Personnes dans une salle d'attente

Chômage des jeunes : réalités, conséquences, remèdes

Dossier : ExpressionsMagazine N°724 Avril 2017
Par François Xavier MARTIN (63)

Le taux de chô­mage des jeunes en France, au sens du BIT (rap­por­té à la popu­la­tion active), est annon­cé à 24% alors que seule­ment un jeune sur douze (rap­por­té à la popu­la­tion totale) est en recherche d’emploi. Cette dés­in­for­ma­tion est catas­tro­phique, elle ter­nit à tort l’i­mage du pays et bloque les poli­tiques pour appli­quer des solu­tions amé­lio­rant l’in­dice de chô­mage et évi­tant les contrats précaires. 

Deman­dez à des Fran­çais pris au hasard quel est le prin­ci­pal pro­blème qui se pose aux jeunes, ils vous répon­dront cer­tai­ne­ment : « le chô­mage ». Deman­dez ensuite com­bien sont chô­meurs : la réponse stan­dard, ins­pi­rée par ce que répètent à lon­gueur d’année poli­tiques et médias, sera pra­ti­que­ment tou­jours « 24 % ». 

Mais si vous insis­tez : « Com­bien de per­sonnes sont concer­nées ? » alors, sauf si vous tom­bez sur un spé­cia­liste de l’emploi, vous n’obtiendrez pra­ti­que­ment jamais de réponse. 

“ Les conséquences d’une connaissance limitée à ce seul 24 % sont désastreuses ”

Or, les consé­quences d’une connais­sance limi­tée à ce seul 24 % sont désas­treuses : d’abord, sur le plan psy­cho­lo­gique, car ce chiffre donne l’impression aux Fran­çais que l’ampleur du chô­mage des jeunes est tel­le­ment impor­tante qu’il s’agit d’un pro­blème insur­mon­table, qu’aucun gou­ver­ne­ment, quelle que soit sa cou­leur poli­tique, ne pour­ra jamais régler. 

Ensuite, ce « 24 % » n’incite pas les res­pon­sables gou­ver­ne­men­taux à expli­quer de façon simple quelles amé­lio­ra­tions rapides seraient pos­sibles, quels objec­tifs seraient rai­son­nables et cré­dibles, quels moyens humains et finan­ciers devraient per­mettre de les atteindre. Enfin, il donne de notre pays une image catas­tro­phique dans des com­pa­rai­sons inter­na­tio­nales sou­vent biai­sées, ali­men­tant ain­si un pes­si­misme ambiant sou­vent exa­gé­ré dans notre pays. 

En % popu­la­tion active  Milliers 
Per­sonnes au chômage 9,6 % 2 767
15–24 ans 23,7 % 643
Hommes 10 % 1 487
15–24 ans 24 % 353
Femmes 9,3 % 1 280
15–24 ans 23,2 % 290
Taux de chô­mage BIT en France métro­po­li­taine (INSEE, enquête emploi 2016)

LA RÉALITÉ DU CHÔMAGE DES JEUNES EN FRANCE

Si on pour­suit avec per­sé­vé­rance la recherche du nombre de jeunes au chô­mage, on finit par trou­ver la réponse dans un tableau du site de l’INSEE : Ce tableau donne les chiffres recher­chés : par­mi les 15–24 ans, 643 000 sont chô­meurs (353 000 hommes et 290 000 femmes), ce qui repré­sente 24 % de la popu­la­tion active de cette tranche d’âge (qui com­prend donc envi­ron 2,7 mil­lions d’individus).

“ La précarité dans leur emploi concerne autant de 15–24 ans que le chômage ”

Chaque classe d’âge récente com­pre­nant envi­ron 800 000 indi­vi­dus, on a donc, par­mi les 8 mil­lions de 15–24 ans : 5,3 mil­lions de lycéens, d’étudiants et de per­sonnes ne cher­chant pas d’emploi, soit 66 % des 15–24 ans ; un peu plus de 2 mil­lions de per­sonnes ayant un emploi (dont 650 000 en CDD), soit 26 % ; et 643 000 chô­meurs, soit 8 %. 

La réa­li­té est donc que, par­mi les Fran­çais âgés de 15 à 24 ans, un sur quatre a un emploi ; pour un sur douze, cet emploi est un CDD (soit un emploi sur trois, alors que pour le reste de la popu­la­tion, c’est moins d’un sur dix !) ; et seul un sur douze est chô­meur (et non un sur quatre, comme beau­coup le pensent, suite à l’ « infor­ma­tion » reçue des médias). 

TAUX DE CHÔMAGE DES JEUNES : LA GRANDE CONFUSION

La confusion dans les esprits des Français est telle qu’ils ne se rendent pas compte que des pays plus doués pour la communication que le nôtre entretiennent une confusion entre proportion de jeunes au chômage et taux de chômage de ces jeunes, ce qui leur permet de faire présenter par les médias français des comparaisons internationales complètement biaisées.

Ces chiffres ont deux consé­quences. Pre­miè­re­ment, alors que les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs affirment avoir pour objec­tif prio­ri­taire de réduire le chô­mage des jeunes, en faire sor­tir de façon per­ma­nente 300 000 suf­fi­rait à ame­ner le pour­cen­tage de nos 15–24 ans au chô­mage à un des meilleurs niveaux mon­diaux (4 %).

En second lieu, la pré­ca­ri­té dans leur emploi concerne autant de 15–24 ans que le chô­mage, ce qui contri­bue puis­sam­ment au pes­si­misme de ces tranches d’âge. Paral­lè­le­ment à la réduc­tion du nombre de 15–24 ans au chô­mage, il serait donc impor­tant de limi­ter la pra­tique des contrats de tra­vail à durée déter­mi­née aux seuls cas pour les­quels ils ont été ins­tau­rés (pointes de tra­vail, rem­pla­ce­ments de sala­riés absents pour congés, mater­ni­tés, etc.) alors qu’actuellement ils sont éga­le­ment uti­li­sés par cer­tains employeurs pour échap­per aux risques qu’ils estiment cou­rir en embau­chant des 15–24 ans en contrats à durée indéterminée. 

LA DÉSINFORMATION PAR LES MÉDIAS

Pour des rai­sons qui tiennent soit de l’ignorance, soit de la mau­vaise foi, le pour­cen­tage des jeunes Fran­çais au chô­mage (8 %) n’est pra­ti­que­ment jamais cité : on parle presque tou­jours, en par­ti­cu­lier dans les médias fran­çais, du taux de chô­mage des jeunes (24 %), qui est trois fois plus élevé. 


Par­mi les 15–24 ans, 643 000 sont chô­meurs (353 000 hommes et 290 000 femmes), ce qui repré­sente 24 % de la popu­la­tion active de cette tranche d’âge (qui com­prend donc envi­ron 2,7 mil­lions d’individus). © TY / FOTOLIA.COM 

Ain­si, l’association fran­çaise des anciens élèves des écoles poly­tech­niques suisses de Lau­sanne et Zürich affirme sur son site : « Taux de chô­mage des 15–24 ans : Suisse 3 %, France 23 %. » Il s’agit vrai­sem­bla­ble­ment d’une reprise d’un article du Monde du 3 juillet 2014, qui a publié un article sur le sys­tème d’enseignement suisse dont le titre était : « En Suisse, le taux de chô­mage des 15–24 ans n’est que de 3 % contre 23 % en France. » 

Or, si on consulte les sta­tis­tiques offi­cielles suisses, on constate que, depuis plus de dix ans, le taux de chô­mage suisse des 15–24 ans oscille autour de 8 % et non 3 %. 

La situa­tion fran­çaise reste certes net­te­ment plus mau­vaise que la Suisse, mais pas dans ce rap­port ter­ri­fiant entre 3 % et 23 % qui risque d’inhiber l’action, et qui vient vrai­sem­bla­ble­ment du fait que Le Monde, sui­vi par l’association des anciens des écoles poly­tech­niques suisses, com­pare des choux (pro­por­tion de jeunes Suisses au chô­mage) et des carottes (taux de jeunes Fran­çais au chô­mage au sens du BIT). 

Il en est de même pour la com­pa­rai­son France-Alle­magne. Si on lit atten­ti­ve­ment l’article, on apprend que c’est un Fran­çais sur cinq sor­ti du sys­tème édu­ca­tif qui est au chô­mage, et qu’en Alle­magne « e n 2013, sur 100 jeunes de 15 ans à 25 ans, 44 % pour­sui­vaient leurs études, 31 % avaient un emploi, 16 % pour­sui­vaient une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, 5 % étaient au chô­mage et 4 % échap­paient à toute défi­ni­tion précise ». 

“ La précarité dans leur emploi concerne autant de 15–24 ans que le chômage ”

Si en Alle­magne sur 100 jeunes 60 % pour­suivent leurs études ou sont en for­ma­tion, seuls 40 % (et même 36 % si on tient compte des 4 % inclas­sables) consti­tuent la popu­la­tion active. Le taux de chô­mage des jeunes y était donc situé à l’époque de l’article entre 12,5 % (5÷40) et 13,9 % (5÷36) à com­pa­rer aux 22 % fran­çais (si les Alle­mands consi­dèrent que les appren­tis font par­tie de la popu­la­tion active, le taux était situé entre 9 % et 9,6 %).

C’est net­te­ment mieux qu’en France, mais pas du tout quatre fois mieux, comme vou­drait le faire croire le titre du Monde. 

« TAUX DE CHÔMAGE DES JEUNES AU SENS DU BIT » : UN INDICATEUR NON PERTINENT

De plus, il faut noter que le « Taux de chô­mage des jeunes au sens du BIT » est un indi­ca­teur très peu signi­fi­ca­tif et même trom­peur, puisqu’à pour­cen­tage des jeunes au chô­mage égal, il dégrade l’image des pays qui inves­tissent dans la for­ma­tion de leur jeu­nesse, comme le montre l’exemple suivant. 

Une jeune en formation professionnelle
En 2013, en Allemagne,16 % des jeunes de 15 ans à 25 ans pour­sui­vaient une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle. © PRESSMASTER / FOTOLIA.COM

DÉSINFORMATION OU AUTOFLAGELLATION ?

Le Monde publiait en première page le 9 avril 2014 : « Emploi : un jeune Français sur cinq condamné au chômage ; 22 % des moins de 25 ans n’ont pas trouvé d’emploi trois ans après leur sortie du système scolaire…
Cet échec français est d’autant plus criant qu’il n’est pas inéluctable : seuls 5 % des jeunes Allemands sont au chômage. »

Consi­dé­rons deux pays : A et B, ayant par hypo­thèse le même taux de jeunes au chô­mage, pris ici égal à 6 %. 

Dans le pays A, un tiers (33 %) des jeunes est en for­ma­tion : lycéens, étu­diants ou appren­tis. Il en résulte que le pour­cen­tage de jeunes ayant un emploi est de 61 % (100 – 33 – 6). Pour une popu­la­tion jeune active de 67 % (emploi 61 + chô­mage 6), le taux de chô­mage au sens du BIT y est de 9 % (6÷67).

“ Cet indicateur dégrade l’image des pays qui investissent dans la formation de leur jeunesse ”

Dans le pays B, ce sont les deux tiers (66 %) des jeunes qui sont en for­ma­tion. Le même cal­cul don­ne­ra un taux de chô­mage des jeunes au sens du BIT de… 18 % ! 

Et pour­tant, mal­gré son taux de chô­mage des jeunes deux fois plus éle­vé, la situa­tion du pays B est bien meilleure que celle du pays A. Mais la com­pa­rai­son entre les seuls « taux de chô­mage des jeunes au sens du BIT » donne l’impression inverse, car les médias répètent que « en B près d’un jeune sur 5 est au chô­mage alors qu’en A c’est un sur 10 ». 

QUELQUES PROPOSITIONS POUR REDONNER CONFIANCE AUX 15–24 ANS.

Il est impor­tant de ne pas attendre un éven­tuel retour de la crois­sance ini­tié par les pou­voirs publics pour entrer dans le cercle ver­tueux : redé­mar­rage de la crois­sance – retour de l’optimisme et de la confiance – déci­sions d’investissements par les acteurs éco­no­miques pri­vés – accé­lé­ra­tion de la crois­sance résul­tant de ces inves­tis­se­ments, car actuel­le­ment les moyens tra­di­tion­nels de relance moné­taire et bud­gé­taire peuvent très dif­fi­ci­le­ment l’amorcer (les taux d’intérêt sont déjà au plus bas, et le finan­ce­ment d’une relance signi­fi­ca­tive par l’emprunt aug­men­te­rait les inté­rêts de la dette et obli­ge­rait donc à res­treindre les autres dépenses publiques). 

Jeunes en formation
Inci­ter les 15–24 ans au chô­mage à suivre une des for­ma­tions pro­po­sées jusqu’à ce que ces for­ma­tions soient satu­rées ferait bais­ser le taux de 15–24 ans au chô­mage de 8 % à 4 %. ©BOGGY / FOTOLIA.COM

PREMIÈRE MESURE : PRIORITÉ À LA FORMATION

Un accueil permanent supplémentaire pour 300 000 personnes de 15 à 24 ans dans l’ensemble du système éducatif (apprentissage compris) ne demanderait qu’une augmentation de 6 % de sa capacité totale. Mettre en place des mesures suffisantes pour inciter les 15–24 ans au chômage à suivre une des formations proposées jusqu’à ce que ces 300 000 formations soient saturées ferait passer le pourcentage de 15–24 ans au chômage de 8 % à 4 % (l’un des plus bas du monde).
Pour rétablir la confiance des jeunes, il serait essentiel de communiquer mensuellement sur ces chiffres, et de montrer la décroissance très rapide du nombre (en valeur absolue) de chômeurs chez les 15–24 ans qui résulte de cette mesure.

L’amorçage du cercle ver­tueux décrit plus haut ne peut repo­ser que sur un réta­blis­se­ment préa­lable de la confiance, et tout par­ti­cu­liè­re­ment celle des jeunes. Or des mesures rela­ti­ve­ment peu coû­teuses devraient per­mettre d’améliorer consi­dé­ra­ble­ment la manière dont ces der­niers per­çoivent leur situation. 

Une de ces mesures serait d’éliminer du dis­cours public et des médias les sem­pi­ter­nelles réfé­rences au « taux de chô­mage des jeunes au sens du BIT » qui, comme nous l’avons mon­tré plus haut, est un indi­ca­teur très peu per­ti­nent (dans un pays où toute une tranche d’âge serait en for­ma­tion, à l’exception d’un unique chô­meur, ce taux de chô­mage serait égal à 100 % !). 

“ Permettre aux salariés d’échapper aux enchaînements de CDD ”

Enfin, il fau­drait réunir les orga­ni­sa­tions patro­nales des entre­prises (sur­tout les plus petites) et les syn­di­cats de sala­riés pour qu’ils négo­cient les dis­po­si­tions d’un contrat de tra­vail à durée indé­ter­mi­née des­ti­né à rem­pla­cer pour les 15–24 ans les CDD qui ne cor­res­pondent pas aux cas pour les­quels ils ont été ins­tau­rés, en pre­nant soin grâce à des dis­po­si­tions à ima­gi­ner que l’offre actuelle de CDI aux 15–24 ans ne migre pas vers une offre basée sur ces nou­veaux contrats. 

Un bon com­pro­mis devrait tout à la fois per­mettre aux sala­riés d’échapper aux enchaî­ne­ments de CDD et aux employeurs (sur­tout les petits) de connaître à l’avance, sans pos­si­bi­li­té d’aléa juri­dique, le mon­tant de l’indemnité qu’ils devraient ver­ser à leurs sala­riés s’ils sou­hai­taient s’en séparer. 

Ces contrats se trans­for­me­raient auto­ma­ti­que­ment en CDI clas­siques lorsque le sala­rié atteint 25 ans. Des péna­li­tés spé­ci­fiques dis­sua­de­raient l’employeur de licen­cier des sala­riés peu de temps avant qu’ils atteignent 25 ans.

3 Commentaires

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sophierépondre
1 juin 2017 à 8 h 34 min

Je ne pense pas qu’il s

Je ne pense pas qu’il s’a­gisse d’i­gno­rance, je pense que les médias aug­mentent le % de cho­mage des jeunes pour jus­ti­fier qu’il faut moins recru­ter les séniors, j’ai un mas­ter 1 de phi­lo­so­phie et les seuls emplois que l’on me pro­pose c’est de tra­vailler dans des fast-food ou comme actuel­le­ment dans la vente de coque per­son­na­li­sée, il y a une mau­vaise délé­ga­tion du poten­tiel des jeunes, il n’est pas utilisé

Alexrépondre
21 juin 2017 à 7 h 38 min

Je ne pense pas que la France

Je ne pense pas que la France puisse avoir le nombre exact de per­sonnes au chô­mage, quand je suis par­tie vivre à la Réunion et que je me suis ins­crite à pôle emploi, la dame de l’ac­cueil m’a conseillé de ne pas m’ins­crire car ils vont me contraindre à plu­sieurs rdv qui vont me faire perdre mon temps, donc ils ont les chiffres des per­sonnes qui touchent le chô­mage (le finan­cier) et c’est tout

alexisrépondre
25 décembre 2021 à 17 h 59 min

Mer­ci pour cet article, je suis tota­le­ment en accord avec vous, cela est triste mais c’est la réalité…
Alexis de four-pizza.fr

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