Commission de régulation de l’énergie

Dispositif d’expérimentation réglementaire : Le « bac à sable » de la Commission de régulation de l’énergie

Dossier : ExpressionsMagazine N°761 Janvier 2021
Par Guillaume MAGNIEN (2012)

La Com­mis­sion de régu­la­tion de l’énergie facilite l’innovation avec la mise en œuvre d’un dis­posi­tif d’expérimentation régle­men­taire. Ce dis­posi­tif per­met à des por­teurs de pro­jets inno­vants de tester de nou­velles tech­nolo­gies ou de nou­veaux ser­vices en déro­geant tem­po­raire­ment aux cadres lég­is­lat­ifs et régle­men­taires en vigueur. À l’origine, les dis­posi­tifs d’expérimentation régle­men­taire ont été créés dans le secteur de la finance à l’étranger.
Depuis lors, on dénom­bre plusieurs dizaines de dis­posi­tifs sim­i­laires, en France et dans le monde, dans des secteurs très variés.

Le secteur de l’énergie est sujet à de pro­fondes muta­tions. Les objec­tifs en ter­mes de réduc­tion des émis­sions de CO2, d’intégration des éner­gies renou­ve­lables, etc., imposent de repenser glob­ale­ment la manière dont le sys­tème énergé­tique fonctionne.

Un secteur en forte mutation

Des nou­velles tech­nolo­gies appa­rais­sent et se dif­fusent, comme le stock­age qui répon­dra aux besoins de flex­i­bil­ité du sys­tème élec­trique, de plus en plus soumis à la pro­duc­tion inter­mit­tente des éner­gies renou­ve­lables. Le sys­tème élec­trique voit appa­raître de nou­veaux usages : les modes de con­som­ma­tion changent, avec l’émergence de l’autoconsommation qui per­met à un ensem­ble de con­som­ma­teurs et de pro­duc­teurs d’échanger de l’énergie locale­ment. Demain, en appli­ca­tion des nou­velles lég­is­la­tions européennes, les con­som­ma­teurs et les pro­duc­teurs pour­ront for­mer des com­mu­nautés d’énergie renou­ve­lable et des com­mu­nautés énergé­tiques citoyennes. La mobil­ité fait égale­ment l’objet de nom­breux change­ments, avec notam­ment l’arrivée des véhicules élec­triques qui ren­dront des ser­vices au sys­tème élec­trique, en se chargeant et se déchargeant en fonc­tion des besoins du sys­tème (le vehi­cle-to-grid).

“Adapter le cadre juridique aux innovations
de manière plus dynamique.”

Le secteur du gaz se méta­mor­phose lui aus­si, avec l’intégration de nom­breux pro­jets de bio­méthane dont la pro­duc­tion repose sur plusieurs briques tech­nologiques. Les inter­ac­tions entre les sys­tèmes élec­triques et gaziers, au moyen du pow­er-to-gas, sont actuelle­ment étudiées à des fins d’optimisation des réseaux.

L’intégration de ces tech­nolo­gies et ser­vices inno­vants dans le sys­tème exis­tant représente un défi majeur. En effet, ces inno­va­tions ne s’inscrivent pas tou­jours naturelle­ment dans le sys­tème actuel. Les cadres lég­is­latif et régle­men­taire ont été pen­sés avant l’arrivée de ces inno­va­tions et se révè­lent quelque­fois inadap­tés pour les accueil­lir. Le cadre juridique con­stitue alors la prin­ci­pale bar­rière à l’expérimentation et à l’indus­trialisation de solu­tions innovantes.

Les dispositifs d’expérimentation réglementaire

Les dis­posi­tifs d’expérimentation régle­men­taire ont été conçus pour répon­dre à cette prob­lé­ma­tique : ils per­me­t­tent à des por­teurs de pro­jets inno­vants de tester de nou­veaux ser­vices et de nou­veaux pro­duits dans un cadre juridique déroga­toire. Les déro­ga­tions ou exemp­tions aux règles en vigueur sont tem­po­raires et font l’objet d’un retour d’expérience. En fonc­tion des résul­tats, le pou­voir lég­is­latif ou régle­men­taire peut effectuer des mod­i­fi­ca­tions pérennes du cadre juridique applic­a­ble afin que les inno­va­tions soient indus­tri­al­isées. Ain­si, cet out­il per­met d’adapter le cadre juridique aux inno­va­tions de manière plus dynamique.

Le dis­posi­tif mis en œuvre par la Com­mis­sion de régu­la­tion de l’énergie (CRE) a été intro­duit en novem­bre 2019 par la loi rel­a­tive à l’énergie et au cli­mat, et prévoit que la CRE et l’autorité admin­is­tra­tive peu­vent accorder des déro­ga­tions aux con­di­tions d’accès et à l’utilisation des réseaux et instal­la­tions, pour déploy­er à titre expéri­men­tal des tech­nolo­gies ou des ser­vices inno­vants en faveur de la tran­si­tion énergé­tique et des réseaux et infra­struc­tures intel­li­gents. Ce dis­posi­tif apporte donc un cadre juridique adap­té aux por­teurs de pro­jets. Il leur per­met de tester des inno­va­tions qui néces­sit­eraient des évo­lu­tions du cadre lég­is­latif et régle­men­taire applic­a­ble, aus­si bien en gaz qu’en électricité. 

Un dispositif encadré

Comme tous les dis­posi­tifs déroga­toires, son périmètre est encadré. La CRE pour­ra octroy­er unique­ment des déro­ga­tions à cer­taines dis­po­si­tions du code de l’énergie et au cadre juridique qui en découle. Les déro­ga­tions sont accordées de manière tem­po­raire pour une durée ne pou­vant pas excéder qua­tre ans et sont renou­ve­lables une fois. Le min­istre chargé de l’énergie peut s’opposer à l’octroi d’une déro­ga­tion. Enfin, une déro­ga­tion ne peut pas être accordée si elle est sus­cep­ti­ble de con­trevenir au bon accom­plisse­ment des mis­sions de ser­vice pub­lic des ges­tion­naires de réseau ou de porter atteinte à la sécu­rité des réseaux.

Après avoir con­sulté les acteurs sur les modal­ités du dis­posi­tif, la CRE a ouvert un pre­mier guichet de can­di­da­tures au cours de l’été 2020. Les lau­réats seront désignés à l’issue d’une phase d’instruction afin que les pre­mières expéri­men­ta­tions puis­sent débuter au début de l’année 2021. Les por­teurs de pro­jets intéressés sont invités à pren­dre con­tact avec les ser­vices de la CRE, sans atten­dre l’ouverture du prochain guichet de candidatures.

Des expérimentations à l’étranger

Avant leur intro­duc­tion en France, des dis­posi­tifs d’expérimentation régle­men­taire ont été mis en œuvre dans le secteur de la finance. En effet, dans les années 2010, ce secteur a vu naître des tech­nolo­gies de rup­ture. Cepen­dant, leur util­i­sa­tion était alors pro­scrite par le cadre juridique applic­a­ble. Dans le même temps, les agences finan­cières, échaudées par la crise de 2008, se focal­i­saient sur la pro­tec­tion des con­som­ma­teurs, par­fois au détri­ment de l’innovation.

Des agences ont donc pro­posé de créer un cadre pour tester cer­taines inno­va­tions dans un envi­ron­nement réel mais maîtrisé, notam­ment afin de mesur­er et lim­iter les poten­tiels effets indésir­ables. Ain­si, au Roy­aume-Uni, la Finan­cial Con­duct Author­i­ty (FCA) a créé un des pre­miers dis­posi­tifs d’expérimentation régle­men­taire (reg­u­la­to­ry sand­box en anglais) dans le secteur de la finance, appliqué aux tech­nolo­gies finan­cières. Forte de son suc­cès, la FCA a lancé suc­ces­sive­ment plusieurs fenêtres de candidatures.

“Permettre aux porteurs
de projets d’exprimer leurs
besoins d’adaptation des normes
et des procédures administratives.”

Lors de la fenêtre de can­di­da­tures de 2020, la FCA a retenu 22 des 68 deman­des de déro­ga­tion qu’elle a reçues. Par­mi elles, la société Credicar a créé une plate­forme dig­i­tale per­me­t­tant à des clients d’obtenir des prêts per­son­nal­isés pour l’achat de véhicules d’occasion. La plate­forme met en rela­tion des bailleurs de fonds, des vendeurs et des acheteurs de véhicules d’occasion. La société HiPay UK a elle aus­si reçu une déro­ga­tion. En parte­nar­i­at avec Ali­pay (Aliba­ba), WeChat Pay (Ten­cent) et d’autres insti­tu­tions, HiPay UK va met­tre en place une solu­tion de paiement via des QR Code pour les trans­ports publics au Royaume-Uni.

Les dispositifs en France

Les dis­posi­tifs d’expérimentation régle­men­taire ont été intro­duits dans plusieurs secteurs en France. En France, deux dis­posi­tifs exis­taient avant l’introduction du bac à sable régle­men­taire par la CRE. 

L’Autorité de régu­la­tion des com­mu­ni­ca­tions électro­niques, des postes et de la dis­tri­b­u­tion de la presse (Arcep) a mis en place un pre­mier dis­posi­tif per­me­t­tant l’attribution des fréquences et numéros à des fins d’expérimentation. L’Arcep per­met ain­si à des entre­pris­es inno­vantes non seule­ment un accès rapi­de et sim­ple aux numéros et aux fréquences, mais aus­si de béné­fici­er de déro­ga­tions à cer­taines oblig­a­tions attachées à l’utilisation de ces ressources. Ce dis­posi­tif per­met désor­mais à cer­taines entre­pris­es de déroger à cer­taines oblig­a­tions liées à l’utilisation des fréquences, de numéros ou encore au statut d’opérateur de réseau. Ces déro­ga­tions sont attribuées par l’Arcep à l’issue d’une analyse d’éligibilité et pour une durée max­i­male de deux ans.

Plusieurs expéri­men­ta­tions ont béné­fi­cié de ce cadre déroga­toire. L’Arcep a par exem­ple autorisé la RATP à utilis­er une bande de fréquences pour faire remon­ter en temps réel des flux vidéo provenant d’une rame d’un tramway vers un poste de com­mande, en util­isant la tech­nolo­gie LTE. L’Arcep a égale­ment autorisé le CEA à utilis­er une bande de fréquences pour une expéri­men­ta­tion 5G.


La Commission de régulation de l’énergie

Instal­lée le 24 mars 2000, la Com­mis­sion de régu­la­tion de l’énergie (CRE) est une autorité admin­is­tra­tive indépen­dante. Elle con­court au béné­fice des con­som­ma­teurs finals, au bon fonc­tion­nement des marchés de l’électricité et du gaz naturel. Elle veille à l’absence de toute dis­crim­i­na­tion, sub­ven­tion croisée ou entrave à la concurrence.


France Expérimentation : un dispositif ambitieux

En 2016, la Direc­tion générale des entre­pris­es (DGE) a lancé la plate­forme France Expéri­men­ta­tion, un dis­posi­tif qui offre aux por­teurs de pro­jets la « pos­si­bil­ité d’expri­mer leurs besoins d’adaptation des normes et des procé­dures admin­is­tra­tives ». À l’origine, la plate­forme ne pou­vait attribuer des déro­ga­tions qu’à des dis­po­si­tions d’ordre régle­men­taire. Désor­mais rat­tachée à la Direc­tion inter­min­istérielle de la trans­for­ma­tion publique (DITP), la plate­forme per­met de déroger égale­ment à la loi. France Expéri­men­ta­tion se fixe pour objec­tif de faciliter et d’intensifier la mise en œuvre du droit à l’expérimentation. Ain­si, à la dif­férence des dis­posi­tifs précédem­ment cités, les déro­ga­tions ne sont pas attribuées à un por­teur de pro­jet unique, mais béné­fi­cient à tous ceux qui entrent dans le champ d’application de la dérogation.

À titre d’exemple, France Expéri­men­ta­tion est à l’origine d’une déro­ga­tion lég­isla­tive pour élargir tem­po­raire­ment le périmètre géo­graphique de l’autoconsommation col­lec­tive dans le but de faciliter le déploiement de ces opéra­tions. France Expéri­men­ta­tion a égale­ment autorisé, à titre expéri­men­tal, l’utilisation des eaux issues d’une sta­tion d’épuration pour l’irrigation de ter­res cultivables. 

Vers une généralisation de ces outils à travers le monde ?

On assiste à l’éclosion de nom­breux dis­posi­tifs d’expérimentation, var­iés, répon­dant à la fois aux besoins exprimés par les por­teurs de pro­jets inno­vants blo­qués par la régle­men­ta­tion et par les insti­tu­tions qui souhait­ent favoris­er les inno­va­tions tout en pro­tégeant les consommateurs. 

Quest, une organ­i­sa­tion non gou­verne­men­tale implan­tée au Cana­da, a dénom­bré pas moins de dix ini­tia­tives dans le secteur de l’énergie. Dans le panora­ma qu’elle dresse, Quest observe que les dis­posi­tifs d’expé­rimentation sont de plus en plus courants, et très diver­si­fiés. En effet, les dis­posi­tifs sont mis en œuvre par des entités qui peu­vent vari­er d’un pays à l’autre. Par exem­ple, dans le secteur de l’énergie, le dis­posi­tif d’expérimentation régle­men­taire est géré par le gou­verne­ment en Alle­magne, par des agences de régu­la­tion en Ital­ie et au Roy­aume-Uni et par une agence pour la pro­mo­tion de la recherche en Autriche.

On assiste à l’éclosion de nombreux dispositifs d’expérimentation.”

Quest note aus­si que la nature des guichets de can­di­da­tures à ces dis­posi­tifs varie d’un pays à l’autre. Tou­jours dans le secteur de l’énergie, le Roy­aume-Uni, l’Ontario, Sin­gapour, la France et l’Australie priv­ilégient des guichets ouverts, qui ne favorisent aucune tech­nolo­gie ni aucun champ d’application en par­ti­c­uli­er. L’Autriche a, quant à elle, opté pour un guichet thé­ma­tique, afin que les inno­va­tions répon­dent à un prob­lème préal­able­ment iden­ti­fié (la tar­i­fi­ca­tion des réseaux en l’occurrence).

Enfin, Quest relève que les dis­posi­tifs d’expérimentation dif­fèrent égale­ment par les out­ils qui leur sont asso­ciés. Cer­tains dis­posi­tifs reposent sur des parte­nar­i­ats étroits avec le milieu académique et uni­ver­si­taire. C’est le cas en Ital­ie par exem­ple où l’agence de régu­la­tion tra­vaille en étroite col­lab­o­ra­tion avec le RSE (Ricer­ca sul Sis­tema Ener­geti­co), un insti­tut pub­lic de recherche sur l’énergie. Cer­tains dis­posi­tifs sont adossés à des finance­ments publics. En Alle­magne, les cinq pro­jets lau­réats au dis­posi­tif d’expérimentation régle­men­taire ont égale­ment reçu un finance­ment pour men­er leurs projets. 

En con­clu­sion, un nom­bre crois­sant d’administrations et d’organisations sont intéressées par les dis­posi­tifs d’expérimentation régle­men­taire qui sont un out­il pra­tique pour faciliter l’innovation en faisant évoluer le cadre lég­is­latif et régle­men­taire exis­tant de manière plus dynamique. Tout laisse à penser que ces out­ils se généralis­eront dans le futur.


Candidature au dispositif d’expérimentation de la CRE

La CRE met en œuvre un dis­posi­tif d’expérimentation dans le secteur de l’énergie. Ce dis­posi­tif, aus­si appelé « bac à sable », per­met à des por­teurs de pro­jets inno­vants de tester de nou­velles tech­nolo­gies ou de nou­veaux ser­vices en déro­geant tem­po­raire­ment à cer­taines règles juridiques en vigueur. L’objectif de l’expérimentation est autant de tester la via­bil­ité de la tech­nolo­gie ou du ser­vice que d’évaluer l’opportunité d’une évo­lu­tion pérenne du cadre juridique.

Les con­di­tions dans lesquelles se déroulent les expéri­men­ta­tions sont encadrées par la délibéra­tion de la CRE qui octroie les déro­ga­tions au cadre juridique en vigueur. Ces déro­ga­tions tem­po­raires s’inscrivent dans un cadre per­me­t­tant à la fois le déploiement d’expérimentations inno­vantes, mais égale­ment de garan­tir la sécu­rité, la sûreté et la qual­ité de fonc­tion­nement des réseaux et des installations.

L’ensemble des infor­ma­tions (notam­ment la procé­dure de can­di­da­ture) est disponible sur le site inter­net de la CRE.


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