L’Arche, ou la demeure de la paix

Dossier : SolidaritéMagazine N°705 Mai 2015
Par Bernard BRESSON (69)

L’his­toire de l’Arche est d’abord l’histoire d’un homme : Jean Vanier. Cana­di­en, né en 1928, son père est diplo­mate. En 1942, en pleine Guerre mon­di­ale, Jean demande à entr­er au col­lège de la Roy­al Navy à Dart­mouth. Mal­gré son jeune âge (il a treize ans), son père lui accorde sa con­fi­ance et Jean com­mence une car­rière d’officier de marine.

En 1950, désireux de trou­ver un autre sens à sa vie, il démis­sionne et rejoint, en France, le cen­tre d’enseignement théologique des laïcs L’Eau vive.

REPÈRES

L’Arche ce sont des lieux où vivent et travaillent ensemble des personnes adultes en situation de handicap mental et ceux qui les accompagnent, les « assistants », salariés et jeunes volontaires. C’est l’occasion donnée aux personnes avec un handicap de vivre une vie communautaire propice aux relations fraternelles et chaleureuses, d’avoir des amis, un travail, de mener une « vie normale », d’avoir une vraie place dans notre société.

L’histoire d’un homme et d’une rencontre

Sa ren­con­tre avec le père Domini­cain Thomas Philippe, qui dirige ce cen­tre, mar­que un tour­nant dans sa vie.

Il com­mence une thèse de doc­tor­at en philoso­phie sur l’Éthique d’Aristote, qu’il sou­tien­dra en 1962. Cette même année, il prête main-forte au père Thomas qui devient aumônier du Val- Fleury, un étab­lisse­ment accueil­lant une trentaine d’hommes avec un hand­i­cap men­tal, situé à Trosly-Breuil, vil­lage au bord de la forêt de Compiègne.

“ La relation entre personne accueillie et accompagnant est au cœur du projet ”

Il vis­ite l’asile psy­chi­a­trique de Saint-Jean-les- Deux-Jumeaux au sud de Paris, où il fait la con­nais­sance de Raphaël Simi et Philippe Seux, deux per­son­nes ayant un hand­i­cap men­tal. Pro­fondé­ment touché par leur détresse, Jean les invite à s’installer avec lui dans une petite mai­son du vil­lage de Trosly-Breuil.

Nous sommes en août 1964, le pre­mier foy­er de L’Arche est né. Ce n’est pas une insti­tu­tion qu’il crée, c’est lui qui s’engage auprès de ces deux hommes dont le cri l’a touché. Cette démarche d’engagement per­son­nel va se révéler extra­or­di­naire­ment féconde, et elle car­ac­térise tou­jours le pro­jet de L’Arche.

« Vivre avec » plutôt que « Faire pour »

L’Arche est organ­isée, pour son fonc­tion­nement, en étab­lisse­ments médi­coso­ci­aux, mais elle n’est pas d’abord un étab­lisse­ment médi­coso­cial, elle est un lieu où des per­son­nes, avec et sans hand­i­cap, vivent ensemble.

Jean Van­nier avec un rési­dent de l’Arche
© ÉLODIE PERRIOT

C’est la rela­tion entre la per­son­ne accueil­lie et l’accompagnant qui est au cœur du pro­jet comme source d’accomplissement pour cha­cun des deux.

La spé­ci­ficité de L’Arche réside dans ce mode de vie com­mu­nau­taire : des foy­ers de petite taille où 5 à 7 per­son­nes avec un hand­i­cap et deux à trois « assis­tants » (salariés et volon­taires) font le choix de partager leur vie quo­ti­di­enne. Une com­mu­nauté regroupe de deux à sept foy­ers, un cen­tre d’activités de jour (CAJ), et par­fois un étab­lisse­ment et ser­vice d’aide par le tra­vail (ESAT).

Une com­mu­nauté est un lieu ouvert sur son envi­ron­nement et inséré dans sa ville. Chaque espace de vie donne la pos­si­bil­ité à la per­son­ne avec un hand­i­cap men­tal de déploy­er sa pro­pre parole, de dire qui elle est et de dévelop­per son pro­pre pro­jet de vie, accom­pa­g­né par les équipes de la communauté.

Dans le foy­er, cha­cun par­ticipe, à la hau­teur de ses capac­ités, à la vie partagée : tâch­es ménagères, règles de vie, choix des sor­ties ou des lieux de vacances, etc. Cha­cun y est con­vo­qué avec ce qu’il est, comme il est.

Révéler les dons et les talents

L’engagement dans la vie quo­ti­di­enne, très ordi­naire par cer­tains côtés, se révèle être pour ceux qui l’expérimentent un lieu de crois­sance et de matu­rité per­son­nelle. Les pro­fondes qual­ités rela­tion­nelles des per­son­nes avec un hand­i­cap bous­cu­lent et trans­for­ment nos préjugés et nos représentations.

UNE JOIE QU’ON N’ATTENDAIT PAS

La personne avec un handicap mental se moque bien de mon CV. La question qu’elle pose, c’est : « Est-ce que tu veux être mon ami ? » Et, dans le fond, je découvre que j’ai la même question qu’elle. Nous partageons la même soif de fraternité et de communion. Cela n’empêche pas que le handicap soit et demeure un scandale, mais nous faisons, à L’Arche, l’expérience de ce paradoxe du sens à côté de l’insensé, et d’une joie qu’on n’attendait pas.

Les rap­ports qui s’instaurent dans le cadre de cette vie quo­ti­di­enne, avec ses hauts et ses bas, témoignent d’une pos­si­bil­ité d’un monde plus juste et plus humain où les dif­férences peu­vent coex­is­ter sans se menacer.

L’Arche se donne ain­si pour mis­sion pre­mière de révéler au monde la valeur de la per­son­ne frag­ile et rejetée. Elle con­tribue ain­si, avec beau­coup d’autres, à ce que le regard porté sur le hand­i­cap évolue de façon positive.

Mais nous ne sommes pas d’abord les mil­i­tants d’une cause, nous sommes les témoins d’une expéri­ence. Nous n’avons pas voca­tion à dire ceci est bien, ceci ne l’est pas, mais seule­ment à dire « venez et voyez », car c’est l’invitation que nous avons nous-mêmes reçue.

“ Nous ne sommes pas les militants d’une cause, nous sommes les témoins d’une expérience ”

C’est dans cet esprit que L’Arche a pro­duit et dif­fusé deux films, réal­isés par Nico­las Favreau, qui don­nent la parole aux per­son­nes avec un handicap.

Dans le pre­mier L’Épreuve des mots, les per­son­nes abor­dent des thèmes tels que l’argent, la poli­tique, la mort.

Dans le sec­ond volet, L’Épreuve des mots, deux­ième ren­con­tre, elles explorent la palette des émo­tions à par­tir d’œuvres du musée du Lou­vre. Inter­rogées par Anne Chabert d’Hières, les per­son­nes hand­i­capées mon­trent un extra­or­di­naire tal­ent pour dire sim­ple­ment des choses vraies et justes.

Des jeunes s’engagent pour être des bâtisseurs de paix

Une jeune volontaire à L'Arche
Un monde plus juste et plus humain où les dif­férences peu­vent coex­is­ter sans se menacer.

L’Arche pro­pose à des jeunes volon­taires (dans le cadre du ser­vice civique) de venir vivre quelques mois auprès de per­son­nes avec un hand­i­cap. Ces jeunes, sou­vent en quête de sens, vivent ain­si une expéri­ence sociale et cul­turelle unique, riche et por­teuse de sol­i­dar­ité et de cohésion.

Pour dire avec quel bagage ils repar­tent je voudrais sim­ple­ment racon­ter une anec­dote. Au cours d’une ren­con­tre avec un groupe de volon­taires, Jean-Claude, un homme avec un hand­i­cap men­tal, les inter­roge : « Êtes-vous heureux à L’Arche ? » La réponse est « oui », mais Jean-Claude insiste : « Mais quand ? Où ? » L’un d’entre eux lui répond alors : « Après le dîn­er, autour de la table, quand on prend une tisane avec Jacques, avec Patrick, je suis heureux. »

Être heureux, à vingt ans, en buvant une tisane avec des per­son­nes hand­i­capées de quar­ante, cinquante, voire soix­ante ans : même la tisane était sauvée de son insignifiance.

Sans doute, à la lumière de la fragilité des per­son­nes avec lesquelles ils étaient assis, décou­vraient-ils la beauté de ces instants ordi­naires. Ce quo­ti­di­en-là, c’est la demeure de la paix.

Ensem­ble, nous éprou­vons que nous pou­vons essay­er d’être des bâtis­seurs de paix.

Poster un commentaire