Carte de l'Europe

Une union de la France et de l’Allemagne pour relancer l’Europe

Dossier : ExpressionsMagazine N°734 Avril 2018
Par Alain NICOLAÏDIS (62)

Le pro­jet de créer une asso­ci­a­tion pour relancer l’Eu­rope en revenant aux principes des pères fon­da­teurs, sur la base d’un socle fran­co-alle­mand, uni par le mariage après 70 ans de fiançailles. 

Une union de la France et de l’Allemagne ? Vous êtes libres de penser : « Il est devenu fou » et de vaquer, illi­co, à vos occu­pa­tions favorites. 

Vous pou­vez aus­si, comme je l’espère, pren­dre le temps de lire mon argu­men­taire en faveur d’un mariage en bonne et due forme qui me sem­ble la voie du bon sens après bien­tôt 70 ans de fiançailles, 70 ans de dis­cours – ou plutôt de bavardages – sur le « cou­ple » franco-allemand. 

UN PROJET DÉJÀ ANCIEN

En 1950 déjà, Kon­rad Ade­nauer, chance­li­er de la République fédérale d’Allemagne, avait pro­posé l’union poli­tique des deux pays, la mise en place d’un Par­lement unique et d’une nation­al­ité commune. 

C’était pour lui un préal­able oblig­a­toire pour don­ner la pos­si­bil­ité à d’autres nations de rejoin­dre ce noy­au fran­co-alle­mand et for­mer ain­si la pierre angu­laire des États- Unis d’Europe.

“ Il faut constater que l’Union européenne est dans une impasse ”

Le général de Gaulle fut alors le seul, par­mi les hommes poli­tiques français, qui ne pous­sa pas des hurlements à pro­pos de ce pro­jet. Mieux, il salua, à l’occasion d’une con­férence de presse tenue au Quai d’Orsay, cette propo­si­tion du chancelier. 

Depuis, l’idée a été maintes fois évo­quée sous divers­es formes, avec le peu de suc­cès que l’on sait. Mais, aujourd’hui, la con­jonc­tion de deux évi­dences impose de trans­former la pré­ten­due utopie en un indis­pens­able rap­proche­ment institutionnel. 

D’abord, il faut con­stater que la con­struc­tion de l’Union européenne (Union ? ne riez pas !) est dans une impasse et recon­naître le rejet de plus en plus man­i­feste d’un sys­tème bureau­cra­tique qui, de traité en traité, de lâcheté en lâcheté, a totale­ment dévoyé l’esprit des « pères fon­da­teurs » de cette belle idée d’Europe (rejet dont le Brex­it n’est que le dernier avatar). 

Ensuite, on assiste à une volon­té, désor­mais ouverte­ment exprimée en France, d’émancipation régionale, qui puise sa légitim­ité dans un refus crois­sant de notre jacobinisme/colbertisme multiséculaire. 

NOUS AVONS BESOIN D’EUROPE

Nous avons besoin, dans ce monde dit glob­al­isé, mais surtout immen­sé­ment égoïste où la loi de la jun­gle est la seule qui vaille, de pou­voir par­ler d’égal à égal avec les véri­ta­bles puis­sances mon­di­ales, Chine ou États-Unis. 

“ Continuer nos errements actuels conduira sans aucun doute à la fin de l’Europe ”

Ce n’est pas le cas aujourd’hui de la France ou de l’Allemagne – encore moins de cet ecto­plasme qu’on appelle la Com­mis­sion européenne. Nous avons besoin d’une voix poli­tique forte (et, bien sûr, d’une économie puis­sante), non pas pour le seul plaisir nar­cis­sique de nos dirigeants, mais tout sim­ple­ment pour défendre nos intérêts essen­tiels dans un monde qui ne nous veut pas tou­jours du bien. 

COMMENT RELANCER L’EUROPE ?

Pour relancer l’Europe (qui reste, dans une grande majorité, une idée chère aux Français et à leurs voisins), deux solu­tions et seule­ment deux. 


Une con­struc­tion européenne dans l’impasse. © GABRIELE HULLER

Ou bien con­tin­uer une poli­tique de petits pas – en avant, de préférence – afin de con­stru­ire, in fine, une véri­ta­ble Europe en espérant con­va­in­cre 28 ou 30 nations de créer, à l’unanimité, une véri­ta­ble entité poli­tique dotée d’un réel pou­voir – c’est-à-dire appuyé sur une Con­sti­tu­tion com­mune et exer­cé par un véri­ta­ble gou­verne­ment supranational. 

Ou bien repren­dre tout à zéro en revenant aux principes des « pères fon­da­teurs » lorsqu’ils en avaient, au lende­main de la guerre, jeté les bases à par­tir d’un socle franco-allemand. 

La pre­mière voie – con­tin­uer nos erre­ments actuels quant à la pré­ten­due con­struc­tion européenne – con­duira sans aucun doute à la fin de l’Europe, faute de patience et, surtout, d’espérance, tant est fort le rejet des insti­tu­tions actuelles et évi­dent l’impossibilité de les réformer à 28. 

La deux­ième est assuré­ment ardue et demande un courage poli­tique qui n’est pas la ver­tu la plus répan­due. Mais il me sem­ble de bon sens que, pour obtenir à l’avenir le même résul­tat, il est plus rapi­de et facile de se met­tre d’accord à deux, la France et l’Allemagne, plutôt qu’à 28… avec l’avantage pré­cieux de tout repren­dre à la base, ce qui paraît de nature à éviter les chemins sans issue et les bourbiers. 

POURQUOI UNE FÉDÉRATION D’EUROPE ?

Même sans l’adhésion d’autres provinces ou d’États, l’union de la France et de l’Allemagne, c’est l’avènement d’une véri­ta­ble super­puis­sance sus­cep­ti­ble de par­ler d’égal à égal avec les États-Unis et la Chine : 3e puis­sance économique mon­di­ale (après les USA et la Chine, mais loin devant le Japon et le Roy­aume-Uni), 3e expor­ta­teur mon­di­al (der­rière la Chine, mais pas très loin des USA). 

UNE FORCE D’ENTRAÎNEMENT

L’union des peuples dans une entité unique composée des 13 régions françaises et des 17 länder allemands, dotée d’une Constitution et d’un gouvernement fédéral entraînerait, très rapidement probablement, l’adhésion d’autres provinces ou d’États de taille plus modeste (Flandre, Wallonie, Luxembourg, Pays-Bas…, pourquoi pas la Catalogne, etc.).
Une seule condition à l’adhésion : l’accord de notre nouvelle Fédération, et l’acceptation pleine et entière de sa Constitution par le candidat.

Pourquoi refuser cette oppor­tu­nité, alors que nos deux pays ont, par ailleurs, de grandes simil­i­tudes : his­toire, cul­ture et sci­ence, niveau de vie, droit, pro­tec­tion sociale, qual­ité des infra­struc­tures, adhé­sion irréversible des deux peu­ples aux principes démoc­ra­tiques, aux droits de l’homme et à la néces­sité de la défense de l’environnement.

Ils ont aus­si des com­plé­men­tar­ités évi­dentes : en Alle­magne, cul­ture de la décen­tral­i­sa­tion et impor­tance des pou­voirs régionaux, puis­sance de l’économie et struc­ture opti­misée du tis­su indus­triel, grande sélec­tiv­ité des objec­tifs com­mer­ci­aux, image de « haut de gamme » et de qualité. 

En France, puis­sance poli­tique (encore) avec le statut de mem­bre per­ma­nent au Con­seil de sécu­rité de l’ONU, puis­sance mil­i­taire com­plète incon­testable ; force de l’agriculture et de l’industrie agroal­i­men­taire ; cul­ture de « poli­tique indus­trielle » – même si le mot est désor­mais hon­ni – avec la présence de grands groupes qui comptent (encore) dans le monde (aéro­nau­tique, espace, trans­ports ter­restres, arme­ment, con­struc­tion navale…). 

UNE FÉDÉRATION D’EUROPE, COMMENT ?

C’est très sim­ple. À con­di­tion qu’il y ait, de part et d’autre du Rhin, une volon­té poli­tique à l’égale de celle qui habitait les « pères fon­da­teurs ». Sous réserve du suc­cès de cette mobil­i­sa­tion, le proces­sus suiv­ant pour­rait être envisagé. 

UNE VOLONTÉ POLITIQUE À RECONSTRUIRE

Cette volonté politique était suscitée par le refus de subir une guerre de plus, dans cette Europe qui en avait connu trop.
Aujourd’hui, rares sont ceux qui imaginent que la paix qui règne entre pays européens puisse être réellement menacée. Il ne faut donc pas, hélas, espérer un mouvement spontané de nos hommes politiques.
Mais on peut espérer en convaincre suffisamment par une communication adéquate et surtout par la mobilisation visible d’un nombre croissant de citoyens français et allemands en faveur de ce projet.

D’abord, un accord des par­lements français et alle­mand pour la tenue d’élections de représen­tants des deux nations visant à créer une assem­blée con­sti­tu­ante chargée d’élaborer la loi fon­da­men­tale organ­isant la struc­ture poli­tique de cette République fédérale d’Europe ; ensuite, un référen­dum dans les deux pays pour adopter (ou rejeter) cette Con­sti­tu­tion ; enfin, mise en place des organes de gou­verne­ment con­formes aux principes de cette Constitution. 

A pri­ori, mais sans préjuger des propo­si­tions qui seraient faites par l’Assemblée constituante : 

  • un Par­lement élu au suf­frage universel ; 
  • un exé­cu­tif nom­mé par le Par­lement ou désigné par le suf­frage uni­versel direct ; 
  • la créa­tion immé­di­ate de min­istères com­muns, Défense (avec inté­gra­tion de toutes les forces mil­i­taires sous un com­man­de­ment unique) et Affaires étrangères (avec fusion des ambas­sades et des con­sulats), Finances (en charge du bud­get fédéral) et Économie (pour les respon­s­abil­ités qui ne peu­vent être assurées au niveau région­al – négo­ci­a­tions finan­cières et moné­taires inter­na­tionales, en particulier) ; 
  • pour tous les autres min­istères (Jus­tice, Intérieur, Tra­vail et Affaires sociales, Trans­ports, Édu­ca­tion et Recherche, Sports, Envi­ron­nement , San­té…), une struc­ture fédérale légère pour­rait pro­pos­er au Par­lement, pour chaque domaine, une déf­i­ni­tion des respon­s­abil­ités régionales et des respon­s­abil­ités fédérales en visant une har­mon­i­sa­tion des procé­dures en vigueur en France et en Allemagne. 

REFONDONS L’EUROPE SUR LE SOCLE FRANCO-ALLEMAND

Si je ne vous ai pas con­va­in­cus de l’intérêt de mon com­bat, n’ayez crainte, je reviendrai à la charge en espérant qu’un meilleur argu­men­taire, de moi ou d’un autre avo­cat plus tal­entueux, vous décidera à appuy­er suff­isam­ment cette « utopie » pour qu’elle cesse, comme je l’espère, de rester une utopie. 

Le pont de Kehl
Le pont de Kehl, sym­bole de la prox­im­ité franco-allemande.
© JEAN-FRANÇOIS BADIAS

“ Nos deux pays ont des complémentarités évidentes ”

Si, à l’inverse, vous pensez que ce pro­jet mérite d’être poussé, alors unis­sons nos efforts. 

Je pro­pose donc, dès aujourd’hui, de réu­nir toutes les bonnes volon­tés dans une asso­ci­a­tion qui représen­tera ce courant de pen­sée visant à recon­stru­ire l’Europe sur une base solide, c’est-à-dire, comme ce le fut à l’origine, à par­tir d’un socle fran­co-alle­mand, en créant une entité poli­tique adap­tée au monde actuel grâce à sa puis­sance, sa capac­ité d’action et sa légitimité. 

L’Europe, telle qu’elle existe aujourd’hui, est inca­pable de nour­rir, de sus­citer, d’oser le moin­dre rêve. Nos enfants, dans leur grande majorité, atten­dent de pou­voir enfin rêver de l’Europe. Ne les décevons pas. 

Notre généra­tion ne peut rester sans espoir à leur offrir et n’avoir à leur pro­pos­er que cette farce qu’on appelle Union européenne et qui témoigne de notre fail­lite politique. 

J’attends vos remar­ques, vos sug­ges­tions… ou vos anathèmes. 

PS : je dis­ais que j’allais con­sacr­er le restant de mes jours à la réus­site de ce pro­jet. C’est évidem­ment une plaisan­terie. Sans pour autant cess­er de m’intéresser à cette noble cause, je compte bien lancer cette asso­ci­a­tion mais, très vite, pass­er le flam­beau à un volon­taire plus jeune (et bien sûr… plus qualifié !).

2 Commentaires

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Alain Nico­laïdisrépondre
17 mai 2018 à 16 h 09 min

Asso­ci­a­tion pour un gou­verne­ment fédéral franco-allemand

Pour vis­iter le site de l’ “asso­ci­a­tion pour un gou­verne­ment fédéral franco-allemand”: 

http://WWW.unionfranceallemagne.eu

Louis Mol­laretrépondre
17 mai 2018 à 17 h 59 min

Unir la France et l’Alle­magne ?
L’u­topie étant ce qui met en mou­ve­ment l’idée de cette union fédérale est sûre­ment mobilisatrice.
Mais est-il oppor­tun d’an­non­cer cet objec­tif très tôt ?
Les gou­ver­nants seront peut-être ten­tés. Mais ce genre de déci­sion ne s’im­pose pas d’en haut. Ne con­viendrait-il pas de semer cette idée comme une graine dans un ter­reau fer­tile dont on espère une fleur ?
Ne faudrait-il pas, avant d’a­vancer cette idée, savoir de quoi peut être con­sti­tué, en France et en Alle­magne, le dit ter­reau ? Chercher aus­si quels ingré­di­ents peu­vent être rassem­blés pour servir d’en­grais. Et surtout repér­er les jar­diniers qui sauront sur­veiller la germination.
A suivre.

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