Michel BIGNON polytechnicien promotion 1934

Les renouvelables en débat

Dossier : ExpressionsMagazine N°733 Mars 2018Par : Michel BIGNON (34) et Philippe LABAT (73) et réponse d'Antoine HUART (07)

Le cour­ri­er des lecteurs est de retour, sur les éner­gies renou­ve­lables du numéro de jan­vi­er. La ques­tion du stock­age des éner­gies est au cœur de ces débats. 

Courrier de Michel BIGNON (34)

Michel BIGNON est notre doyen, large­ment centenaire.
Son por­trait a été pub­lié dans la série Atyp­ix de Pierre AVENAS (65)


« […] Je dois pré­cis­er que toute ma car­rière indus­trielle a été con­sacrée à l’énergie, notam­ment lorsque je dirigeais le ser­vice Procédés de USSI (Georges Besse), puis du pro­jet Themis et enfin le secré­tari­at général de l’Iafedes (développe­ment de l’énergie solaire). 

Avec éton­nement, je con­state que le ton général est entière­ment con­forme à la posi­tion poli­tique et médi­a­tique où le réchauf­fe­ment cli­ma­tique dû à l’homme, et la peur de tout ce qui touche à l’atome, sont des vérités révélées qui ne souf­frent pas discussion. 

Vous ne pou­vez pas ignor­er que le recours mas­sif à des sources d’énergie élec­trique inter­mit­tentes et aléa­toires exig­erait des moyens de stock­age de cette énergie, et que ces moyens n’existent pas à l’échelle indispensable. 

[…] De ce fait, la loi de 2015 sur la tran­si­tion énergé­tique m’a paru d’emblée inap­plic­a­ble, et M. Hulot com­mence à s’en apercevoir. 

J’aurais atten­du de notre revue qu’elle traite le sujet de façon plus équili­brée, en n’ignorant pas ce qui se passe en Alle­magne et surtout en Aus­tralie du Sud, et en mar­quant quelque dis­tance avec un organ­isme comme I’Ademe où la tech­nique est occultée par l’idéologie.

Je sais que notre École doit ménag­er le pou­voir poli­tique, c’est souligné par la récente vis­ite du prési­dent de la République, mais elle doit aus­si rester une référence objec­tive et crédible. 

Notre revue n° 730 ne me sem­ble pas répon­dre à cette nécessité. » 

Ce cour­ri­er est accom­pa­g­né du texte d’une con­férence don­née par l’auteur au print­emps 2017. Michel Bignon démon­tre, chiffres à l’appui, le car­ac­tère très onéreux du stock­age de l’électricité et souligne les dif­fi­cultés pra­tiques à résoudre.
 

Le stock­age de l’élec­tric­ité, un Graal ou un leurre ?


Courrier de Philippe LABAT (73)

Philippe LABAT est prési­dent de la société THERMOPYLES. Secteur d’ac­tiv­ité : Extrac­tion d’hydrocarbures 

« Je tra­vaille dans l’industrie pétrolière et, qui plus est, pour par­tie en France, autant dire que je suis le dernier des salauds. 

Je n’ai pas de grandes com­pé­tences en éner­gies renou­ve­lables, sinon que nous util­isons les mêmes lois de la ther­mo­dy­namique, dont je crains le car­ac­tère inexorable. 

Je m’intéresse quand même depuis fort longtemps aux éner­gies capricieuses (tu voudras bien excuser ma séman­tique). J’aurais volon­tiers équipé mon loge­ment de solaire ther­mique (et non pho­to­voltaïque, évidem­ment) et d’une pompe à chaleur, si je n’avais pris la déci­sion de vivre en immeu­ble collectif. 

Je recon­nais des mérites aux éner­gies capricieuses, puisque je ne les exclu­ais pas pour mon pro­pre usage. Mais je ne peux pas accepter que l’on affirme, sans la moin­dre preuve, que la par­ité réseau des éner­gies capricieuses est atteinte. 

À la rigueur, qu’elle soit atteinte à l’avenir, c’est pos­si­ble, mais ce n’est pas le cas de nos jours. Évidem­ment, si on se con­tente d’étudier les 2 000 heures de l’année où le vent souf­fle, ou les 1 000 heures dans l’année où le pho­to­voltaïque per­met de sat­is­faire une par­tie sig­ni­fica­tive de la demande, c’est vrai. 

Mal­heureuse­ment, une année, c’est 8 760 heures. Et que fait-on sans vent et sans soleil, comme le 15 jan­vi­er à 19 heures, quand l’anticyclone cou­vre la France ? Est-ce qu’on demande aux four­nisseurs éoliens et solaires de sup­port­er leur quote-part du fardeau que con­stitue l’obligation de fournir le client final 8 760 heures par an ? Ce n’est pas l’impression que j’ai.

On observe, d’un côté, des chas­seurs de sub­ven­tions et de prix de rachat garan­tis, tant en solaire qu’en éolien, qui se lavent les mains de l’équilibre du réseau, et de l’autre, la vieille école qui finit par fournir, à perte, l’électricité au moment où la météo fait mon­ter la demande d’électricité et en fait chuter l’offre capricieuse à zéro. […] » 


Réponse d’Antoine HUARD (07)

Antoine HARD est le coor­don­na­teur du dossier “Éner­gies renou­ve­lables” et prési­dent du Groupe X‑Renouvelables

Antoine HUARD, polytechnicien promotion 2007

« Le chiffre de 1 000 heures ou 2 000 heures, con­cer­nant le nom­bre d’heures de fonc­tion­nement des cen­trales solaires ou éoli­ennes, cor­re­spond au fac­teur de charge, une notion théorique qui rend compte du fait qu’une éoli­enne, par exem­ple, pro­duit en moyenne autant d’énergie sur une année que si elle avait hypothé­tique­ment pro­duit à puis­sance nom­i­nale pen­dant 2 000 heures. 

Cela ne veut pas dire qu’elle ne fonc­tionne que 2 000 heures et qu’elle s’arrête bru­tale­ment les 6 760 heures restantes. Dans les faits, une éoli­enne fonc­tionne dès que sa vitesse d’enclenchement est atteinte, de l’ordre de 10 à 15 km/h de vent, mais elle ne pro­duit alors pas à pleine puissance. 

Dès lors que les tech­nolo­gies mod­ernes per­me­t­tent de prédire la pro­duc­tion avec une fia­bil­ité sat­is­faisante, je main­tiens que l’emploi des mots “inter­mit­tent” ou “capricieux” n’est pas judi­cieux et qu’ils s’appliqueraient plutôt à une pro­duc­tion entre­coupée et imprévisible. 

À plus long terme, le stock­age résoudra une grande par­tie des dif­fi­cultés qui peu­vent encore sub­sis­ter – son prix ne cesse de chuter et nous ne sommes qu’au début d’un mou­ve­ment d’une ampleur sim­i­laire à celle que nous avons con­nue avec les cel­lules photovoltaïques. 

Déjà, aux États-Unis, les cen­trales PV + stock­age rem­por­tent les appels d’offres de la four­ni­ture des heures de pointe, face aux cen­trales thermiques. 

Il y a main­tenant plus de deux ans que la pro­duc­tion d’électricité issue de l’éolien et du solaire (et des autres EnR) n’est plus soumise à des tar­ifs d’achat garan­tis, mais ven­due sur le marché et via un con­trat de com­plé­ment de rémunéra­tion, sys­tème inspiré du con­tract for dif­fer­ence bri­tan­nique, mis en œuvre notam­ment pour le réac­teur de Hink­ley Point. 

Il ne s’agit pas de sub­ven­tions, mais de ren­dre pos­si­ble le finance­ment d’actifs forte­ment cap­i­tal­is­tiques dans un envi­ron­nement de marché jour­nalier très fluc­tu­ant et incertain. 

Il est évi­dent que l’absence de car­ac­tère non pilotable de cer­taines EnR, comme le solaire ou l’éolien, entraîne des sur­coûts de réseau et plus générale­ment de sys­tème. Toute­fois, les pro­duc­teurs EnR ne se lavent pas les mains de l’équilibre du réseau. En effet, ils vendent leur pro­duc­tion au marché via des agré­ga­teurs, qui assurent la respon­s­abil­ité d’équilibre moyen­nant un coût d’équilibrage et d’agrégation de moins de 1 €/MWh. Par ailleurs, chaque pro­jet prend à sa charge un coût réseau qui inclut évidem­ment ses pro­pres coûts de rac­corde­ment, mais égale­ment une quote-part dite “S3REnR” qui vise à cou­vrir les coûts de ren­force­ment liés à la vari­abil­ité des EnR. 

Plus générale­ment, out­re ce sur­coût de ren­force­ment des réseaux, il y a égale­ment un sur­coût de sys­tème (main­tien de réserve tour­nante, inté­gra­tion de stock­age, etc.) qui doit être pris en compte si on veut déter­min­er le coût com­plet des EnR. Ce sur­coût est éval­ué selon les sources, aux envi­rons de 30 %. 

Le solaire et l’éolien pro­duisant avec un LCOE de l’ordre de 30 à 60 €/MWh, même en y ajoutant un sur­coût de 30 %, cela ne rend pas le prix final pro­hibitif. Enfin, j’ajouterai qu’on entend sou­vent dénon­cer les sur­coûts liés à l’intermittence des EnR, mais on entend générale­ment beau­coup moins par­ler des ser­vices sys­tème que les EnR sont capa­bles d’apporter : une cen­trale solaire notam­ment, grâce aux pro­grès de l’électronique de puis­sance, est capa­ble d’injecter du réac­t­if, de redress­er le cos phi sans avoir à rajouter des con­den­sa­teurs, etc. 

Ces ser­vices sont aujourd’hui ren­dus gra­tu­ite­ment, mais leur valeur devrait être prise en compte dans l’évaluation de l’impact glob­al des EnR. » 

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