Co-culture de cellules musculaires et nerveuses d’embryon de rat.

L’ingénierie tissulaire : une révolution très proche pour de nombreux traitements

Dossier : BiotechnologiesMagazine N°590 Décembre 2003
Par Léonide SAAD (98)
Par Myron SPECTOR

L’ingénierie tis­su­laire a pour but la régénéra­tion par­tielle ou com­plète de par­ties défi­cientes du corps. Cette tâche est accom­plie par le développe­ment de tech­nolo­gies qui créent ou manip­u­lent des bio­molécules, des matéri­aux biologiques, des cel­lules et des tis­sus, dans le but de syn­thé­tis­er un nou­veau tis­su, un organe, ou un appareil qui seront implan­tés au niveau de la blessure. Cette forme de thérapie dif­fère de celle des traite­ments clas­siques qui reposent sur le rem­place­ment défini­tif du tis­su ou de l’or­gane défec­tif par une pro­thèse et pro­pose une solu­tion durable à une mul­ti­tude de prob­lèmes cliniques.

Un des prin­ci­paux chal­lenges dans la créa­tion d’un nou­veau tis­su vient du fait que les cel­lules qui sont mis­es en cul­ture en dehors du corps ne s’assem­blent pas néces­saire­ment en un organe tridi­men­sion­nel. En effet, les con­di­tions de cul­ture in vit­ro ne repro­duisent pas com­plète­ment l’en­vi­ron­nement in vivo beau­coup plus com­plexe : à l’in­térieur du corps, des sig­naux sont trans­mis aux cel­lules par leur envi­ron­nement extérieur. Ces sig­naux peu­vent être chim­iques, mécaniques et élec­triques et stim­u­lent l’assem­blage des cel­lules en organes.


Co-cul­ture de cel­lules mus­cu­laires et nerveuses d’embryon de rat. Les cel­lules s’organisent et for­ment des synaps­es neu­ro­mus­cu­laires. © INSERM, PHOTO ROUCHE A.

Les sci­en­tifiques ont essayé de repro­duire les con­di­tions naturelles de dif­férentes manières : bioréac­teurs pour réguler le flux nutri­tif, com­pres­sion ou ten­sion des cel­lules, util­i­sa­tion de fac­teurs de crois­sance, etc. Ain­si, pour fab­ri­quer un tis­su, de nom­breuses dis­ci­plines sont req­ui­s­es : sci­ence des matéri­aux, biolo­gie molécu­laire et cel­lu­laire, ingénierie chim­ique et mécanique, biochimie, robo­t­ique, bio-infor­ma­tique, médecine et chirurgie.

Les ingénieurs tis­su­laires ont comme pro­jet ambitieux de syn­thé­tis­er pra­tique­ment tous les types de tis­sus humains, y com­pris le foie, les os, le car­ti­lage, les vais­seaux san­guins, les mus­cles car­diaques, les nerfs, etc.

Deux exem­ples de pro­duits déjà disponibles aux États-Unis et fréquem­ment util­isés sont la peau avec Apligraf par Organo­gen­e­sis et Inte­gra par Inte­gra Life Sci­ences qui trait­ent les patients atteints de brûlures ou d’ul­cères dia­bé­tiques et l’in­jec­tion de chon­dro­cytes avec Car­ti­cel par Gen­zyme dans le but de répar­er le car­ti­lage artic­u­laire. Les pro­duits de l’ingénierie tis­su­laire peu­vent grande­ment amélior­er les thérapies actuelles tout en réduisant les coûts du traite­ment. Citons en exem­ple le cas de la trans­plan­ta­tion d’or­ganes : un organe syn­thétisé élim­in­era les prob­lèmes de rejet, donc le besoin de médica­ments immuno­sup­presseurs qui les prévi­en­nent ain­si que les com­pli­ca­tions qui en découlent.

Deux approches util­isées pour la créa­tion de nou­veaux tis­sus con­sis­tent en :

  • con­cep­tion et syn­thèse d’un tis­su à l’ex­térieur du corps pour une implan­ta­tion future : les greffes de peau utilisent cette méth­ode et sont util­isées en rou­tine depuis plus de dix ans ;
  • implan­ta­tion d’ap­pareils qui induiront la régénéra­tion du tis­su in vivo. Ces appareils sont sou­vent désignés par le terme générique de “scaf­folds” (échafaudages) et peu­vent ou non con­tenir des cel­lules au moment de leur implan­ta­tion. Les cel­lules provi­en­nent sou­vent du patient lui-même. Elles peu­vent être des cel­lules souch­es ou d’autres types de cel­lules en fonc­tion du tis­su à répar­er. Les scaf­folds sont com­posés d’un matéri­au biologique ou d’un polymère non tox­ique pour l’or­gan­isme. Ils sont assem­blés et sont implan­tés à l’in­térieur du corps où ils se dégradent peu à peu lais­sant la place à un nou­veau tis­su. Le choix du matéri­au est cri­tique et est sou­vent fait afin de simuler au mieux l’en­vi­ron­nement cel­lu­laire naturel. Un exem­ple de matéri­au est le col­lagène-glu­cosamino­gly­can util­isé entre autres pour aider à la répa­ra­tion du car­ti­lage. Cer­taines molécules régu­la­tri­ces telles les fac­teurs de crois­sance peu­vent être ajoutées afin d’as­sis­ter à la régénération.


L’ingénierie tis­su­laire est un domaine qui s’est éten­du très rapi­de­ment et attire l’in­térêt de très nom­breux sci­en­tifiques dans le monde. Même si la per­fec­tion est encore loin, on peut déjà se voir imag­in­er la con­struc­tion future d’une machine capa­ble de syn­thé­tis­er n’im­porte quel tis­su ou organe et qui résoudrait tous les prob­lèmes liés à la transplantation.

Liens

Apligraf : http://www.organogenesis.com/approf.htm
Car­ti­cel : http://www.carticel.com
Tis­sue Engi­neer­ing : The Next Rev­o­lu­tion in Orthopaedic Surgery : 
www.mgh.harvard.edu/depts/hoj/html/articles15.html

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