Calcul de l’impôt sur le revenu : sortir du royaume d’Ubu

Dossier : ExpressionsMagazine N°746 Juin 2019
Par François Xavier MARTIN (63)

L’impôt sur le revenu ou IRPP cristallise les cri­tiques sur un sys­tème fis­cal et social jugé injuste. Mais toute dis­cus­sion sérieuse sur l’IRPP est ren­due impos­si­ble par la com­plex­ité de son cal­cul, qu’il serait pos­si­ble de rem­plac­er par un autre, beau­coup plus sim­ple, ne dépen­dant que de trois paramètres de sig­ni­fi­ca­tion évi­dente dont les valeurs seraient déter­minées dans les lois de finances annuelles en fonc­tion d’objectifs de jus­tice fis­cale bien identifiés.

Pour d’évidentes raisons élec­torales les réformes antérieures de l’imposition sur le revenu ont eu pour but essen­tiel d’augmenter le nom­bre de foy­ers y échap­pant. Comme l’Administration fis­cale utilise des méth­odes de cal­cul archaïques (tranch­es d’imposition, décotes, majo­ra­tions, réduc­tions…) on arrive à cet incroy­able para­doxe : dès que le revenu d’un con­tribuable dépasse le seuil réel d’imposition après décote (env­i­ron 15 000 € par part), il est soumis non pas au taux mar­gin­al de la pre­mière tranche (14 %) mais à un taux d’environ 20 % !

En effet, afin de dimin­uer le nom­bre de foy­ers impos­ables a été mis en place un sys­tème qui con­siste à sous­traire de l’impôt avant décote une somme de « 1 196 € moins 75 % de l’impôt avant décote », ce qui revient donc à instau­r­er pour les con­tribuables entrant dans la zone réelle­ment impos­able une sous-tranche au taux de : 14 % x 1,75 = 24,5 % (ramené à 19,6 % dans sa par­tie inférieure car a été super­posée à la décote une « réduc­tion de 20 % pour les foy­ers mod­estes », ce taux de « 20 % » pou­vant lui-même vari­er en fonc­tion du revenu !).

Lorsque notre con­tribuable atteint un revenu d’un peu plus de 21 000 € par part, il voit son taux d’imposition mar­gin­al tomber de 24,5 % à 14 % avant de croître par paliers jusqu’à 45 %.

Beau­coup de con­tribuables n’ont pas une per­cep­tion bien claire du fonc­tion­nement de ce système.

Un système de tranches entaché de nombreux inconvénients

L’exemple précé­dent n’illustre qu’un des mul­ti­ples incon­vénients de l’actuel cal­cul de l’impôt sur le revenu basé sur un sys­tème de tranch­es. Car du fait de la com­plex­ité de ce sys­tème, beau­coup de con­tribuables ne font pas claire­ment la dis­tinc­tion entre taux d’imposition moyen et taux d’imposition mar­gin­al aux­quels ils sont soumis. D’où des déc­la­ra­tions aber­rantes du type : « Je fais très atten­tion à ne pas faire trop aug­menter mon revenu sinon je vais “sauter de tranche”. » Ensuite, la con­fu­sion per­ma­nente entre le taux d’imposition mar­gin­al et le taux moyen (ou effec­tif) peut avoir de graves con­séquences sur l’attractivité du pays comme l’a mon­tré le « 75 % » de F. Hol­lande abon­dam­ment repris par la presse de pays con­cur­rents sans men­tion­ner qu’il s’agissait d’un taux mar­gin­al à par­tir d’un revenu d’un mil­lion d’euros et non d’un taux moyen. La con­fu­sion per­siste : dans une récente inter­view à la télévi­sion un politi­cien tête de liste aux élec­tions européennes qui pro­po­sait une tranche à 80 % s’attirait immé­di­ate­ment la réponse de son inter­locu­teur, pour­tant jour­nal­iste français ultra­con­nu : « Donc à quelqu’un qui gagne 10 000 € par mois, vous ne lais­sez que 2 000 € ? » Ajou­tons que la crois­sance du taux d’imposition avec le revenu n’est pas régulière, ce que mon­trent les creux et boss­es de la courbe représen­tant le taux moyen en fonc­tion du revenu. Enfin, un récent sondage a mon­tré qu’une bonne par­tie de l’opinion réclame plus de pro­gres­siv­ité sans vrai­ment com­pren­dre ce que ce mot veut dire. Quand on aban­donne les mots pour par­ler chiffres, beau­coup – dont vraisem­blable­ment une bonne par­tie de ceux qui ne sont pas soumis à l’IRPP – pensent que le sys­tème n’est pas pro­gres­sif parce qu’ils croient que celui qui gagne trois fois plus qu’un autre paierait moins de trois fois plus d’impôts grâce à des nich­es fis­cales…, ce qui au pas­sage sig­ni­fie implicite­ment que la sim­ple pro­por­tion­nal­ité d’une flat tax leur sem­blerait logique ! Peut-être faut-il voir à cette demande générale de pro­gres­siv­ité l’influence des courbes dif­fusées par T. Piket­ty qui est obligé de regrouper impôts directs, indi­rects et charges sociales pour dis­cern­er une diminu­tion de taux glob­al de prélève­ments au niveau de quelques très hauts revenus, dont il fait grossir l’effectif appar­ent en dila­tant dis­crète­ment (mais de façon mas­sive) l’échelle des absciss­es de ses dia­grammes au niveau des derniers centiles.

Une bonne par­tie de l’opinion réclame plus de pro­gres­siv­ité sans vrai­ment com­pren­dre ce que ce mot veut dire.

Courbe comparant deux calculs pour l'IRPP
Com­para­i­son entre l’im­pôt cal­culé par tranch­es (mar­ron) et le cal­cul pro­posé (bleu) pour un revenu par part inférieur à 100000€

Une méthode pour rendre les choses claires

La méthode pro­posée per­met un cal­cul sim­ple et direct du taux moyen (ou effec­tif) d’imposition. Au lieu de l’actuelle bat­terie de nom­bres néces­saire à la déf­i­ni­tion de tranch­es, de la décote, de la réduc­tion pour « foy­ers mod­estes », il suf­fit de faire vot­er tous les ans dans la loi de finances trois paramètres : seuil d’imposition par part ‘Rmin’, taux effec­tif (et non mar­gin­al) d’imposition max­i­mum ‘Tmax’, coef­fi­cient de pro­gres­siv­ité de l’impôt ‘Prog’.

Chaque con­tribuable peut ensuite cal­culer très sim­ple­ment le mon­tant de son impôt. Il lui suf­fit de divis­er son revenu impos­able (après déduc­tions telles que les 10 % pour frais pro­fes­sion­nels) par le nom­bre de parts du foy­er, puis de déduire de son revenu impos­able par part R le seuil d’imposition ‘Rmin’, et enfin de divis­er le mon­tant obtenu par : ‘Prog’ + (R / ‘Tmax’), il obtient son taux d’imposition moyen avant réduc­tion et crédit d’impôt (c’est celui qui est util­isé depuis le 1er jan­vi­er 2019 pour la retenue à la source).

Il lui faut éventuelle­ment refaire le même cal­cul avec un nom­bre de parts réduit pour tenir compte du pla­fon­nement des effets du quo­tient famil­ial (mesure dont la per­ti­nence mérit­erait un débat de fond tant elle va à l’encontre de l’objectif d’équilibre de la future grande retraite par répartition).

Le dia­gramme qui suit mon­tre la com­pat­i­bil­ité avec le sys­tème à tranch­es actuel (barème 2019) si on utilise dans le cal­cul pro­posé comme seuil d’imposition (‘Rmin’) 15 000 €, comme taux effec­tif d’imposition max­i­mum (‘Tmax’) 43 % et comme coef­fi­cient de pro­gres­siv­ité (‘Prog’) 82 000.

Il faut bien remar­quer que le sys­tème de cal­cul pro­posé est poli­tique­ment neu­tre. Ce sont les valeurs retenues pour les trois paramètres indiqués plus haut qui incar­nent la volon­té poli­tique de faire par­ticiper plus ou moins à l’effort fis­cal telle ou telle tranche de revenus.

Le choix de valeurs cor­re­spon­dant au graphique mon­tre qu’il est pos­si­ble d’assurer une tran­si­tion sans heurt avec le sys­tème actuel. Ne por­tant que sur trois paramètres, la dis­cus­sion de la loi de finances per­me­t­trait de faire vari­er chaque année (y com­pris si on le souhaite dès l’automne 2019) cha­cun de ces paramètres de façon totale­ment trans­par­ente en fonc­tion d’objectifs com­préhen­si­bles par tous : aug­menter ou dimin­uer le seuil d’imposition par part, le taux moyen (ou effec­tif) d’imposition max­i­mum, la pro­gres­siv­ité de l’impôt sur le revenu.


Un nouveau « bricolage »

Au moment où cet arti­cle est rédigé, le gou­verne­ment a annon­cé vouloir met­tre en place dès 2020 une baisse glob­ale d’IRPP de 5 mil­liards d’euros sans nou­velle diminu­tion du nom­bre de foy­ers impos­ables, mais en sup­p­ri­mant l’effet per­vers de la décote. Seuls devraient béné­fici­er de cette baisse les con­tribuables de la « tranche à 14 % » et, pour un mon­tant inférieur (env­i­ron la moitié en euros et non en pour­cent­age…), ceux du bas des « 30 % », sans que l’imposition des autres con­tribuables dimin­ue. Or cela est tech­nique­ment impos­si­ble dans un sys­tème de tranch­es non « bricolé à la Ubu » puisque tout con­tribuable situé dans une tranche béné­fi­cie de la total­ité des baiss­es de taux des tranch­es inférieures.

Le sys­tème alter­natif pro­posé per­met de redessin­er une courbe har­monieuse d’entrée dans l’imposition, élim­i­nant les boss­es et les creux actuels.


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