Développer la compétivité du transport par rail

Dossier : Le fret ferroviaireMagazine N°699 Novembre 2014
Par Alain SAUVANT (87)

REPÈRES

Le fret ferroviaire a la sollicitude des pouvoirs publics : il évite les nuisances du transport routier et est globalement considéré comme plus respectueux de l’environnement que la route. Pour une tonne-km transportée, un train électrique rejette 5 g de CO2, un train diesel 26 g et un tracteur routier 140 g.

Des politiques de soutien à logiques multiples

Le traf­ic de fret fer­rovi­aire en France a forte­ment chuté, puisqu’il représen­tait 74 mil­liards de tonnes-km en 1974 et moins de 30 en 2013, alors que le traf­ic crois­sait dans d’autres pays, notam­ment l’Allemagne.

Les poli­tiques mis­es en place par les pou­voirs publics ont en revanche été large­ment diver­gentes, par­tant de lec­tures dif­férentes sur les caus­es du déclin, et donc sur les mesures à pren­dre et les efforts qu’il con­vient d’y consacrer.

“ L’internalisation des coûts externes dans le transport routier de marchandises n’est pas le seul problème du fret ferroviaire ”

Une pre­mière approche con­siste à lier la mau­vaise san­té du fret fer­rovi­aire à l’équité des con­di­tions de con­cur­rence inter­modales entre le fer et la route, notam­ment du point de vue de la cou­ver­ture finan­cière des coûts externes occa­sion­nés (effet de serre, pol­lu­tion atmo­sphérique, bruit, acci­den­tolo­gie, etc.).

À cet effet, des esti­ma­tions de cette cou­ver­ture ont été effec­tuées par le min­istère chargé des Trans­ports, con­clu­ant à une insuff­i­sance d’internalisation des coûts externes dans le trans­port de marchan­dis­es à longue dis­tance, en tout cas pour les tra­jets n’empruntant pas les autoroutes à péage, et notam­ment pour le tran­sit si le car­bu­rant est acheté à moin­dre prix dans cer­tains pays étrangers.

La question des infrastructures

Une deux­ième approche incrim­ine la qual­ité des infra­struc­tures fer­rovi­aires sup­port des trafics de fret.

REDEVANCE POIDS LOURDS

Elle a été créée notamment pour rétablir l’équité des conditions de concurrence entre rail et route et devait également, selon le principe pollueur payeur, servir à financer des investissements de modernisation principalement dans les modes non routiers, dont le ferroviaire. Ce type de financement par péréquation existe déjà : par exemple, au pied des factures d’électricité, figure une contribution additionnelle qui sert notamment à financer les énergies renouvelables. Mais la redevance présente aussi l’inconvénient d’entraîner des impacts négatifs sur la compétitivité économique de territoires périphériques, à l’origine des mouvements sociaux dits des « bonnets rouges », et de la suspension gouvernementale de la mesure fin 2013.
Une nouvelle version de la redevance implémentée sur un réseau support plus court, recentré sur les itinéraires de transit, et accompagnée de diverses exemptions, a fait l’objet d’un vote favorable de l’Assemblée nationale en juin 2014, mais elle a été reportée sine die en octobre 2014.

Elles se com­posent des lignes prin­ci­pales du réseau fer­ré nation­al elles-mêmes, mais aus­si d’installations spé­ci­fiques (gares de triage, chantiers de trans­port com­biné, lignes capil­laires du réseau fer­ré, voies de ser­vice ou d’évitement, instal­la­tions ter­mi­nales embranchées, con­nex­ions aux instal­la­tions por­tu­aires, etc.). Sont notam­ment visées l’insuffisance de capac­ité des lignes prin­ci­pales, notam­ment dans la tra­ver­sée des prin­ci­paux noeuds, et la vétusté des instal­la­tions à faible trafic.

Con­cer­nant la capac­ité des prin­ci­paux noeuds, on pour­rait penser que celle-ci ne peut être inférieure glob­ale­ment à celle qui per­me­t­tait en 1974 un traf­ic fret égal à plus de deux fois celui d’aujourd’hui. Toute­fois, ce con­stat très glob­al est à nuancer : les aug­men­ta­tions du traf­ic des trains régionaux et des TGV (lorsqu’ils tra­versent les noeuds fer­rovi­aires) ont été sou­vent impor­tantes, réduisant la capac­ité disponible pour le fret.

Des solu­tions tech­niques d’augmentation de capac­ité dans les noeuds exis­tent, mais néces­si­tent sou­vent des investisse­ments coû­teux, sauf lorsqu’ils peu­vent aus­si béné­fici­er sig­ni­fica­tive­ment aux trafics voyageurs, ou si l’on peut se lim­iter à mod­erniser la signalisation.

Le car­ac­tère net­te­ment mieux mail­lé du réseau alle­mand, remon­tant à des choix stratégiques très anciens, est sûre­ment un des fac­teurs du dynamisme du fret fer­rovi­aire qui y dépasse 100 mil­liards de tonnes-km, con­tre moins de 30 en France.

Améliorer la productivité

Des investisse­ments per­me­t­tant une meilleure pro­duc­tiv­ité des trains peu­vent égale­ment être envis­agés : ain­si, un axe « maxi-per­fo » a été équipé pour accueil­lir des trains très longs, ce qui est utile pour la pro­duc­tiv­ité dans le trans­port com­biné (con­teneurs ou caiss­es mobiles sur le train) ; comme il s’agit d’un traf­ic plutôt « léger » (faible ton­nage par wag­on), c’est plutôt la longueur du train que sa masse qui est l’élément cri­tique dans ce cas.

Pour les trains con­ven­tion­nels (wag­ons chargés autrement que de caiss­es mobiles ou de con­teneurs), c’est la masse qui est le fac­teur lim­i­tant. Comme les coûts pro­gressent moins vite que les tonnes et les recettes avec la masse du train, son accroisse­ment est un fac­teur majeur de pro­duc­tiv­ité donc de compétitivité.

“ Une réforme de structure aux effets bénéfiques importants aux États-Unis ”

Les pays avec les mass­es de trains les plus impor­tantes (Amérique du Nord, Aus­tralie, Russie) sont ceux pour lesquels les coûts sont les plus faibles et la part modale du fret fer­rovi­aire est la plus élevée.

L’augmentation de gabar­it peut aus­si men­er à l’accroissement de la pro­duc­tiv­ité, mais sou­vent les coûts de ces opéra­tions au regard des avan­tages en lim­i­tent la per­ti­nence économique. L’électrification per­met d’allier per­for­mance économique et per­for­mance envi­ron­nemen­tale ; cepen­dant, la plu­part des axes avec un traf­ic suff­isant pour qu’elle soit per­ti­nente ont déjà été équipés.

Voies de service et d’évitement

Les voies de ser­vice ou d’évitement per­me­t­tent notam­ment le dou­ble­ment d’un train par un autre et donc un gain en capac­ité dans les lignes mixtes voyageurs- fret, majori­taires sur le réseau.

DÉVELOPPER LES CAPACITÉS

Des investissements permettant d’accueillir des nouveaux trafics peuvent être envisagés : ainsi ont été mis en place des aménagements d’infrastructures pour permettre l’établissement d’une autoroute ferroviaire du Luxembourg aux Pyrénées-Orientales, où les camions montent sur les trains. Ce nouveau trafic a globalement trouvé son marché, sans aides à l’exploitation, car la longueur du trajet y est suffisante (environ 1000 km) pour absorber les surcoûts aux terminaux, et le coût en infrastructures est resté très raisonnable (30 millions d’euros environ), les aménagements se limitant pour l’essentiel au dégagement d’obstacles bas.
Malheureusement, rares sont les cas où à la fois les conditions de marché (trajet long sur un itinéraire à fort trafic) sont favorables et les coûts de travaux raisonnables.

Toute­fois, l’entretien de ce pat­ri­moine dimen­sion­né du temps où le traf­ic de fret était net­te­ment plus impor­tant coûte cher et un effort de ratio­nal­i­sa­tion paraît per­ti­nent, le prob­lème prin­ci­pal con­sis­tant à déter­min­er ce qui est vrai­ment utile et ce qui l’est moins.

Un com­plé­ment à cette deux­ième approche con­siste à pro­gress­er dans l’exploitation de l’infrastructure. On peut par exem­ple y don­ner notam­ment des degrés de pri­or­ité con­trastés au fret par rap­port aux voyageurs, à la fois en ter­mes d’allocation de la capac­ité (sil­lons) ou en ter­mes d’exploitation en cas de sit­u­a­tion dégradée (ges­tion des pri­or­ités en cas de retards sur le réseau).

À cet effet, des pri­or­ités pour le fret ont été mis­es en place sur cer­taines lignes, au niveau de cor­ri­dors européens per­ti­nents. La dif­fi­culté est de faire coex­is­ter traf­ic voyageur et fret, même si des pro­grès liés aux nou­velles tech­nolo­gies infor­ma­tiques per­me­t­tent d’améliorer la ges­tion des cir­cu­la­tions et les capac­ités (voir le démon­stra­teur Sigifret).

Adapter les structures de production aux besoins des clients

Une troisième approche exam­ine la ques­tion de l’évolution des struc­tures de pro­duc­tion du fret fer­rovi­aire, et plus par­ti­c­ulière­ment l’ouverture du trans­port de fret fer­rovi­aire à la con­cur­rence. Le raison­nement sous-jacent est qu’un opéra­teur en mono­pole est sou­vent mar­qué par des efforts insuff­isants de pro­duc­tiv­ité, et de qual­ité d’écoute des utilisateurs.

“ La part modale du fret ferroviaire a cessé son déclin à partir de l’ouverture à la concurrence en 2006 ”

Les ques­tions de pro­duc­tiv­ité sou­vent évo­quées con­cer­nent le nom­bre de jours et d’heures de tra­vail par per­son­ne et par an, mais il y a d’autres élé­ments prob­a­ble­ment au moins aus­si impor­tants. Ain­si, des degrés con­trastés de poly­va­lence peu­vent amen­er à mul­ti­pli­er inutile­ment les agents, par exem­ple pour la livrai­son d’un groupe de wag­ons : l’un pour con­duire le train, l’autre pour décrocher les wag­ons et un troisième pour obtenir le doc­u­ment de récep­tion des wag­ons par le client.

Que l’évolution des struc­tures puisse apporter des résul­tats dans le fret fer­rovi­aire est démon­tré par le cas du « Stag­gers Act ». Aux États-Unis, vers 1980, cette loi a don­né une plus grande liber­té tar­i­faire aux opéra­teurs en con­trepar­tie de mesures favor­ables à la con­cur­rence entre les com­pag­nies, en faisant en sorte qu’une com­pag­nie puisse cir­culer sur le réseau d’une autre de manière à favoris­er la con­cur­rence entre axes et donc entre compagnies.

Cette réforme a apporté une divi­sion par deux du prix du fret fer­rovi­aire et un dou­ble­ment du traf­ic en vingt-cinq ans env­i­ron, cela sans apport d’argent public.

Une pro­duc­tiv­ité en forte crois­sance aux États-Unis depuis le Stag­gers Act (1980).

Ouverture à la concurrence en Europe

Chemins de fer de Classe I aux Etats-Unis
Chemins de fer de Classe I aux États-Unis, base 100 en 1981,
source AAR

Part modale du transport ferroviaire en France
Part modale du trans­port fer­rovi­aire en France

L’Union européenne a mis en place une réforme pro­con­cur­ren­tielle ouvrant le fret fer­rovi­aire à la con­cur­rence en 2003 (inter­na­tion­al) puis en 2007 (nation­al), avec une pre­mière cir­cu­la­tion d’un nou­v­el opéra­teur en 2005.

Compte tenu de la crise de 2008 qui a affec­té tous les modes de trans­port, les effets de cette ouver­ture appa­rais­sent mieux par un exa­m­en des parts modales du fer plutôt que du traf­ic fer­rovi­aire lui-même. De 2005, année de la pre­mière cir­cu­la­tion d’un train d’une nou­velle entre­prise fer­rovi­aire, à 2013, la part modale du fer est passée de 10,6 % à 9,6 %. Elle est donc en chute, mais à un rythme moin­dre que par le passé, puisque celui-ci passe de – 4,3 % à – 1,4 % par an.

La chute de la part modale avait con­nu un « plateau » entre 1993 et 2000 : ce diag­nos­tic reste donc à confirmer.

PEU DE TRAFIC DE LOTISSEMENT CHEZ LES NOUVEAUX OPÉRATEURS

La part de marché des nouvelles entreprises est proche du tiers de l’activité globale en 2013. L’analyse de leurs comptes montre que leurs prix et coûts de revient unitaire semblent globalement proches de 3,5 à 4 centimes par tonne-km environ. On peut donc estimer un coût de revient moyen tous opérateurs proche de 5 centimes par tonne-km en 2013.
Mais les nouveaux opérateurs ont pour l’instant plutôt choisi les trafics les moins coûteux à produire (les plus massifiés, donc peu de « lotissement » passant par des triages notamment), ce qu’on appelle l’écrémage.

Des prix stables et des coûts en baisse

Les prix uni­taires pra­tiqués tous opéra­teurs con­fon­dus ont été glob­ale­ment sta­bles ; l’explication vraisem­blable est que le prix routi­er est le prix « directeur », les prix fer­rovi­aires ne peu­vent dépass­er durable­ment les prix routiers sans que le traf­ic ne sorte du marché.

“ Un système de production du fret tous opérateurs confondus qui a amélioré sa productivité depuis 2005 ”

Les évo­lu­tions de coûts de revient sont plus déli­cates à expli­quer. On recon­stituera ci-après les coûts récur­rents en ajoutant aux recettes le résul­tat opéra­tionnel courant qui reflète prob­a­ble­ment le mieux la ten­dance de fond.

Pour bien com­pren­dre, il faut com­mencer par exam­in­er la sit­u­a­tion spé­ci­fique du pre­mier opéra­teur, Fret SNCF. Le traf­ic de Fret SNCF a été divisé par deux, pas­sant de 41 en 2005 à moins de 20 mil­liards de tonnes-km en 2013, sous le triple effet de la crise économique, de la baisse de la part modale du fret et de la baisse de la part de marché de cet opéra­teur au sein du fret ferroviaire.

Son prix moyen uni­taire a peu aug­men­té (env­i­ron 1% par an), du fait que le prix routi­er est le prix directeur ; les recettes ont donc chuté presque dans les mêmes pro­por­tions que les trafics. D’importantes réduc­tions de coûts ont été effec­tuées, mais en général avec un décalage d’environ six mois à un an après la chute des recettes et du trafic.

La chute de son activ­ité est par­ti­c­ulière­ment forte en 2009 et 2010 du fait de la vigueur de la crise économique. Comme les coûts sont en décalage par rap­port aux recettes, sa perte annuelle atteint un max­i­mum de l’ordre de 400 mil­lions d’euros en 2010.

Ensuite, le traf­ic et les recettes ne chutent plus que mod­éré­ment, ce qui per­met aux coûts de con­verg­er à nou­veau vers les recettes et aux pertes de se réduire. On arrive ain­si en 2013 à un niveau de pertes proche de celui de 2005.

Meilleure compétitivité

Recettes, coûts et résultat opérationnel de Fret SNCF
Recettes, coûts et résul­tat opéra­tionnel de Fret SNCF

En l’absence de réces­sion majeure, si le traf­ic de Fret SNCF se main­tient ou même ne baisse que mod­éré­ment, si l’on con­sid­ère que ses coûts se for­ment en pre­mière approche en décalage avec les recettes d’une année, cet opéra­teur devrait voir ses coûts con­verg­er vers ses recettes en quelques années, puis pro­gres­sive­ment vers celles de son envi­ron­nement concurrentiel.

On arriverait alors à un sys­tème de pro­duc­tion du fret tous opéra­teurs con­fon­dus glob­ale­ment plus pro­duc­tif qu’en 2005, avec, à aides publiques inchangées, des per­spec­tives de baisse des prix de vente, donc de plus grande com­péti­tiv­ité par rap­port à la route.

Il est cepen­dant encore un peu tôt pour analyser pleine­ment les mécan­ismes en jeu, mais il paraît vraisem­blable que la forte réces­sion de 2009 soit venue per­turber forte­ment le proces­sus de pro­duc­tiv­ité déclenché par l’ouverture à la con­cur­rence. D’autres élé­ments peu­vent aus­si avoir joué, par exem­ple les impacts de la sépa­ra­tion compt­able ana­ly­tique des activ­ités au sein du trans­porteur historique.

Mieux organiser la concurrence

Les effets béné­fiques d’une poli­tique pro­con­cur­ren­tielle ne sont pas automa­tiques, surtout si celle-ci n’est pas encadrée par une poli­tique publique appropriée.

Dans le domaine du fret fer­rovi­aire, la ques­tion d’une meilleure organ­i­sa­tion de la con­cur­rence est posée : on pour­rait songer à une péréqua­tion en faveur de cer­tains ser­vices de lotisse­ment, plus frag­iles économique­ment que les trains entiers, et dont le vol­ume d’activité, s’il était pour par­tie mieux préservé, pour­rait aus­si, au-delà des effets béné­fiques en matière d’aménagement du ter­ri­toire, mieux con­tribuer à la cou­ver­ture des coûts fix­es du sys­tème ferroviaire.

EFFETS PARADOXAUX POSSIBLES DE LA CONCURRENCE

Si la concurrence amène à un renforcement de la productivité et de l’écoute des clients, il peut y avoir parfois des effets paradoxaux.
Ainsi, l’ouverture en open-access des transports urbains britanniques (tout opérateur pouvait ouvrir où il voulait et là où il voulait) avait aussi conduit à la multiplication de petits véhicules dans les zones les plus denses, annulant, du fait de la perte de rendement d’échelle, les gains de productivité unitaires par agent.
En même temps, l’offre en fréquences s’était dégradée loin des zones denses et pendant les heures creuses. Le gouvernement britannique a dû rétablir des autorités organisatrices chargées de définir l’offre et changer le mode d’organisation de la concurrence.

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