Centre Teilhard de Chardin sur le plateau de Saclay

Le Centre Teilhard de Chardin, pour un dialogue ouvert avec le monde scientifique

Dossier : ExpressionsMagazine N°774 Avril 2022
Par Dominique DEGOUL (93)
Par Jean-Baptiste TARDIEU (2020)

Né en 1973, le père Dominique Degoul est un X93. Après quelques années à tra­vailler dans le privé, il s’engage dans la Com­pag­nie de Jésus et est ordon­né prêtre en 2014. Il est le directeur du Cen­tre Teil­hard de Chardin, situé dans la par­tie ouest du plateau de Saclay, qui vise à être un lieu de con­ver­gence et d’approfondissement de la réflex­ion entre sci­ences, tech­nolo­gie et spir­i­tu­al­ité, et devrait ouvrir pour la ren­trée de sep­tem­bre 2022. La moitié du bâti­ment sera con­sacrée au dia­logue sur des ques­tions éthiques, le reste sera partagé entre des loge­ments et une chapelle.

Pourriez-vous dire ce que sera le Centre Teilhard de Chardin pour l’ancien X qui va lire cet article ? 

L’idée du Cen­tre Teil­hard de Chardin est née sous la prési­dence de Nico­las Sarkozy. Lorsque Mgr Dubost, alors évêque d’Evry, a su que le plateau allait quadru­pler son vol­ume et le nom­bre de ses habi­tants, il est allé trou­ver les jésuites, avec lesquels il avait déjà tra­vail­lé comme évêque aux armées, pour bâtir un pro­jet por­teur dès le départ d’une dou­ble intu­ition. Un pre­mier aspect, pas­toral, con­sis­tera à accueil­lir la vie chré­ti­enne à la fois des étu­di­ants et des autres habi­tants du plateau. Un sec­ond aspect con­sis­tera à bâtir un lieu de dia­logue entre l’Église et le monde sci­en­tifique. Voilà ce qu’ambitionne d’être le Cen­tre Teil­hard de Chardin.

Le bâtiment n’est pas encore sorti de terre mais le centre a déjà de l’activité. Des conférences ont déjà eu lieu en visio. Êtes-vous optimiste de ce début et de l’énergie insufflée dans ce projet ?

Au début nous avions des moyens assez faibles en ter­mes de com­mu­ni­ca­tion et de pré­pa­ra­tion de ces con­férences. Mais nous avons sus­cité des choses de très belle qual­ité. Main­tenant il y a trois équipes qui organ­isent ces con­férences. Ce sont des bénév­oles qui don­nent de leur temps alors qu’ils sont chargés et nous les remer­cions. Ces sémi­naires avaient été mon­tés pour tester le con­cept, et je pense que ça marche plutôt bien. Je suis régulière­ment con­tac­té par des gens intéressés qui me pro­posent des con­tri­bu­tions. D’ailleurs un livre va bien­tôt sor­tir, il sera le résul­tat de trois ans de tra­vail de l’atelier « écolo­gie intégrale ».

Il y a donc trois groupes actuellement qui travaillent sur l’écologie intégrale, le monde de l’entreprise et l’intelligence artificielle. Y aura-t-il d’autres sujets à votre avis qui seront proposés par des chercheurs ou des étudiants ?

Nous sommes en train de ter­min­er la com­po­si­tion du con­seil sci­en­tifique qui va pilot­er l’ensemble des activ­ités sci­en­tifiques du groupe. Mais une ques­tion qui revient sou­vent, c’est celle du statut de la rai­son, de la vérité et de la parole sci­en­tifique dans nos sociétés. Cer­tains par­lent sans trem­bler de vérités alter­na­tives qui sont juste des bobards. Pour ces gens, nous sommes entrés dans l’air du sophisme assumé. Cet aspect est ren­for­cé par les algo­rithmes des réseaux soci­aux qui con­for­tent les gens dans leur opin­ion. C’est donc un sujet plus philosophique, qui amène à s’interroger sur le statut de la rai­son, le statut de la vérité, le statut de la parole scientifique.

Qu’est-ce que c’est que dia­loguer ? Alors qu’autrefois la parole d’un sci­en­tifique dans les médias était reçue comme absol­u­ment vraie, nous voyons aujourd’hui des experts d’opinions dif­férentes se bat­tre sur des sujets sci­en­tifiques, de telle manière que le sim­ple citoyen a bien du mal à savoir qui a rai­son. On l’a bien vu avec le défilé de pro­fesseurs de médecine médi­atisés lors de la crise san­i­taire. Der­rière cela il y a des ques­tions très pro­fondes sur le statut de la recherche, de la sci­ence et sur le rôle de la parole publique. Le Cen­tre Teil­hard de Chardin, à mon avis, devra s’attaquer à cette question.

Quelle sera la position du centre par rapport aux aumôneries des écoles du plateau ?

Le Cen­tre Teil­hard de Chardin sera le lieu d’accueil des aumôner­ies de Cen­trale­Supélec et de l’École nor­male supérieure. Cela leur per­me­t­tra de se réu­nir dans des con­di­tions moins pré­caires qu’aujourd’hui. Peut-être d’autres com­mu­nautés chré­ti­ennes étu­di­antes nous rejoin­dront-elles, à tra­vers, je l’espère, une manière de vivre qui ren­dra cette par­tie du plateau plus con­viviale pour tous.

Il y aura aus­si une messe le dimanche soir, qui pour­ra con­cern­er plus large­ment l’ensemble des écoles et des habi­tants du plateau. Mais il ne s’agit pas de sub­stituer le Cen­tre Teil­hard de Chardin aux com­mu­nautés chré­ti­ennes exis­tantes : cha­cune doit exis­ter, en par­ti­c­uli­er en gar­dant le lien avec la vie de son école. Avec les direc­tions des écoles, nous avons un lien plus cor­dial que je ne l’avais imag­iné. Nous avons été très bien accueillis.

En tant qu’aumônier de CentraleSupélec et d’HEC avez-vous senti un besoin de la part des élèves concernant les questions éthiques ?

Aujourd’hui un cer­tain nom­bre d’étudiants sont très préoc­cupés par les prob­lé­ma­tiques envi­ron­nemen­tales, et le cen­tre portera là-dessus des réflex­ions qui, je l’espère, répon­dront à leurs attentes. En ce qui con­cerne l’éthique du numérique il est pos­si­ble que cer­tains s’y intéressent même si je n’entends pas d’inquiétude par­ti­c­ulière chez les élèves aujourd’hui. J’espère que le Cen­tre Teil­hard de Chardin sera un lieu con­vivial où les élèves qui souhait­ent avoir des dis­cus­sions impor­tantes puis­sent trou­ver une oreille atten­tive, sans crain­dre de tomber dans un piège prosé­lyte. J’espère aus­si qu’il y aura des ini­tia­tives d’étudiants pas­sion­nés qui fer­ont venir des con­férenciers : cela mon­tr­era qu’ils en ont fait leur affaire !

Des logements seront proposés dans le centre pour une douzaine d’étudiants. Pourquoi se donner aussi cette mission de loger ? 

Ce n’est pas quelque chose de nou­veau, il y a dans l’Église en France une tra­di­tion de con­stituer des fra­ter­nités d’étudiants au ser­vice d’un pro­jet pas­toral. Con­tre un loy­er mod­éré qui con­tribuera au fonc­tion­nement du Cen­tre Teil­hard de Chardin, les étu­di­ants logeant dans le cen­tre, en M1-M2 ou doc­tor­at, assureront une présence per­ma­nente dans le lieu, et s’engageront dans quelques mis­sions, soit dans la pas­torale étu­di­ante, soit dans l’activité sci­en­tifique du cen­tre. Il se trou­ve aus­si que, après les deux pre­mières années d’école, beau­coup d’étudiants en fin de cycle doivent, pour le moment, se loger dans la val­lée : cer­tains seront heureux de trou­ver un loge­ment à prox­im­ité de leur école.

Projet d'architecture du Centre Teilhard de Chardin

Les vues d’architecte que l’on trouve sur le site ne laisse en rien présager que c’est un lieu de culte. Est-ce un choix ?

Pas com­plète­ment. Il y a des con­traintes archi­tec­turales très fortes pour inscrire le Cen­tre Teil­hard de Chardin dans le style archi­tec­tur­al de l’ensemble de la zone d’aménagement. Mais la chapelle, située à l’intérieur du bâti­ment, sera tout à fait iden­ti­fi­able depuis la rue par transparence.

Peut-être que les gens non chrétiens, ou en tout cas non catholiques, seront plus à l’aise à venir discuter au Centre Teilhard de Chardin par ce fait ? 

Dans ce lieu qui com­portera explicite­ment un lieu de culte, nous avons aus­si un objec­tif de dia­logue avec d’autres que l’Église, tout en assumant qui nous sommes. Plus on sait où on habite, plus il est facile d’accueillir. C’est comme dans la vraie vie : on ne peut vrai­ment accueil­lir chez soi qu’à con­di­tion d’avoir un chez-soi. Depuis l’origine, le catholi­cisme a une dimen­sion forte de recherche de dia­logue en rai­son avec tous. De ce fait, nous sommes désireux d’être en dia­logue avec tous ceux qui l’acceptent. Dit autrement, toute per­son­ne, qui s’intéresse aux sujets d’éthique, de sci­ence, et de rap­port entre sci­ence et société et qui est d’accord pour qu’il y ait un théolo­gien catholique dans la dis­cus­sion, est la bienvenue.

Vous distinguez fortement le côté colloque scientifique du côté religieux. Dans quelle mesure les débats seront pris avec un angle chrétien ?

Les réflex­ions sci­en­tifiques et éthiques pro­posées au Cen­tre Teil­hard de Chardin seront d’abord des­tinées à des pro­fes­sion­nels ayant une con­nais­sance pré­cise des sujets débat­tus, qu’il s’agisse d’enseignants, de chercheurs, ou de per­son­nes tra­vail­lant dans le monde de l’entreprise. Le car­ac­tère chré­tien de la mai­son ne sera pas caché. Le mode de ques­tion­nement éthique et exis­ten­tiel pro­pre à la foi chré­ti­enne sera présent dans les débats, mais sans être envahissant ou surplombant.

Il ne s’agira pas de faire du Cen­tre Teil­hard de Chardin un lieu où l’on assén­erait la bonne doc­trine, comme si nous avions assez de con­nais­sance et d’autorité pour enseign­er aux autres ce qu’ils doivent faire. Si je peux pren­dre un exem­ple, sur une ques­tion comme l’intelligence arti­fi­cielle, l’Église n’a aucune exper­tise : comme tout un cha­cun, le chré­tien ignore en grande par­tie de quoi il s’agit, et est par­fois fasciné, par­fois ter­ror­isé, ce qui donne l’ampleur du chantier intel­lectuel à men­er pour en éval­uer les bien­faits et les risques sur un plan éthique.

Comment pensez-vous que le centre pourra diffuser au-delà du plateau les réflexions qui l’ont animé ?

Nos con­férences seront, et sont déjà, dif­fusées en ligne. Mais je souhaite que le Cen­tre Teil­hard de Chardin soit un lieu où soient pos­si­bles des con­ver­sa­tions dif­fi­ciles. J’espère que nous aurons la capac­ité de met­tre autour d’une même table par exem­ple des col­lab­o­ra­teurs de Total­En­er­gies et des défenseurs de l’écologie. Mais une vraie con­ver­sa­tion comme celle-là pren­dra du temps et donc encore plus sa publication.

Comment résumeriez-vous le projet du Centre Teilhard de Chardin à celui qui ne lira que la fin de l’interview ?

C’est, je crois, un très beau pro­jet. Il y a une intu­ition très forte sur la néces­sité d’une présence pas­torale sur le plateau et sur la néces­sité pour l’Église de se met­tre en dia­logue avec le monde sci­en­tifique, à un moment où celui-ci est mis en ques­tion. Avec bien sûr l’espérance que cela sera utile et à l’Église et à l’ensemble de la société. Si la fig­ure con­crète du pro­jet n’est pas encore fixée, elle sus­cite déjà beau­coup d’énergie et c’est pour moi une joie.


Site Inter­net : https://www.centreteilharddechardin.fr/

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