Prévenir les incendies dans les sites isolés Éléments de méthodologie

Dossier : ExpressionsMagazine N°746 Juin 2019
Par Bernard BEAUZAMY (68)

L’incendie de la cathé­drale Notre-Dame est l’occasion de rap­pel­er quelques notions de préven­tion appliquées à la détec­tion d’événements rares dans des lieux non fréquentés.

À la demande de l’Institut de radio­pro­tec­tion et de sûreté nucléaire, nous avons réal­isé, il y a quelques années, un audit du réseau Téléray : con­sti­tué d’environ 400 balis­es répar­ties sur tout le ter­ri­toire, il mesure la radioac­tiv­ité dans l’environnement et alerte en cas de dépasse­ment d’un seuil.

L’analyse a mon­tré qu’un tel réseau ne pou­vait fonc­tion­ner cor­recte­ment : la plu­part du temps, il n’y a rien à mesur­er ; de ce fait, les balis­es tombent en panne ou, ce qui est pire, émet­tent de fauss­es alertes, qui oblig­ent à des véri­fi­ca­tions sur place et con­duisent à une baisse de vig­i­lance, y com­pris dans la véri­fi­ca­tion des balis­es elles-mêmes (tout le monde est con­va­in­cu qu’il s’agit d’une fausse alarme). Notre con­clu­sion a été : il vaut mieux rem­plac­er les balis­es par un réseau mobile, que l’on déploiera en cas d’alerte. En effet, la sur­veil­lance de la radioac­tiv­ité n’est utile que si, quelque part, un acci­dent nucléaire s’est pro­duit et un tel acci­dent est tou­jours immé­di­ate­ment détec­té. La prob­a­bil­ité est très faible, et des moyens mobiles appro­priés auront tout le temps néces­saire pour être déployés.

Que faudrait-il faire à Notre-Dame ?

Ces réflex­ions, pour théoriques qu’elles soient, peu­vent nous guider pour définir des moyens d’alerte en cas d’incendie dans une zone habituelle­ment non fréquen­tée, comme on l’a vu récem­ment avec les combles de Notre-Dame. Ces mêmes réflex­ions peu­vent égale­ment nous per­me­t­tre d’éliminer cer­taines propo­si­tions qui ont été faites, parce qu’elles ne pren­nent pas suff­isam­ment en compte les dys­fonc­tion­nements éventuels des capteurs.

Dans un tel cas, on ne peut imag­in­er une sur­veil­lance per­ma­nente par des êtres humains sur place, tout sim­ple­ment parce qu’il n’y a rien à voir. On peut imag­in­er un sys­tème de sur­veil­lance par caméras, relié à un P.C. Cen­tral, mais on retombe sur les mêmes dif­fi­cultés : il fau­dra beau­coup de caméras et il fau­dra la vig­i­lance d’un être humain qui regardera les caméras. Le point favor­able, pour un tel sys­tème, est que l’on sait si les caméras fonc­tion­nent ou non.

Le sys­tème pas­sif le plus répan­du pour la lutte con­tre l’incendie est con­sti­tué de sprin­klers : ce sont des bus­es ali­men­tées en eau de manière per­ma­nente ; une élé­va­tion de tem­péra­ture se traduit automa­tique­ment par un jet d’eau. Mais le sys­tème peut s’engorger et être soumis à la pous­sière ; il faut le véri­fi­er au moins deux fois par an. Et, quelle qu’en soit l’architecture, un réseau fixe est coû­teux et fragile.

“Faire l’analyse des situations où le danger est réel,
et y apporter une réponse appropriée”

Un réseau mobile

Reprenons donc le raison­nement que nous tenions à pro­pos de Téléray : il nous faut un réseau mobile,
c’est-à-­­dire non per­ma­nent. En quoi pour­rait-il con­sis­ter ? La réponse est sim­ple : la char­p­ente d’une église ne s’enflamme pas spon­tané­ment ; elle ne le fait que si un élé­ment déclencheur se pro­duit, par exem­ple une nég­li­gence lors de travaux ou bien si l’installation élec­trique a été abîmée par des chocs ou des vibra­tions. Il n’est donc pas utile de sur­veiller une telle zone en per­ma­nence ; il faut le faire unique­ment si des événe­ments spé­ci­fiques sont en cours.

La déf­i­ni­tion de notre « réseau mobile » devient alors très claire : il s’agirait d’un ensem­ble de caméras, détecteurs de fumée, cap­teurs divers, que l’on installerait sur des sup­ports spé­ci­aux, tem­po­raire­ment, pen­dant les travaux et (par exem­ple) pen­dant les deux semaines qui suiv­ent leur achève­ment. Après quoi, on les retire et on les réu­tilise ailleurs.

La fia­bil­ité des équipements sera très bonne, parce que ce seront des équipements dédiés, véri­fiés à chaque util­i­sa­tion. L’alerte serait immé­di­ate. Le coût d’un tel réseau mobile est très faible ; on peut admet­tre qu’il soit lais­sé à la charge des entre­pris­es qui effectuent les travaux. Par con­tre, un point très impor­tant est que le réseau devrait être véri­fié, après instal­la­tion, par un inspecteur indépendant.

Pour plus de fia­bil­ité, il faudrait plusieurs réseaux dis­tincts, fonc­tion­nant selon des principes dif­férents, cha­cun cou­vrant l’ensemble de la zone (et non pas un pour l’est, un pour l’ouest, etc.). On pour­rait par exem­ple avoir un réseau de caméras, un réseau de détecteurs de fumée, etc., dis­tincts les uns des autres. Chaque réseau per­met ain­si de valid­er ce que dis­ent les autres et d’éliminer les fauss­es alarmes, tou­jours à crain­dre. C’est un principe d’indépendance, appliqué aux réseaux.

Le réseau Téléray. © IRSN

Pour un traitement raisonné du risque

On a ten­dance à accom­mod­er le principe de pré­cau­tion à toutes les sauces ; on voit des dan­gers partout et on réclame des remèdes, sans se souci­er suff­isam­ment de la prob­a­bil­ité ni du coût, ni même des incon­vénients pos­si­bles : le remède peut être pire que le mal. L’approche pré­con­isée ici, à par­tir de réseaux mobiles et tem­po­raires, per­met au con­traire de faire l’analyse des sit­u­a­tions où le dan­ger est réel, et d’y apporter une réponse appro­priée, avec une bien meilleure effi­cac­ité et un coût moin­dre. Mais, bien enten­du, cer­tains réseaux ont voca­tion à fonc­tion­ner de manière per­ma­nente : la détec­tion des incendies dans un lieu qui y est en per­ma­nence exposé (une usine, un sous-marin, etc.), la sur­veil­lance anti-intru­sion dans une cen­trale, la détec­tion du grisou dans les mines, etc. Cette dernière sit­u­a­tion est par­ti­c­ulière­ment sig­ni­fica­tive, parce qu’un tel réseau est absol­u­ment cri­tique : il doit pou­voir fonc­tion­ner partout et tout le temps, et il ne doit pas pou­voir être mis en panne, par qui que ce soit et pour quelque rai­son que ce soit.

En 2007, une explo­sion de grisou s’est pro­duite dans la mine de Zasyad­ko, en Ukraine. Plus de 100 mineurs ont été tués. Nous avons été con­sultés par les autorités locales : peut-on amélior­er l’efficacité du réseau de sur­veil­lance ? Notre réponse a été que chaque cap­teur doit être suivi en per­ma­nence, à par­tir d’une com­para­i­son avec ses voisins. Il faut donc un réseau très dense. Une fois ce réseau conçu, il faut le dou­bler, et le dou­bler encore. À 1 000 m sous terre, ce n’est pas le lieu pour une opti­mi­sa­tion mathématique !

Dans le cas où le dan­ger est lié à des cir­con­stances spé­ci­fiques, l’avantage du sys­tème tem­po­raire et mobile est ain­si triple : un tel sys­tème est plus spé­ci­fique, coûte moins cher (aus­si bien en instal­la­tion qu’en entre­tien) et allège le cahi­er des charges des sys­tèmes fix­es, ce qui en accroît la robustesse et en sim­pli­fie la manutention. 


Arti­cle écrit avec la col­lab­o­ra­tion des mem­bres du con­seil sci­en­tifique du pro­jet « dys­fonc­tion­nements d’équipements » : Michel Bénéz­it (74), ancien mem­bre du comité exé­cu­tif de Total ; Gio­van­ni Bruna, ancien directeur sci­en­tifique de l’IRSN ; Dominique Mail­lard (68), ancien directeur général de l’Énergie et ancien prési­dent du direc­toire de RTE. 


Poster un commentaire