Orgue de Pauline Viardot à Baden-Baden, gravure parue dans L. Bietsch, Eine Matinée in der Villa, Der Bazar n° 11, 8 décembre 1865, p. 401

Pauline Viardot, ou l’Europe par la musique

Dossier : ExpressionsMagazine N°767 Septembre 2021
Par Hervé MOUREN (67)

La musique a tou­jours créé des liens entre les hommes. Mais elle a rarement eu un rôle aus­si impor­tant qu’au XIXe siè­cle en Europe. De Séville à Saint-Péters­bourg en pas­sant par Vienne et Paris, il y a eu un échange per­ma­nent entre tous les musi­ciens européens, com­pos­i­teurs, chanteurs, instru­men­tistes : Pauline Viar­dot fut au cen­tre de ces échanges.

Plusieurs per­son­nal­ités ont par­ticipé à ce grand mou­ve­ment. On pense à Liszt qui a sil­lon­né l’Europe avec sa musique et celle de ceux qu’il admi­rait, mais per­son­ne ne l’a davan­tage incar­né que Pauline Viar­dot qui est encore célébrée dans toute l’Europe bien que, para­doxale­ment, elle soit qua­si incon­nue en France.

Du piano au chant

De famille andalouse, née à Paris en 1821, elle était la fille de Manuel Gar­cia, le ténor de Rossi­ni – c’est lui qui a créé Alma­vi­va – et la sœur de la Mal­i­bran qui fut la plus grande diva du début du siè­cle avant de mourir jeune à Lon­dres des suites d’une chute de cheval. Pauline Viar­dot fut d’abord pianiste, bril­lante élève de Liszt qui l’appelait « l’archi-musicienne ». Elle a joué avec Chopin, à Paris et à Nohant, et a même tran­scrit ses mazurkas en mélodies.

Après la mort de sa sœur, elle se mit au chant et ce fut la plus grande can­ta­trice de l’époque.

Elle avait un reg­istre extra­or­di­naire­ment éten­du, depuis les graves les plus pro­fonds jusqu’aux col­oratures et c’était une comé­di­enne-née. Voici ce qu’en dis­ait Saint-Saëns : 

« Sa voix, d’une puis­sance énorme, d’une éten­due prodigieuse, cette voix rompue à toutes les dif­fi­cultés de l’art du chant, cette voix mer­veilleuse ne plai­sait pas à tout le monde. Ce n’était pas une voix de velours ou de cristal, mais une voix un peu âpre, qu’on a com­parée à la saveur de l’orange amère, faite pour la tragédie ou l’épopée, surhu­maine plutôt qu’humaine ; les choses légères, chan­sons espag­noles, Mazurkas de Chopin tran­scrites par elle pour le chant, se trans­fig­u­raient dans cette voix, deve­naient des bad­i­nages de géant ; aux accents trag­iques, aux sévérités de l’oratorio, elle don­nait une incom­pa­ra­ble grandeur. »

Elle a trans­for­mé les plus grands rôles en leur don­nant une présence et une inten­sité excep­tion­nelles, que ce soit la Nor­ma de Belli­ni, la Des­dé­mone de Rossi­ni ou l’Orphée de Gluck adap­té pour elle par Berlioz et Saint-Saëns, auquel elle a don­né une nou­velle vie.

Une musicienne paneuropéenne

Pauline épouse Louis Viar­dot, directeur de théâtre, col­lec­tion­neur et ardent répub­li­cain, et com­mence une longue car­rière dans toute l’Europe. Célébrée et adulée en Alle­magne, en Angleterre, en Russie où elle ren­con­tre Ivan Tour­gue­niev qui va lui con­sacr­er sa vie, elle est en France à la fois vic­time de querelles parisi­ennes mesquines par­fois liées aux activ­ités de son mari, mais recon­nue de tous les artistes et les écrivains que les Viar­dot reçoivent sans discontinuer. 

“La culture est sans doute avec la géographie,
une des composantes majeures
de notre communauté européenne.”

Opposés au Sec­ond Empire, Pauline et Louis Viar­dot s’exilent et s’installent à Baden-Baden dont ils vont faire une vraie cap­i­tale cul­turelle. Toute l’Europe vient les voir, les sou­verains, les écrivains, les musi­ciens : c’est la con­créti­sa­tion d’une cul­ture européenne qui se recon­naît comme telle. Dans cette unité qui se crée, la musique est cen­trale. Et tous les musi­ciens vont y par­ticiper : Brahms, Wag­n­er, Berlioz, Bizet, Massenet, Meyer­beer, les Schu­mann, Robert et Clara qui fut une de ses grandes amies, Liszt, Tchaïkovs­ki, Ver­di, et plus tard Goun­od, Saint-Saëns, Fau­ré, et tous le diront : le lien entre eux, c’est Pauline Viardot. 

Par sa présence et son action, elle a ani­mé cet échange per­ma­nent et mer­veilleux qu’a con­nu le monde de la musique à ce moment-là et elle y a inté­gré des artistes comme Delacroix et Ary Schef­fer et des écrivains : Hugo, Tour­gue­niev bien sûr, Dick­ens, Zola, Renan, Flaubert qui leur envoy­ait pour relec­ture les chapitres de L’Éducation sen­ti­men­tale, et George Sand qui a trans­posé Pauline Viar­dot dans son roman Con­sue­lo. George Sand avait pour elle une grande affec­tion et une véri­ta­ble admi­ra­tion : « C’est la seule femme que j’ai aimée avec un amour sans mélange. C’est le plus grand génie de l’époque. »

Au confluent des cultures européennes

Elle fut un trait d’union extra­or­di­naire entre les pays – elle par­lait cinq langues, elle a con­va­in­cu Glin­ka et Rim­s­ki-Kor­sakov de faire le voy­age en Espagne dont ils ont rap­porté des œuvres mag­nifiques – mais égale­ment entre les épo­ques : à qua­tre ans, elle a con­nu Da Ponte à New York quand son père a organ­isé la pre­mière tournée de Don Gio­van­ni en Amérique, elle a fait renaître Haen­del qui était tombé dans l’oubli, et à la fin de sa vie elle encour­ageait Stravin­s­ki à don­ner son Sacre du print­emps. Elle a ven­du sa col­lec­tion de bijoux, y com­pris ceux don­nés par les tsars, pour acquérir le man­u­scrit du Don Gio­van­ni de Mozart qu’elle a légué à la France. Enfin elle fut une grande com­positrice, nous lais­sant plusieurs cen­taines d’œuvres, et une excep­tion­nelle péd­a­gogue – sa méth­ode est tou­jours enseignée – ain­si qu’une ardente féministe.

L’année Pauline Viardot

C’est pour recon­naître son rôle majeur dans la con­struc­tion de l’Europe de la cul­ture que l’Institut de France, en asso­ci­a­tion avec le Cen­tre européen de musique, a décidé dans le cadre des Com­mé­mora­tions nationales de faire de l’année de son bicen­te­naire une année Pauline Viar­dot. Xavier Dar­cos, chance­li­er de l’Institut, et Jorge Cham­iné, prési­dent du Cen­tre européen de musique, ont lancé ensem­ble cet hom­mage qui don­nera lieu à de nom­breuses manifestations.

Ce thème de l’Europe cul­turelle est impor­tant à bien des égards. La cul­ture est sans doute, avec la géo­gra­phie, une des com­posantes majeures de notre com­mu­nauté européenne et nous devons être recon­nais­sants à ceux qui nous ont mon­tré la voie.

C’est dans ce même esprit qu’autour de Jorge Cham­iné nous avons lancé le grand pro­jet de Cen­tre européen de musique qui va être con­stru­it à Bou­gi­val dans un cadre excep­tion­nel qui regroupe la vil­la Viar­dot, la mai­son de Bizet et la datcha de Tour­gue­niev. Ce pro­jet (toutes les infor­ma­tions sont sur le site www.cemusique.org) com­portera l’académie Pauline-Viar­dot, qui sera un haut lieu de for­ma­tion pour les musi­ciens de toute l’Europe, l’auditorium Georges-Bizet qui rap­pellera que c’est à Bou­gi­val qu’il a écrit Car­men et l’agora Yehu­di-Menuhin qui sera un con­ser­va­toire du pat­ri­moine musi­cal. Il y aura égale­ment un lab­o­ra­toire de recherche sur « musique et cerveau » et une mai­son intergénéra­tionnelle qui sera à la fois une mai­son de retraite pour musi­ciens et une rési­dence uni­ver­si­taire pour les étudiants.

Ce grand pro­jet, appuyé par la Com­mis­sion européenne et l’État français, se met en place pour une ouver­ture en 2024. Ce sera la recon­nais­sance que la musique est une des langues de l’Europe.


Pour en savoir plus

Dossier de presse réal­isé par l’In­sti­tut de France à l’oc­ca­sion du bicen­te­naire de la nais­sance de Pauline Gar­cia Viardot

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