Une image pour comprendre

Les transports de marchandises à travers les Alpes

Dossier : L'EuropeMagazine N°586 Juin/Juillet 2003
Par Michel GÉRARD (55)
Par Christian BROSSIER (56)
Par Jean-Didier BLANCHET (59)

La nature de la question posée, ses caractéristiques essentielles

Les méga-pro­jets2 envi­sa­gés (ou, pour les deux pro­jets suisses, en cours de réa­li­sa­tion) reposent tous, tech­ni­que­ment, sur les mêmes principes : 

  • tun­nels de 30 à 50 km de long, dits « de base » parce qu’ils sont aux niveaux d’ac­cès les plus bas pos­sibles des deux côtés3,
  • fer­ro­viaires pour réduire les coûts d’aé­ra­tion et amé­lio­rer la sécurité, 
  • adap­tés au trans­port com­bi­né accom­pa­gné de façon à offrir une alter­na­tive aux par­cours « tout rou­tiers », au moins sur leur seg­ment alpin. 


Ils ont trois carac­té­ris­tiques com­munes. Pri­mo des coûts extra­or­di­nai­re­ment éle­vés et une ren­ta­bi­li­té très faible. Secun­do, aux risques clas­siques des pro­jets de ce type, ils en ajoutent un, lourd de consé­quences : les tra­fics rou­tiers, dans les­quels ils pré­voient de pré­le­ver une part signi­fi­ca­tive sous forme de com­bi­né TCA et TCNA (trans­port com­bi­né accom­pa­gné et trans­port com­bi­né non accom­pa­gné), ont une extra­or­di­naire sen­si­bi­li­té aux condi­tions finan­cières impo­sées par les États tra­ver­sés sur la tota­li­té des par­cours. Ter­tio, l’en­ga­ge­ment irré­ver­sible dans la réa­li­sa­tion doit pré­cé­der de quinze ans envi­ron l’ou­ver­ture du nou­vel ouvrage ; or la visi­bi­li­té à cet hori­zon est très réduite. Pré­ci­sons ces trois points. 

Quatre pro­jets gigan­tesques de tra­ver­sées des Alpes 
Déno­mi­na­tion Mont‑d’Ambin Löt­sch­berg Saint-Gothard Bren­ner
Por­tails de l’ouvrage prin­ci­pal (TCA)
 
Bus­so­le­no (I)
Saint-Jean-de‑M. (F)
Raron (CH)
Frü­ti­gen (CH)
Bodio (CH)
Erst­feld (CH)
For­tez­za (I)
Inns­bruck (A)
Lon­gueur de l’ouvrage principal  54 km  33 km  51 km  55 km 
Route rou­lante (TCA)
 
Turin (I)
Aiton ou Lyon (F)
Novare (I)
Fri­bourg-en-Bris­gau (D)
Milan (I)
Sin­gen (D)
Vérone (I)
Munich (D)
Lon­gueur de TCA (vol d’oiseau) 115 ou 230 km  288 km  252 km  300 km 
Ouver­ture au plus tôt  2017 (pro­ba­ble­ment différé)  2007  2012  non daté 
Coût affi­ché des ouvrages principaux
(en mil­liards d’euros)
6,3 G€  9,9 G€  14 G€ 

Une faible rentabilité

Les cal­culs actua­li­sés coûts-avan­tages (moné­taires et non moné­taires), même avec des normes plus favo­rables que les normes fran­çaises actuelles, comme dans le cas suisse, n’a­bou­tissent pas à des taux de ren­ta­bi­li­té interne socioé­co­no­miques supé­rieurs à 3 %. 

La faible ren­ta­bi­li­té socioé­co­no­mique s’ac­com­pagne d’une ren­ta­bi­li­té finan­cière encore plus médiocre. Même en uti­li­sant au mieux l’ar­se­nal du par­te­na­riat pri­vé-public (PPP, ain­si qu’on le nomme à Bruxelles) qui pré­sente l’a­van­tage cer­tain de l’exi­gence, de la concen­tra­tion des moyens au moment de la réa­li­sa­tion et de la bonne ges­tion dans la durée, on « n’in­ven­te­ra pas l’argent » et il fau­dra donc lar­ge­ment pui­ser dans des recettes publiques, exis­tantes ou à créer dura­ble­ment sur de vastes zones. 

L’ins­ta­bi­li­té du sys­tème de trans­port rou­tier et du com­bi­né rail/route à tra­vers les Alpes

On peut com­pa­rer le sys­tème de trans­port rou­tier et com­bi­né rail/route à tra­vers les Alpes à un vase rem­pli d’eau, per­cé et compartimenté. 

Les trans­ports, repré­sen­tés par l’eau, cherchent à pas­ser par les trous. 

La situa­tion des trous, au fond du vase ou sur les côtés, repré­sente assez cor­rec­te­ment les avan­tages et incon­vé­nients géo­gra­phiques de chaque pas­sage à l’é­gard des flux domi­nants nord-sud et sud-nord : dis­tances ori­gine-des­ti­na­tion à vol d’oi­seau des tra­jets les plus fré­quents, tels que les modèles en rendent compte. 

Les com­par­ti­ments repré­sentent les zones de « mono­poles » de cha­cun des pas­sages, consti­tués par les trans­ports à courte et moyenne dis­tances autour d’eux. 

Les cla­pets et robi­nets repré­sentent les limi­ta­tions que les États peuvent appor­ter par des règles (limi­ta­tion du poids total en charge en Suisse, éco-points en Autriche), ou des dis­po­si­tions fis­cales (rede­vances, sub­ven­tions, etc.) aux pas­sages eux-mêmes et autour d’eux, voire à nette dis­tance d’eux. 

Le cla­pet du poids total en charge (Suisse) se lève pro­gres­si­ve­ment. Le 1er jan­vier 2001 le PTC a été rele­vé à 34 tonnes. Le 1er jan­vier 2005, les 40 tonnes seront admis. En revanche des nou­veau­tés sont appa­rues (dou­ble­ment des rede­vances d’in­fra­struc­ture fer­ro­viaire en Ita­lie) et vont appa­raître (péages auto­rou­tiers alle­mands). Le sché­ma montre là ses limites car il n’est pas pos­sible de repré­sen­ter aisé­ment le jeu des péages alle­mands et des rede­vances italiennes. 

Ce sché­ma rend compte de l’in­ter­dé­pen­dance consta­tée des pas­sages pour les tra­fics longue dis­tance et, à l’in­verse, de la cap­ti­vi­té des courtes dis­tances. La fer­me­ture, totale ou par­tielle, de l’un des pas­sages, comme on l’a obser­vé, à la suite d’ac­ci­dents, en 1999 au Mont-Blanc et aux Tauern, en 2000 au Saint-Gothard, déporte rapi­de­ment le tra­fic à longue dis­tance sur les autres. À l’in­verse les trans­ports à courte dis­tance blo­qués dans les com­par­ti­ments sont seuls véri­ta­ble­ment gênés (pro­blèmes de capa­ci­tés mis à part). 

Ce sché­ma, quoique sans finesse, a l’a­van­tage d’être plus immé­dia­te­ment lisible que les modèles per­fec­tion­nés qui se sont consti­tués (et conti­nuent à se consti­tuer) sur le sys­tème de trans­port alpin. 

Il rend compte des forces ou des fai­blesses de chaque pas­sage qui, de par sa posi­tion géo-éco­no­mique, a plus ou moins de marge de manœuvre finan­cière (pré­vues exac­te­ment par les modèles) pour pré­le­ver du tra­fic sur les autres. Ain­si les pas­sages les mieux situés sur les grandes ori­gines-des­ti­na­tions (Milan-Rot­ter­dam), les trous au fond du vase, « dominent » le sys­tème. Le sché­ma fait donc assez bien res­sor­tir la dif­fé­rence des risques tra­fic entre les projets. 

Sensibilité des trafics routiers aux conditions financières des parcours et des passages

Le sys­tème alpin de trans­ports rou­tiers de mar­chan­dises frappe par son extra­or­di­naire sen­si­bi­li­té aux condi­tions finan­cières impo­sées par les États tra­ver­sés4. Ain­si, lorsque, au début 1995, sous la pres­sion de l’U­nion euro­péenne dans laquelle elle venait d’en­trer, l’Au­triche rédui­sit de 28 % le péage Inns­bruck-fron­tière ita­lienne, le tra­fic rou­tier aug­men­ta ins­tan­ta­né­ment de 20 % au col du Bren­ner. Affo­lée, l’Au­triche appli­qua uni­la­té­ra­le­ment une hausse de 100 % à comp­ter du 1er juillet 1995 ! En 1996, nou­velle hausse de 15 %5. La Suisse étant fer­mée aux PL (poids lourds) de plus de 28 tonnes de PTC (poids total en charge), les reports au tun­nel du Mont-Blanc furent à chaque fois spec­ta­cu­laires, alors que 370 km à vol d’oi­seau séparent les deux passages. 

La crois­sance conti­nue, au sein du trans­port de mar­chan­dises, de la part du tra­fic « longue dis­tance » explique ce fait : plus les dis­tances à vol d’oi­seau s’al­longent, plus les dif­fé­rences rela­tives avec des par­cours bri­sés, de mêmes ori­gines et des­ti­na­tions, se réduisent. 

Descente du Brenner côté Autriche
Des­cente du Bren­ner côté Autriche,
l’autoroute passe en hau­teur sur des ouvrages impressionnants. 

PHOTO MICHEL GÉRARD

Des parts de tra­fic rou­tier de plus en plus impor­tantes peuvent donc bas­cu­ler spec­ta­cu­lai­re­ment et rapi­de­ment, pour peu que les faits y contraignent ou que les condi­tions finan­cières se modi­fient, comme dans le cas de l’Au­triche en 1995–19966.

Les trans­por­teurs ont tous désor­mais les moyens de contraindre leurs conduc­teurs à suivre un iti­né­raire don­né. Pour un couple ori­gine-des­ti­na­tion (OD) don­né ils prennent en compte non seule­ment les condi­tions phy­siques, kilo­mé­trages, pentes et temps de par­cours7, mais aus­si les don­nées régle­men­taires (limites de PTC, inter­dic­tion de rou­ler la nuit), finan­cières, péages rou­tiers ou locaux (ponts, tun­nels), rede­vances kilo­mé­triques ou autres, droits de rou­lage (euro­vi­gnette8), fis­ca­li­té du car­bu­rant9. Ils cal­culent, com­parent et décident. 

Les modèles rendent bien compte de ces effets en appli­quant aux couples OD obser­vés dans les enquêtes des cal­culs iden­tiques à ceux des trans­por­teurs. Les simu­la­tions mani­festent des évo­lu­tions par­fois pro­gres­sives, par­fois bru­tales quand de gros émet­teurs ou récep­teurs (ports, très grandes villes) font bas­cu­ler des pans entiers de tra­fics d’un seul coup. 

Manque de visibilité à quinze ans

Pour réus­sir de tels pro­jets, qui sont tous des pro­to­types, il faut avoir pris une déci­sion ferme au moins quinze ans à l’a­vance. Or c’est sur l’ex­ploi­ta­tion durant les vingt ans qui suivent et au-delà que se fon­de­ront l’a­na­lyse et la déci­sion de faire, de ne pas faire ou de retarder. 

À cet hori­zon, entre « main­te­nant + 15 » et « main­te­nant + 35 », les pré­vi­sions se heurtent à une opa­ci­té très forte de l’avenir. 

L’ins­ta­bi­li­té ci-des­sus décrite du sys­tème alpin est la prin­ci­pale des causes de cette opa­ci­té mais il y en a au moins trois autres. 

Tout d’a­bord le « com­bi­né accom­pa­gné » demande un arbi­trage déli­cat. En effet, le trans­por­teur ne pré­fé­re­ra le « com­bi­né accom­pa­gné » au « tout route » que si la dis­tance entre les plates-formes d’embarquement et débar­que­ment est suf­fi­sante10 pour com­pen­ser les pertes de temps inévi­tables (attentes et transbordements). 

Mais il faut aus­si que la fré­quence soit au mini­mum d’un train par heure (au-delà, les attentes moyennes sont dis­sua­sives) et donc que le tra­fic per­mette au moins cette fré­quence. En ce sens il est sou­hai­table de limi­ter la dis­tance entre embar­que­ment et débar­que­ment, faute de quoi seront per­dus tous les tra­fics dont l’o­ri­gine ou la des­ti­na­tion ne sont pas bien situées par rap­port aux plates-formes. 

Le « com­bi­né accom­pa­gné » est donc un sys­tème intrin­sè­que­ment ris­qué où les erreurs se paient cher. Par ailleurs, même calé à l’op­ti­mum, il peut ne pou­voir vivre qu’a­vec une sub­ven­tion d’ex­ploi­ta­tion ou, dis­po­si­tion de même effet mais poli­ti­que­ment bien dif­fé­rente, avec une taxe de dis­sua­sion des fran­chis­se­ments en « tout route« 11. Les cas alpins semblent tous se pré­sen­ter ainsi. 

Le « com­bi­né non accom­pa­gné » a sou­le­vé beau­coup d’es­poir et, à vrai dire, tout le monde comp­tait, il y a quelques années, sur son déve­lop­pe­ment. L’op­ti­misme est aujourd’­hui moins de mise. Par­tout, le trans­port fer­ré appa­raît comme d’une fra­gi­li­té12 dont on doute qu’elle soit rapi­de­ment maî­tri­sable. Les socié­tés fer­ro­viaires sont moins mises en cause que par le pas­sé car l’o­ri­gine du mal semble être la dif­fi­cul­té intrin­sèque de gérer des réseaux à objec­tifs mul­tiples (trans­ports de voya­geurs et de mar­chan­dises à des vitesses dif­fé­rentes). Le remède cer­tain que serait l’o­rien­ta­tion pro­gres­sive vers des réseaux majo­ri­tai­re­ment dédiés à un type de trans­port, ain­si que cela se pra­tique en France pour quelques TGV13 et aux USA pour le fret « coast to coast », ne peut être que très long14 à mettre en place. 

Enfin la crois­sance forte des flux ne pour­ra pas indé­fi­ni­ment durer. Or quinze ans, a for­tio­ri trente-cinq ans, sont des durées signi­fi­ca­tives par rap­port à la ques­tion du deve­nir des échanges à l’é­chelle du monde ou de l’é­vo­lu­tion démo­gra­phique des pays euro­péens, sin­gu­liè­re­ment l’Al­le­magne et l’Italie. 

Les raisons de l’engagement de la Suisse et de l’Union européenne

Pour­quoi donc la Suisse et l’U­nion euro­péenne ont-elles mar­qué, de longue date, tant d’in­té­rêt à un type de pro­jet aus­si ris­qué, puisque les méga-pro­jets suisses en cours de réa­li­sa­tion ont été déci­dés en 199115 et que les méga-pro­jets fran­co-ita­lien et aus­tro-ita­lien ont été clas­sés par Jacques Delors dans le pro­gramme « Réseaux de trans­ports euro­péens », dit RTE, de décembre 1993 ? 

Le cas de la Suisse

Quoique pays mon­ta­gnard, la Suisse a héri­té de son XIXe siècle le réseau fer­ro­viaire le plus dense de l’Eu­rope. Lors de la mon­tée en puis­sance du trans­port rou­tier, après la Deuxième Guerre mon­diale, et alors que les codes rou­tiers des autres pays euro­péens allaient vers des poids totaux en charge de plus en plus éle­vés, la Suisse est res­tée pru­dem­ment, jus­qu’au 1er jan­vier 2001, à un PTC de 28 tonnes. 

Le bar­rage qu’elle for­mait ain­si à la cir­cu­la­tion des mar­chan­dises est vite deve­nu un dif­fé­rend entre elle et le lob­by rou­tier euro­péen (y com­pris en interne : Dan­zas, trans­por­teur de taille euro­péenne est d’o­ri­gine et de sta­tut suisses). Le PTC de 40 tonnes, dit euro­péen, n’a pas été, dans son prin­cipe, dif­fi­cile à accep­ter car il a de gros avan­tages éco­no­miques (ren­ta­bi­li­té du trans­port) et éco­lo­giques (réduc­tion, à ton­nage équi­valent, du nombre des voyages). Cepen­dant l’é­vo­lu­tion vers ce PTC deman­dait une cer­taine progressivité. 

L’o­pi­nion popu­laire crai­gnait, car la Suisse est le pays le mieux pla­cé dans l’axe Nord-Sud, Milan-Rot­ter­dam, que l’Eu­rope du poids lourd ne s’en­gouffre dans la brèche et, en 1994, une ini­tia­tive popu­laire recueillit un grand nombre de signa­tures. Elle ten­dait à inter­dire consti­tu­tion­nel­le­ment le pas­sage des poids lourds étran­gers à tra­vers les Alpes suisses. Cette ini­tia­tive contrai­gnit le Gou­ver­ne­ment à une vota­tion qui fut un suc­cès pour la ques­tion posée. Habi­le­ment cepen­dant, le Gou­ver­ne­ment fédé­ral l’a­vait trans­for­mée en lui reti­rant tout carac­tère dis­cri­mi­na­toire : il n’é­tait plus ques­tion d’in­ter­dire les PL étran­gers, mais de ne pas accep­ter plus de poids lourds tran­si­tant à tra­vers les Alpes qu’il n’en serait consta­té à une date don­née, fixée à l’é­poque dans le futur, en 1999. 

Avant même que cette limi­ta­tion devînt consti­tu­tion­nelle, le Gou­ver­ne­ment fédé­ral se savait contraint d’i­ma­gi­ner des solu­tions fer­ro­viaires per­met­tant de faire face à la crois­sance pré­vi­sible du tra­fic rou­tier en inci­tant celui-ci à uti­li­ser les modes com­bi­nés pour le fran­chis­se­ment de la bar­rière alpine. 

À long terme, le « com­bi­né non accom­pa­gné » avait la faveur de l’Of­fice fédé­ral des Trans­ports, mais le réa­lisme com­man­dait de pré­voir pour l’ou­ver­ture aux 40 tonnes* des solu­tions en « com­bi­né accompagné ». 

Il lui fal­lait aus­si des moyens finan­ciers hors normes : c’est ain­si qu’a été créée une taxe de rap­port, non dis­cri­mi­na­toire (elle est payée par toutes les cir­cu­la­tions rou­tières de mar­chan­dises sur le ter­ri­toire suisse), la RPLP (rede­vance poids lourds pro­por­tion­nelle aux pres­ta­tions) payable à la « tonne auto­ri­sée par­cou­rue » (donc à vide comme à plein). 

Le mon­tant de cette taxe a été âpre­ment dis­cu­té avec l’U­nion euro­péenne qui visait à réduire au mini­mum le coût des trans­ports les plus directs par la Suisse (tra­jet Bâle-Chias­so, ville joux­tant Côme, mais en Suisse) sans com­pro­mettre le finan­ce­ment des ouvrages. 

Les Auto­ri­tés suisses, de leur côté, savaient par­fai­te­ment ce qu’elles pou­vaient exi­ger du trans­por­teur sans mettre en péril un tra­fic rou­tier dont elles ont désor­mais besoin pour payer leurs deux méga-projets. 

Elles avaient même ima­gi­né une autre taxe, dite TTA, taxe de tran­sit alpin, éga­le­ment non dis­cri­mi­na­toire, pour tout fran­chis­se­ment rou­tier des Alpes de façon à pou­voir orien­ter les flux vers le pas­sage fer­ro­viaire en com­bi­né accom­pa­gné. Cette taxe, d’in­ci­ta­tion, n’a­vait pas pour but pre­mier de rap­por­ter des moyens. 

Les négo­cia­tions euro­péennes ont abou­ti à réduire la TTA à zéro, la Suisse étant obli­gée de réser­ver la prio­ri­té à la RPLP. Du coup le Gou­ver­ne­ment fédé­ral est main­te­nant contraint de sub­ven­tion­ner for­te­ment les pas­sages en « com­bi­né accom­pa­gné » (à peu près 500 francs suisses soit 340 € par véhi­cule de Fri­bourg à Novare). 

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* En fait, ce ren­dez-vous sera man­qué puisque les 40 tonnes entre­ront le 1er jan­vier 2005 et que le Löt­sch­berg n’ou­vri­ra qu’en 2006. Il est vrai que des ser­vices très impor­tants seront mis en place par le tun­nel actuel.
 


L’en­ca­dré consa­cré au cas de la Suisse montre com­ment ce pays a été conduit à ce type de solu­tion pour résoudre la contra­dic­tion interne entre la pous­sée euro­péenne et ses propres inté­rêts éco­no­miques, d’une part, les résis­tances internes à toute aug­men­ta­tion du tra­fic rou­tier de tran­sit, d’autre part. L’exis­tence de deux pro­jets, alors qu’un seul aurait pro­ba­ble­ment suf­fi, a des rai­sons poli­tiques internes16.

La har­diesse de l’exemple suisse, satis­fai­sant le déve­lop­pe­ment éco­no­mique, appor­tant une réponse poli­tique par­faite à l’exas­pé­ra­tion des popu­la­tions mon­ta­gnardes face aux nui­sances du trans­port rou­tier et répon­dant assez17 bien à l’é­vo­lu­tion sen­sible des opi­nions publiques euro­péennes en faveur de la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment, sédui­sit beaucoup. 

Dans le même temps, plu­sieurs voix auto­ri­sées atti­raient l’at­ten­tion des opi­nions euro­péennes sur l’ir­ré­ver­si­bi­li­té des dom­mages envi­ron­ne­men­taux que le déve­lop­pe­ment du tra­fic rou­tier lourd engen­drait dans les Alpes, milieu sen­sible entre tous. 

Le même iti­né­raire intel­lec­tuel que celui du Gou­ver­ne­ment suisse condui­sit l’U­nion euro­péenne et les auto­ri­tés poli­tiques des États membres alpins (aux­quels s’a­joute la Slo­vé­nie) à une large una­ni­mi­té : toutes sou­haitent dura­ble­ment faci­li­ter les fran­chis­se­ments de la bar­rière alpine pour les trans­ports rou­tiers de mar­chan­dises (en la gom­mant lit­té­ra­le­ment) et, simul­ta­né­ment, réduire le poids éco­lo­gique de ces trans­ports sur le péri­mètre très sen­sible de la Conven­tion alpine18.

Aspects stratégiques et tactiques des décisions

La com­bi­nai­son des dési­rs poli­tiques et des réa­li­tés intrin­sèques d’un ensemble de pro­jets inter­dé­pen­dants et situés dans des États dif­fé­rents pose une « colle » redou­table. Résu­mons : cha­cun des quatre grands ouvrages est extrê­me­ment coû­teux et clas­si­que­ment ris­qué, d’une part ; les risques clas­siques sont sin­gu­liè­re­ment aggra­vés par la liai­son entre le tra­fic et des dis­po­si­tions, tari­faires et régle­men­taires, sus­cep­tibles de varier au cours du temps, prises par tous les autres pas­sages19, d’autre part20.

Tout d’a­bord simi­li­tude pro­blé­ma­tique ne signi­fie pas iden­ti­té des risques. L’en­ca­dré sur l’ins­ta­bi­li­té fait assez bien com­prendre que les deux pas­sages suisses sont, de loin, les mieux situés. Ils peuvent plus aisé­ment faire face à des actions de cap­tures de tra­fic de la part des autres. Ou en déclen­cher : les Auto­ri­tés hel­vé­tiques ont d’ailleurs clai­re­ment affi­ché leur inten­tion d’at­ti­rer sur la Suisse, dès l’ou­ver­ture du pays aux poids lourds de 40 tonnes, le 1er jan­vier 2005, donc même avant l’ou­ver­ture du Löt­sch­berg, le tra­fic détour­né sur la France et l’Au­triche par leur limi­ta­tion du PTC (poids total en charge)21.

L’en­jeu n’est pas mince, côté fran­çais, car il peut repré­sen­ter un bon tiers du tra­fic du Fré­jus et du Mont-Blanc. 

Ensuite les pro­jets sont des réa­li­tés plus com­plexes que les médias ne le laissent per­ce­voir. Si les très grands ouvrages des pro­jets suisses, en cours de réa­li­sa­tion, se trouvent entiè­re­ment sur ter­ri­toire suisse, lais­sant faus­se­ment croire à la pos­si­bi­li­té de déci­sions uni­la­té­rales de ce pays, il faut savoir que, par exemple, le pro­jet du Löt­sch­berg est tri­bu­taire de la réa­li­sa­tion d’a­mé­lio­ra­tions de gaba­rit que l’I­ta­lie doit appor­ter à ses tun­nels fer­ro­viaires de la mon­tée du Sim­plon ain­si que de la plate-forme d’embarquement TCA de Novare, payée par la Suisse mais dont l’ac­cès aux poids lourds engage le plan de cir­cu­la­tion de la ville. 

Dans le même sens, mais sur le plan finan­cier, la Suisse a dû prendre acte de l’at­ti­tude inquié­tante de l’I­ta­lie qui a atten­du son enga­ge­ment irré­ver­sible pour dou­bler ses tarifs d’in­fra­struc­ture fer­ro­viaire, « pipet­tant » par là une par­tie de la marge de manœuvre suisse. L’a­vè­ne­ment des péages alle­mands lui pose des ques­tions simi­laires pour l’avenir. 

La règle est géné­rale. Les équi­libres finan­ciers de l’en­semble des pro­jets et de cha­cun d’entre eux dépendent des tari­fi­ca­tions de réseaux dans les pays tra­ver­sés. En outre chaque pro­jet sup­pose des amé­na­ge­ments par­fois très éloi­gnés de l’ou­vrage prin­ci­pal. Le pro­jet fran­co-ita­lien sup­pose beau­coup d’a­mé­na­ge­ments de capa­ci­té fer­ro­viaire du Sud et de la péri­phé­rie de Turin jus­qu’à Anvers. Cer­tains d’entre eux sont très impor­tants (contour­ne­ments de Lyon et de Dijon par exemple). Le pro­jet aus­tro-ita­lien, deve­nu aus­tro-ger­ma­no-ita­lien par le biais d’une struc­ture PPP, sup­pose de nom­breux inves­tis­se­ments connexes dans les trois pays. 

Le cas autri­chien, cari­ca­tu­ral, montre la qua­si-impos­si­bi­li­té de déci­der des pro­jets aus­si lourds et ris­qués dans un patch­work d’É­tats et de fron­tières. L’Al­le­magne fait pour­tant beau­coup de lob­bying à Bruxelles en faveur du méga-pro­jet du Bren­ner qui l’in­té­resse à beau­coup d’é­gards, mais elle n’a, à notre connais­sance, encore jamais par­lé de sub­ven­tion bud­gé­taire alle­mande ou de taxe alle­mande pour contri­buer à cette réa­li­sa­tion. Or, si, comme on l’a dit plus haut, les PPP ont beau­coup de mérites, dans le cas de pro­jets non ren­tables il faut tou­jours des res­sources longues d’ordre public pour cou­vrir les res­sources courtes néces­saires aux inves­tis­se­ments ini­tiaux22. L’Au­triche per­çoit, bien qu’au nom du « prin­cipe de ter­ri­to­ria­li­té« 23 elle risque de devoir faire payer à ses citoyens, dans la durée, l’es­sen­tiel d’un ouvrage sur­tout des­ti­né aux échanges Ita­lie-Alle­magne et Ita­lie-Europe du Nord. 

La mise au point d’une RPLP (rede­vance poids lourds pro­por­tion­nelle aux pres­ta­tions) (cf. enca­dré sur la Suisse) à l’au­tri­chienne sans exten­sion à des régions alle­mandes et ita­liennes ne sera pas facile : son appli­ca­tion au tra­fic de tran­sit ne cou­vri­rait que les 100 km de tra­ver­sée de ce pays selon l’i­ti­né­raire le plus emprun­té (contre 300 en Suisse) et elle péna­li­se­rait les trans­ports internes est-ouest, mon­ta­gneux, (à l’in­verse de la Suisse). Enfin la fai­blesse des apports pos­sibles de l’U­nion euro­péenne aux pro­jets RTE, 5 % en moyenne sur la moyenne des pro­jets, ne contre­ba­lan­ce­ra pas les effets du prin­cipe de ter­ri­to­ria­li­té. Rien pour ras­su­rer l’Au­triche ! Le blo­cage du pro­jet n’est pas étonnant. 

Tra­fic de mar­chan­dises à tra­vers les Alpes
Arc Vintimille/Tarvisio​
Année 1994
Pas­sage Route Route + Rail Rail Détail Rail
Totaux en mil­lions de tonnes  wagons
complets 
TCNA  TCA 
Vintimille  9,4 10,4 pas d’offre
Mont-Genèvre  non ren­sei­gné en 94 Pas­sage rou­tier uniquement
Mont-Cenis  Pas­sage fer­ro­viaire uniquement 7,7 4,6 pas d’offre
Fréjus  12,2 12,2 Pas­sage rou­tier uniquement
Mont-Blanc  14,3 14,3 Pas­sage rou­tier uni­que­ment, acci­dent le 24 mars 1999
France/Italie 36  44,7 8,7 5,7
Grand-Saint-Bernard  0,4 0,4 Pas­sage rou­tier uniquement
Simplon  0,1 4,7 4,7 3,9 0,8 pas d’offre
Saint-Gothard  5,1 18,2 13,2 6,7 5,5
San Bernardino  0,6 0,6 Pas­sage rou­tier uniquement
Suisse  6,2 24  17,8 10,5 6,3
Reschen  0,8 0,8 Pas­sage rou­tier uniquement
Brenner  17,6 25,9 8,3 3,6 2,7
Tarvisio  5,6 11,1 5,5 4,9 0,5 pas d’offre
Autriche/Italie 24  37,8 13,7 8,6 3,2
Arc Vintimille/ Tarvisio  66,2 106,4 40,2 24,8 12,6 2,9
Année 2001
Pas­sage Route Route + Rail Rail Détail Rail
Totaux en mil­lions de tonnes  wagons
complets 
TCNA  TCA 
Vintimille  14,1 15  0,9 0,9 pas d’offre
Mont-Genèvre  1,5 1,5 Pas­sage rou­tier uniquement
Mont-Cenis  Pas­sage fer­ro­viaire uniquement 8,6 4,6 pas d’offre
Fréjus  25,7 25,7 Pas­sage rou­tier uniquement
Mont-Blanc  non remis en service Pas­sage rou­tier uni­que­ment, acci­dent le 24 mars 1999
France/Italie 41,3 50,8 9,5 5,5
Grand-Saint-Bernard  0,6 0,6 Pas­sage rou­tier uniquement
Simplon  0,4 5,2 4,8 3,9 0,3 pas d’offre
Saint-Gothard  7,4 23,2 15,8 6,7 8,4 0,8
San Bernardino  Pas­sage rou­tier uniquement
Suisse  10,4 31  20,6 10,5 8,7 0,8
Reschen  1,3 1,3 Pas­sage rou­tier uniquement
Brenner  25  35,7 10,7 3,2 4,1 3,4
Tarvisio  16,2 21,1 4,9 4,5 0,4 pas d’offre
Autriche/Italie 42,5 58,2 15,7 7,7 4,6 3,4
Arc Vintimille/ Tarvisio  94,2 140  45,8 24,2 17,2 4,3
Crois­sance 19942001 42,3 % 31,6 % 13,9 % -2,4 % 36,5 % 48,3 %
N.B. : la crois­sance du trans­port par rail est exclu­si­ve­ment due au com­bi­né et dans celui-ci, la crois­sance du com­bi­né accom­pa­gné (route rou­lante) n’est due qu’au pas­sage du Bren­ner. Par ailleurs les chiffres abso­lus du TCA sont faibles. 

Ébauche d’une solution

Com­ment donc per­mettre que ces inves­tis­se­ments gigan­tesques soient ana­ly­sés, dis­cu­tés et, pour autant qu’ils soient jugés néces­saires, déci­dés avec l’a­vance néces­saire de quinze ans ? 

Quelques réflexions de base doivent être faites. 

a) Dans un tel sys­tème, l’ordre des risques, des plus faibles aux plus forts, devrait être pré­sent à tous les esprits : 1) Saint-Gothard, 2) Löt­sch­berg, 3) Bren­ner, 4) Mont-d’Ambin. 

Mais cette énon­cia­tion pose déjà une ques­tion : qui peut ? qui a le droit de se pro­non­cer ain­si ? sinon une « mutuelle des inté­rêts et des risques » ? 

b) Étant don­né la dépen­dance des pro­jets à l’é­gard des tari­fi­ca­tions de réseaux même loin d’eux, la mutuelle en ques­tion ne peut pas être com­po­sée des seuls pays où se situent les fran­chis­se­ments pro­pre­ment dits : tous les autres pays des­ser­vis sont intéressés. 

De fil en aiguille, force est de consta­ter que la mutuelle en ques­tion est en fait l’Eu­rope des échanges de mar­chan­dises, c’est-à-dire l’Eu­rope des vingt-cinq d’a­vril 2004. La tra­ver­sée des Alpes par les tra­fics de mar­chan­dises mérite d’être trai­tée par une struc­ture ad hoc au niveau euro­péen, struc­ture dis­po­sant de pou­voirs supra­na­tio­naux importants. 

Quelques défi­ni­tions

Le tra­fic fer­ro­viaire de mar­chan­dises se pra­tique actuel­le­ment de trois façons : 

1) Les « wagons complets »

, en géné­ral char­gés au départ par un indus­triel ou un com­mer­çant sur un embran­che­ment (fer­railles, bois, ciment, pro­duits sidé­rur­giques, voi­tures, etc.). Ils sont déchar­gés par le destinataire. 

2) Le « transport combiné non accompagné » (TCNA) :

la mar­chan­dise trans­por­tée est une caisse (dont le conte­nu est le plus sou­vent igno­ré du trans­por­teur), conte­neur mari­time, caisse rou­lante ou encore semi-remorque (ce qui exige dans ce cas des wagons adap­tés). Aux deux extré­mi­tés de la chaîne de trans­port des véhi­cules rou­tiers (ou une péniche ou encore un porte-conte­neurs dans un port mari­time) inter­viennent. Ce mode de trans­port exige une grande orga­ni­sa­tion d’un bout à l’autre de la chaîne et des plates-formes bien équi­pées (ponts rou­lants de transbordement).
 

3) Le » transport combiné accompagné » (TCA) :

des wagons, sur­bais­sés dans la plu­part des cas, chargent des PL com­plets. Les chauf­feurs accom­pagnent leurs véhi­cules et par­ti­cipent aux manœuvres de char­ge­ment et déchargement. 

Le mot « fer­rou­tage » concer­nait au départ l’en­semble du com­bi­né. Il désigne de plus en plus, mais pas tou­jours, le com­bi­né accom­pa­gné. Cette ambi­guï­té le condamne dans les milieux pro­fes­sion­nels. Les ger­ma­no­phones uti­lisent le concept de « route ou d’au­to­route roulante ». 

Comme on le ver­ra dans le texte, les deux types de trans­port com­bi­né sont pro­fon­dé­ment dif­fé­rents, aus­si peu proches l’un de l’autre qu’ils ne le sont eux-mêmes du « wagon complet ». 

Par ailleurs des res­sources ou, à tout le moins, des garan­ties à carac­tère finan­cier, doivent venir non seule­ment des pays concer­nés par les ouvrages les plus impor­tants, mais de tous les pays européens. 

Cette struc­ture ad hoc doit per­mettre une sur­veillance conti­nue du sys­tème sen­sible et évo­lu­tif des trans­ports trans­al­pins. On ne régle­ra pas en effet les com­por­te­ments des États par de seuls accords écrits ; les termes en seraient-ils per­fec­tion­nés, ils n’empêcheraient pas la vie de se mon­trer plus ima­gi­na­tive que les rédac­teurs de tels accords. 

Quid de la Suisse diront cer­tains ? En fait il n’y a pas de pro­blème suisse. Quoique en dehors de l’U­nion euro­péenne, les enga­ge­ments de ce pays à l’é­gard de l’U­nion euro­péenne en font un 26e par­te­naire lar­ge­ment équi­valent aux autres. 

La Suisse entre en fait tous les jours concrè­te­ment dans l’Eu­rope en se ren­dant « euro-com­pa­tible » avant la plu­part des États membres. Il est donc cer­tai­ne­ment pos­sible de l’in­clure dans la mutuelle des tra­ver­sées alpines dont elle est évi­dem­ment une des pièces essentielles. 

Se fera-t-elle prier pour ce faire ? Cer­tai­ne­ment pas, car elle a déjà œuvré en ce sens ! 

En fait tout est prêt ! Un seul der­nier pas est à faire 

En effet, ce que nous venons de pré­sen­ter comme une sug­ges­tion de notre part, d’autres y ont pen­sé, à la Com­mis­sion euro­péenne et en Suisse. Cela s’est fait concrè­te­ment, comme spon­ta­né­ment, au cours de la négo­cia­tion d’en­semble entre l’U­nion euro­péenne et la Suisse, curieu­se­ment dénom­mée « bila­té­rales », qui s’est ter­mi­née le 21 juin 1999. 

Les enjeux prin­ci­paux en étaient la libre cir­cu­la­tion des biens et des per­sonnes, l’a­gri­cul­ture et les trans­ports, aériens et terrestres. 

En matière de trans­ports ter­restres l’U­nion euro­péenne s’est beau­coup bat­tue pour réduire la fis­ca­li­té rou­tière suisse, sans rendre pour autant impos­sible le finan­ce­ment des ouvrages suisses. 

La Suisse qui pre­nait de plus en plus de risques au fur et à mesure qu’elle admet­tait des réduc­tions de fis­ca­li­té rou­tière a deman­dé des garan­ties. Le texte final en pré­voit de très nom­breuses où, en fait, l’U­nion euro­péenne s’en­gage, à la dimen­sion du « ter­ri­toire de l’U­nion », pour les États membres. Com­ment faire autrement ? 

Un Comi­té mixte est créé. Il res­semble très exac­te­ment à ce que nous avons appe­lé « mutuelle des inté­rêts et des risques » puis­qu’il peut s’op­po­ser à des mesures des États membres qui met­traient en péril l’ac­cord Union européenne-Suisse. 

Enfin une struc­ture per­ma­nente d’in­for­ma­tion et d’é­tude est consti­tuée par le Comi­té mixte qui peut d’ailleurs créer d’autres démul­ti­pli­ca­tions de lui-même sur d’autres sujets. 

Ain­si, para­doxa­le­ment, parce qu’elle se trouve à l’ex­té­rieur de l’U­nion, la Suisse a ame­né l’U­nion à réflé­chir à une ques­tion qui, à vrai dire, se pose à l’in­té­rieur de l’U­nion ; et à bâtir un outil. 

Dès lors cepen­dant on doit se poser une ques­tion : la France, l’Au­triche et l’I­ta­lie, États membres les plus sen­sibles aux flux trans­al­pins, peuvent-ils obte­nir de l’U­nion euro­péenne même trai­te­ment et mêmes garan­ties que la Suisse ? Ou, en d’autres termes, serait-il aujourd’­hui pos­sible à l’U­nion de ne pas élar­gir les termes de son accord avec la Suisse à ses propres États membres ? La réponse, évi­dem­ment néga­tive, qu’ap­pelle cette ques­tion en pose immé­dia­te­ment une autre : puisque l’ac­cord Union euro­péenne-Suisse a fait la preuve que rien n’é­tait pos­sible sans une vue d’en­semble, même pour les mieux pla­cés, ne serait-ce pas le moment de bâtir un outil com­mun, tra­vaillant sur le mode fédé­ral, propre à abor­der la ques­tion des trans­ports trans­al­pins à l’é­chelle de l’es­pace euro­péen ? L’en­semble des 25 + 1 pays y gagne­rait beau­coup de temps, d’éner­gie, de moyens. 

Notes

1. C’est inten­tion­nel­le­ment que nous repre­nons la for­mu­la­tion de l’ar­ticle 1 du pro­jet de consti­tu­tion euro­péenne de la Conven­tion pré­si­dée par le pré­sident Valé­ry Gis­card d’Estaing.
2. Cf. enca­dré sur ces projets.
3. Tous les pro­jets sont proches de pas­sages exis­tants, rou­tiers et ferroviaires.
4. Tous les États et non seule­ment ceux situés sur les passages.
5. L’U­nion euro­péenne tra­dui­sit le mau­vais élève, à peine ren­tré dans son sein, devant la Cour de Luxem­bourg. L’af­faire a eu le mérite d’at­ti­rer pour la pre­mière fois l’at­ten­tion de l’U­nion euro­péenne sur les limites de vali­di­té de prin­cipes qu’elle applique sans dif­fi­cul­té aux contextes ordi­naires mais qui, en contexte mon­ta­gnard, appellent de sérieux amé­na­ge­ments, d’ailleurs rati­fiés par l’U­nion euro­péenne elle-même dans l’ac­cord avec la Suisse du 21 juin 1999.
6. Cf. enca­dré sur l’instabilité.
7. Dont files d’at­tente. Les autres don­nées phy­siques, pas­sage par telle ou telle ville par exemple, ne jouent plus.
8. Pour cou­vrir ses coûts d’in­fra­struc­tures rou­tières, chaque État membre peut choi­sir entre des péages, payés sur les par­cours, ou une vignette pério­dique. Il ne peut pas cumu­ler les deux systèmes.
9. Dont l’ef­fet est atté­nué par l’aug­men­ta­tion des réser­voirs, non sans danger.
10. 500 km envi­ron selon la Com­mis­sion Abra­ham de 1994–1995. On note­ra aus­si la dif­fé­rence avec le tun­nel Trans­Manche où, même avec la concur­rence agres­sive des fer­ries, le trans­por­teur se sait condam­né dans tous les cas à des attentes et des temps de manœuvre dont il n’est pas maître. L’ex­pé­ri­men­ta­tion que lancent la SNCF et FS Tre­ni­ta­lia entre Aiton et Orbas­sa­no (175 km) via le tun­nel du Mont-Cenis, en juin 2003, avec quatre allers et retours par jour, sera inté­res­sante à suivre.
11. De telles mesures demandent des négo­cia­tions avec l’U­nion euro­péenne, gar­dienne des dis­tor­sions de mar­ché. Cela dit, ces négo­cia­tions seront sans doute plus aisées après le trai­té de juin 1999 avec la Suisse où l’U­nion euro­péenne a admis, tant le prin­cipe d’une taxe « d’in­ci­ta­tion » à l’u­sage du com­bi­né (pour le moment nulle, mais uti­li­sable en cas de désordre) que celui d’une sub­ven­tion, par PL trans­por­té, au trans­por­teur ferroviaire.
12. Un désordre local entraîne des désordres sur des parts notables de réseaux.
13. Entiè­re­ment sur Lignes à Grande Vitesse.
14. En ce sens, l’u­sage du mode flu­vial quand il est pos­sible, par exemple de Bâle à Rot­ter­dam, est un grand avan­tage pour le trans­port par caisse.
15. Approu­vés par le peuple en 1992 ; leur finan­ce­ment a été approu­vé en 1998.
16. Une incer­ti­tude sur une ques­tion géo­lo­gique très ardue au Saint-Gothard, le mieux pla­cé des deux pro­jets, a joué aus­si un cer­tain rôle, en lais­sant long­temps pla­ner un doute sur la fai­sa­bi­li­té tech­nique du tunnel.
17. Nous met­tons un bémol sur ce point car per­sonne n’a encore beau­coup atti­ré l’at­ten­tion sur les entrées et sor­ties du sys­tème com­bi­né accom­pa­gné : cela dit, on ne manque pas de le ren­con­trer quand il s’a­git de trou­ver des plates-formes.
18. Conven­tion signée entre sept pays sou­ve­rains (dont le Lich­ten­stein) et la Com­mu­nau­té éco­no­mique euro­péenne en 1991, puis rati­fiée par tous. En France, loi n° 95–1 270.
19. Y com­pris ceux qui existent déjà et qu’on ne peut pas trai­ter par la désin­vol­ture ; cf. le pas­sage du Mont-Genèvre après l’ac­ci­dent du Mont-Blanc.
20. Tout cela, dira-t-on peut-être, est très cou­rant en matière de trans­port et l’aé­rien nous en donne aujourd’­hui une vivante illus­tra­tion. On recon­naî­tra cepen­dant que la hau­teur des enjeux est inha­bi­tuelle et que les tun­nels en faillite, à l’in­verse des avions, ne sont même pas ven­dables à la casse.
21. Para­doxa­le­ment en effet, la Suisse a besoin de ce tra­fic pour payer ses ouvrages.
22. À ceux qui nous disent qu’il sera pos­sible de mon­ter par PPP une opé­ra­tion du type Trans­Manche où Madame That­cher avait exclu toute contri­bu­tion publique, nous répon­dons sous forme de bou­tade qu’il est dif­fi­cile de réédi­ter plus d’une fois par siècle, au béné­fice d’un grand ouvrage, la spo­lia­tion des petits por­teurs comme on l’a fait au xixe à Pana­ma, puis au xxe au tun­nel sous la Manche !
23. Cha­cun paye les tra­vaux sur son territoire.

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