Du rêve à la réalité

Dossier : ExpressionsMagazine N°667 Septembre 2011
Par Christine FENOUIL-PONTHIEU (84)

De par mon métier, j’ac­com­pagne les entre­prises dans les phases d’é­mer­gence et de mise en oeuvre des pro­jets inno­vants. C’est un for­mi­dable ter­rain d’ob­ser­va­tion où les idées éclosent, se nour­rissent de mul­tiples contri­bu­tions, se métissent, prennent forme peu à peu pour deve­nir des idées pré­sen­tables qui seront débat­tues, enri­chies puis trans­for­mées en réa­li­tés opérationnelles. 

L’au­teur
Chris­tine Fenouil dirige le Cabi­net IDARED, spé­cia­li­sé en inno­va­tion et trans­mis­sion de com­pé­tences (www.idared.fr). Elle inter­vient auprès des déci­deurs et des équipes opé­ra­tion­nelles dans l’in­dus­trie et les ser­vices (Saint- Gobain , Lagar­dère, Ros­si­gnol, Atos Ori­gin par exemple). Chris­tine Fenouil a créé IDARED en 2006, après quinze ans d’ex­pé­rience dans l’in­dus­trie, le conseil et la formation. 

Quatre phases

Un pro­ces­sus d’in­no­va­tion est un long che­mi­ne­ment, qui com­mence dans le monde ima­gi­naire pour se ter­mi­ner dans le monde réel. Il peut être seg­men­té en quatre phases successives. 

Émergence

Dans la phase d’é­mer­gence, l’in­no­va­tion n’existe que dans l’i­ma­gi­naire des per­sonnes qui la portent, d’a­bord un petit nombre de per­sonnes puis de plus en plus. Cette phase est déter­mi­nante car bien que la qua­li­té de mise en oeuvre d’une idée influe sen­si­ble­ment sur le résul­tat final, il ne pour­ra sor­tir d’une idée médiocre qu’un pro­jet de faible envergure. 

Développement

La phase de déve­lop­pe­ment com­mence lorsque l’or­ga­ni­sa­tion décide de déga­ger des moyens pour explo­rer cette nou­velle piste. L’in­no­va­tion sort en quelque sorte de sa clan­des­ti­ni­té. Au cours de cette phase, les équipes R&D et mar­ke­ting sont en pre­mière ligne. 

Mise en oeuvre

Dans la phase de mise en oeuvre, les carac­té­ris­tiques de l’in­no­va­tion sont figées et l’ef­fort va por­ter sur sa « fabri­ca­tion » à un coût accep­table avec une qua­li­té repro­duc­tible et sur sa dif­fu­sion auprès de clients ou d’u­ti­li­sa­teurs poten­tiels. Les équipes de pro­duc­tion et les équipes com­mer­ciales prennent le relais. 

Montée en puissance

Arrê­ter trop tôt une acti­vi­té peut ame­ner à se sépa­rer de belles pépites 

La der­nière phase de l’in­no­va­tion est la phase de mon­tée en puis­sance de l’ac­ti­vi­té. Une inno­va­tion met tou­jours du temps à s’im­po­ser sur un mar­ché. La durée pen­dant laquelle la nou­velle acti­vi­té béné­fi­cie d’un trai­te­ment de faveur concer­nant les exi­gences de ren­ta­bi­li­té opé­ra­tion­nelle est un para­mètre déter­mi­nant. Déci­der trop tôt d’ar­rê­ter une acti­vi­té peut ame­ner l’or­ga­ni­sa­tion à se sépa­rer de belles pépites. Cette phase est d’au­tant plus déli­cate à gérer que les jeunes acti­vi­tés sont finan­cées par les acti­vi­tés matures, qui peuvent vivre comme une injus­tice cette dif­fé­rence de traitement. 

Intuition

Reve­nons sur la phase d’émergence. 

Apple
Quand, avant 1999, Steve Jobs demande à ses équipes de recon­ce­voir en pro­fon­deur le sys­tème d’ex­ploi­ta­tion MacOS pour le rendre com­pa­tible avec des pro­duits issus du monde du logi­ciel libre, il n’a pro­ba­ble­ment pas encore en tête l’i­dée de vendre des télé­phones. Quelques années plus tard, cette déci­sion prise très tôt sur la base d’une intui­tion a per­mis à Apple de péné­trer en force le mar­ché de la télé­pho­nie mobile. Non seule­ment les appli­ca­tions déve­lop­pées par des tiers par­ti­cipent pour une part impor­tante au suc­cès de l’i­Phone, mais Apple tire une nou­velle source de reve­nus de la com­mer­cia­li­sa­tion de ces applications. 

L’in­tui­tion y joue un rôle cen­tral. Du point de vue de l’in­no­va­tion, le cas d’Apple est rela­ti­ve­ment simple car c’est la même per­sonne qui a l’in­tui­tion des nou­velles oppor­tu­ni­tés et qui décide in fine des choix d’in­ves­tis­se­ment. Dans la majo­ri­té des cas, le pro­ces­sus est plus dis­tri­bué. Une intui­tion naît chez un collaborateur. 

Elle peut avoir pour ori­gine une ren­contre avec un client, des dis­cus­sions avec des par­te­naires, un échange avec d’autres col­la­bo­ra­teurs, la confron­ta­tion avec une nou­velle tech­no­lo­gie, une obser­va­tion. Ce col­la­bo­ra­teur nour­rit son intui­tion par des dis­cus­sions avec des per­sonnes en qui il a confiance, expé­ri­mente, recueille de nou­velles infor­ma­tions au gré de ses disponibilités. 

Et ce n’est que lorsque ses réflexions sont suf­fi­sam­ment matures qu’il décide de construire un argu­men­taire pour convaincre des déci­deurs. Les déci­deurs, de leur côté, doivent faire le tri entre les dif­fé­rents pro­jets qui leur sont sou­mis, sans avoir tous les élé­ments en main pour juger objec­ti­ve­ment de la qua­li­té intrin­sèque des projets. 

Stimuler la créativité

Les choix opé­rés par les déci­deurs sont rare­ment ano­dins sur le plan humain 

Cette étape du pro­ces­sus est sen­sible et selon les contextes, elle sera plus ou moins natu­relle et rapide. Elle est par essence incon­trô­lable car elle est offi­cieuse et repose sur des ini­tia­tives individuelles. 

Cepen­dant, il existe des solu­tions pour la sti­mu­ler : pla­ni­fier à échéances régu­lières des temps dédiés pour échan­ger autour des idées en dehors des contraintes opé­ra­tion­nelles, orga­ni­ser des ate­liers créa­tifs pour explo­rer des nou­veaux sujets dans un contexte sécu­ri­sant et sti­mu­lant, confron­ter régu­liè­re­ment les déci­deurs aux der­nières avan­cées tech­no­lo­giques, créer des espaces d’ex­pé­ri­men­ta­tion, accom­pa­gner les inno­va­teurs pour pro­mou­voir leur projet. 

Prises de décision

Dans toutes les phases du pro­ces­sus d’in­no­va­tion, les déci­deurs sont sol­li­ci­tés pour opé­rer des choix par­mi les dif­fé­rentes options pos­sibles. L’ab­sence de prise de déci­sion est d’ailleurs sou­vent citée comme un frein à l’innovation. 

La force du rêve 
Les équipes seront d’au­tant plus moti­vées pour atteindre un objec­tif que ce der­nier les fait rêver. Un client achè­te­ra plus volon­tiers un pro­duit s’il com­porte une part de rêve. Un pro­jet qui fait rêver un déci­deur aura plus de chances d’être rete­nu. Amor­cer un pro­ces­sus d’in­no­va­tion par une phase de rêve est un outil puis­sant pour fédé­rer les éner­gies et favo­ri­ser l’é­mer­gence de pro­jets stra­té­giques. C’est éga­le­ment un moyen effi­cace pour désa­mor­cer les jeux poli­tiques qui sont un frein impor­tant à l’innovation.
Il est d’ailleurs tou­jours sur­pre­nant d’ob­ser­ver la qua­li­té de réflexion d’un groupe qui a com­men­cé par rêver. 

L’au­to­no­mie des déci­deurs dans les étapes de sélec­tion est un para­mètre impor­tant. Diluer le pro­ces­sus de déci­sion limite sou­vent la por­tée des inno­va­tions. En revanche, il est éga­le­ment impor­tant d’a­li­men­ter les réflexions des déci­deurs avec des élé­ments d’a­na­lyse les plus objec­tifs possible. 

Les choix opé­rés par les déci­deurs sont rare­ment ano­dins sur le plan humain, et de nom­breux para­mètres biaisent la ratio­na­li­té des débats : jeux poli­tiques, conflits d’e­go, logiques de défense d’in­té­rêts par­ti­cu­liers. Il n’est pas rare, par exemple, que des débats d’ap­pa­rence tech­nique soient moti­vés par des enjeux personnels. 

Innovations perturbatrices

Les biais sont d’au­tant plus impor­tants que l’in­no­va­tion est per­tur­ba­trice à l’é­gard de l’or­ga­ni­sa­tion : inno­va­tions qui impliquent une redé­fi­ni­tion des fron­tières entre les dif­fé­rents métiers, inno­va­tions trans­ver­sales à plu­sieurs enti­tés, inno­va­tions qui remettent en ques­tion les com­pé­tences des équipes en place, par exemple. Dans ce cas, l’ap­port d’un consul­tant exté­rieur est par­ti­cu­liè­re­ment utile pour opti­mi­ser le pro­ces­sus de déci­sion. Cette inter­ven­tion pour­ra prendre des formes variées : ani­ma­tion des réunions pour garan­tir la ratio­na­li­té des débats, ani­ma­tion d’un groupe de réflexion trans­ver­sal pour favo­ri­ser une logique de construc­tion com­mune, recueils de points de vues en face à face, enquêtes ter­rain, construc­tion de grilles d’a­na­lyse ad hoc, par exemple. 

Aboutir au succès

L’in­no­va­tion est un pro­ces­sus trans­ver­sal qui implique tous les métiers et s’en­ri­chit de mul­tiples contri­bu­tions. C’est aus­si une zone de fric­tion où se côtoient des acteurs de cultures dif­fé­rentes. Mettre en scène les ren­contres qui émaillent la vie d’un pro­jet inno­vant est un para­mètre impor­tant pour que les richesses por­tées par les dif­fé­rents acteurs de l’in­no­va­tion se com­plètent pour abou­tir à un succès.

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