Être chercheur en sciences humaines et sociales

Dossier : L'X et les humanitésMagazine N°701 Janvier 2015
Par Frédéric BRECHENMACHER

De l’ingénierie la plus opéra­tionnelle à la recherche dans les sci­ences les plus théoriques, de l’entreprenariat aux grands corps de l’État, la diver­sité des car­rières poly­tech­ni­ci­ennes témoigne de la vital­ité de l’idéal uni­ver­sal­iste que porte l’X depuis sa création.

Par­mi les écoles d’ingénieurs, l’X se dis­tingue notam­ment par la richesse de ses for­ma­tions en human­ités et sci­ences sociales. Elle dis­pose en con­séquence d’un poten­tiel de recherch­es de haut niveau dans une grande diver­sité de dis­ci­plines : philoso­phie, his­toire, lit­téra­ture, épisté­molo­gie et his­toire des sci­ences, sci­ences poli­tiques, musi­colo­gie, anthro­polo­gie, soci­olo­gie, archi­tec­ture, neu­ro­sciences cog­ni­tives, etc.

REPÈRES

L’École polytechnique s’est dotée en 2014 d’un nouveau laboratoire, le LinX : Laboratoire interdisciplinaire de l’X – Recherches en humanités et sciences sociales. Le LinX analyse les relations entre sciences, technologies et sociétés en croisant les expertises de différents champs des sciences humaines et sociales.

Un idéal universaliste

Au sein du départe­ment Human­ités et sci­ences sociales, ces dis­ci­plines occu­pent un espace net­te­ment dis­tinct de celui des sci­ences de ges­tion, qui s’organisent autour du CRG1.

Au regard des tra­di­tions académiques de sépa­ra­tion entre fac­ultés et dis­ci­plines, cet espace peut sem­bler irrémé­di­a­ble­ment poly­mor­phe. Il présente pour­tant une cohérence par­ti­c­ulière qui tient à l’idéal uni­ver­sal­iste qui l’a engen­dré et le sous-tend.

“ Une cohérence qui tient à un idéal universaliste ”

Le LinX vise à don­ner forme à cet espace de con­ver­gences inter­dis­ci­plinaires autour d’une thé­ma­tique forte­ment ancrée dans l’identité de l’École poly­tech­nique : les rela­tions entre sci­ences, tech­nolo­gies et sociétés.

Les inter­ac­tions entre les sci­ences et les sociétés con­tem­po­raines relèvent plus sou­vent d’enjeux trans­ver­saux qu’elles ne font l’objet d’une dis­ci­pline bien délim­itée. Les débats très vifs que sus­ci­tent aujourd’hui l’innovation, l’éthique, le développe­ment durable ou encore la démoc­ra­tie témoignent bien des lim­ites du mod­èle dis­ci­plinaire qui a struc­turé l’organisation des savoirs au XXe siècle.

Un lieu d’innovation intellectuelle

La créa­tion du LinX vise à relever le défi que lance la con­cep­tion de nou­velles con­fig­u­ra­tions des savoirs à la mesure de ces enjeux. La thé­ma­tique « Sci­ences, tech­nolo­gies, sociétés » n’y est ain­si pas envis­agée comme un champ autonome, mais, au con­traire, comme un fais­ceau de ques­tion­nements sur lesquels crois­er les méth­odes de dif­férentes sci­ences sociales.

L’objectif est de con­stru­ire un lieu de forte inno­va­tion intel­lectuelle, qui favorise le décen­trement de ques­tion­nements provenant de champs aus­si dif­férents que les sci­ences et tech­nolo­gies, la démoc­ra­tie con­tem­po­raine, les mon­des des représen­ta­tions lit­téraires et de l’art, les rela­tions inter­na­tionales, le droit, etc.

Temps social, temps technologique et temps de l’expérience

Com­ment créa­tions et inno­va­tions émer­gent- elles ? Dans quels espaces et quelles tem­po­ral­ités cir­cu­lent-elles ? Il n’est pas rare que les pra­tiques sci­en­tifiques et tech­nologiques engen­drent des temps et des espaces cul­turels spécifiques.

“ Quels sont les problèmes politiques posés par cette condensation du temps ? ”

Ce con­stat appelle à analyser avec une pro­fondeur his­torique les rythmes du présent, la manière dont inter­fèrent temps social, temps tech­nologique et temps de l’expérience.

Quels sont, par exem­ple, les liens entre les phénomènes d’« accéléra­tion » et de moder­nité, de la décou­verte du principe d’inertie à l’informatisation des out­ils de la finance ? Quels sont les prob­lèmes poli­tiques posés par cette con­den­sa­tion du temps ? Quelles sont les nou­velles phy­s­ionomies du lien social dans un réel qui bous­cule les représen­ta­tions clas­siques des fron­tières, entre dis­ci­plines comme entre sci­ences et sociétés ?

Un enjeu stratégique

La créa­tion du LinX relève d’un enjeu stratégique pour la dynamique future des sci­ences humaines et sociales sur le plateau de Saclay.

Le rassem­ble­ment d’un grand nom­bre d’institutions sci­en­tifiques crée des besoins de for­ma­tions aux études sur les sci­ences et tech­nolo­gies et leurs rap­ports aux sociétés. La tra­di­tion uni­ver­sal­iste poly­tech­ni­ci­enne rejoint cette dynamique : le LinX a ain­si soutenu la mise en place d’un mas­ter « Sci­ences, tech­nolo­gies et sociétés » en col­lab­o­ra­tion avec l’ENS Cachan, Télé­com Paris­Tech, l’Université Paris-Sud et l’Université de Ver­sailles-Saint-Quentin (UVSQ).

Il par­ticipe égale­ment à la struc­tura­tion d’une école doc­tor­ale en SHS, de la « School of human­i­ties », ain­si que d’une nou­velle Mai­son des sci­ences de l’homme.

À l’échelle internationale

PROTÉGER LE PATRIMOINE

Le LinX conçoit et soutient des opérations de valorisation des collections de l’X en partenariat avec le Centre de ressources historiques de l’École polytechnique et d’autres institutions comme l’École des chartes, l’UVSQ ou encore l’Institut Henri-Poincaré (mise en place d’un portail numérique, organisation d’expositions, films documentaires, etc.).
Il joue ainsi un rôle pilote dans la protection et la diffusion du patrimoine scientifique, un enjeu que l’Université Paris-Saclay a identifié comme stratégique en créant une structure transversale aux établissements qui la composent : La Diagonale.

Grâce au LinX l’École par­ticipe aus­si à la con­sti­tu­tion d’un espace de recherch­es en sci­ences sociales de niveau inter­na­tion­al au sein de l’Université Paris-Saclay. La thé­ma­tique « sci­ences et sociétés » est appelée à jouer un rôle clef dans cette struc­tura­tion, comme en témoignent des ini­tia­tives récentes comme le pro­jet trans­ver­sal ISIS2 sur l’émergence et les évo­lu­tions des normes ain­si que sur les enjeux poli­tiques des arte­facts pro­duits par les activ­ités sci­en­tifiques (indi­ca­teurs, instru­ments etc.).

La présence sur le plateau de Saclay d’autres lab­o­ra­toires d’études sur les sci­ences et les tech­niques per­met d’envisager la struc­tura­tion future d’une unité mixte de recherch­es (écoles, uni­ver­sités, CNRS) de grande taille et forte­ment vis­i­ble à l’échelle internationale.

Des rap­proche­ments ont déjà été ini­tiés avec le Groupe d’histoire et de dif­fu­sion des sci­ences d’Orsay (GHDSO) de l’Université Paris-Sud. Le LinX dis­pose d’un atout célèbre à l’échelle mon­di­ale : les col­lec­tions et archives de l’École poly­tech­nique. Ces col­lec­tions offrent un témoignage unique sur les inter­ac­tions entre sci­ences, tech­nolo­gies et sociétés du XVIIIe au XXe siècle.

Affronter la complexité du monde

Les parte­nar­i­ats du LinX ne se lim­i­tent cepen­dant pas à son envi­ron­nement immé­di­at. Out­re les réseaux inter­na­tionaux de ses chercheurs, des parte­nar­i­ats avec le Cevipof de Sci­ences-Po (mise en place d’un sémi­naire com­mun de sci­ences poli­tiques) et Colum­bia Uni­ver­si­ty (for­ma­tion en his­toire des sci­ences) sont lancés.

Et égale­ment avec des entre­pris­es, comme récem­ment avec Air Liq­uide en asso­ci­a­tion avec le CRG. Ce type de parte­nar­i­at vise à offrir aux entre­pris­es des out­ils d’analyse et de com­préhen­sion des phénomènes indi­vidu­els et col­lec­tifs dans les trans­for­ma­tions et change­ments soci­aux et sociétaux.

Les enjeux d’innovation met­tent notam­ment bien sou­vent en ten­sion notre capac­ité à com­pren­dre fine­ment les inter­faces entre sci­ences et indus­tries et à affron­ter la com­plex­ité du monde contemporain.

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1. Cen­tre de recherche en gestion.
2. ISIS : Inter­ac­tions between Sci­ence, Inno­va­tion, and Society.

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