Les opérateurs ferroviaires de proximité, une idée d’avenir

Dossier : Le fret ferroviaireMagazine N°699 Novembre 2014
Par Jacques CHAUVINEAU (60)
Par André THINIÈRES (59)

L’apogée du fret fer­rovi­aire en France et en Europe a coïn­cidé avec celle de l’industrie lourde avec laque­lle il était en osmose. Louis Armand (24), ingénieur vision­naire, avait su bous­culer les archaïsmes d’alors, mobilis­er les tech­nolo­gies, créer l’élan humain qui car­ac­térise les grandes mutations.

“ Les marchandises ne se regroupent pas spontanément comme le font les voyageurs ”

Les trafics lourds étaient traités par trains entiers à haute pro­duc­tiv­ité. À côté de ce socle d’activité très rentable, la SNCF avait conçu un ser­vice, le « lotisse­ment », organ­isé autour d’un réseau de triages-relais offrant un ser­vice pour les envois dis­per­sés de petite et moyenne taille, aujourd’hui qual­i­fiés de wag­ons isolés, et avait dévelop­pé avec des parte­naires routiers une offre de trans­port combiné.

Cette organ­i­sa­tion a longtemps don­né sat­is­fac­tion. Elle reste une référence cheminote.

REPÈRES

Les mutations de l’économie, le recul relatif des flux lourds, l’évolution du transport vers la logistique, l’exigence des flux tendus et de fiabilité correspondante, la croissance de la part des envois diversifiés de petite et moyenne taille, wagons isolés, aux destinations dispersées dans l’Europe et le monde, ont bouleversé le marché. La route s’est remarquablement adaptée à l’exigence logistique.
Le rail a perdu du temps, y compris le combiné qui a perdu des parts de marché. Mais il n’a pas dit son dernier mot, notamment parce que son apport écologique est valorisable auprès du client final et de la collectivité.

Une nouvelle donne

Pris isolé­ment aucun envoi dif­fus ne peut être rentable. Et les marchan­dis­es ne se regroupent pas spon­tané­ment comme le font les voyageurs.

UN DÉFI À RELEVER

La récente Conférence pour la relance du fret ferroviaire a mis en évidence l’attente de tous les secteurs de l’économie d’une offre ferroviaire compétitive et fiable tant pour les envois de wagons isolés que pour le transport combiné. Le ferroviaire français doit relever ce défi pour rester un maillon fort de l’Europe ferroviaire, contribuer au redressement industriel et valoriser son savoir-faire technique et humain.

Le rail mod­erne est donc con­fron­té à un dou­ble défi : d’une part s’inscrire avec une haute fia­bil­ité dans la chaîne logis­tique de cha­cun de ses clients ; d’autre part organ­is­er les syn­er­gies inter­clients généra­tri­ces de pro­duc­tiv­ité, tant pour la séquence ter­mi­nale que pour la séquence longue distance.

Ce lien logis­tique nou­veau doit s’enraciner dans les territoires.

Le posi­tion­nement géopoli­tique de la France, au car­refour de l’Europe atlan­tique, l’atout, encore peu val­orisé, de ses façades mar­itimes et la faible part de marché du fer­rovi­aire dans les ports français font de l’avenir du fret fer­rovi­aire une ques­tion économique, écologique et poli­tique majeure.

De bonnes con­nex­ions à l’Europe fer­rovi­aire seront un atout pour nos ter­ri­toires et leurs entreprises.

Une situation alarmante

Décom­po­si­tion du traf­ic fer­rovi­aire sur le sol français, mil­liards de T.Km
Les trois seg­ments du fret fer­rovi­aire ont évolué très dif­férem­ment depuis sept ans : pour assainir ses comptes, Fret SNCF a réduit son offre de wag­ons isolés (passée de 750 000 à 180 000), alors que les entre­pris­es alter­na­tives se focal­i­saient sur le train entier, dont le vol­ume total a légère­ment aug­men­té depuis 2007, tan­dis que le com­biné bais­sait de 30 %.
B. Meignien — Sétra 2013 — Sources divers­es.

La sit­u­a­tion du fret fer­rovi­aire français est alar­mante. La France et l’Allemagne ont longtemps fait jeu égal. En 2000, la part de marché du rail y était la même, 15 %. En dix ans le traf­ic a aug­men­té de 43 % out­re-Rhin, la part de marché aug­men­tant légère­ment à 16 %, alors qu’en France le traf­ic chutait de 40 %, la part de marché tombant à 10 %.

L’effet de l’introduction de la con­cur­rence a été très dif­férent dans les deux pays. Depuis 1994 en Alle­magne, DB Schenker, l’opérateur his­torique, est en crois­sance, et les nou­veaux opéra­teurs ont atteint pro­gres­sive­ment 30 % ; c’est un effet gag­nant-gag­nant pour tous, y com­pris les quelque soix­ante-dix opéra­teurs locaux ter­ri­to­ri­aux et por­tu­aires qui jouent un rôle impor­tant dans la vital­ité ferroviaire.

En France, à par­tir du 1er avril 2006, les nou­veaux opéra­teurs ont pris en sept ans une part de marché de 34 %, mais cela est large­ment dû à la réduc­tion volon­taire d’activité de SNCF Geo­dis sur le marché du wag­on isolé qu’ils n’ont pas, et de loin, compensée.

Con­traire­ment à une idée répan­due, cette chute n’est pas due à la con­cur­rence. Elle s’explique d’une part par la dis­per­sion ter­ri­to­ri­ale de notre économie, d’autre part par la dis­ten­sion du lien ter­ri­to­r­i­al du rail et sa faible adapt­abil­ité locale, liée à sa cen­tral­i­sa­tion « à la française ».

Évolutions respectives des trafics de fret ferroviaire en Allemagne et en France
Évo­lu­tions respec­tives des trafics de fret fer­rovi­aire en Alle­magne et en France
B. Meignien, Sétra 2013. Parts modales : rail, route, fleuve, pipelines. Sources : SOeS (r : don­nées révisées),
VDV (c : don­nées cor­rigées — parts modales avant 2002), Wet­tb­werb­s­bericht DB 2013, 2012 et 2007.

Un nouveau genre d’opérateur ferroviaire

Avant même l’introduction de la con­cur­rence, Patrice Raulin (66), alors directeur des Trans­ports ter­restres, s’est inquiété des effets du plan de SNCF Geo­dis, visant le retour à l’équilibre de son activ­ité fer­rovi­aire, se traduisant par un aban­don des trafics non renta­bles, légitime du point de vue du groupe, mais qui provouait une chute du fer­rovi­aire en voie de devenir inévitable

Il a pro­posé au min­istre des Trans­ports de l’époque, Gilles de Robi­en, en accord avec Alain Rous­set, prési­dent de l’Association des Régions de France, Louis Gal­lois, prési­dent de la SNCF, et Jean-Pierre Duport, prési­dent de RFF, de lancer une mis­sion con­fiée à Jacques Chau­vineau (60), ini­ti­a­teur du TER au sein de la SNCF. Il s’agissait d’explorer de nou­velles modal­ités d’ancrage du fer­rovi­aire dans les ter­ri­toires ; sa faible adapt­abil­ité et le coût élevé des séquences ter­mi­nales, éval­ué à près de 50 % du coût total, pénalise toute la chaîne fer­rovi­aire et logis­tique. Le pre­mier rap­port de cette mis­sion recom­mandait la créa­tion d’opérateurs fer­rovi­aires de proximité.

Neuf ans après

Le con­cept s’est imposé. Les pre­miers OFP se sont créés sous l’impulsion notam­ment de Hubert du Mes­nil (69), alors prési­dent de RFF, qui y voy­ait la recon­sti­tu­tion d’un effet de réseau par­tant d’initiatives décentralisées.

“ Explorer de nouvelles modalités d’ancrage du ferroviaire dans les territoires ”

Le pre­mier OFP, dans le Niver­nais-Mor­van, notam­ment en mon­trant l’ampleur des économies pos­si­bles dans la remise en état et l’entretien de lignes capil­laires fret, a mobil­isé des chargeurs, les groupes Lafarge et Eiffage, qui sont entrés au cap­i­tal. Il a péren­nisé une ligne desser­vant des car­rières de gran­u­lats et de bal­last, men­acée d’être fermée.

À ce jour, sept OFP sont opéra­tionnels dans les ports et les ter­ri­toires, ren­dant crédi­ble leur via­bil­ité économique.

Suff­isam­ment pour sus­citer la créa­tion d’une hold­ing, Régio­rail, à l’initiative d’un com­mis­sion­naire de trans­port belge, Euro­rail, et d’une hold­ing fer­rovi­aire basée en Penn­syl­vanie, Rail Devel­op­ment Cor­po­ra­tion, con­va­in­cue de l’avenir européen des OFP. Regio­rail est entré au cap­i­tal de plusieurs OFP.

OBJECTIF OFP

Devant l’ampleur des enjeux fret et la lenteur de la propagation des OFP, un certain nombre d’acteurs économiques, en complet accord avec Dominique Bussereau, ministre des Transports, lui-même très convaincu du caractère stratégique des OFP, ont décidé de créer l’association Objectif OFP, destinée à aider à la création de ces nouveaux acteurs.
Objectif OFP s’est créée en janvier 2010.
Les membres fondateurs, CCI France, CGPME, FIF, TLF, UPF, AFPI et RFF, ont reçu le support initial de la CDC, de FNTP et FNTR. Depuis, tous les OFP indépendants des grandes entreprises ferroviaires ont adhéré.

Ces pre­miers pas des OFP ont aus­si mon­tré leur fragilité dans un univers fer­rovi­aire français„ con­traire­ment à son homo­logue alle­mand (cen­tral­isé et peu ouvert, voire méfi­ant, à l’égard de l’initiative et de la diver­sité locales). Les OFP sont des PME fer­rovi­aires ter­ri­to­ri­ales aux moyens humains séden­tarisés et poly­compé­tents, adapt­a­bles à la réal­ité de l’ac­tiv­ité de leur territoire.

Elles réduisent le coût des dessertes ter­mi­nales, point faible du trans­port fer­rovi­aire fret, et lui appor­tent une présence com­mer­ciale et logis­tique spé­cial­isée, con­cen­trée sur un ter­ri­toire restreint. Elles peu­vent aus­si assur­er des trains com­plets sur des dis­tances pertinentes.

Leur autonomie, organ­i­sa­tion­nelle et économique, leur donne l’initiative entre­pre­neuri­ale et la créa­tiv­ité indis­pens­ables pour répon­dre à la diver­sité des besoins d’une économie com­plexe, inac­ces­si­bles à une organ­i­sa­tion centralisée.

Cette mas­si­fi­ca­tion active mul­ti­clients, mul­ti­pro­duits, au sein d’un même ter­ri­toire, peut redonner une per­ti­nence économique à la desserte fer­rovi­aire d’entreprises que les organ­i­sa­tions tra­di­tion­nelles ne savent plus assurer.

Elle per­met aus­si de mix­er des envois con­ven­tion­nels et com­binés, per­me­t­tant une offre dans des zones n’ayant pas le poten­tiel pour un train com­biné spé­cial­isé. Cer­tains flux dens­es, poten­tielle­ment traita­bles par trains entiers, peu­vent être étalés et lis­sés dans le temps pour devenir des « flux socles » régu­lar­isés, autour desquels se con­densent d’autres envois de plus petite taille vers des des­ti­na­tions homogènes.

Ce tra­vail de mutu­al­i­sa­tion ter­ri­to­ri­ale est de nature à aug­menter la charge des con­vois, donc la pro­duc­tiv­ité des opéra­teurs à longue distance.

DEUX OPÉRATEURS FERROVIAIRES DE PROXIMITÉ

RÉGIORAIL LR (TPCF) PYRÉNÉES-ORIENTALES

Train de fret de Régiorail LRL’OFP est né de la réaction des collectivités territoriales, qui n’acceptaient plus de voir croître le trafic routier dans la vallée de l’Agly, tandis que le trafic ferroviaire s’effondrait sur la ligne Rivesaltes- Saint-Martin-Lys (450 000 tonnes en 1994,10 000 tonnes en 2009).
TPCF, opérateur de train touristique, est sollicité.
2010 : Licence et certificat de sécurité pour TPCF Fret et début des opérations.
2012 : TPCF, pour financer son développement, change de modèle et Régiorail entre au capital.
2013 : 150 000 tonnes.
TPCF développe un service régional (pâte à papier Saint-Gaudens, alumine Gardanne, bois Caudiès et Castres, manœuvre au Boulou).
Effectif : 19 personnes, 5 locomotives. Équilibre financier.


OFP ATLANTIQUE

Train de fret OFP atlantiqueLe Port de La Rochelle a créé en 2010 un opérateur ferroviaire portuaire : OFP La Rochelle, actionnariat Port (75,1 %), ECR (24,9 %), afin d’accompagner le développement du port en réalisant le transport ferroviaire de marchandises à origine ou destination du port pour tout client sur l’ensemble du territoire français.
Début de l’exploitation le 8 octobre 2010, base 2 trains par semaine.
2012 : 1 train par jour, 250 000 tonnes. Résultat en équilibre. Le Port de Nantes entre au capital, OFP Atlantique est créé (La Rochelle 50,2 %, Nantes 24,9 %, ECR 24,9 %).
2013 : 350 000 tonnes constituées de céréales, produits pétroliers, pâte à papier et de flaconnage.
Effectif : environ 20 personnes, 4 locomotives. Bénéficiaire.

Relancer le fret ferroviaire, une préoccupation au plus haut niveau

La récente Con­férence pour la relance du fret fer­rovi­aire lancée par le min­istre des Trans­ports, Frédéric Cuvil­li­er, a mobil­isé des acteurs économiques et des pro­fes­sion­nels de la logis­tique pour explor­er de nou­velles voies de développe­ment du fret fer­rovi­aire, notam­ment en insis­tant sur l’indispensable sim­pli­fi­ca­tion de la régle­men­ta­tion et le rôle des tech­nolo­gies numériques.

“ Redonner une pertinence économique à la desserte ferroviaire d’entreprises ”

Le groupe « Fret fer­rovi­aire et prox­im­ité », présidé par CCI France, a pro­posé un pro­gramme d’action que les forces économiques, inquiètes de la sit­u­a­tion du fret fer­rovi­aire, ont d’ores et déjà engagé, dans la lim­ite de leurs possibilités.

Ce pro­gramme repose sur la sen­si­bil­i­sa­tion des acteurs économiques locaux à l’enjeu ter­ri­to­r­i­al du fret et l’importance pour eux de s’impliquer dans sa relance. Il s’agit de généralis­er une dynamique de « clus­ter­i­sa­tion » déjà amor­cée et de provo­quer une appro­pri­a­tion de l’enjeu fret par les acteurs économiques.

Cela implique en par­ti­c­uli­er d’informer les trans­porteurs et logis­ti­ciens locaux des instal­la­tions fer­rovi­aires d’un ter­ri­toire et de leur état en vue d’éventuelles ini­tia­tives logistiques.

Des pistes ferroviaires nouvelles

“ Les OFP sont le premier maillon du fret ferroviaire de demain ”

L’esprit de la Con­férence se pro­longe par l’examen de pistes fer­rovi­aires nou­velles : don­ner accès aux OFP, en péri­ode de démar­rage, à des matériels anciens amor­tis non util­isés, don­ner la pos­si­bil­ité aux chemins de fer touris­tiques d’étendre leur activ­ité au fret, rechercher, en parte­nar­i­at avec leurs util­isa­teurs, la sim­pli­fi­ca­tion de l’entretien et des modal­ités d’exploitation des lignes capillaires.

Les OFP sont le pre­mier mail­lon du fret fer­rovi­aire de demain, activ­ité indus­trielle com­plexe, mul­ti­ac­teurs, qui devra artic­uler trois échelles spa­tiales : ter­ri­to­ri­ale, nationale, européenne.

Ils illus­trent la capac­ité d’initiative et d’innovation qui existe dans les ter­ri­toires mais aus­si la dif­fi­culté française à sur­mon­ter les iner­ties et obsta­cles qui la brident.

NAISSANCE DES PGI

En 2009, à l’initiative du ministre des Transports, Dominique Bussereau, la loi a autorisé RFF à confier l’entretien de lignes spécialisées au fret à des prestataires autres que SNCF Infra. Le but était de cibler un entretien plus adapté au trafic attendu. Ces « PGI », prestataires gestionnaires d’infrastructure, ont notablement abaissé le coût d’entretien de certaines lignes, contribuant à en consolider la pérennité. De même, les ports ont délégué la maintenance de leurs voies à des PGI portuaires.
À ce jour, quatre PGI sont en activité sur le réseau ferré national, dont deux sont aussi des OFP, et neuf sont actifs dans les ports.

Poster un commentaire