taux sont au cœur des préoc­cu­pa­tions des acteurs du trans­port. Ain­si, depuis, de nom­breuses années, la baisse de l’empreinte car­bone du secteur a égale­ment été le fruit d’une for­ma­tion mas­sive des con­duc­teurs à l’écoconduite et de l’optimisation des flux logistiques.


Repères

Aujourd’hui, le TRM représente 89 % du fret en France, alors que les camions ne totalisent que 6 % des émis­sions de CO2 dans notre pays. Les évo­lu­tions tech­niques et nor­ma­tives ont per­mis de réels change­ments, tant d’un point vue cli­ma­tique avec la réduc­tion des émis­sions de CO2 que du point de vue de la san­té publique avec la diminu­tion dras­tique des émis­sions de pol­lu­ants atmosphériques. 

En pas­sant pro­gres­sive­ment de la norme Euro 0 à la norme Euro VI, le secteur a per­mis de réduire de 97 % les émis­sions des oxy­des d’azote (NOx), de 87 % les émis­sions de monoxyde de car­bone (CO), de 94 % les émis­sions d’hydrocarbures. Il a égale­ment dimin­ué de 97 % les émis­sion de par­tic­ules en sus­pen­sion par rap­port à la norme Euro I. La norme Euro VI représente aujourd’hui près de 80 % des parcs de tracteurs exploités en longue dis­tance. En dix ans, la con­som­ma­tion de car­bu­rant a bais­sé de 9 %. 


Une filière engagée, notamment à travers le programme EVE

De nom­breux trans­porteurs sont aujourd’hui engagés dans le dis­posi­tif « Objec­tif CO2 » du pro­gramme EVE 2. Ce pro­gramme est pro­posé par le min­istère de la Tran­si­tion écologique et sol­idaire et l’Ademe en parte­nar­i­at notam­ment avec les asso­ci­a­tions et organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles représen­ta­tives des chargeurs, des grossistes et des trans­porteurs (marchan­dis­es et voyageurs). Le dis­posi­tif per­met d’accompagner les entre­pris­es pour agir durable­ment sur leur impact envi­ron­nemen­tal et val­oris­er leur per­for­mance énergé­tique. Il con­jugue deux démarch­es com­plé­men­taires : d’une part une démarche de pro­grès qui s’appuie sur la charte d’engagements volon­taires de réduc­tion des émis­sions de GES ; d’autre part une démarche de per­for­mance à tra­vers la label­li­sa­tion, fondée sur le référen­tiel européen HBEFA.

“Accompagner les entreprises pour agir durablement sur leur impact environnemental et valoriser leur performance énergétique.”

La par­tic­i­pa­tion à ce pro­gramme per­met aux trans­porteurs d’obtenir des béné­fices con­crets. Béné­fice économique : face à des marchés très con­cur­ren­tiels et des marges réduites, la diminu­tion sen­si­ble de la con­som­ma­tion de car­bu­rant con­stitue un atout économique de tout pre­mier ordre pour les trans­porteurs. Béné­fice com­mer­cial : Objec­tif CO2 apporte une réponse à la demande crois­sante des clients chargeurs, soucieux de réduire leur impact car­bone ; le pro­gramme donne davan­tage de vis­i­bil­ité aux actions mis­es en place et con­stitue un atout remar­qué de dif­féren­ci­a­tion. Béné­fice pour l’environnement : à tra­vers la réduc­tion des émis­sions de GES et de pol­lu­ants atmo­sphériques, le pro­gramme con­tribue à la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique et à l’amélioration de la qual­ité de l’air. Cer­taines actions du pro­gramme con­tribuent égale­ment à la réduc­tion des encom­bre­ments du traf­ic routi­er et des nui­sances sonores.

Il con­vient par ailleurs de soulign­er que, depuis le 1er juin 2017, en appli­ca­tion de l’article L. 1431–3 du code des trans­ports, toute per­son­ne qui com­mer­cialise ou organ­ise une presta­tion de trans­port de per­son­nes, de marchan­dis­es ou de démé­nage­ment doit fournir au béné­fi­ci­aire de la presta­tion une infor­ma­tion rel­a­tive à la quan­tité de gaz à effet de serre émise par le ou les modes de trans­port util­isés pour réalis­er cette presta­tion. Cette oblig­a­tion a pour objec­tif de per­me­t­tre aux clients d’orienter leur choix vers les trans­ports les moins émet­teurs. Et la demande aujourd’hui est forte, car elle répond aus­si à une attente des citoyens.


Le programme EVE 2

Sur la péri­ode 2021–2023, le pro­gramme EVE 2 vise à sen­si­bilis­er, for­mer et accom­pa­g­n­er les acteurs pro­fes­sion­nels du trans­port routi­er et de la logis­tique (trans­porteurs, com­mis­sion­naires et chargeurs) à l’amélioration de leur per­for­mance énergé­tique et envi­ron­nemen­tale. Le pro­gramme s’appuie sur trois dis­posi­tifs d’engagements volon­taires : Objec­tif CO2 pour les trans­porteurs de marchan­dis­es et de voyageurs est coporté par l’Ademe, la Fédéra­tion nationale des trans­ports routiers (FNTR), la Fédéra­tion nationale des trans­ports de voyageurs (FNTV), la Con­fédéra­tion
du com­merce de gros et com­merce inter­na­tion­al (CGI), l’Organ­i­sa­tion des trans­porteurs routiers européens (OTRE), l’Union des entre­pris­es de trans­port et logis­tique de France (TLF) et la société Eco CO2.

Fret21 pour les chargeurs est coporté par l’Ademe, l’Association des util­isa­teurs de trans­port de fret (AUTF) et la société Eco CO2. EVcom pour les com­mis­sion­naires est coporté par l’Ademe, la FNTR, l’OTRE, l’Union TLF et la société Eco CO2. Le pro­gramme s’appuie égale­ment sur la plate­forme d’échange de don­nées envi­ron­nemen­tales entre les acteurs du trans­port. Il assure la cohérence de ces dif­férents dis­posi­tifs et établit des passerelles et des out­ils com­muns entre eux. Pour chaque com­posante, des objec­tifs chiffrés sont défi­nis dans la con­ven­tion du programme.

Le vol­ume de cer­ti­fi­cats d’économies d’énergie délivré dans le cadre de ce pro­gramme n’excède pas 5,4 TWh cumac sur la péri­ode 2021–2023. Le principe général du pro­gramme est d’avoir une approche inté­grée sur toute la chaîne de trans­port dans le but d’amener les entre­pris­es vers une plus grande col­lab­o­ra­tion et inter­ac­tion entre les trans­porteurs (offreurs de solu­tions de trans­port) et leurs don­neurs d’ordre (chargeurs, com­mis­sion­naires et col­lec­tiv­ités). Le pro­gramme EVE 1 a déjà per­mis l’économie de 829 000 t/an de CO2 eq (dont 399 000 t/an pour le seul TRM). Le dis­posi­tif Objec­tif CO2 du pro­gramme EVE 2 devrait per­me­t­tre, à terme, d’économiser annuelle­ment 1 600 000 tonnes de CO2 eq.


Une task force pour construire, ensemble, la visibilité pour le futur

La tran­si­tion reste com­plexe et les trans­porteurs ont besoin de vis­i­bil­ité sur l’avenir. C’est pourquoi, fin 2020, le gou­verne­ment a souhaité met­tre en place une task force dédiée à la tran­si­tion énergé­tique du secteur. Le lance­ment de cette dernière a été décidé par le min­istre délégué en charge des Trans­ports, lors du comité min­istériel de développe­ment et d’innovation des trans­ports du 15 décem­bre 2020. 

En vue de décar­bon­er le trans­port routi­er d’ici 2050, la task force (dont les travaux sont encore en cours) a pour ambi­tion de par­venir à des tra­jec­toires partagées entre chargeurs, trans­porteurs, con­struc­teurs de véhicules et énergéti­ciens, ain­si que pou­voirs publics, con­cer­nant le mix énergé­tique des ventes de véhicules lourds aux hori­zons 2025, 2030 et 2040. Il s’agit ain­si d’analyser les sources d’énergie envis­age­ables (par­mi diesel fos­sile, bio­car­bu­rants, biogaz, hydrogène, élec­tric­ité), en fonc­tion des types de véhicules (véhicules util­i­taires légers, por­teurs de 7,5 à 26 t, tracteurs 44 t, auto­bus, auto­cars, véhicules spé­cial­isés, etc.) et des seg­men­ta­tions d’usage (dis­tri­b­u­tion urbaine et courte dis­tance, trans­port région­al, trans­port longue dis­tance, trans­port de tourisme, lignes nationales, etc.). 

La task force vise plus glob­ale­ment à favoris­er une vision com­mune sur les per­spec­tives, ori­en­ta­tions stratégiques, cal­en­dri­ers, con­traintes et pri­or­ités de cha­cun des acteurs pour la pour­suite de la tran­si­tion écologique du trans­port routier.

“Le transport routier
de marchandises français présente
de très faibles marges.”

La ques­tion de la disponi­bil­ité de l’énergie, ques­tion cen­trale s’il en est, fait l’objet d’un des groupes de tra­vail dédiés sur demande des trans­porteurs. Le groupe a pour objec­tif d’identifier de manière trans­ver­sale les besoins, freins et leviers en ter­mes : d’une part de disponi­bil­ité de car­bu­rants alter­nat­ifs pour les trans­ports routiers, en con­cur­rence avec d’autres usages ; d’autre part de déploiement des réseaux d’avitaillement et de recharge électrique. 

La FNTR (Fédéra­tion nationale des trans­ports routiers), aux côtés des autres organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles, sou­tient l’idée d’un néces­saire mix énergé­tique adap­té aux besoins et aux usages. Aucune énergie ne pour­ra répon­dre à elle seule à la demande du secteur, encore moins de l’ensemble du pays. 

La task force doit donc per­me­t­tre de don­ner les per­spec­tives con­cer­nant la tra­jec­toire de mix énergé­tique aux jalons 2025, 2030 et 2040 en prenant en compte les enjeux de véhicules, d’avitaillement, de recharge élec­trique et d’organisation des opéra­tions. L’ensemble de ces travaux a voca­tion à être présen­té et dis­cuté en vue d’aboutir à une feuille de route partagée pour décar­bon­er le trans­port routier. 

Une trajectoire qui doit intégrer les inévitables surcoûts

Si le secteur trans­port s’est engagé, ce sont l’ensemble des acteurs de la chaîne logis­tique qui doivent con­cré­tis­er cette évo­lu­tion, des don­neurs d’ordre au citoyen lui-même. Cette tran­si­tion implique une hausse par­fois très impor­tante du coût du trans­port et cha­cun devra en pren­dre sa part. En effet, le trans­port routi­er de marchan­dis­es français présente de très faibles marges (générale­ment inférieures à 2 %) et un déficit de com­péti­tiv­ité réel en com­para­i­son avec ses voisins européens. 

Les entre­pris­es doivent pou­voir partager l’effort colos­sal d’investissement que la tran­si­tion énergé­tique représente. C’est égale­ment un engage­ment de l’État qui est atten­du. D’une part en réduisant la pres­sion fis­cale sur les entre­pris­es pour qu’elles puis­sent retrou­ver de la com­péti­tiv­ité et donc des marges et, d’autre part, en les accom­pa­g­nant avec des plans d’investissement dédiés. Enfin, et con­traire­ment égale­ment à cer­taines idées reçues, le développe­ment du report modal (fer­rovi­aire, flu­vial, com­biné) est atten­du par les trans­porteurs routiers notam­ment en facil­i­tant la cohérence des dif­férentes infrastructures. 

Le trans­port routi­er de marchan­dis­es est donc un for­mi­da­ble acteur de la tran­si­tion énergé­tique, et non pas un mal néces­saire en atten­dant d’autres solu­tions. Car, même si la France dou­ble la part des autres modes de fret, le TRM restera de très loin majori­taire, à plus de 75 %. C’est donc bien avec les trans­porteurs et non con­tre eux que notre pays pour­ra relever ce défi. 

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