L’industrie spatiale, un enjeu majeur pour l’Europe

Dossier : L'espaceMagazine N°623 Mars 2007
Par Pascale SOURISSE (81)

L’espace : une dimension à la mesure des grands enjeux de société

Dans la dynamique de la grande épopée de l’homme dans l’e­space, le secteur des appli­ca­tions spa­tiales, dans les télé­com­mu­ni­ca­tions, la nav­i­ga­tion, l’ob­ser­va­tion de la Terre et la sci­ence, a pro­gressé à pas de géant. Aujour­d’hui de nou­velles appli­ca­tions devraient encore trans­former notre per­cep­tion du monde. Le sys­tème de nav­i­ga­tion européen Galileo ren­dra pos­si­ble une mul­ti­tude de ser­vices mobiles.

LE PROGRAMME GALILEO
Haute­ment stratégique pour l’indépen­dance de l’Eu­rope, Galileo est le pre­mier et le plus ambitieux pro­gramme d’in­fra­struc­ture lancé par l’U­nion européenne. Il béné­fi­cie des com­pé­tences uniques de l’in­dus­trie spa­tiale européenne et de ses parte­naires dans le monde.
Galileo est un sys­tème civ­il de nav­i­ga­tion par satel­lites assur­ant une cou­ver­ture mon­di­ale, des­tiné à offrir des sig­naux de posi­tion­nement et de syn­chro­ni­sa­tion d’une pré­ci­sion et d’une fia­bil­ité iné­galées. Com­posé d’une con­stel­la­tion de 30 satel­lites, il per­me­t­tra de fournir un posi­tion­nement en temps réel avec un niveau de per­for­mance garan­ti et sera interopérable et com­plé­men­taire de ses homo­logues améri­cain (GPS) et russe (Glonass).

L’ini­tia­tive de Sur­veil­lance glob­ale pour l’en­vi­ron­nement et la sécu­rité (GMES), en fédérant les pro­grammes européens d’ob­ser­va­tion de la Terre, favoris­era une meilleure com­préhen­sion des change­ments cli­ma­tiques et une plus grande prise de con­science des risques écologiques, tout en aidant à la ges­tion des crises. Enfin, les com­mu­ni­ca­tions à très haut débit annon­cent l’ère de la ” téléprésence “, ou de la récep­tion de pro­grammes télévi­suels sur nos télé­phones mobiles, et ce, où que l’on se trouve.

Numéro 1 en Europe dans le domaine des satel­lites, Alca­tel Ale­nia Space est un acteur de référence des grands pro­grammes européens dont l’im­por­tance stratégique, d’un point de vue économique, poli­tique et socio­cul­turel, est sou­vent sous-estimée. Car si les Européens, dont l’ex­cel­lence tech­nologique est recon­nue de tous, ont su con­quérir leur place actuelle dans l’e­space, c’est avant tout grâce à des généra­tions de chercheurs, d’ingénieurs, de tech­ni­ciens de très haut niveau qui, portés par leur pas­sion, se sont investis sans compter.

Héri­ti­er d’une longue tra­di­tion, le secteur spa­tial a béné­fi­cié d’une poli­tique d’in­vestisse­ments con­ti­nus au cours des dernières décen­nies, con­fir­mant son rôle cen­tral comme un élé­ment clé de sou­veraineté et d’indépen­dance, de développe­ment économique et de l’émer­gence de nou­veaux ser­vices, d’in­ves­ti­ga­tion sci­en­tifique et d’ex­plo­ration de l’Univers.

Mais à l’heure des grands choix de civil­i­sa­tion, il nous faut con­sen­tir à inve­stir plus mas­sive­ment et de façon con­tin­ue dans ce domaine tout à fait essen­tiel. Et l’Eu­rope doit y pren­dre toute sa part en engageant une poli­tique volon­tariste de recherche tech­nologique et de développe­ment de nou­veaux pro­grammes civils et mil­i­taires, sous peine de se faire dis­tancer par les États-Unis ou rat­trap­er par des pays comme la Chine, l’Inde ou, dans une moin­dre mesure, le Brésil. Il en va, en effet, du main­tien des com­pé­tences et de la place de l’Eu­rope à l’heure où d’autres pays ont une poli­tique spa­tiale de plus en plus ambitieuse.

À l’is­sue d’un proces­sus de con­sol­i­da­tion de l’in­dus­trie spa­tiale, il ne reste aujour­d’hui que six grands con­struc­teurs de satel­lites dans le monde : qua­tre aux États-Unis et deux en Europe.

La dualité civil-militaire : un modèle économique nécessaire en Europe

Dans le secteur spa­tial, le déséquili­bre avec les USA — qui a for­mal­isé son ambi­tion au tra­vers de son con­cept de Space Dom­i­nance — ne cesse de se creuser. Ain­si, quand la Nasa béné­fi­cie d’un bud­get annuel de plus de 13 mil­liards de dol­lars, celui de l’E­SA, l’a­gence spa­tiale européenne, cul­mine à 3 mil­liards d’eu­ros (et env­i­ron 5 mil­liards si l’on y ajoute les bud­gets des agences nationales). La Nasa n’est même pas le plus gros client de son indus­trie spa­tiale : le Pen­tagone investit de son côté plus de 22milliards de dol­lars, soit un mon­tant vingt fois supérieur à l’ensem­ble des dépens­es mil­i­taires spa­tiales européennes.

De ces capac­ités d’in­vestisse­ments très dif­férentes découlent des mod­èles indus­triels tout aus­si différents.

Aux États-Unis, le poids et les exi­gences du client mil­i­taire ont facil­ité le développe­ment de tech­nolo­gies et de pro­duits de pointe, qui peu­vent ensuite être appliqués — avec quelques restric­tions — au domaine civ­il. Toute­fois, l’in­dus­trie reste large­ment cloi­son­née, cer­tains four­nisseurs du Pen­tagone étant qua­si­ment absents du marché commercial.

En Europe, les con­traintes de taille et de bud­get font de l’in­dus­trie spa­tiale une indus­trie duale par essence. Les satel­lites civils et mil­i­taires parta­gent ain­si cer­taines tech­nolo­gies, et sont dévelop­pés et con­stru­its dans les mêmes cen­tres industriels.

Le suc­cès recon­nu des sys­tèmes Spot, Hélios et Syra­cuse ont ouvert la voie et ont fait de la France le pio­nnier et un acteur essen­tiel en Europe.

C’est ain­si que l’on retrou­ve les mêmes plates-formes (ou mod­ules de ser­vice) pour les satel­lites d’ob­ser­va­tion civ­il Spot et mil­i­taire Hélios ; c’est ain­si que les charges utiles (ensem­ble d’équipements de bord de mis­sion) des satel­lites du sys­tème mil­i­taire de télé­com­mu­ni­ca­tions Syra­cuse 3 ont été embar­quées sur une plate-forme Space­bus dévelop­pée à l’o­rig­ine pour des opéra­teurs civils et déjà com­mer­cial­isée en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique du Nord.

Aujour­d’hui, cette dual­ité est dev­enue une con­di­tion tout à fait indis­pens­able afin d’as­sur­er des sys­tèmes économique­ment viables, à l’im­age des satel­lites d’ob­ser­va­tion optique français Pléi­ades et d’ob­ser­va­tion radar ital­iens Cos­mo-SkyMed, qui seront con­join­te­ment exploités par les civils et les militaires.

L’indispensable soutien du marché commercial

En l’ab­sence d’un marché insti­tu­tion­nel d’une taille com­pa­ra­ble à celui dont béné­fi­cient les indus­triels améri­cains, les con­struc­teurs de satel­lites européens se sont vus con­traints de percer sur le marché commercial.

Une véri­ta­ble course à la com­péti­tiv­ité a été engagée depuis plus de quinze ans, menant les Européens à faire preuve de créa­tiv­ité et d’une extrême rigueur dans le développe­ment de leurs pro­duits et systèmes.

Et en dépit d’un taux de change dol­lar-euro très défa­vor­able aux indus­triels européens, ces derniers ont engrangé plus de 50% du marché com­mer­cial mon­di­al, notam­ment à l’exportation.

Le bilan de notre entre­prise illus­tre com­bi­en la ratio­nal­i­sa­tion poussée de son organ­i­sa­tion a per­mis d’obtenir un très haut niveau de com­péti­tiv­ité, lui per­me­t­tant ain­si de rem­porter le con­trat de renou­velle­ment de la con­stel­la­tion de 48 satel­lites de télé­phonie mobile Glob­al­star

Une vision stratégique au service d’une ambition commune

Le main­tien du dou­ble sys­tème, com­mer­cial et insti­tu­tion­nel, est essen­tiel pour préserv­er les com­pé­tences, les emplois mais aus­si pour dévelop­per de nou­velles tech­nolo­gies inno­vantes. En ce sens, l’Eu­rope a besoin d’un accès à l’e­space et de s’en garan­tir un usage indépendant.

Mais mal­gré ses atouts incon­testa­bles, le secteur spa­tial européen reste extrême­ment frag­ile et demeure encore trop lié aux aléas du marché commercial.

La poli­tique spa­tiale de l’Eu­rope et de ses États mem­bres se doit donc d’être ambitieuse et créa­trice de valeur afin de con­forter sa posi­tion stratégique en main­tenant ses com­pé­tences tech­nologiques et humaines, mais égale­ment en assur­ant sa sou­veraineté et son indépendance.

L’Eu­rope doit fédér­er toutes les éner­gies indis­pens­ables, tout en respec­tant les dif­férentes approches, afin de se posi­tion­ner comme une véri­ta­ble puis­sance spa­tiale jouant un rôle majeur en matière de développe­ment durable, de préven­tion et de ges­tion des risques et de sécurité.

La Com­mis­sion européenne doit être l’in­stance facil­i­ta­trice de ce secteur qui per­me­t­tra de main­tenir l’Eu­rope à un niveau de haute tech­nolo­gie digne des défis qui l’attendent.

LE PROGRAMME GMES (GLOBAL MONITORING FOR ENVIRONMENT AND SECURITY)

Pour garan­tir son autonomie poli­tique et préserv­er ses intérêts économiques, l’Eu­rope se doit de dis­pos­er de capac­ités d’ob­ser­va­tion, d’analyse et d’é­val­u­a­tion indépen­dantes. C’est l’en­jeu fon­da­men­tal et fon­da­teur du pro­gramme GMES.

Ce pro­gramme per­me­t­tra d’établir une capac­ité européenne de sur­veil­lance mon­di­ale pour l’en­vi­ron­nement et la sécu­rité en fédérant les aspects humains, économiques et poli­tiques. Il a égale­ment pour but de con­stituer un sys­tème exhaus­tif d’aide à la déci­sion publique, capa­ble d’ac­quérir, de traiter et de dif­fuser des infor­ma­tions utiles pour affron­ter ces enjeux.

Des out­ils et ser­vices nova­teurs, alliant tech­niques spa­tiales, ter­restres et aéro­portées, seront développés.

Par­mi les thèmes jugés pri­or­i­taires, la ges­tion de l’océan et des zones côtières, l’oc­cu­pa­tion des sols et le suivi des ressources végé­tales, les risques, mais égale­ment la ges­tion de l’eau, la qual­ité de l’at­mo­sphère et la sécu­rité des per­son­nes et des biens.

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