L’industrie verrière brésilienne pour l’emballage et les arts de la table — L’exemple du groupe Saint-Gobain

Dossier : Le BrésilMagazine N°626 Juin/Juillet 2007
Par Nicolas YATZIMIRSKY (86)

L’in­dus­trie ver­rière brésili­enne de l’emballage (bouteilles et pots) et des arts de la table présente des car­ac­téris­tiques qui reflè­tent le niveau de développe­ment indus­triel du pays. Rap­portée à la pop­u­la­tion totale du pays sa pro­duc­tion reste rel­a­tive­ment faible (4 kg par an par habi­tant con­tre 60 en France), cepen­dant les unités de pro­duc­tion sont mod­ernes et bien équipées. 

Au niveau des arts de la table, la grande majorité des assi­ettes ven­dues au Brésil sont en verre, sit­u­a­tion que l’on retrou­ve de par le monde dans d’autres régions en voie de développe­ment (Moyen-Ori­ent par exemple). 

Enfin regar­dant la struc­ture de l’in­dus­trie, les deux prin­ci­paux acteurs, Saint-Gob­ain et Owens Illi­nois sont présents sur ces deux seg­ments, alors que dans le reste du monde ils sont sor­tis des arts de la table, qui a une logique indus­trielle et com­mer­ciale fort dif­férente de celle de l’emballage. Les rel­a­tive­ment faibles vol­umes et donc les économies d’échelle à garder sous un même toit les deux activ­ités sont une des raisons de cette par­tic­u­lar­ité brésili­enne et d’autres acteurs locaux ont égale­ment main­tenu cette diver­sité. Notons enfin que les dis­tances con­ti­nen­tales font que le Nord et le Nord-Est du pays ne sont desservis que par un seul four­nisseur, CIV. Cette entre­prise brésili­enne béné­fi­cie d’une rente de sit­u­a­tion envi­able, compte tenu de la bar­rière que représen­tent les coûts logistiques. 

Emballage verrier au Brésil

Avant de com­mencer un rapi­de sur­vol des défis et oppor­tu­nités pour l’in­dus­trie de l’emballage ver­ri­er au Brésil, reprenons dans un pre­mier temps les chiffres de con­som­ma­tion de bois­sons et la par­tic­i­pa­tion du verre dans cha­cune d’en­tre elles : ils mon­trent l’im­por­tance de la bière, et en sec­ond lieu des alcools forts. 

Par ailleurs notons que le marché brésilien représente de l’or­dre de neuf cent mille tonnes, alors que le marché français s’ap­proche de 4 mil­lions de tonnes, soit une con­som­ma­tion par habi­tant dix fois plus faible au Brésil. 

La bière : un marché de bouteilles consignées

Con­som­ma­tion totale en mil­liards de litres par an  Con­som­ma­tion en litres par an/habitant Prin­ci­pal type d’emballage
Bière  47  Verre consigné 
Cachaça et spiritueux 

2 officiellement -
3 probablement 

12 à 18  Verre, par­fois consigné 
Lait  Carton 
Vins  0,15 0,8 Verre 


Le Brésil est un bon con­som­ma­teur de bière, avec un marché proche de 8 mil­liards de litres par an. Notons deux points prin­ci­paux pour le marché de l’emballage de la bière.

D’une part 70 % de cette con­som­ma­tion se fait dans les bars et restau­rants où la bière est prin­ci­pale­ment servie dans des bouteilles de 600 ml, appelée inteira. Le Brésilien aime boire sa bière bien froide (bem gela­da), et laisse sa bouteille dans un seau à glace, la ver­sant petit à petit pour qu’elle ne réchauffe pas. Ces bouteilles sont con­signées, stan­dard, le parc est de 6 mil­liards de bouteilles avec un renou­velle­ment de 3 % par an. En com­para­i­son avec l’Eu­rope où la bière à la pres­sion domine dans les bars et restau­rants, ce mode de con­som­ma­tion représente des vol­umes impor­tants pour l’emballage ver­ri­er mais avec un pro­duit peu différencié.

Sec­ond point qui affecte notre marché : le pre­mier brasseur, Inbev, leader mon­di­al, tient 70 % du marché, une posi­tion aus­si dom­i­nante est rare pour un marché de cette taille.

Dans cette sit­u­a­tion stratégique­ment peu con­fort­able, la capac­ité à innover et la qual­ité sont cru­ciales pour sur­vivre. Les four­nisseurs d’emballage aident en effet les départe­ments mar­ket­ing des dif­férentes mar­ques de Inbev (Bramha, Bohemia…) à se dif­férenci­er et Saint-Gob­ain est perçu comme parte­naire fidèle. 

Marché des spiritueux

Le prin­ci­pal spir­itueux brésilien est la cachaça, alcool de canne. Au Brésil c’est une bois­son pop­u­laire ; un verre dans un petit bar coûte env­i­ron 50 cen­times de réal, soit 20 cen­times d’eu­ro. Les dis­til­leries cherchent donc des bouteilles peu chères, qui sou­vent sont des bouteilles de bières réutilisées.

Cepen­dant, ces dernières années leur mar­ket­ing s’est pro­fes­sion­nal­isé et a pris de l’im­por­tance. Ces efforts répon­dent aux besoins des marchés export, en par­ti­c­uli­er l’Eu­rope et les États-Unis où la cachaça se con­somme surtout comme étant la base du cock­tail « caipir­in­ha » (petite paysanne). Saint-Gob­ain a depuis quelques années par­ié sur le poten­tiel de la cachaça hors du Brésil et a adop­té une atti­tude de parte­naire et de con­seil pour les cacha­ceiros. Pour accom­pa­g­n­er cet effort de créa­tion d’une iden­tité visuelle ont été dévelop­pées de nou­velles bouteilles spé­ci­fiques, avec une gravure « Cachaça do Brasil » ; c’est cette bouteille que vous trou­verez dans les duty-free de Rio de Janeiro ou de São Paulo. 

Ligne de table : Duralex et Marinex

Au sein du groupe Saint-Gob­ain, la divi­sion San­ta-Mari­na au Brésil est la dernière activ­ité de gob­ele­terie, la par­tie européenne ayant été ven­due en 1996. Elle fab­rique des assi­ettes et ver­res trem­pés, sous la mar­que Duralex pour le marché nation­al, et avec des plats pour le four sous la mar­que Marinex. Ces deux mar­ques béné­fi­cient sur le marché intérieur d’une notoriété très forte et sont dev­enues syn­onymes de caté­gories, cepen­dant c’est à l’ex­port que les pro­grès ont été les plus spectaculaires.

Juste avant l’élec­tion de Lula en 2002 le réal s’est forte­ment déval­orisé, reflé­tant l’in­quié­tude des marchés financiers devant la prob­a­ble élec­tion d’un leader syn­di­cal. Ain­si le change a atteint 4 réals pour 1 dol­lar, don­nant une impul­sion aux expor­ta­tions dans tout le pays, et l’in­dus­trie des arts de la table put pénétr­er de nom­breux marchés loin­tains. San­ta-Mari­na fut leader dans cette con­quête de nou­veaux ter­ri­toires, aug­men­tant con­sid­érable­ment ses parts de marché en Europe, en Russie, au Moyen-Ori­ent grâce à des prix très agressifs.

La réé­val­u­a­tion pro­gres­sive du réal, aujour­d’hui à 2,1 réals pour un dol­lar fait vivre une sit­u­a­tion douloureuse à de nom­breuses entre­pris­es brésili­ennes. En quelques années, pour rester renta­bles, il fal­lut rapi­de­ment pass­er des hauss­es de prix et, per­dant l’a­van­tage du change, tra­vailler con­sid­érable­ment la qual­ité et l’in­no­va­tion afin d’être au niveau des pro­duits européens. L’ensem­ble du secteur mit en place des pro­grammes de réduc­tions de coûts, bien typ­iques de la vieille Europe.
Dans le cas de la divi­sion San­ta-Mari­na, le résul­tat fut probant. Elle est dev­enue leader dans de nom­breux pays dans les plats pour le four en verre, ses pro­duits sont recon­nus pour être supérieurs aux pro­duits asi­a­tiques, et elle gagne chaque année un peu plus d’e­space dans la grande dis­tri­b­u­tion européenne. 

Programmes d’excellence industrielle

La réal­i­sa­tion de l’amélio­ra­tion de la com­péti­tiv­ité men­tion­née ci-dessus fut pos­si­ble grâce à deux fac­teurs prin­ci­paux. D’une part depuis une dizaine d’an­nées déjà les usines brésili­ennes du groupe avaient une cul­ture de par­tic­i­pa­tion et de pro­grès con­tinu en ce qui con­cerne la sécu­rité. Ces pro­grammes furent un suc­cès indis­cutable si l’on regarde la baisse forte des acci­dents (la divi­sion va com­pléter en mars une année entière sans acci­dent avec arrêt) et le main­tien des per­for­mances. Fortes de cette cul­ture d’amélio­ra­tion et de moti­va­tion des employés, les usines brésili­ennes se sont engagées forte­ment dans un pro­gramme d’ex­cel­lence indus­trielle. Elles ont mis en place les out­ils les plus sim­ples (groupe d’amélio­ra­tion avec opéra­teurs, 5S, qui sont des bonnes pra­tiques de tenue des ate­liers) et main­tenant enta­ment une phase plus avancée avec la mise en place d’ate­liers en flux ten­du et l’in­tro­duc­tion de la TPM (main­te­nance productive).

D’autre part, il est dif­fi­cile d’évo­quer ces change­ments sans men­tion­ner l’ex­cep­tion­nelle capac­ité d’adap­ta­tion qui car­ac­térise les Brésiliens. Ici, une propo­si­tion de change­ment ne ren­con­tre pas de résis­tance, mais génère de l’en­t­hou­si­asme et de la créa­tiv­ité. Les dirigeants étrangers, appré­cient donc rapi­de­ment les qual­ités des habi­tants de São Paulo : tra­vailleurs, dynamiques, entre­pre­neurs, flex­i­bles. Autant dire des car­ac­téris­tiques que l’on ne ren­con­tre pas partout dans le monde.

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