L’expérimentation, une autre façon d’étudier

Dossier : SolidaritéMagazine N°705 Mai 2015
Par Gabriel de NOMAZY

Dans les années 2000–2005, il y avait au Con­seil d’administration de l’X un vieux mon­sieur aux yeux très bleus, aux cheveux abon­dants et très blancs, au verbe haut et déca­pant mais tou­jours con­struc­tif et pragmatique.

Il s’appelait Georges Charpak et avait rénové l’enseignement des sci­ences à l’école pri­maire en créant avec Pierre Léna et Yves Quéré « La Main à la pâte ».

“ Donner envie d’étudier les sciences et leurs conséquences sur notre société ”

Il illus­trait ain­si la péd­a­gogie util­isée : « À huit, neuf ou dix ans, les enfants font de l’astronomie diurne, à l’aide de petits bal­lons de bau­druche gon­flés et d’une lampe élec­trique puis­sante. Par groupe de qua­tre, ils dis­cu­tent pour com­pren­dre les mou­ve­ments de la Terre et du Soleil, ain­si que les saisons qui en résultent.

Or, je suis per­suadé que 80 % des adultes sont inca­pables d’expliquer la dif­férence entre l’été et l’hiver. » Grâce aux élèves poly­tech­ni­ciens qui avaient choisi d’effectuer leur stage de for­ma­tion humaine – qui rem­plaçait depuis 2000 le ser­vice mil­i­taire – dans une école pri­maire pra­ti­quant cette péd­a­gogie, j’ai eu la chance de par­ticiper à quelques cours.

De cette expéri­ence, je suis sor­ti con­va­in­cu qu’il fal­lait intro­duire cette méthode dans l’enseignement supérieur, méthode à mes yeux par­faite­ment adap­tée à ceux qui sont plus attirés par l’expérimentation que par la théorie, tout au moins en pre­mière approche.

REPÈRES

Reprenant une idée américaine (Hands On, Leon Lederman, Chicago), Georges Charpak a lancé en 1995 l’opération « La Main à la pâte », qui « vise à développer un enseignement des sciences fondé sur l’investigation à l’école primaire et au collège […] permettant de stimuler chez les élèves esprit scientifique, compréhension du monde et capacités d’expression ».

De l’idée au projet concrétisé

En 2009, j’ai prof­ité d’un sémi­naire sur la diver­sité organ­isé par les écoles de Paris­Tech pour repren­dre cette idée en l’adaptant aux jeunes étu­di­ants pos­sé­dant un fort poten­tiel mais peu à l’aise dans une approche théorique des sci­ences, ou que les études longues peu­vent décourager parce qu’ils ne béné­fi­cient pas d’un fort sou­tien familial.

Les pre­miers con­cernés étant les étu­di­ants issus des zones urbaines sen­si­bles et des zones rurales, c’est vers eux que nous nous sommes en pri­or­ité tournés.

Cette idée s’est trans­for­mée en un pro­jet qui a vu le jour en sep­tem­bre 2013 sous le nom d’« Insti­tut Ville­bon – Georges- Charpak ». Une équipe péd­a­gogique extra­or­di­naire­ment motivée et com­pé­tente, com­posée d’enseignants des grandes écoles de Paris­Tech mais aus­si des uni­ver­sités Paris-Sud et Paris Descartes, en a été le moteur.

Cette équipe s’est con­sti­tuée spon­tané­ment autour d’une péd­a­gogie qui « donne con­fi­ance en soi et per­me­tte de pren­dre con­science de ses capac­ités », « donne envie d’étudier les sci­ences et leurs con­séquences sur notre société » et « développe la créa­tiv­ité et le goût de l’expérimentation ».

Sélectionner les étudiants, définir les programmes

La pre­mière démarche a été de con­cevoir une méthode de sélec­tion des étu­di­ants sans lien direct avec les résul­tats sco­laires, fondée sur un entre­tien visant à tester leur moti­va­tion et leur capac­ité à con­va­in­cre, sur la syn­thèse d’un texte sci­en­tifique ou tech­nologique et sur leur atti­tude lors d’une épreuve de créa­tiv­ité en groupe.

Georges Charpak. © REUTERS

La sec­onde a été de con­cevoir un pro­gramme qui per­me­tte de délivr­er une licence sci­en­tifique général­iste après avoir suivi une for­ma­tion réelle­ment inter­dis­ci­plinaire, con­stru­ite avec les étu­di­ants et atten­tive à dévelop­per leur for­ma­tion humaine. Les étu­di­ants qui auront obtenu leur licence en trois ans devront avoir acquis une solide con­fi­ance en eux et auront la pos­si­bil­ité de pour­suiv­re en mas­ter ou d’intégrer une école d’ingénieurs dans les mêmes con­di­tions que ceux qui ont une licence universitaire.

L’Institut a ouvert ses portes en sep­tem­bre 2013. La pre­mière pro­mo­tion comp­tait 36 étu­di­ants par­mi lesquels il y avait 66 % de bour­siers, 45 % de jeunes filles et 30 % de bache­liers technologiques.

Le soutien puissant de l’X

Ce pro­jet n’aurait jamais vu le jour sans le sou­tien de l’École poly­tech­nique. C’est le directeur général qui a pro­posé de loger dans les caserts la pre­mière pro­mo­tion, c’est lui aus­si qui a pro­posé des cours de sport pour tous les étu­di­ants, qui a mis à notre dis­po­si­tion des salles pour le tutorat en soirée (l’ENSTA pro­posant d’accueillir les cours), et qui a per­mis à deux X de pre­mière année d’effectuer leur stage de for­ma­tion humaine dans l’Institut en tant que tuteurs.

Quentin Lisack (2013), qui a don­né tous les soirs des séances de tutorat aux 36 élèves de la pre­mière pro­mo­tion, résumait ain­si son rôle :

« Notre démarche cherche à priv­ilégi­er l’entraide et la con­fi­ance en soi. En les regroupant en petits groupes, nous inci­tons sou­vent les étu­di­ants à jouer, cha­cun à leur tour, le rôle de tuteur. Celui qui a com­pris un point du cours l’explique aux autres. C’est une bonne façon de véri­fi­er que les notions sont acquises. »

Difficile acceptation du diplôme

La mise en œuvre de ce pro­jet ne fut pas facile (c’est un euphémisme), les dif­fi­cultés que nous avons ren­con­trées ont été nombreuses.

“ Privilégier l’entraide et la confiance en soi ”

La plus grande a été de con­va­in­cre qu’il n’était pas injuste que l’État dépense plus pour les étu­di­ants de la « licence Ville­bon » que pour ceux des autres licences uni­ver­si­taires, même si cette dépense était large­ment inférieure à celle des étu­di­ants de class­es préparatoires.

L’égalitarisme est une notion (une idéolo­gie ?) que l’on trou­ve partout dans notre société, c’est en son nom que ce pro­jet a été le plus con­testé, au départ au sein de cab­i­nets min­istériels, aujourd’hui encore par cer­tains syn­di­cats étudiants.

Je suis per­suadé que les diplômés de cet Insti­tut con­stitueront un vivi­er nou­veau d’étudiants entre­prenants, inno­vants et pas­sion­nés de sci­ence et technologie.

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