Les équipements aéronautiques civils

Dossier : L'aéronautiqueMagazine N°607 Septembre 2005
Par Denis RANQUE (70)

Vingt ans plus tard, il est clair que les équipemen­tiers français ont su, dans le sil­lage d’Air­bus, attein­dre les stan­dards req­uis en matière de coûts, délais, qual­ité de pro­duc­tion et de ser­vice, et se hiss­er au niveau des lead­ers améri­cains du domaine. Ils ont réus­si à main­tenir leurs posi­tions sur Air­bus, mais aus­si à dévelop­per leurs rela­tions avec Boe­ing et avec les autres con­struc­teurs d’avions régionaux ou d’affaires.

Denis RANQUE (70)Ces gains de parts de marché, asso­ciés à la crois­sance des ventes d’avions résul­tant du trans­port aérien mon­di­al, leur ont ain­si procuré une crois­sance annuelle moyenne de 7 % depuis trente ans (en euros courants), mod­ulée par les cycles pro­pres à la con­struc­tion aéro­nau­tique civile.

Cette crois­sance est le fruit d’ef­forts soutenus tout au long de ces décen­nies, notam­ment en matière d’in­vestisse­ments en recherche et développe­ment. Elle a été accom­pa­g­née par une forte évo­lu­tion du tis­su indus­triel français. Nous exam­inerons suc­ces­sive­ment les aspects tech­niques, puis les aspects struc­turels de cette évolution.

Les innovations techniques

Les équipemen­tiers français ont su répon­dre en temps voulu aux sol­lic­i­ta­tions des avion­neurs en matière tech­nologique, con­tribuant ain­si à la mise sur le marché par Air­bus d’avions plus inno­vants que ceux de Boeing.

En effet les équipements jouent un rôle fon­da­men­tal, par leur effi­cience et leurs fonc­tion­nal­ités, au même titre que la cel­lule ou les moteurs, dans les per­for­mances opéra­tionnelles et économiques, la sécu­rité et le con­fort des avions.

Ces pro­grès ont porté essen­tielle­ment sur l’au­toma­ti­sa­tion et la réal­i­sa­tion de fonc­tions ” intel­li­gentes “, la minia­tur­i­sa­tion, la fia­bil­ité et la durée de vie, les évo­lu­tions tech­niques à venir.

La miniaturisation, la fiabilité et la durée de vie

L’évo­lu­tion des matéri­aux et de l’élec­tron­ique a per­mis des réduc­tions de masse et de vol­ume con­sid­érables (divi­sion par 5 en vingt ans pour le sys­tème de pilotage), et une con­stante amélio­ra­tion de la fia­bil­ité, de la sécu­rité et de la durée de vie de matériels des­tinés pour cer­tains à fonc­tion­ner pen­dant plus de vingt ans à rai­son de 5 000 heures par an.

L’automatisation et la réalisation de fonctions ” intelligentes ”

Une des évo­lu­tions les plus mar­quantes a été celle de l’au­toma­ti­sa­tion des sys­tèmes de pilotage et de nav­i­ga­tion qui a per­mis de ramen­er à deux le nom­bre de mem­bres d’équipage tech­niques tout en amélio­rant la sécu­rité : les cal­cu­la­teurs de com­man­des de vol, trans­met­tant leurs ordres aux action­neurs de gou­vernes par liai­son numérique, assurent la sta­bil­ité et le main­tien de l’ap­pareil sur la tra­jec­toire désirée. Le sys­tème de ges­tion du vol, véri­ta­ble cerveau de l’ap­pareil, déter­mine, à par­tir des infor­ma­tions de nav­i­ga­tion (cen­trale iner­tielle, GPS, aides radioélec­triques), des car­ac­téris­tiques de l’avion, et de mul­ti­ples paramètres dont le prix du car­bu­rant, la tra­jec­toire opti­male de l’avion depuis le décol­lage jusqu’à l’at­ter­ris­sage suiv­ant le plan de vol prédéfi­ni par le pilote et mod­i­fi­able à tout moment selon les con­signes trans­mis­es par les con­trôleurs aériens. Des sys­tèmes de sécu­rité sup­plé­men­taires aver­tis­sent le pilote des per­tur­ba­tions atmo­sphériques, des risques de col­li­sions en vol ou de la prox­im­ité du sol.

Poste de pilotage d'Airbus A380
Poste de pilotage d’Air­bus A380 ©AIRBUS

Les instru­ments séparés ont été rem­placés par des sys­tèmes inté­grés de planche de bord, infor­ma­tisés, qui font appel à des tech­nolo­gies voisines de celles que cha­cun retrou­ve sur son PC, mais avec des con­traintes d’er­gonomie, de sécu­rité (zéro ” plan­tage ” de pro­gramme) et de durée de vie autrement plus importantes.

Ain­si le pilote n’est plus un ” manip­u­la­teur “, mais un ” man­ag­er ” devant son ” poste de com­man­de­ment “, assur­ant la super­vi­sion générale, les pris­es de déci­sions stratégiques… et inter­venant si cer­tains organes se déclar­ent défaillants.

À côté des équipements ” d’avion­ique “, en charge des fonc­tions de pilotage, nav­i­ga­tion, guidage et ges­tion du vol, d’autres assurent les fonc­tions de ” servi­tude ” (généra­tion et dis­tri­b­u­tion élec­trique, hydraulique, flu­idique, ser­vo­com­man­des et action­neurs, atter­ris­seurs, sys­tèmes de freinage et d’an­ti­déra­page, etc.), le con­fort ” de cab­ine ” (sièges, gal­leys, éclairage, con­di­tion­nement d’air, oxygène, alarme incendie, tobog­gans d’é­vac­u­a­tion, sys­tèmes mul­ti­mé­dias, etc.).

Les deux évo­lu­tions struc­turantes majeures com­munes à la plu­part de ces sys­tèmes concernent :
• le ” tout numérique “, util­i­sa­tion général­isée des cal­cu­la­teurs pour assur­er les automa­tismes, échang­er les don­nées entre les sys­tèmes et con­trôler leur état de fonc­tion­nement, avec l’ex­i­gence en archi­tec­ture et logi­ciels de haute sécurité,
• le ” tout élec­trique “, accroisse­ment de l’u­til­i­sa­tion de la puis­sance élec­trique, soit en rem­place­ment de l’hy­draulique, du pneu­ma­tique ou du mécanique pour les divers action­neurs, pom­pes, ou pour le con­di­tion­nement d’air, soit pour fournir du con­fort (sièges réglables élec­trique­ment) ou du diver­tisse­ment aux pas­sagers (sys­tèmes mul­ti­mé­dias de bord).

C’est ain­si que la puis­sance élec­trique instal­lée sur un avion long-cour­ri­er est passée de 500 kW sur les avions conçus il y a vingt ans à 1,5 MW sur le Boe­ing 787 conçu en 2004.

Les évolutions techniques à venir

Ces évo­lu­tions se pour­suiv­ront dans les prochaines décen­nies, avec tou­jours comme objec­tif d’ap­porter au niveau de l’avion global :
• une aug­men­ta­tion de la sécu­rité et de la sûreté,
• une réduc­tion des coûts de possession,
• une aug­men­ta­tion du confort,
• un accroisse­ment de la flu­id­i­fi­ca­tion et une den­si­fi­ca­tion du trafic,
• une pro­tec­tion accrue de l’environnement.

Un enjeu majeur est l’évo­lu­tion de la ges­tion du traf­ic aérien, indis­pens­able pour faire face à un dou­ble­ment du traf­ic prévu à un hori­zon de quinze ans. Il fau­dra notam­ment accroître et opti­miser les échanges automa­tisés de don­nées de posi­tion­nement et de plan de vol entre l’avion, les cen­tres de con­trôle du traf­ic aérien au sol, les cen­tres opéra­tionnels des aéro­ports et des com­pag­nies aéri­ennes. Il sera fait plein usage des sys­tèmes de nav­i­ga­tion par satel­lites (GPS et Galileo), et des sys­tèmes de com­mu­ni­ca­tions dont le fonc­tion­nement doit être entière­ment sécurisé. Ils seront com­plétés par des dis­posi­tifs automa­tisés d’évite­ment d’ob­sta­cles, qui pour­raient égale­ment assur­er des fonc­tions de sûreté telles qu’empêchement de sur­vol de zones inter­dites quelles que soient les volon­tés du pilote.

Ces évo­lu­tions sont ren­dues com­plex­es par le nom­bre d’ac­teurs qu’elles con­cer­nent et par la néces­sité d’as­sur­er l’in­teropéra­bil­ité au niveau mon­di­al et la com­pat­i­bil­ité avec les anciens sys­tèmes. La Com­mis­sion européenne sou­tient à cet égard l’ini­tia­tive ” sesame ” lancée par les indus­triels Thales, EADS et Air­bus pour définir et déploy­er avec tous les acteurs européens con­cernés (autorités et cen­tres de recherche de l’avi­a­tion civile, indus­triels, com­pag­nies aéri­ennes, con­trôles aériens, aéro­ports) les infra­struc­tures au sol ou les équipements d’avions nécessaires.

L’évolution de l’industrie française des équipements aéronautiques

L’in­dus­trie française des équipements aéro­nau­tiques a réal­isé en 2004 un chiffre d’af­faires de l’or­dre de 6 mil­liards d’eu­ros, dont plus de 70 % dans le domaine civ­il (les pro­por­tions étaient invers­es il y a trente ans). La qua­si-total­ité des ventes civiles sont des­tinées à l’ex­por­ta­tion directe ou indi­recte via l’avionneur.

Une industrie duale à haute intensité technologique et capitalistique, et à très long cycle

Née pour l’essen­tiel du domaine mil­i­taire, l’in­dus­trie des équipements aéro­nau­tiques reste en grande par­tie une indus­trie duale, même si la part mil­i­taire est aujour­d’hui minori­taire. L’ac­tiv­ité mil­i­taire lisse les cycles du civ­il, nour­rit pour par­tie les avancées tech­nologiques (les mil­i­taires béné­fi­ciant en retour des retombées de l’or­gan­i­sa­tion indus­trielle et de l’or­gan­i­sa­tion d’après-vente mis­es en place pour les besoins civils).

Les équipemen­tiers parta­gent avec l’avion­neur les risques des pro­grammes en finançant leurs pro­pres dépens­es de développe­ment ; ces dépens­es peu­vent représen­ter plusieurs années du chiffre d’af­faires espéré sur un pro­gramme don­né. Aus­si les retours sur investisse­ment n’in­ter­vi­en­nent qu’une dizaine d’an­nées après le lance­ment d’un programme.

Cette indus­trie duale est donc car­ac­térisée par une très forte inten­sité tant cap­i­tal­is­tique que tech­nologique. Elle prend en out­re vis-à-vis de ses clients mon­di­aux (et vis-à-vis des pas­sagers) des engage­ments à très long terme.

Ces car­ac­téris­tiques induisent les évo­lu­tions struc­turelles de l’in­dus­trie, engagées dans les décen­nies précé­dentes et qui se poursuivront :

• l’internationalisation
Le marché aéro­nau­tique civ­il est mon­di­al et ouvert. Les con­struc­teurs améri­cains, après quelques hési­ta­tions au départ, ont bien com­pris l’im­por­tance d’Air­bus, et ont porté la con­cur­rence à Toulouse, Ham­bourg ou Bris­tol. Les équipemen­tiers français ont lut­té et doivent lut­ter tant pour main­tenir leurs posi­tions en Europe que pour se rap­procher des avion­neurs améri­cains, cana­di­ens, brésiliens. Ain­si Thales, après d’ailleurs s’être rap­proché d’Air­bus en s’im­plan­tant à Toulouse, est présent en Alle­magne et en Grande-Bre­tagne, mais aus­si aux États-Unis (notam­ment à Seat­tle) et au Cana­da, et dis­pose de fil­iales ou d’an­tennes auprès de tous les grands avion­neurs et grandes com­pag­nies du monde : c’est l’ap­pli­ca­tion dans ce domaine du principe de la mul­tido­mes­tic­ité. La présence auprès de l’avion­neur restera un fac­teur clé de suc­cès pour les équipemen­tiers. Les équipemen­tiers doivent élargir leurs débouchés et diver­si­fi­er leurs risques : il faut donc pour­suiv­re l’ef­fort d’im­plan­ta­tion inter­na­tionale, y com­pris auprès de con­struc­teurs émergeant en Chine ou en Russie.

• la concentration
Le secteur, comme et après les avion­neurs et les motoristes, est en voie de con­cen­tra­tion. Cette évo­lu­tion est souhaitée par les avion­neurs qui veu­lent réduire le nom­bre de leurs four­nisseurs et leur con­fi­er des respon­s­abil­ités plus glob­ales de réal­i­sa­tion de sous-ensem­bles et par les com­pag­nies aéri­ennes qui souhait­ent sim­pli­fi­er leur logis­tique. En France la quin­zaine d’équipemen­tiers de pre­mier rang qui exis­taient il y a vingt ans sont aujour­d’hui regroupés autour de trois grands acteurs d’en­ver­gure mon­di­ale : Thales, le groupe Safran et Zodi­ac, avec lesquels on peut citer des fil­iales de groupes améri­cains (Goodrich, Hamil­ton Sund­strand) ou européens (Lieb­herr), et com­plétés par un réseau de PME.

L’in­dus­trie des équipements reste néan­moins rel­a­tive­ment peu con­cen­trée en Europe en regard des motoristes et des avion­neurs ou en com­para­i­son avec les équipemen­tiers améri­cains. Le mou­ve­ment de con­cen­tra­tion se pour­suiv­ra. Élargir leur offre et faire par­tie du club des 5 ou 6 grands équipemen­tiers mon­di­aux four­nisseurs de pre­mier rang des avion­neurs con­stitue un enjeu majeur pour les équipemen­tiers français. Il est d’ailleurs de l’in­térêt bien com­pris d’Air­bus que ces regroupe­ments se fassent sous le con­trôle d’in­térêts européens.

Dans l’immédiat, les équipementiers français doivent relever plusieurs défis

Maintenir et financer un haut niveau de R & D

L’ef­fort de R & D se situe entre 10 et 20 % du chiffre d’af­faires suiv­ant les domaines.

Après quelques années de relatif con­ser­vatisme, les indus­triels améri­cains redou­blent aujour­d’hui d’ef­forts pour pro­pos­er des solu­tions tech­nologiques inno­vantes, comme en témoigne la déf­i­ni­tion tech­nique du Boe­ing 787 en cours de développe­ment, sur lequel les équipemen­tiers français ont d’ailleurs obtenu plusieurs suc­cès significatifs.

L’in­dus­trie française, et de manière plus générale l’in­dus­trie européenne, ne doit pas s’as­soupir après le développe­ment des sys­tèmes de l’Air­bus A380 : il lui faut pré­par­er sa com­péti­tiv­ité future.

Or, aux États-Unis, une grande part de cette R & D est financée par des con­trats mil­i­taires ou par les prof­its provenant de con­trats mil­i­taires. Ce n’est pas le cas en Europe. C’est pourquoi il est fon­da­men­tal de main­tenir dans nos pays des mécan­ismes effi­caces de finance­ments publics de cette R & D.

Les Pro­grammes cadres de recherche et développe­ment de l’U­nion européenne jouent à cet égard un rôle gran­dis­sant, en com­plé­ment des pro­grammes nationaux. L’or­gan­i­sa­tion ACARE (Advi­so­ry Coun­cil for Aero­nau­tics Research in Europe) rassem­ble indus­triels, cen­tres de recherche, com­pag­nies aéri­ennes, autres opéra­teurs du trans­port aérien et admin­is­tra­tions. Elle per­met une large con­cer­ta­tion au niveau européen, la déf­i­ni­tion d’un agen­da de recherch­es à vingt ans, et une aug­men­ta­tion de l’ef­fi­cac­ité par réduc­tion des redon­dances d’é­tudes inutiles.

Mais il con­vient égale­ment de main­tenir les sys­tèmes d’a­vances con­sen­ties par les États, rem­boursables et même au-delà en cas de suc­cès. Ces sys­tèmes, bien adap­tés à la prob­lé­ma­tique de réduc­tion du risque asso­ciée à des opéra­tions à très loin­tain retour sur investisse­ment, ont prou­vé leur effi­cac­ité. On a d’ailleurs pu démon­tr­er qu’en moyenne 1 euro prêté par l’É­tat pour inciter l’in­vestis­seur privé à entre­pren­dre ces développe­ments était récupéré qua­tre fois par l’É­tat, directe­ment par le biais des rem­bourse­ments et rede­vances, et indi­recte­ment par le biais des prélève­ments fis­caux sur les salaires, de la taxe pro­fes­sion­nelle, ou de l’im­po­si­tion sur les béné­fices d’ac­tiv­ités qua­si entière­ment ori­en­tées à l’exportation.

Maintenir la compétitivité face à des économies en dollars

Sur ce sujet, les équipemen­tiers parta­gent la prob­lé­ma­tique de l’avion­neur puisque tous leurs con­trats sont libel­lés ou indexés sur le taux du dol­lar, y com­pris les con­trats avec Air­bus. Les taux de change actuels, s’ils devaient se main­tenir, pèseraient forte­ment sur les marges.

Les mesures à pren­dre pour atténuer ces effets con­sis­tent à aug­menter la part d’achats en dol­lars, à trans­fér­er en zone dol­lar les activ­ités non stratégiques à faible valeur ajoutée, à innover en ter­mes de pro­duc­tiv­ité. Il faut néan­moins préserv­er les com­pé­tences stratégiques et ne pas laiss­er dis­paraître tout le tis­su de sous-trai­tances indispensable.

Préparer l’avenir avec constance et optimisme

Relever ces défis doit per­me­t­tre aux équipemen­tiers français de pour­suiv­re leur crois­sance pen­dant les prochaines décen­nies et con­firmer leur place par­mi les lead­ers mon­di­aux. Les per­spec­tives sont bonnes, à con­di­tion de pré­par­er l’avenir avec constance.

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