Cinq fois plus d’énergie et moins d’effet de serre

Dossier : ExpressionsMagazine N°635 Mai 2008Par François LEMPÉRIÈRE (45)

La majeure par­tie de l’utilisation mon­diale d’énergie concerne un mil­liard d’habitants des pays indus­tria­li­sés. Il est pro­bable que, dans la deuxième moi­tié du siècle, dix mil­liards d’utilisateurs mon­diaux auront en moyenne atteint le reve­nu actuel des pays indus­tria­li­sés, avec une consom­ma­tion d’énergie par habi­tant plus faible, mais du même ordre.
 

En esti­mant à 50 000 TWh par an les besoins mon­diaux en éner­gie élec­trique en 2050, la répar­ti­tion vrai­sem­blable, sans sto­ckage d’énergie, peut être esti­mée à envi­ron un tiers pour chaque source d’énergie (nucléaire, fos­sile et renouvelable).
Avec sto­ckage d’énergie selon la tech­nique des lacs Éme­raudes, la répar­ti­tion tombe à envi­ron 25 % pour le nucléaire, 25 % pour les éner­gies fos­siles et 50 % pour les éner­gies renouvelables.
En esti­mant à 80 000 TWh par an les besoins mon­diaux en éner­gie élec­trique en 2070, la répar­ti­tion vrai­sem­blable, sans sto­ckage d’énergie, peut être esti­mée à envi­ron 50 % pour l’énergie nucléaire, 25 % pour les éner­gies fos­siles et 25 % pour les éner­gies renouvelables.
Avec sto­ckage d’énergie, la répar­ti­tion devient envi­ron 20 % pour le nucléaire, 10 % pour les éner­gies fos­siles et 70 % pour les éner­gies renouvelables 

On peut tabler sur une consom­ma­tion mon­diale d’énergie cinq fois plus forte qu’actuellement, équi­va­lente par an à cin­quante mil­liards de tonnes de com­bus­tible fos­sile, uti­li­sée en grand par­tie sous forme de 80 à 100 000 TWh d’énergie élec­trique (au lieu de 15 000 TWh actuel­le­ment). L’électricité sera uti­li­sée sur de très vastes réseaux faci­li­tant le choix des empla­ce­ments de géné­ra­tion d’énergie, et éven­tuel­le­ment de son sto­ckage ; l’électricité sera pro­ba­ble­ment uti­li­sée aus­si pour l’essentiel des trans­ports, route com­prise (véhi­cules élec­triques ou à hydro­gène) et pour l’habitat en com­plé­ment du solaire thermique. 

Trois types d’énergies renouvelables

Une pro­duc­tion d’électricité basée, comme actuel­le­ment, à 80 % sur des éner­gies fos­siles condui­rait à un réchauf­fe­ment cli­ma­tique peu accep­table et à l’épuisement, vers 2100, de toutes les réserves connues de com­bus­tibles fos­siles (2 000 mil­liards de tonnes de char­bon, pétrole ou gaz) et de toutes les réserves d’uranium 235. C’est donc l’essentiel de la pro­duc­tion qui doit être assu­ré, dès que pos­sible, par des éner­gies renou­ve­lables. Celles-ci sont de trois sortes : les sur­gé­né­ra­teurs nucléaires qu’on peut assi­mi­ler à de l’énergie renou­ve­lable vu leur très faible consom­ma­tion de com­bus­tible ; c’est une option plau­sible mais dis­cu­tée qui pré­sente encore beau­coup d’incertitudes : il serait hasar­deux de baser l’avenir de l’humanité sur cette seule option, qui peut cepen­dant à terme avoir un rôle impor­tant lié à un coût com­pé­ti­tif ; les éner­gies tota­le­ment renou­ve­lables autres que le soleil ou le vent et notam­ment l’hydraulique, la géo­ther­mie et la bio­masse : mal­heu­reu­se­ment leur poten­tiel réa­liste total, à un coût accep­table, paraît limi­té à 15 000 TWh/an ; l’énergie solaire pho­to­vol­taïque et l’énergie éolienne, com­plé­men­taires géo­gra­phi­que­ment : les régions les moins enso­leillées (notam­ment les plus indus­tria­li­sées) ont géné­ra­le­ment beau­coup de poten­tiel éolien. L’intérêt capi­tal de ces éner­gies est leur poten­tiel uti­li­sable, très supé­rieur à tous les besoins à long terme. Le coût de l’éolien est déjà com­pé­ti­tif ; le coût du solaire pho­to­vol­taïque, encore éle­vé actuel­le­ment, sera pro­ba­ble­ment très accep­table dans une dizaine d’années dans les pays enso­leillés à faible coût de main d’œuvre, c’est-à-dire pour la grande majo­ri­té de la popu­la­tion mon­diale. L’impact envi­ron­ne­men­tal est très accep­table pour l’énergie solaire ; le déve­lop­pe­ment éolien alle­mand ou espa­gnol et les pos­si­bi­li­tés éoliennes off­shores montrent que cette solu­tion peut éga­le­ment vaincre les réti­cences actuelles qui ne paraissent pas à la hau­teur de l’enjeu.

Une fourniture intermittente

Le seul obs­tacle réel à une uti­li­sa­tion majeure de ces éner­gies est l’intermittence de la four­ni­ture limi­tée au tiers du temps ; elles paraissent ain­si devoir être asso­ciées à une éner­gie fos­sile pour les deux tiers du temps, c’est-à-dire d’importance double ; comme on veut jus­te­ment réduire l’emploi de ces éner­gies fos­siles à 20 % des besoins, la part de l’énergie élec­trique solaire et éolienne serait limi­tée à dix pour cent.
Cette limi­ta­tion est basée sur l’hypothèse géné­ra­le­ment admise qu’on ne peut sto­cker l’énergie à un prix accep­table ; or cette hypo­thèse est inexacte pour les quan­ti­tés en jeu. 

L’hypothèse géné­ra­le­ment admise qu’on ne peut sto­cker l’énergie à un prix accep­table est inexacte 

En sto­ckant ces éner­gies un ou deux jours, le besoin d’énergie fos­sile est limi­té aux absences longues de vent ou de soleil, c’est-à-dire à 10 ou 20 % de l’énergie annuelle. L’énergie solaire et éolienne peut alors être cinq fois l’énergie fos­sile au lieu de la moi­tié de cette éner­gie fos­sile en l’absence de stockage.
Le sto­ckage d’énergie néces­saire sera en fin de siècle de l’ordre de 200 TWh. Les 100 sta­tions de pom­page entre deux lacs exis­tant actuel­le­ment dans le monde ne stockent que quelques téra­watt­heures mais la tech­nique en est tota­le­ment maî­tri­sée et le coût acceptable.
La dif­fi­cul­té de créer deux très grands lacs proches avec forte déni­ve­lée limi­te­ra pro­ba­ble­ment à 10 ou 20 % des besoins ce sto­ckage sous cette forme usuelle mais il est pos­sible d’obtenir le sto­ckage néces­saire soit en pom­pant entre la mer et des bas­sins hauts ter­restres, soit entre la mer et des bas­sins hauts (de l’ordre de 50 mètres au-des­sus de la mer) créés à l’intérieur d’atolls artificiels. 


Bar­rage de Grand’Maison (bas­sin amont).

L’Eau d’Olle

Mis en ser­vice en 1995, le bar­rage de Grand’Maison est situé entre les mas­sifs de Bel­le­donne et des Grandes Rousses à une alti­tude de 1 700 m.
Sa puis­sance est de 1 800 MW. Asso­cié au bar­rage du Ver­ney, situé en aval, il consti­tue l’ensemble hydro­élec­trique du val­lon de l’Eau d’Olle, sta­tion de trans­fert d’énergie par pompage. 

L’usine, située sur les rives du lac du Ver­ney, peut être uti­li­sée selon la pro­duc­tion et la demande sur le réseau élec­trique, soit pour pro­duire de l’électricité (en tur­bi­nant l’eau comme une usine hydro­élec­trique clas­sique), soit pour sto­cker de l’énergie en inver­sant le fonc­tion­ne­ment des tur­bines, l’eau de la rete­nue infé­rieure étant alors pom­pée vers la rete­nue supérieure. 

L’énergie uti­li­sée pour mon­ter l’eau dans la rete­nue de Grand’Maison cor­res­pon­dant à la sur­pro­duc­tion d’électricité en période de basse consom­ma­tion est essen­tiel­le­ment d’origine nucléaire. 


Le lac Ver­ney (bas­sin aval).

Les lacs Émeraudes

Cette der­nière solu­tion (les lacs Éme­raudes) évite les impacts ter­restres de l’hydroélectricité clas­sique et ne fait appel qu’à des tech­niques maî­tri­sées : brise-lames clas­siques, bar­rages, cen­trales de pom­page. Et il existe en mer mon­dia­le­ment de très nom­breuses vastes zones planes peu pro­fondes avec un sol favo­rable de sable, gra­vier ou rocher. Quelques cen­taines d’atolls seront néces­saires (par exemple, cinq atolls de 10 à 15 kilo­mètres de dia­mètre suf­fi­ront en fin de siècle pour 100 mil­lions d’usagers). Cet inves­tis­se­ment, néces­si­tant pen­dant cin­quante ans un pour mille du reve­nu mon­dial, pour­ra être uti­li­sé ensuite pen­dant des siècles. L’importance et la sou­plesse de ces sto­ckages per­met­tront éga­le­ment une adap­ta­tion facile à la grande varia­bi­li­té de la demande d’énergie et une opti­mi­sa­tion de l’utilisation de toutes les sources d’énergie. Ces sto­ckages pour­ront aus­si être uti­li­sés pour d’autres res­sources inter­mit­tentes : maré­mo­trices, vagues.

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