La banque par smartphone

Les “Fintechs” à l’assaut du monopole bancaire

Dossier : ExpressionsMagazine N°718 Octobre 2016
Par Patrick de NONNEVILLE (94)

L’innovation tech­nologique et les évo­lu­tions de la régle­men­ta­tion qui a su suiv­re, per­me­t­tent désor­mais aux Fin­techs de con­cur­rencer les ban­ques sur les activ­ités de paiement, de prise de dépôts et de prêt. Une mul­ti­tude de start-ups sont nées pour occu­per le ter­rain car il est plus facile pour le client de pian­ot­er sur son smart­phone que d’aller voir son agent bancaire. 

Les ban­ques ont de nom­breux métiers. Cer­tains ne leur sont pas réservés : la ges­tion d’actifs, le con­seil, l’assurance, la prise de risque pour compte pro­pre, l’accès aux marchés de cap­i­taux ; elles s’y attel­lent, sou­vent avec suc­cès, parce que les marges y sont attrac­tives et que leurs com­pé­tences de cœur de méti­er leur don­nent des avan­tages com­péti­tifs dans ces domaines. 

“ Lequel est le plus proche de vous : votre agent bancaire ou votre smartphone ? ”

La fin en 2007 du mono­pole des ban­ques sur les activ­ités de paiement et de prêt a ren­du pos­si­bles deux ®évo­lu­tions qui sont cou­vertes par le mot-valise de Fin­tech, Finance + Tech­nolo­gie : la pre­mière est la réin­ven­tion ligne-à-ligne de toutes les activ­ités ban­caires (« appli­fi­ca­tion », où chaque méti­er devient une « app » avec un four­nisseur dif­férent, poten­tielle­ment dom­i­nant sur sa spécialité). 

La sec­onde est la com­bi­nai­son de toutes ces « apps » dans un ensem­ble qui pour la vaste majorité des util­isa­teurs rem­pli­ra la total­ité des rôles d’une banque sans en être une (le rebundling).

SEPT FAMILLES DE SERVICES

Par­mi les Fin­techs, on dis­tingue sept grandes familles. 

Tout d’abord, les appli­ca­tions de paiement mobile et porte-mon­naie élec­tron­iques, comme Pay­pal ou S‑money, per­me­t­tent à leurs util­isa­teurs de stock­er une mon­naie virtuelle au sein d’une « app » pour l’utiliser en toute flexibilité. 


La nou­velle banque au bout des doigts. © LDPROD / FOTOLIA.COM

Ensuite, les trans­ferts d’argent peer-to-peer (de compte à compte), comme Trans­fer­wise ou Kan­tox, utilisent les réseaux décen­tral­isés pour éviter les frais ban­caires lors de paiements internationaux. 

Si une com­pag­nie française doit pay­er un four­nisseur chi­nois, Kan­tox trou­ve un autre util­isa­teur devant faire un trans­fert dans l’autre sens (une agence de voy­ages chi­noise faisant une réser­va­tion d’hôtel en Europe par exem­ple), fait des vire­ments locaux et évite ain­si que des devis­es ne soient effec­tive­ment transférées. 

En troisième lieu, les agré­ga­teurs vous per­me­t­tent de résumer en seul lieu tous vos comptes, de les analyser pour votre bud­get men­su­el, et de prévoir vos dépens­es futures : il suf­fit de leur don­ner les iden­ti­fi­ants et mots de passe pour accéder à vos comptes. 

La qua­trième famille est celle du crowd­fund­ing. Cette activ­ité a en fait trois obé­di­ences : le don (Ulule, KissKiss­BankBank), l’investissement en cap­i­tal (Smar­tAn­gels, Anaxa­go) et le prêt (Prêt d’Union, Credit.fr, Lendix). 

Le principe est assez sim­ple : au lieu d’avoir une banque en tant qu’intermédiaire entre financeurs et financés, les deux sont en rela­tion directe. 

LA FIN D’UNE ÉPOQUE

Ce qui sépare une banque d’une société de gestion ou d’un courtier, ce sont les métiers spécifiques que sont les paiements, la prise de dépôts et le prêt, accompagnés d’un privilège (l’accès à la banque centrale) et d’un devoir (répondre à la réglementation, en particulier en termes de capital).
Jusqu’en 2007, ces trois activités étaient de fait soumises à un monopole bancaire. Ce n’est aujourd’hui plus le cas.

Les robo-advi­sors con­stituent la cinquième famille : ces « con­seillers en pat­ri­moine automa­tisés », comme Yomoni, WeSave ou Marie Quantier, offrent aux par­ti­c­uliers un accès à des ser­vices financiers jusqu’ici réservés aux clients des bou­tiques de ges­tion de fortune. 

Les ser­vices de blockchain rem­pla­cent les reg­istres cen­tral­isés, dépen­dants de la sécu­rité et du com­porte­ment d’acteurs tels qu’une cham­bre de com­pen­sa­tion, par une archi­tec­ture ouverte, dis­tribuée, beau­coup plus robuste mais pour l’instant beau­coup plus lente que les méth­odes classiques. 

L’application la plus con­nue est le bit­coin. Il faudrait un arti­cle entier pour par­venir à expos­er le blockchain, qui est plus une tech­nolo­gie qu’un busi­ness mod­el en tant que tel. Ils sont la six­ième famille. 

Enfin, les « nou­velles ban­ques » cherchent à réin­ven­ter la tenue de compte courant à par­tir d’une feuille blanche. L’exemple le plus con­nu en France est le Compte Nickel. 

UN FOISONNEMENT LIÉ AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES

La tech­nolo­gie est la pre­mière source de change­ment. Elle per­met d’abord un accès démul­ti­plié à l’utilisateur, sans agent humain, mais pour autant intime. Lequel est le plus proche de vous : votre agent ban­caire ou votre smart­phone ? 15 % des gens dor­ment avec leur télé­phone dans la main et la pre­mière pen­sée au réveil de la majorité d’entre nous est pour notre appareil plutôt que pour notre conjoint. 

On peut regret­ter une cer­taine évo­lu­tion de la société, mais on ne peut que la constater… 

Cette con­fi­ance dans la tech­nolo­gie, à com­par­er aux hési­ta­tions sur la trans­mis­sion des numéros de carte Bleue lors de l’apparition du com­merce via Inter­net il y a vingt ans, per­met aujourd’hui à des start-ups comme Bankin’ ou Linxo de con­va­in­cre, sans dif­fi­culté par­ti­c­ulière, des cen­taines de mil­liers de Français de don­ner tous leurs iden­ti­fi­ants ban­caires pour accéder à leurs applis d’agrégation et de budget. 

L’autre impact de la tech­nolo­gie, encore plus récent, vient de l’extrême sim­plic­ité, abor­d­abil­ité et rapid­ité de déploiement que per­met le Cloud (infor­ma­tique en nuage) : grâce à ce dernier, qu’il soit fourni par Ama­zon, Google ou Microsoft, les start-ups accè­dent à des puis­sances de cal­cul et de stock­age équiv­a­lentes à celles des salles de marché des années 2000 pour le prix d’un McDo. 

C’est à peine une exagéra­tion : les 100 000 trans­ac­tions gérées par Lendix en févri­er nous ont coûté en Cloud… $5 ! Lorsque dans un an nous en aurons un mil­lion par mois, nous n’aurons pas eu à acheter de matériel, à atten­dre qu’il arrive en ligne, ni à en gér­er l’obsolescence. La capac­ité est à notre dis­po­si­tion comme l’eau du robinet. 

Le Cloud pour les Fintechs
Les Fin­techs se nour­ris­sent des facil­ités du Cloud. © ARROW / FOTOLIA.COM

VOUS AVEZ DIT : BLOCKCHAIN ?

La chaîne de blocs (en anglais blockchain) est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle.
Par extension, un blockchain est une base de données distribuée qui gère une liste d’enregistrements protégés contre la falsification ou la modification par les nœuds de stockage. (Source : Wikipedia)

LE RÔLE CLÉ DES ÉVOLUTIONS RÉGLEMENTAIRES

Un autre fac­teur por­teur pour les Fin­techs, et non des moin­dres, est l’évolution de la régle­men­ta­tion. La Direc­tive européenne sur les ser­vices de paiement (« PSD 2007 ») est d’abord née pour accom­pa­g­n­er l’évolution des mœurs, comme le développe­ment de l’e‑commerce ou de la mon­naie électronique. 

Mais la porte a été entrou­verte pour que nais­sent des acteurs de paiement qui ont apporté à leurs util­isa­teurs une trans­parence et une sim­plic­ité bien étrangères à l’expérience des trans­ferts bancaires. 

DES START-UPS LONDONIENNES

Transferwise, une start-up londonienne, permet aux particuliers d’envoyer de l’argent à l’étranger pour un centième du coût usuel.
Kantox, basée elle aussi à Londres et dirigée par un Français, Philippe Gelis, donne aux PME le contrôle du paiement de leurs fournisseurs où qu’ils soient dans le monde.

Ces start-ups sont pour­tant encore dépen­dantes des ban­ques pour les « tuyaux » qui sou­ti­en­nent les trans­ferts ; avec la nou­velle direc­tive « PSD2 », elles vont pou­voir offrir des ser­vices beau­coup plus inté­grés et plus simples. 

Il est pos­si­ble qu’une grande par­tie de la rela­tion entre les ban­ques et leurs clients leur échappe par ce biais : cha­cun pour­ra chang­er de banque avec une grande facil­ité et choisir de façon com­plète­ment indépen­dante l’interface d’interaction avec ses comptes. 

Une analo­gie avec l’électricité : on peut sélec­tion­ner un nou­veau four­nisseur sans avoir à chang­er de lampe. La grande ques­tion est de savoir où les marges se situeront dans la chaîne de valeur. 

DE NOUVEAUX PRÊTEURS

Un autre enjeu majeur de la régle­men­ta­tion, en France en par­ti­c­uli­er, est le mono­pole ban­caire sur le prêt. La pre­mière loi Macron y a ouvert une brèche en 2014 : il est désor­mais pos­si­ble aux par­ti­c­uliers de prêter légale­ment aux entreprises. 

Un foi­son­nement de plate­formes de prêts a eu lieu. Si les chiffres sont encore très mod­estes (30 mil­lions d’euros en 2015 com­paré à un marché du prêt ban­caire d’environ 80 mil­liards d’euros), ils crois­sent vite (x 3,5 sur le pre­mier semes­tre 2016) et surtout ils sont com­pa­ra­bles à la sit­u­a­tion du secteur aux États-Unis ou au Roy­aume-Uni en 2010 ; or aujourd’hui la pro­duc­tion des plate­formes dans cha­cun de ces pays s’élève à plusieurs mil­liards d’euros par trimestre. 

Certes, il s’agit là de marchés très dif­férents et les choses bougent sou­vent moins vite en Europe con­ti­nen­tale. Mais mal­gré la mau­vaise répu­ta­tion de la France en ter­mes d’adoption de nou­velles méth­odes finan­cières, la crois­sance de Lendix par exem­ple est en fait supérieure à celle du leader bri­tan­nique à ses débuts. 

UNE DYNAMIQUE SOUTENUE PAR LES INVESTISSEURS

Ces per­spec­tives de crois­sance sont la prin­ci­pale moti­va­tion du dernier ingré­di­ent de la dynamique des Fin­techs, le financement. 

Une idée, aus­si bonne soit-elle, même si son heure est arrivée, n’ira pas loin si elle n’a pas les moyens de son développement. 

Or aujourd’hui les cap­i­taux afflu­ent vers les Fin­techs de façon phénomé­nale : de $1,8Mds en 2011, les lev­ées ont atteint $19Mds en 2015. En France aus­si, notam­ment grâce à des fonds de cap­i­tal-risque comme Partech ou Idin­vest, les entre­pre­neurs ont pu accéder à des finance­ments jusqu’ici impens­ables, mais pour­tant nécessaires. 

Comme pour tout phénomène récent, il est impos­si­ble de savoir jusqu’où l’aventure des Fin­techs ira. Les ban­ques sont loin d’être immo­biles, elles ont d’énormes moyens, elles sauront évoluer pour sur­vivre, soit en se restruc­turant, soit en apprenant en col­lab­o­ra­tion avec les Fin­techs. Ce sont leurs util­isa­teurs, nous tous, qui en prof­iteront in fine. La ques­tion est d’évaluer l’ampleur de ce changement. 

Je suis per­son­nelle­ment per­suadé que la pres­sion exer­cée par les trois fac­teurs men­tion­nés plus haut (tech­nolo­gie, régu­la­tion, finance­ment) est en train de créer une lame de fond qui va chang­er la finance durable­ment et de façon considérable. 

Wall-street comme référence de Banque
La Banque tra­di­tion­nelle n’a pas dit son dernier mot. © F11PHOTO / FOTOLIA.COM

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