Les “jeunes” sciences humaines apprennent à penser

Dossier : L'X et les humanitésMagazine N°701 Janvier 2015
Par Eric GODELIER

Outre leur for­ma­tion sci­en­tifique, les élèves de 1794 devaient devenir ce qu’on appelait à l’époque des « hon­nêtes hommes » via la philoso­phie, la lit­téra­ture ou les beaux-arts. Il s’agissait de for­mer des « beaux esprits » des­tinés à rejoin­dre les élites dirigeantes de la jeune République.

“ Exiger la confrontation avec le terrain pour dépasser les trucs et le prêt-à-penser ”

Pro­gres­sive­ment, en sus des human­ités « clas­siques », d’autres dis­ci­plines sci­en­tifiques (les sci­ences sociales) ont gag­né leur légitimité.

Logique­ment, la soci­olo­gie, l’anthropologie, les sci­ences poli­tiques ou plus récem­ment les sci­ences du man­age­ment sont venues rejoin­dre la liste des enseigne­ments pro­posés par le départe­ment Human­ités et sci­ences sociales (HSS).

REPÈRES

Le département Humanités et sciences sociales (HSS) de l’École polytechnique propose une vaste gamme de disciplines et de thématiques. La sociologie, l’anthropologie, les sciences politiques ou, plus récemment, les sciences du management sont venues rejoindre la liste des enseignements proposés. C’est une des spécificités de l’École dans le paysage français et international des formations d’ingénieurs.

Comprendre le monde réel

Ces nou­velles sci­ences sociales visent un dou­ble objec­tif, péd­a­gogique et intellectuel.

LA FORMATION PAR LA RECHERCHE

Les enseignements proposés depuis plus de dix ans ont bénéficié des travaux du Centre de recherche en gestion (CRG). Il faut citer par exemple ceux de Michel Berry (63) sur l’impact des technologies de gestion dans la bureaucratisation des entreprises, de Girin sur l’impact du langage dans les organisations et les situations de gestion ou encore l’apport décisif des recherches de Midler (74) ou Garel (D 94) sur le management de projet et de l’innovation, sans oublier les reformulations des modèles stratégiques proposées par Dumez et Jeunemaître.
S’ajoutent des enseignements sur l’entrepreneuriat, la stratégie d’entreprise ou le marketing.

Le pre­mier objec­tif vise à mon­tr­er en quoi les méth­odes et les objets de ces sci­ences per­me­t­tent d’analyser et de com­pren­dre le monde dans lequel vont vivre et tra­vailler les élèves.

Leur lab­o­ra­toire, c’est le monde réel. Le bon sens ou les a pri­ori ne suff­isent pas pour y accéder. Le faire sup­pose de maîtris­er des méth­odes de descrip­tion, d’enquête et d’analyse rigoureuses. Celles-ci impliquent de con­naître les expéri­ences et le savoir accu­mulés par la com­mu­nauté des chercheurs du domaine. Elles exi­gent aus­si la con­fronta­tion avec le ter­rain ou la mise en sit­u­a­tion des élèves.

À l’écoute des hommes

L’École poly­tech­nique a réus­si, via une col­lab­o­ra­tion étroite entre l’enseignement et la recherche, à con­stru­ire un type d’apprentissage inédit de la ges­tion ou du man­age­ment. Cette for­ma­tion par la recherche en ges­tion démon­tre l’importance de la capac­ité d’analyse et de la maîtrise de con­cepts rigoureux.

C’est à cette con­di­tion que s’obtiennent l’efficacité et l’adaptation au con­texte des tech­niques et des mod­èles de ges­tion. Ce type de for­ma­tion offre aux élèves la pos­si­bil­ité de dévelop­per leurs capac­ités de man­age­ment ou d’écoute des hommes.

On se rap­proche par là des formes les plus inno­vantes des busi­ness schools étrangères, bien loin des « trucs » et de cer­taines formes de « prêt-à-penser » pra­tiques qu’on peut ren­con­tr­er ici ou là.

Des grilles d’analyse

« Com­ment con­naître la France sans savoir l’histoire de ses cathé­drales ? » La cathé­drale de Reims. © TRAVELPETER — FOTOLIA

Con­traire­ment à d’autres insti­tu­tions de l’enseignement supérieur, le départe­ment HSS a choisi de ne pas lim­iter le périmètre des Sci­ences de l’homme et de la société (SHS) aux seuls savoirs ou con­nais­sances directe­ment utiles à la pra­tique ou à l’action.

Ici, les SHS dépassent les fron­tières des seules sci­ences économiques et de la ges­tion. De nom­breuses dis­ci­plines pro­posées, en par­ti­c­uli­er par les « jeunes sci­ences », sont apparem­ment « non directe­ment actionnables ».

Pour autant, comme cer­tains le pré­ten­dent régulière­ment, sont-elles inutiles pour l’action et la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle des futurs ingénieurs et cadres poly­tech­ni­ciens ? Faut-il y voir des her­méneu­tiques stériles ou des rhé­toriques ver­beuses parce que non quan­tifi­ables ou inca­pables de prévoir l’avenir ? Bien au contraire.

Cette for­ma­tion apporte des grilles d’analyse et une cul­ture néces­saires à la com­préhen­sion du monde, à la con­nais­sance des hommes et des cul­tures, voire à leur maniement.

La culture historique

C’est le sec­ond objec­tif : appren­dre aux élèves à penser par eux-mêmes. Si les human­ités et les beaux-arts jouent un rôle impor­tant dans ce pro­jet, les SHS y con­tribuent aus­si de façon déterminante.

Com­ment com­pren­dre l’Europe et le Monde sans con­naître ses guer­res de reli­gion ou de ter­ri­toire, ses rival­ités économiques, sa démo­gra­phie ou sa géographie ?

Com­ment com­pren­dre cer­tains mou­ve­ments nation­al­istes ou antirépub­li­cains sans étudi­er la con­tre-révo­lu­tion et les valeurs réac­tion­naires de ses zélateurs ?

“ Dépasser la pratique locale et l’action aveugle ”

Com­ment con­naître la France sans savoir l’histoire de ses cathé­drales et de ses révo­lu­tions, de ses élites, et de ses paysans ou de ses ouvriers ?

L’inculture en général, et l’inculture his­torique en par­ti­c­uli­er, empêchent la con­tex­tu­al­i­sa­tion et la com­préhen­sion de la com­plex­ité du monde d’hier et d’aujourd’hui.

Psychologie et psychanalyse

Les enseigne­ments de psy­cholo­gie et de psy­ch­analyse attirent de nom­breux élèves, cer­tains par pas­sion, d’autres par curiosité.

Les témoignages réguliers d’anciens élèves prou­vent à quel point « ces savoirs apparem­ment inutiles » se révè­lent fon­da­men­taux pour le reste de la vie.

D’AUTRES LOGIQUES

L’anthropologie a fourni les clefs pour comprendre les façons de faire et de penser propres à chaque communauté à travers le temps et l’espace. Elle ouvre de nouvelles perspectives dans l’appréhension des différences entre cultures et pratiques, entre universalisme et relativisme.
Quoi de mieux pour de futurs dirigeants qui devront se confronter aux impératifs et aux contraintes de la globalisation des marchés, des technologies et des institutions publiques ou privées. Via la lecture de textes fondateurs, la conduite de petites enquêtes de terrain ou la présentation de travaux personnels, les élèves sont amenés à se confronter à d’autres logiques et à d’autres formes de rationalités pratiques ou intellectuelles.

Massacre de la Saint Barthélémy

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