La restructuration du transporteur historique est-elle achevée ?

Dossier : Le fret ferroviaireMagazine N°699 Novembre 2014
Par Sylvie CHARLES

Les dif­fi­cultés ren­con­trées sur l’activité de fret sont bien antérieures à la fin du mono­pole de la SNCF en trans­port fer­rovi­aire de marchan­dis­es, inter­v­enue en mars 2006.

Si une bonne logis­tique est un atout pour l’industrie, une indus­trie floris­sante sou­tient directe­ment l’activité des trans­porteurs, et notam­ment ceux faits pour mou­voir de gros vol­umes que sont le fer­rovi­aire, la barge ou le maritime.

REPÈRES

Le transport ferroviaire de marchandises est passé de 55,4 milliards de tonnes-kilomètres en 2000 à 32 milliards en 2013, toutes entreprises ferroviaires confondues. L’activité industrielle, soutien traditionnel de l’activité des transporteurs, est grosso modo trois fois plus faible en France qu’en Allemagne, qu’il s’agisse de la métallurgie ou de la production automobile.
Surtout, là où l’Allemagne a quasi retrouvé et parfois dépassé les niveaux de production d’avant la crise, la France, dans tous les secteurs, reste en deçà des niveaux de 2008 et est très loin de ce qu’elle produisait en 2000.

Des flux difficiles à maîtriser

Il a fal­lu atten­dre la créa­tion d’un min­istère du Redresse­ment pro­duc­tif pour que la désin­dus­tri­al­i­sa­tion du pays France soit reconnue.

On objectera que moins de pro­duc­tion sur place peut se traduire par plus d’importations et donc autant de trans­ports. C’est sans doute vrai, mais avec deux incon­vénients pour les trans­porteurs nationaux et le mode ferroviaire.

“ Une industrie florissante soutient directement l’activité des transporteurs ”

Tout d’abord, venant de l’extérieur, ces flux sont plus facile­ment maîtris­ables com­mer­ciale­ment par l’extérieur. Ensuite, ces envois s’effectuent sou­vent par plus petits lots, ce qui est moins favor­able au ferroviaire.

L’anémie rel­a­tive des ports français par rap­port à leurs grands con­cur­rents européens n’a dans le même temps pas con­sti­tué pour le fer­rovi­aire français un élé­ment de développement.

La route en concurrence avec le fer

Les impacts de la désin­dus­tri­al­i­sa­tion, de l’anémie por­tu­aire et de la général­i­sa­tion du juste-à- temps ont été d’autant plus impor­tants que, comme dans d’autres pays, le mode routi­er a durant la même péri­ode gag­né en compétitivité.

JUSTE-À-TEMPS

Le développement du « juste-à-temps » s’est généralisé du milieu des années 1980 jusqu’au début de ce siècle. Cette organisation, tirée par l’aval, se traduit par un besoin d’expéditions plus fréquent, mais de petits lots. En remontant vers l’amont, elle se caractérise par de moindres stocks aux différents stades, et donc là aussi, plus de fréquences mais de petits lots. Ce n’est pas favorable au transport de masse qu’est le ferroviaire.

D’abord, par un tra­vail intrin­sèque : équipement de tous les tracteurs en GPS, sys­tème d’information inté­gré per­me­t­tant notam­ment de ren­voy­er un camion une fois déchargé sur le point le plus proche de charge­ment, infor­ma­tion du client en temps réel sur l’état de son envoi ou l’heure de livraison.

Ensuite, en tirant par­tie de l’élargissement de l’Europe et de la pos­si­bil­ité d’employer des con­duc­teurs venus des pays de l’Est. La con­cur­rence de la route avec le fer porte sur la longue dis­tance et non la courte ou moyenne dis­tance qui con­cerne la distribution.

“ La rémunération des chauffeurs étrangers n’atteint pas la moitié du salaire français ”

Autant cette dernière est assurée majori­taire­ment par des chauf­feurs français, autant la longue dis­tance l’est par des non-nationaux, dont la rémunéra­tion se situe aux alen­tours de la moitié du salaire min­i­mum en vigueur en France.

Ces évo­lu­tions du mode routi­er expliquent large­ment les dif­fi­cultés qu’ont con­nues ou con­nais­sent encore tous les opéra­teurs his­toriques sur le wag­on isolé, qui n’a tiré aucun par­ti du développe­ment des petits lots mais a sou­vent été sub­mergé par les nou­veaux atouts de la route.

Un prix à la tonne

La SNCF, au tour­nant du siè­cle, est encore organ­isée pour traiter des vol­umes impor­tants cir­cu­lant sur des orig­ines et des­ti­na­tions rel­a­tive­ment sta­bles. Le directeur du fret à l’époque n’a pas la main sur les loco­mo­tives ou les con­duc­teurs de l’activité.

Les roule­ments sont mixtes, c’est-à-dire com­muns avec les activ­ités voyageurs. On les anticipe – et on les opti­mise – entre dix-huit mois et un an à l’avance.

“ Offrir une solution que le marché puisse acheter ”

Quant aux grands triages, la divi­sion extrême des tâch­es qui les car­ac­térise est typ­ique d’une organ­i­sa­tion indus­trielle devant traiter de gros vol­umes. La poli­tique tar­i­faire est sous-ten­due par la même réal­ité passée : on y vend encore large­ment à la tonne trans­portée, lais­sant ain­si au trans­porteur tout le risque – devenu, entre-temps, réel – sur le rem­plis­sage du train, sur lequel il n’a pour­tant pas la main.

Les con­séquences de ces élé­ments sont sans appel : le trans­port fer­rovi­aire de marchan­dis­es dimin­ue d’un quart tan­dis que les pertes sont mul­ti­pliées par cinq. Cette dou­ble crise, finan­cière et de traf­ic, a con­duit à engager une réflex­ion de fond sur l’activité, son envi­ron­nement et les leviers pour la rétablir.

Une restructuration d’ensemble

AU-DELÀ DES FRONTIÈRES

L’accent est mis sur une réforme profonde de la manière d’exploiter le wagon isolé ; sur le développement des transports combinés et des autoroutes ferroviaires. Le marché est appréhendé au-delà des frontières ; une plus grande efficacité interne, nécessaire, est recherchée, notamment par un rapprochement entre commerce et production sur refonte de processus et par une organisation beaucoup moins centralisée.

Il fau­dra atten­dre 2007 pour que les moyens et ressources néces­saires à la pro­duc­tion des trains de fret soient directe­ment rat­tachés à l’activité. Celle-ci, à fin 2008, avait enfin les leviers pour adapter son sys­tème de pro­duc­tion aux besoins des chargeurs.

Une restruc­tura­tion d’ensemble, faisant le lien entre besoins capt­a­bles, actuels et prévis­i­bles, des chargeurs ; pro­duits trains sus­cep­ti­bles d’y répon­dre, et manière de les pro­duire de manière effi­cace, deve­nait possible.

Dans le même temps, la crise finan­cière mon­di­ale fai­sait sen­tir ses effets à par­tir du sec­ond semes­tre 2008. En un an, les vol­umes bais­saient de 26 %. La route étant égale­ment très touchée, les prix routiers dimin­u­aient forte­ment. Les charge­ments remis au sys­tème du wag­on isolé s’effondraient, pas­sant de 524 000 wag­ons chargés en 2008 à 258 000 en 2009. En 2009, les pertes atteignaient 464 mil­lions d’euros.

Un schéma directeur

En sep­tem­bre de la même année 2009, le con­seil d’administration de SNCF adop­tait un sché­ma directeur pour un nou­veau trans­port écologique de marchan­dis­es, s’inscrivant dans cette réal­ité et retenant l’hypothèse d’une économie post­crise durable.

La crise finan­cière avait servi de révéla­teur, per­me­t­tant de partager quelques réal­ités. La vis­i­bil­ité des indus­triels sur leur pro­duc­tion n’est plus à un an et par­fois plus, mais bien à trois ou qua­tre mois.

L’orientation fon­da­men­tale votée par le con­seil est de met­tre l’énergie et les moyens là où le fer­rovi­aire a quelque chance d’être per­ti­nent, c’est-à-dire capa­ble d’offrir une solu­tion achetable par le marché.

À la fin de 2013, pour un chiffre d’affaires en baisse de 24 % par rap­port à 2009, les moyens engagés ont dimin­ué de 37 % à 45 %, per­me­t­tant de dimin­uer sen­si­ble­ment les pertes. Cette recherche de plus grande effi­cac­ité se pour­suit active­ment sur 2014 et doit con­tin­uer jusqu’à la fin de 2015.

Rechercher l’efficacité

Plusieurs voies sont retenues. Une nou­velle manière de pro­duire du wag­on isolé, des­tinée à assur­er une meilleure fia­bil­ité des délais tout en étant plus économe en coûts fix­es, fait appel à une con­cen­tra­tion des opéra­tions de dégroupage- groupage sur quelques grands hubs et un pilotage des liens entre desserte ini­tiale, trains d’axe et desserte terminale.

UNE VISION DES TERRITOIRES

Fret SNCF s’appuie sur ses atouts d’opérateur historique – sa capacité à mutualiser des ressources sur les flux de plusieurs clients –, mais l’entreprise le fait sur la base d’un dialogue structuré entre commerciaux et producteurs, gage d’un service adapté et de qualité pour les clients.
Cette manière de travailler conduit à une autre segmentation de la clientèle, non plus tant par secteurs d’activité que par caractéristiques des flux. Elle doit permettre une vision différenciée des territoires, le tout devant faciliter le placement de nouvelles offres ferroviaires sur le marché, allant un peu au-delà des quelques rares reprises de flux à la route ou au maritime que Fret SNCF comme les nouveaux entrants font à ce jour.

Pré­parée sur le sec­ond semes­tre 2009 et toute l’année 2010, la mise en œuvre s’est faite sur 2011. Après trois pre­miers mois dif­fi­ciles, elle est entrée dans une phase de qual­ité croissante.

De nom­breux rap­proche­ments d’unités de pro­duc­tion per­me­t­tent de réduire les frais d’encadrement (nom­bre d’unités divisé par deux depuis 2010).

Une remise à plat de toutes les fonc­tions d’appui visant à ne garder que celles qui appor­tent une réelle valeur aux clients ou à l’entreprise dimin­ue égale­ment les frais de struc­ture. Ces actions se sont traduites, par exem­ple, par une très nette amélio­ra­tion de la qual­ité de la fac­tura­tion tout en divisant par trois les effec­tifs néces­saires à cette fonction.

Une recon­fig­u­ra­tion pro­fonde de la manière de pro­duire des trains est enfin large­ment engagée. Il s’est agi tout à la fois de pren­dre en compte la moin­dre vis­i­bil­ité des chargeurs et le car­ac­tère fluc­tu­ant de leurs besoins, tout en visant des plans de trans­port indus­tri­al­isés, gage d’une meilleure util­i­sa­tion des moyens.

Marathon, essai de train de 1 500 m le 12 avril 2014, entre Sibelin et Nîmes. © SNCF

Le problème social

La restruc­tura­tion de Fret SNCF est-elle donc en passe de s’achever ? Au regard des objec­tifs fixés en 2009, on peut dire que leur obten­tion dépasse les 60 % et que le gros tiers restant est à portée de main.

Mais deux prob­lé­ma­tiques restent à traiter. La pre­mière con­cerne la déf­i­ni­tion d’un cadre social com­mun à tout le secteur fer­rovi­aire. Il faut faire con­verg­er deux sys­tèmes, notam­ment de durée et d’aménagement du temps de tra­vail, dont un, celui de la SNCF, est plus généreux en con­gés et encadrement des repos hebdomadaires.

Que ce soit sur le nom­bre de jours de con­gés, l’encadrement des repos, les ampli­tudes, le tra­vail de nuit, il y a suff­isam­ment d’exemples de tra­vail posté ou à fortes con­traintes dans d’autres secteurs pour qu’on essaie, au sein des organ­i­sa­tions patronales comme avec les syn­di­cats de salariés, de trou­ver les bons curseurs.

Le coût des péages

Un autre sujet, beau­coup plus menaçant pour l’ensemble des entre­pris­es de fret fer­rovi­aire, est celui du coût des péages et de l’entretien des lignes capillaires.

“ Définir un cadre social commun à tout le secteur ferroviaire ”

Grâce à une com­pen­sa­tion de l’État auprès de Réseau fer­ré de France (dont le verse­ment est sus­pendu depuis 2013), la France se situe dans la moyenne européenne de la tar­i­fi­ca­tion des sillons.

Dans la fourchette basse de cette moyenne, certes, mais c’est à met­tre en regard d’une excep­tion française : la qual­ité très dégradée des sil­lons fret depuis la fin 2009, du fait notam­ment de l’importance des travaux en cours sur le réseau. Cette qual­ité dégradée entraîne sou­vent une sur­con­som­ma­tion de ressources pour les entre­pris­es de fret fer­rovi­aire et empêche même le développe­ment de nou­velles offres.

En tout état de cause, dou­bler le prix-sil­lon met­trait la France hors moyenne et équiv­audrait à accroître les coûts du mode fer­rovi­aire entre 12 % et 16 %. L’arrêt de tout entre­tien des lignes capil­laires sig­ni­fie, lui, l’impossibilité pro­gres­sive de desservir l’essentiel des silos à grains et car­rières du pays, ain­si que cer­tains sites industriels.

L’impact direct peut être éval­ué à 25 % des trafics.

Sor­tir du déni de réal­ité, ren­tr­er dans les pos­si­bles et s’en saisir : Fret SNCF a mon­tré qu’il en était capa­ble. Reste à le faire avec tous les acteurs qui inter­vi­en­nent dans le sys­tème ferroviaire.

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