L’industrie française a sa place en Chine

Dossier : La renaissance industrielleMagazine N°710 Décembre 2015
Par Grégoire OLIVIER (79)

Pendant près d’un siè­cle, et jusqu’à sa libéra­tion par Mao Zedong en 1949, le cen­tre de Shang­hai se partageait entre une con­ces­sion anglaise, au nord de l’actuelle route Yanan, et une con­ces­sion française, au sud de la même route. Tant les Anglais que nos com­pa­tri­otes avaient eu le temps d’imprégner de leur cul­ture nationale le ter­ri­toire concédé.

“ Le client chinois reconnaît une légitimité française dans le luxe ”

Ain­si les pousse-pousse, puis les voitures, roulaient à gauche dans la con­ces­sion anglaise, à droite côté français, les clubs étaient réservés aux gen­tle­men côté anglais, mixtes côté français ; on ser­vait de la viande bouil­lie côté anglais, des plats gas­tronomiques côté français, etc.

Et déjà l’on dis­ait dans les familles bour­geois­es chi­nois­es : « Si tu veux appren­dre à tes enfants le busi­ness, envoie-les dans la con­ces­sion anglaise, si tu veux leur appren­dre l’art de vivre, envoie-les côté français. »

REPÈRES

La Chine est, et restera, le plus grand marché au monde pour un panel de produits qui s’élargit progressivement à toutes les industries : automobile, télécommunication, prêt-à-porter, agroalimentaire, construction, etc.
Ce marché est aussi le plus compétitif au monde, puisque y opèrent toutes les entreprises globales, plus tous les concurrents locaux.
Dans l’automobile, par exemple, Ford, Peugeot, Volkswagen, Citroën, Toyota, Hyundai, etc., sont en compétition avec Geely, Chery, BYD, Great Wall, Dong Feng, Chang’An, entreprises chinoises récemment entrées dans l’automobile, hypercompétitives, et qui n’ont qu’une ambition, exacerbée par le ralentissement de la croissance chinoise : se développer à l’international.

Le pays de l’art de vivre

Soix­ante ans après la fin des con­ces­sions, la con­vic­tion que la France est le pays de l’art de vivre est tou­jours ancrée dans l’inconscient col­lec­tif. Les mar­ques français­es de luxe, qui occu­pent 40 % de leur marché, en font leur miel, tant le client chi­nois recon­naît une légitim­ité française dans le luxe en matière de maro­quiner­ie, de prêt-à-porter, de cos­mé­tiques et de bijoux.

L’autre pays de la gastronomie

La pas­sion des Chi­nois pour leur cui­sine, diverse et raf­finée, leur attache­ment à ses rit­uels sub­tile­ment cod­i­fiés, leur respect intran­sigeant de cou­tumes culi­naires ances­trales sont sou­vent sous-estimés.

Le fait qu’ils pla­cent la gas­tronomie française, et elle seule, sur un qua­si-pied d’égalité avec la leur en dit long sur leur appré­ci­a­tion de notre cuisine.

“ Pour l’homme de la rue, la France n’est pas le pays de l’industrie ”

La mar­que « France » en matière culi­naire – au sens large – est telle­ment forte qu’elle est même exploitée par des investis­seurs asi­a­tiques de tout poil, et de mul­ti­ples chaînes de boulan­geries aux crois­sants luisants, de pâtis­series débor­dant de paris-brests, de bistrots aux nappes en vichy ont vu le jour sous la férule de Coréens, de Japon­ais ou de Chinois.

Les investisse­ments ne se lim­i­tent pas au ter­ri­toire chi­nois : la dilec­tion crois­sante pour les vins français achetés à prix d’or – plus c’est cher, meilleur c’est – con­duit désor­mais l’investisseur chi­nois à acheter le vig­no­ble, en par­ti­c­uli­er en France.

Le romantisme français

Véri­ta­ble image d’Épinal au pays de Lao Tseu, le roman­tisme que nous attribuent résol­u­ment les Chi­nois ne cesse d’être analysé par les ser­vices mar­ket­ing des entre­pris­es français­es en Chine : il reste un pays, fort de 1 400 000 000 d’âmes, où les plus petits signes de galanterie – tenir la porte à une dame – sont accueil­lis par l’enthousiasme féminin.

Les Chi­nois con­sid­èrent que la tour Eif­fel est roman­tique, comme le fait de par­ler en bougeant les mains : ils enten­dent donc plutôt « expres­sif ». Ce car­ac­tère roman­tique qui nous colle à la peau est une des dimen­sions de l’art de vivre évo­qué plus haut.

L’industrie française vue par les chinois

Mau­vaise nou­velle : pour l’homme de la rue à Shang­hai, Pékin ou Wuhan, la France n’est pas le pays de l’industrie. Les Chi­nois pensent que le TGV est alle­mand – ils ont acheté les motri­ces de l’ICE –, Air­bus égale­ment. Dans l’automobile, la puis­sance, la robustesse, la qual­ité mécanique sont des valeurs spon­tané­ment asso­ciées aux mar­ques alle­man­des par le client chi­nois (même si les enquêtes inter­con­struc­teurs mon­trent que les mar­ques occi­den­tales sont à des niveaux équiv­a­lents de qual­ité et de robustesse).

Ce qui per­met aux mar­ques alle­man­des de monop­o­lis­er le haut de gamme de l’automobile, alors même que, pour le client chi­nois, le luxe, c’est français.

Luxe à la française

Les DS ven­dues en Chine incar­nent les valeurs de l’artisanat de luxe français.

Face à cette sit­u­a­tion, le groupe PSA a décidé de créer en Chine une nou­velle mar­que d’automobile haut de gamme, DS, fondée sur le « luxe à la française ».

Nous expliquons à nos clients chi­nois que les mod­èles DS ven­dus en Chine incar­nent les valeurs d’artisanat de luxe qu’ils plébisci­tent dans leurs choix de prêt-à-porter ou de maroquinerie.

Plutôt que de chercher à bat­tre les mar­ques alle­man­des sur la puis­sance du groupe moto­propulseur, nos mod­èles se dis­tinguent par leur style extérieur, leur amé­nage­ment intérieur, le choix des matéri­aux à bord, le drapé d’un cuir, l’attention au détail et le ser­vice : toutes les DS dis­posent d’un ser­vice « valet » qui per­met, en appuyant sur un bou­ton du tableau de bord, de deman­der à une aimable hôtesse toute infor­ma­tion imag­in­able : com­ment se ren­dre à telle adresse, où se trou­ve le plus proche restau­rant de canard laqué, qu’est-ce qui se joue au théâtre à prox­im­ité, etc.

Un patrimoine à exploiter

Le cas DS n’est qu’un exem­ple, orig­i­nal et récent, d’un cas plus général : notre pays dis­pose d’un riche pat­ri­moine de mar­ques, assis­es sur des procédés indus­triels et d’innovation sophis­tiqués, con­sacrées par le temps, qui pro­posent au client chi­nois des pro­duits immé­di­ate­ment recon­nus comme haut de gamme.

Dans l’agroalimentaire, les cos­mé­tiques ou la maro­quiner­ie bien sûr, mais aus­si les instru­ments de musique, l’équipement de la mai­son, les arts de la table, l’automobile même, nous sommes rich­es de mar­ques à l’histoire pres­tigieuse, qui béné­fi­cient de l’effet de halo de la France pays de l’art de vivre et du luxe distinctif.

Nos amis chi­nois, qui n’ont pas cette chance, sont vive­ment con­scients de ce poten­tiel de mar­ques ; si nous ne les exploitons pas, elles seront exploitées par d’autres, ou à défaut dis­paraîtront. L’industrie française ne se lim­ite cepen­dant pas au B to C, elle est égale­ment très présente dans le B to B.

Participer à la croissance

Il y a (au moins) trois façons de par­ticiper à la crois­sance chi­noise : en pro­duisant en Chine et y ven­dant ses pro­pres pro­duits, en y expor­tant des pièces ou des pro­duits, en y col­lec­tant des roy­al­ties pour des tech­nolo­gies exploitées localement.

Ain­si, les con­struc­teurs d’automobiles européens béné­fi­cient de trois sources de cash en prove­nance de Chine, dont cha­cune se compte, pour l’ensemble de la pro­fes­sion, en mil­liards d’euros : la vente d’automobiles assem­blées en Chine qui génère des prof­its rap­a­triés sous forme de div­i­den­des, la vente d’automobiles importées en Chine et de pièces pro­duites en Europe et assem­blées en Chine, et le paiement par la fil­iale locale de roy­al­ties sur la pro­priété intel­lectuelle des voitures assem­blées et ven­dues en Chine.

Dans tous les cas, il peut être utile, voire essen­tiel, de nouer des parte­nar­i­ats avec des acteurs chi­nois, sachant que de plus en plus d’entreprises chi­nois­es sont dis­posées à asseoir un parte­nar­i­at indus­triel sur un volet capitalistique.

Le gou­verne­ment lui-même s’est fixé un objec­tif ambitieux d’ouverture du cap­i­tal des sociétés d’État inter­venant dans le domaine con­cur­ren­tiel et, de fait, la liste d’entreprises d’État directe­ment admin­istrée par la Sasac, hold­ing publique, ne cesse de se réduire au fur et à mesure que, depuis une dizaine d’années, cette poli­tique d’ouverture se matérialise.

Les quelque 1 200 entre­pris­es français­es présentes en Chine exploitent, avec plus ou moins de suc­cès suiv­ant les secteurs, ces dif­férents modes opéra­toires, avec pour toutes la néces­sité de s’adapter à une économie en évo­lu­tion rapi­de, soit dans les modes de con­som­ma­tion, soit dans le cadre régle­men­taire, soit encore dans la struc­ture indus­trielle des con­cur­rents et parte­naires locaux.

Ambassadrice de charme pour la gamme DS6 de Citroën en Chine

AMBASSADRICE DE CHARME

Avec le concours de Sophie Marceau, ambassadrice de la marque, qui représente pour le client chinois la Parisienne quintessentielle, et en plongeant nos racines dans la mythique DS lancée au salon de Paris en 1955, image du général de Gaulle et de Deng Xiaoping dans la voiture à l’appui, le taux de notoriété de DS en Chine est passé en trois ans de 0 % à 40 %.

Prendre en compte la politique industrielle chinoise

La poli­tique indus­trielle chi­noise se fixe aujourd’hui deux objec­tifs pri­or­i­taires : enrichir son porte­feuille de tech­nolo­gies, par développe­ments, parte­nar­i­ats ou acqui­si­tions, et se dévelop­per à l’international.

“ Notre pays dispose d’un riche patrimoine de marques consacrées par le temps ”

Fleuris­sent de ce fait de nom­breux fonds d’investissement chi­nois privés, petits ou moyens, prêts à inter­venir seuls ou en parte­nar­i­at avec les trois fonds sou­verains chi­nois aux moyens con­sid­érables, se pro­posant de racheter en Alle­magne, en France ou en Grande-Bre­tagne tout ou par­tie de sociétés dis­posant de tech­nolo­gies sus­cep­ti­bles d’application en Chine, puis de financer le développe­ment de leurs activ­ités en Chine.

S’ouvrent donc de nou­velles per­spec­tives pour nos entre­pris­es : dévelop­per leurs activ­ités chi­nois­es en s’appuyant sur non seule­ment des parte­naires, mais aus­si sur des cap­i­taux chi­nois. La ressource rare est, vue de Chine, la tech­nolo­gie, pas ses appli­ca­tions ni les cap­i­taux à engager pour la met­tre en œuvre.

La capac­ité d’innovation, l’inventivité des entre­pris­es français­es est jugée favor­able­ment par nos inter­locu­teurs chi­nois, elles doivent donc pou­voir trou­ver à s’exprimer prof­itable­ment sur le marché, et avec des cap­i­taux, chinois.

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