Les machines, les débuts de l’École polytechnique

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°577 Septembre 2002Par : Jean-Yves DUPONT, agrégé de mécanique.Rédacteur : Jean-Paul DEVILLIERS (57)

Entre 1750 et 1850, l’invention pra­tique serait pre­mière et anglaise, l’explication théo­rique seconde et fran­çaise : par cette phrase un peu pro­vo­ca­trice mais sti­mu­lante Bru­no Bel­hoste intro­duit son édi­to­rial dans le bul­le­tin n° 25 de la Sabix. Dans le sens de cette hypo­thèse il cite l’historien David Landes : … Poly­tech­nique consa­cra déli­bé­ré­ment ses efforts à réduire la tech­nique à une géné­ra­li­sa­tion mathé­ma­tique. Ce qui n’empêcha pas l’Angleterre de mon­trer la voie au monde, comme devant, en pra­tique comme en inven­tion méca­nique. Cepen­dant pour Bru­no Bel­hoste, spé­cia­liste recon­nu de l’histoire de l’X, la thèse paraît trop simple pour être tout à fait exacte et cette for­mu­la­tion donne de l’enseignement poly­tech­ni­cien au début du XIXe siècle une vision trop uni­la­té­rale et sim­pliste. Et pour en mieux juger il nous invite à prendre connais­sance de l’étude appro­fon­die réa­li­sée par Jean- Yves Dupont sur le cours de machines de l’École poly­tech­nique, de sa créa­tion jusqu’en 1850.

Cette étude donne un pro­lon­ge­ment à un article paru dans le bul­le­tin Sabix n° 21, où Emma­nuel Gri­son ana­ly­sait les cir­cons­tances dans les­quelles les res­pon­sables de l’enseignement à l’École ont peu à peu aban­don­né le pro­jet édu­ca­tif ini­tial qui alliait les appren­tis­sages de la théo­rie et de la pra­tique, pour orien­ter pré­fé­ren­tiel­le­ment les élèves vers l’étude des sciences fon­da­men­tales. Pour­tant Poly­tech­nique ne s’est pas com­plè­te­ment dés­in­té­res­sée des tech­niques indus­trielles et elle a main­te­nu un cours de machines dans ses pro­grammes. Il est tou­te­fois per­mis de s’interroger sur la réa­li­té de ce cours, sur son conte­nu rela­ti­ve­ment aux pro­grès des tech­niques, sur les méthodes sui­vies par les pro­fes­seurs, sur les condi­tions dans les­quelles il était reçu par les élèves. Jean-Yves Dupont apporte une contri­bu­tion essen­tielle à cette réflexion en recons­ti­tuant avec minu­tie les péri­pé­ties de l’histoire de cet ensei­gne­ment, à par­tir d’une recherche éru­dite dans les archives conser­vées à la biblio­thèque de l’École.

À côté de l’historique des déci­sions de la direc­tion concer­nant les pro­grammes et le choix des pro­fes­seurs, qui retien­dra sur­tout l’attention de ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’X, son étude apporte de nom­breuses infor­ma­tions sur l’histoire de la méca­nique indus­trielle. Elle met net­te­ment en lumière les points de vue et les rôles des prin­ci­paux pro­fes­seurs qui furent res­pon­sables de cet ensei­gne­ment, Monge, Hachette, Ara­go, Pro­ny… Un cha­pitre qu’on peut lire indé­pen­dam­ment des autres regroupe une série d’illustrations, épures exé­cu­tées par des élèves et des­sins de machines, remar­quables tant par leur qua­li­té esthé­tique due au soin méti­cu­leux des des­si­na­teurs de ce temps, que par la clar­té des com­men­taires expli­ca­tifs de l’auteur.

Mais le choix même des des­sins pro­po­sés aux élèves montre un cer­tain retard de cet ensei­gne­ment par rap­port aux machines que les fabriques uti­li­saient à l’époque. Certes les écoles d’application com­blaient en par­tie ces lacunes, mais elles ne cou­vraient pas toutes les dis­ci­plines de l’activité industrielle.

Aujourd’hui les loco­mo­tives à vapeur, exemples ache­vés de la capa­ci­té de l’homme à conce­voir et per­fec­tion­ner des ensembles com­plexes, dis­pa­raissent pro­gres­si­ve­ment de notre mémoire. Cepen­dant les machines méca­niques tiennent encore une place impor­tante dans la pro­duc­tion indus­trielle, une place qui est d’ailleurs bien mise en lumière par les auteurs du numé­ro d’avril de La Jaune et la Rouge.

La ques­tion demeure donc d’actualité, de savoir com­ment orga­ni­ser les condi­tions les plus propres à sti­mu­ler l’imagination créa­trice indis­pen­sable au pro­grès des sys­tèmes méca­niques. Quels sont les concours res­pec­tifs de la théo­rie, de l’observation, des manipulations ?

L’étude de Jean-Yves Dupont, qui touche à la fois à l’histoire des tech­niques et à l’histoire de l’X, apporte aus­si des élé­ments per­ti­nents au débat sur la for­ma­tion des ingé­nieurs. Les lec­teurs inté­res­sés par ce bul­le­tin (remar­qua­ble­ment illus­tré) peuvent le rece­voir en s’adressant à Madame Anne Eyral, à la Biblio­thèque de l’École (tél. : 01.69.33.40.42

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