Les dépenses locales et l’économie nationale

Dossier : Les collectivités localesMagazine N°543 Mars 1999Par : Jacques MÉRAUD (46)

Les dépenses des admi­nis­tra­tions locales, telles que défi­nies ci-des­sus, se sont éle­vées en 1997 à 845 mil­liards de francs. À titre de réfé­rence, la même année, les admi­nis­tra­tions d’É­tat ont dépen­sé 1 856 mil­liards, et celles de Sécu­ri­té sociale au sens large (assu­rance mala­die, dépenses des hôpi­taux publics, régimes de retraites, allo­ca­tions fami­liales, indem­ni­sa­tion du chô­mage, prin­ci­pa­le­ment par l’U­ne­dic) 2 005 milliards.

Au cours des trente-huit der­nières années (1959−1997), ce sont les dépenses de Sécu­ri­té sociale qui ont crû le plus vite (+ 5,5 % par an) et celles de l’É­tat le moins vite (+ 2,9 % par an). Le taux de pro­gres­sion des dépenses des admi­nis­tra­tions locales se situe entre les deux pré­cé­dents (+ 4,6 % par an). Tous ces taux sont cal­cu­lés en francs constants, c’est-à-dire abs­trac­tion faite de la hausse des prix.

Depuis 1984, dans un contexte géné­ral de ralen­tis­se­ment de la dépense publique, la poli­tique de décen­tra­li­sa­tion a fait sen­tir ses effets : ce sont les dépenses des admi­nis­tra­tions locales qui ont le plus aug­men­té (mais avec, il est vrai, cer­tains trans­ferts de com­pé­tence de la part de l’É­tat), sui­vies par les dépenses de la Sécu­ri­té sociale et enfin celles de l’État.

Trois types de dépenses

Les dépenses des admi­nis­tra­tions locales se répar­tissent en trois grandes caté­go­ries : les dépenses de fonc­tion­ne­ment, d’in­ves­tis­se­ment et de trans­fert2.

Les dépenses de fonc­tion­ne­ment financent la rému­né­ra­tion du per­son­nel assu­rant la ges­tion des ser­vices admi­nis­tra­tifs et le fonc­tion­ne­ment des équi­pe­ments locaux (soit 51 % de leur total), les achats de biens et ser­vices néces­saires à ce fonc­tion­ne­ment (36 % du même total) et le paie­ment des inté­rêts de la dette des admi­nis­tra­tions concer­nées (13 % du total). Ce der­nier poste de dépenses mis à part, les autres dépenses de fonc­tion­ne­ment (per­son­nel et achats de biens et ser­vices) concernent prin­ci­pa­le­ment les acti­vi­tés de for­ma­tion, l’é­du­ca­tion, les sports, la culture (33 % de ces autres dépenses), puis les inter­ven­tions sociales (23 %), le déve­lop­pe­ment urbain et rural (18 %), diverses autres fonc­tions (14 %) et l’ad­mi­nis­tra­tion géné­rale des ser­vices locaux (12 %).

Les dépenses d’in­ves­tis­se­ment financent les tra­vaux effec­tués par les admi­nis­tra­tions locales, soit en « régie », soit sous leur propre maî­trise d’ou­vrage. Ces tra­vaux, comp­ta­bi­li­sés sous la rubrique « For­ma­tion brute de capi­tal fixe », consistent en la réa­li­sa­tion de bâti­ments, infra­struc­tures et équi­pe­ments neufs (voi­rie, construc­tion d’é­coles, de col­lèges, de lycées, de crèches, d’é­ta­blis­se­ments spor­tifs ou cultu­rels, trai­te­ment et dis­tri­bu­tion d’eau, assai­nis­se­ment et épu­ra­tion, col­lecte et trai­te­ment de déchets ména­gers, trans­ports col­lec­tifs, chauf­fage urbain, réseaux câblés…) et l’en­tre­tien lourd de ceux qui existent3. On y inclut (mais le mon­tant en est faible) les achats de ter­rains, de bâti­ments et plus rare­ment d’é­qui­pe­ments déjà existants.

Les dépenses de trans­fert regroupent les trans­ferts sociaux, qui sont des aides ver­sées direc­te­ment aux ménages, les trans­ferts « en capi­tal », qui sont des sub­ven­tions à l’in­ves­tis­se­ment, allant à des entre­prises ou à d’autres admi­nis­tra­tions publiques, et les « autres trans­ferts » (com­pen­sa­tion des réduc­tions tari­faires accor­dées par cer­taines entre­prises, prise en charge de cer­tains frais de sco­la­ri­té, par­ti­ci­pa­tion à l’ac­tion de l’É­tat en matière de for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, sub­ven­tions à des asso­cia­tions à carac­tère social, spor­tif ou cultu­rel, etc.).

Poids respectifs et évolution relative

En moyenne au cours de la période 1994–1997, la part (en %) des trois grandes caté­go­ries de dépenses des admi­nis­tra­tions locales et, à titre de réfé­rence, la part des trois postes cor­res­pon­dants dans le total des dépenses des admi­nis­tra­tions d’É­tat étaient les suivantes :

Admi­nis­tra­tions locales État
Fonctionnement
Investissement
Transferts
61%
22%
17%
——
100%
52%
2%
46%
——
100%

Le contraste est très mar­qué entre les deux répar­ti­tions en ce qui concerne l’in­ves­tis­se­ment et les trans­ferts. Pour l’in­ves­tis­se­ment, bien que les 2 % rela­tifs à l’É­tat s’ap­pliquent à un mon­tant total de dépenses plus de deux fois supé­rieur à celui des admi­nis­tra­tions locales, le mon­tant en francs de l’in­ves­tis­se­ment de ces der­nières est quelque quatre fois plus éle­vé que celui de l’É­tat. Ain­si les admi­nis­tra­tions locales réa­lisent-elles la grande majo­ri­té des inves­tis­se­ments publics : comme en effet les admi­nis­tra­tions de Sécu­ri­té sociale réa­lisent encore moins d’in­ves­tis­se­ments que l’É­tat, il appa­raît que les inves­tis­se­ments publics locaux font plus de 71 % du total des inves­tis­se­ments des admi­nis­tra­tions publiques4.

Les inves­tis­se­ments publics locaux sont aux 910 consti­tués par des construc­tions et infra­struc­tures, qui donnent lieu à la pas­sa­tion de com­mandes aux sec­teurs du bâti­ment et des tra­vaux publics. Ain­si 17 % du chiffre d’af­faires total de l’in­dus­trie du bâti­ment et sur­tout 46 % du chiffre d’af­faires de l’in­dus­trie des tra­vaux publics pro­viennent-ils des inves­tis­se­ments des admi­nis­tra­tions locales.

Au cours des trente-trois années écou­lées de 1959 à 1992, les dépenses d’in­ves­tis­se­ment public local, expri­mées en francs cou­rants, ont pro­gres­sé à un taux moyen annuel de 11,9 %, légè­re­ment infé­rieur aux taux cor­res­pon­dants rela­tifs aux dépenses de trans­fert (+ 12, 3 % par an) et de fonc­tion­ne­ment (+ 12,5 % par an). Cepen­dant, le prix des inves­tis­se­ments ayant aug­men­té net­te­ment moins que les prix des biens et ser­vices ache­tables à l’aide des trans­ferts et sur­tout que les coûts de fonc­tion­ne­ment des ser­vices publics locaux, le « volume » d’in­ves­tis­se­ment local qu’il a été pos­sible de réa­li­ser s’est accru de 5,4 % par an, pra­ti­que­ment aus­si vite que celui des biens et ser­vices finan­cés par les trans­ferts (+ 5,5 % par an) et plus vite que celui des ser­vices ren­dus par le fonc­tion­ne­ment des diverses admi­nis­tra­tions locales (+ 4,8 % par an). Le volume de l’in­ves­tis­se­ment public local a éga­le­ment pro­gres­sé pen­dant la même période plus for­te­ment que celui de l’in­ves­tis­se­ment des ménages (construc­tion de loge­ments : + 5,0 % par an) et des entre­prises (+ 3,5 % par an), et plus encore que celui des inves­tis­se­ments de l’É­tat (+ 2,7 % par an).

L’é­vo­lu­tion récente de l’in­ves­tis­se­ment public local a cepen­dant été beau­coup moins dyna­mique : à par­tir de 1993, par-delà les fluc­tua­tions annuelles qui l’ont affec­té, il a eu ten­dance à décroître en volume et même en francs cou­rants, alors que les volumes des dépenses de fonc­tion­ne­ment et plus encore de trans­fert conti­nuaient à aug­men­ter sen­si­ble­ment. La pres­sion qui s’est exer­cée sur la France comme sur ses par­te­naires euro­péens pour que soient limi­tées, voire réduites, les dépenses publiques, en vue de res­pec­ter les cri­tères du trai­té de Maas­tricht5, a sans doute eu plus d’ef­fets sur les dépenses d’in­ves­tis­se­ment que sur celles de fonc­tion­ne­ment et de trans­fert, moins aisé­ment réduc­tibles, sur­tout en période de lutte contre le chômage.

Financement courant et emprunt

Les dépenses de fonc­tion­ne­ment et de trans­ferts « cou­rants« 6 des admi­nis­tra­tions locales sont tra­di­tion­nel­le­ment cou­vertes par ce qu’on appelle les res­sources « cou­rantes » de ces admi­nis­tra­tions, pro­ve­nant des impôts locaux, des trans­ferts « cou­rants » qu’elles reçoivent elles-mêmes de l’É­tat, et des ventes de biens et de ser­vices aux­quelles elles procèdent.

Ces res­sources cou­rantes ont même tou­jours excé­dé dans le pas­sé le mon­tant total des dépenses de fonc­tion­ne­ment et de trans­fert cou­rant des col­lec­ti­vi­tés. L’ex­cé­dent cor­res­pon­dant, appe­lé par les comp­tables natio­naux « épargne brute » des admi­nis­tra­tions locales, contri­bue alors à finan­cer les « emplois en capi­tal » de ces admi­nis­tra­tions, c’est-à-dire leurs inves­tis­se­ments et leurs propres trans­ferts en capi­tal. Cepen­dant l’é­pargne brute ne suf­fit pas à cette tâche. Une autre par­tie des emplois en capi­tal des admi­nis­tra­tions locales est finan­cée par les trans­ferts en capi­tal qu’elles reçoivent. Enfin, comme jus­qu’à ces toutes der­nières années cela ne suf­fi­sait encore pas, il res­tait à ces admi­nis­tra­tions un » besoin de finan­ce­ment « , auquel elles fai­saient face par l’emprunt.

Au début des années soixante, les emplois en capi­tal des admi­nis­tra­tions locales étaient finan­cés pour envi­ron 30 % par leur épargne brute, pour à peu près un tiers par les trans­ferts en capi­tal qu’elles rece­vaient et pour 35 à 40 % selon les années par le recours à l’emprunt ; celui-ci se fai­sait alors pour une part notable à des taux « admi­nis­trés », c’est-à-dire bonifiés.

Depuis cette époque, l’é­pargne brute n’a presque pas ces­sé d’aug­men­ter, et sa part attei­gnait ces der­nières années entre 70 et 80 % du total des emplois en capi­tal, les trans­ferts en capi­tal reçus – bien que moins abon­dants que trente ans plus tôt – four­nis­sant l’es­sen­tiel du reste des besoins.

Depuis 1984, la part finan­cée par l’emprunt – dont les taux d’in­té­rêt sont main­te­nant ceux du mar­ché – est deve­nue très faible (moins de 10 %) et en 1996 et 1997 elle a été nulle. Ain­si, contrai­re­ment à l’É­tat, non seule­ment les admi­nis­tra­tions locales n’ont plus de défi­cit de leur bud­get annuel, mais elles ont un excé­dent. Certes elles conti­nuent aujourd’­hui à emprun­ter, mais seule­ment pour faire face au rem­bour­se­ment de leurs emprunts pas­sés qui s’amortissent.

Cela explique que, contrai­re­ment à une idée trop répan­due sous l’in­fluence de quelques cas par­ti­cu­liers, d’au­tant plus sévè­re­ment com­men­tés qu’ils sont plus rares, les col­lec­ti­vi­tés locales sont peu endet­tées : en 1997 le mon­tant glo­bal de leur dette s’é­le­vait seule­ment à 10 % du Pro­duit inté­rieur brut (PIB), contre 54 % dans le cas de l’État.

Et depuis que l’on dis­pose d’une sta­tis­tique du mon­tant de cette dette, c’est-à-dire 1970, ledit mon­tant, tou­jours expri­mé en % du PIB, est res­té remar­qua­ble­ment stable, oscil­lant entre 9,2 % et 10,1 %, tan­dis que depuis 1986 le poids des inté­rêts de la dette pèse chaque année de moins en moins dans la dépense des col­lec­ti­vi­tés locales.

L’impact sur l’économie nationale

Quel impact la ges­tion des admi­nis­tra­tions locales a‑t-elle sur la dyna­mique éco­no­mique natio­nale ? Pour le mesu­rer nous avons com­pa­ré année par année pen­dant trente-huit ans la varia­tion de la dépense totale de ces admi­nis­tra­tions, expri­mée en francs constants, avec le taux de crois­sance du PIB de la même année. Nous avons trou­vé un coef­fi­cient de cor­ré­la­tion7 de 0,51, impli­quant entre ces deux varia­tions une liai­son posi­tive très signi­fi­ca­tive : autre­ment dit, au cours de la période étu­diée, quand une année la dépense des admi­nis­tra­tions locales aug­men­tait for­te­ment, la crois­sance du PIB était le plus sou­vent éle­vée ; quand au contraire la dépense de ces admi­nis­tra­tions pro­gres­sait peu, il en allait en géné­ral de même du PIB. L’an­née 1975 consti­tue un cas excep­tion­nel, car elle a fait l’ob­jet au plan local comme au plan natio­nal d’une poli­tique de relance, des­ti­née à com­battre le « choc pétro­lier » de 1974, poli­tique qui n’a pro­duit ses effets sur la crois­sance qu’en 1976 ; si on ne prend pas cette année en compte, le coef­fi­cient de cor­ré­la­tion cal­cu­lé à par­tir des années res­tantes s’é­lève à 0,62. L’in­ten­si­té de la liai­son appa­raît plus forte encore.

On s’est inter­ro­gé sur le sens de l’in­fluence ain­si mise en évi­dence : est-ce la crois­sance du PIB qui sti­mule les dépenses publiques locales, ou celles-ci qui, selon leur évo­lu­tion, sus­citent une crois­sance plus ou moins forte du PIB ? On a cher­ché à répondre à cette ques­tion en étu­diant la liai­son entre les deux mêmes variables avec divers déca­lages (d’une ou plu­sieurs années) dans un sens, puis dans l’autre. La liai­son est signi­fi­ca­ti­ve­ment plus forte entre la varia­tion de la dépense locale d’une année et la crois­sance du PIB des années sui­vantes qu’entre la crois­sance du PIB d’une année et la varia­tion de la dépense locale des années sui­vantes. On en conclut que, même s’il y a une cer­taine influence du PIB sur la dépense publique locale, il existe une influence sen­si­ble­ment plus mar­quée de la dépense publique locale sur le PIB.

On a cher­ché alors à ana­ly­ser le rôle que jouaient dans cette liai­son les dif­fé­rentes com­po­santes de la dépense publique locale : les dépenses de fonc­tion­ne­ment, de trans­fert et d’in­ves­tis­se­ment ont-elles une effi­ca­ci­té équi­va­lente comme sti­mu­lantes de la crois­sance natio­nale ou cer­taines d’entre elles sont-elles plus effi­caces que les autres ? Il est appa­ru que les varia­tions des dépenses de fonc­tion­ne­ment n’ont pas de lien avec la crois­sance du PIB, et que les varia­tions des dépenses de trans­fert n’ont qu’un très léger impact (coef­fi­cient de cor­ré­la­tion : 0,29, avec tout de même 90 chances sur 100 que la rela­tion déce­lée ne soit pas due au hasard) ; la liai­son est dans ce der­nier cas à double sens : les trans­ferts des admi­nis­tra­tions locales influent sur le PIB et réci­pro­que­ment ; si l’on enlève l’an­née 1975 du champ de l’é­tude, la liai­son se ren­force (coef­fi­cient de cor­ré­la­tion : 0,46). Mais ce sont les varia­tions des dépenses d’in­ves­tis­se­ment local qui ont – et de loin – l’in­fluence la plus forte sur la crois­sance natio­nale : le coef­fi­cient de cor­ré­la­tion est dans leur cas de 0,53, et, si l’on met à part l’an­née 1975, il s’é­lève à 0,64 (voir graphique).

Le rôle majeur de l’investissement

Cette pré­pon­dé­rance du rôle sti­mu­lant joué par les dépenses d’in­ves­tis­se­ment invite à reve­nir sur le rôle attri­bué plus haut à la dépense publique locale dans son ensemble. Si en effet on enlève de celle-ci les dépenses d’in­ves­tis­se­ment, l’in­ten­si­té de la liai­son avec le PIB devient très faible : au lieu de 0,51 le coef­fi­cient de cor­ré­la­tion tombe à 0,27, et, lors­qu’on enlève l’an­née 1975, il n’est que de 0,39, ce qui est très infé­rieur au chiffre de 0,62 qu’on obte­nait en pre­nant en compte la tota­li­té des dépenses locales. On doit donc conclure que la liai­son obser­vée entre la varia­tion de celles-ci et la crois­sance du PIB est due pour l’es­sen­tiel au rôle joué par l’in­ves­tis­se­ment public local, même si les dépenses de trans­fert exercent par ailleurs une légère influence.

Une par­ti­cu­la­ri­té des dépenses d’in­ves­tis­se­ment est que leur varia­tion d’une année à l’autre dépend de la place qu’oc­cupe cha­cune de ces années dans le dérou­le­ment des man­dats muni­ci­paux. C’est le » cycle sexen­nal » de l’in­ves­tis­se­ment public local : toutes choses égales d’ailleurs, les inves­tis­se­ments dimi­nuent for­te­ment les deux pre­mières années de chaque man­dat, ils aug­mentent sen­si­ble­ment la troi­sième année, se sta­bi­lisent approxi­ma­ti­ve­ment les deux années sui­vantes et s’ac­croissent à nou­veau net­te­ment la sixième et der­nière année du mandat.

À titre de confir­ma­tion de la liai­son entre varia­tion de l’in­ves­tis­se­ment local et crois­sance natio­nale, nous avons extrait des trente-huit années étu­diées les deux pre­mières années de cha­cun des six man­dats muni­ci­paux qu’elles com­pre­naient, soit douze années où les inves­tis­se­ments publics locaux ont connu des baisses sen­sibles, et nous avons com­pa­ré cha­cune des douze varia­tions en ques­tion au taux de crois­sance du PIB cor­res­pon­dant. La cor­ré­la­tion s’est révé­lée par­ti­cu­liè­re­ment forte (coef­fi­cient de cor­ré­la­tion : 0,79). Ain­si, quand l’in­ves­tis­se­ment des admi­nis­tra­tions locales flé­chit, la pro­duc­tion natio­nale est qua­si sys­té­ma­ti­que­ment frei­née. Si l’on effec­tue un cal­cul ana­logue sur les vingt-quatre années où l’in­ves­tis­se­ment en ques­tion a plus ou moins pro­gres­sé, on trouve un coef­fi­cient de cor­ré­la­tion de 0,58, certes moins éle­vé, mais encore très fort, mon­trant que, quand l’in­ves­tis­se­ment public local est plus ou moins sti­mu­lé, le PIB pro­gresse en conséquence.

On s’est deman­dé dans quelle mesure la rela­tion ain­si obser­vée entre inves­tis­se­ment public local et PIB tenait à la pré­sence dans ce der­nier des impor­tants sec­teurs du bâti­ment et des tra­vaux publics, four­nis­seurs presque exclu­sifs de l’in­ves­tis­se­ment en ques­tion. Pour élu­ci­der ce rôle, on a mesu­ré la liai­son qui sub­sis­tait quand on rem­pla­çait le PIB par la pro­duc­tion des seuls sec­teurs mar­chands non agri­coles, dont on excluait le bâti­ment et les tra­vaux publics. Le coef­fi­cient de cor­ré­la­tion est de 0,43, moins éle­vé certes – comme on pou­vait s’y attendre – que lorsque le bâti­ment et les tra­vaux publics étaient pris en compte, mais encore très signi­fi­ca­tif d’une liai­son consistante.

Pour affi­ner encore l’a­na­lyse, on a mesu­ré l’in­fluence des varia­tions de l’in­ves­tis­se­ment des admi­nis­tra­tions locales non plus sur la pro­duc­tion, mais sur la pro­duc­ti­vi­té des sec­teurs mar­chands, c’est-à-dire essen­tiel­le­ment du sec­teur pri­vé. On a trou­vé une liai­son posi­tive très signi­fi­ca­tive (coef­fi­cient de cor­ré­la­tion : 0,42). Ce résul­tat rap­pelle celui des études qui ont mis en lumière aux États-Unis le rôle béné­fique d’une amé­lio­ra­tion des infra­struc­tures publiques sur la pro­duc­ti­vi­té du sec­teur privé.

On a enfin effec­tué des cal­culs ana­logues aux pré­cé­dents en rem­pla­çant, soit la dépense totale, soit la dépense d’in­ves­tis­se­ment des admi­nis­tra­tions locales, par les dépenses cor­res­pon­dantes faites par l’É­tat. On ne trouve aucune liai­son entre ces der­nières d’une part et la crois­sance du PIB d’autre part. Les liai­sons obser­vées dans le cas des admi­nis­tra­tions locales sont donc bien des spé­ci­fi­ci­tés de celles-ci.

Conclusion

La prin­ci­pale leçon qui se dégage de cette étude est l’ef­fi­ca­ci­té par­ti­cu­lière de l’in­ves­tis­se­ment public local comme sti­mu­lant de la crois­sance natio­nale, avec les consé­quences posi­tives qu’on peut en attendre pour l’emploi. L’in­ves­tis­se­ment appa­raît donc par­mi les com­po­santes de la dépense des admi­nis­tra­tions locales comme spé­cia­le­ment oppor­tun, d’au­tant plus que les besoins en la matière sont impor­tants (eau, assai­nis­se­ment, épu­ra­tion, trai­te­ment des déchets ména­gers, trans­ports non pol­luants, équi­pe­ments spor­tifs et cultu­rels, loge­ments sociaux, etc.).

Or, après avoir connu dans le pas­sé un déve­lop­pe­ment mar­qué, y com­pris dans les pre­mières années de la poli­tique de décen­tra­li­sa­tion, l’in­ves­tis­se­ment a eu ten­dance à dimi­nuer dans les années récentes. C’est que la pru­dence crois­sante des col­lec­ti­vi­tés locales en matière d’emprunt les amène aujourd’­hui à finan­cer leurs inves­tis­se­ments sur des res­sources cou­rantes d’o­ri­gine fis­cale, qu’il s’a­gisse des impôts locaux ou des trans­ferts de l’É­tat, que ce der­nier finance à son tour en fai­sant appel à l’im­pôt ou en gon­flant le défi­cit de son propre bud­get, c’est-à-dire en finan­çant lar­ge­ment par l’emprunt ses propres dépenses de fonc­tion­ne­ment et de transfert.

Or il est plus dif­fi­cile que naguère de recou­rir davan­tage à la fis­ca­li­té au moment où la vigueur de la concur­rence mon­diale recom­mande plu­tôt de gêner le moins pos­sible la com­pé­ti­ti­vi­té des entre­prises, tan­dis que le com­bat pour l’emploi invite à faci­li­ter la demande des ménages, fac­teur numé­ro un de la crois­sance. Aus­si, plu­tôt que de sug­gé­rer d’aug­men­ter les recettes fis­cales, les auto­ri­tés euro­péennes, par­ta­gées entre le double sou­ci de l’é­qui­libre bud­gé­taire et du sou­tien de la demande des ménages, poussent-elles à frei­ner les dépenses publiques. Mais, les trans­ferts étant sou­vent ren­dus néces­saires par la lutte contre le chô­mage, et les dépenses de fonc­tion­ne­ment étant dif­fi­ci­le­ment réduc­tibles du fait des enga­ge­ments pris dans le pas­sé et du déve­lop­pe­ment de cer­tains besoins (for­ma­tion, sécu­ri­té, envi­ron­ne­ment…), c’est l’in­ves­tis­se­ment qui risque fort d’être frei­né en priorité.

On pour­rait certes son­ger à le finan­cer plus lar­ge­ment par l’emprunt, ce qui a tou­jours été jugé sain dans le pas­sé puisque l’in­ves­tis­se­ment pro­cure par défi­ni­tion des satis­fac­tions ulté­rieures durables dont il n’est pas cho­quant de répar­tir le finan­ce­ment sur les géné­ra­tions futures. Mais curieu­se­ment, sans doute à cause de quelques expé­riences aven­tu­reuses qui ont fait scan­dale, et peut-être aus­si du fait que la limi­ta­tion des dettes natio­nales (en % du PIB) a été rete­nue par­mi les cri­tères de sagesse du trai­té de Maas­tricht, l’en­det­te­ment est mal vu, alors que celui de la France reste un des plus faibles de la pla­nète et qu’en tout cas celui de nos col­lec­ti­vi­tés locales est plus que rai­son­nable. Jus­qu’à ces der­nières années on pou­vait encore esti­mer que les taux d’in­té­rêt réels rela­ti­ve­ment éle­vés étaient un obs­tacle. Mais main­te­nant ils sont loin d’être pro­hi­bi­tifs : sur très longue période les taux à long terme sont très voi­sins de ceux à court terme, qui sont bas.

On peut donc dire sans exa­gé­ra­tion que la poli­tique d’in­ves­tis­se­ment des col­lec­ti­vi­tés locales, qui a été dans les décen­nies pas­sées l’une des plus dyna­miques des acteurs éco­no­miques fran­çais tout en res­tant pru­dente, pour­rait doré­na­vant, à condi­tion bien sûr que le choix des inves­tis­se­ments soit judi­cieux, deve­nir plus dyna­mique sans ris­quer le moins du monde de deve­nir imprudente.

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1. Les mots « envi­ron » et « approxi­ma­ti­ve­ment » s’ex­pliquent par le fait que ces diverses « parts » ne sont que des ordres de gran­deur. En effet, le compte de l’en­semble des admi­nis­tra­tions locales est « conso­li­dé ». Autre­ment dit, quand on fait le total des dépenses des admi­nis­tra­tions locales, toute dépense effec­tuée par une col­lec­ti­vi­té au pro­fit d’une autre ou d’un « ODAL » n’est pas prise en compte, étant déjà comp­tée par ailleurs par­mi les dépenses de la col­lec­ti­vi­té ou de l’O­DAL béné­fi­ciaire. Tout double compte est ain­si évi­té. Mais du coup, la dépense de l’en­semble est infé­rieure à la somme des dépenses des caté­go­ries composantes.
2. L’é­tude dont est tirée la matière de cet article (cf. J. Méraud, Les col­lec­ti­vi­tés locales et l’é­co­no­mie natio­nale. Édi­tions locales de France) a uti­li­sé les cri­tères de clas­se­ment de l’in­for­ma­tion adop­tés par les comp­tables natio­naux, car elle confronte des don­nées sta­tis­tiques locales avec des don­nées natio­nales. Ces cri­tères de clas­se­ment dif­fèrent sur deux points majeurs de ceux aux­quels sont régle­men­tai­re­ment sou­mis depuis de longues décen­nies les comp­tables locaux : d’une part les dépenses des admi­nis­tra­tions locales ne com­prennent pas ici les rem­bour­se­ments d’emprunts, de même que leurs res­sources n’in­cluent pas les nou­veaux emprunts (la dif­fé­rence entre les res­sources et les dépenses de l’an­née fait ain­si appa­raître, comme pour le bud­get de l’É­tat, un besoin ou une capa­ci­té de finan­ce­ment, c’est-à-dire un défi­cit ou un excé­dent, auquel, si c’est un défi­cit, les col­lec­ti­vi­tés font face en emprun­tant, de même qu’elles empruntent pour rem­bour­ser leurs emprunts pas­sés qui s’a­mor­tissent) ; d’autre part les trans­ferts sont ici regrou­pés dans une caté­go­rie spé­ci­fique, alors que dans les comptes locaux tra­di­tion­nels les trans­ferts sociaux et « autres trans­ferts » sont inclus dans les dépenses de fonc­tion­ne­ment, et les trans­ferts « en capi­tal » dans celles d’investissement.
3. Ne sont pas comp­ta­bi­li­sés en revanche comme inves­tis­se­ments des admi­nis­tra­tions locales elles-mêmes, mais comp­tés avec ceux des entre­prises, cer­tains inves­tis­se­ments pour­tant déci­dés par les col­lec­ti­vi­tés en ques­tion, mais dont la réa­li­sa­tion est confiée par celles-ci à une entre­prise pri­vée ou à une Socié­té d’é­co­no­mie mixte (SEM) locale, par « délé­ga­tion de ser­vice public ». Celle-ci s’é­tant déve­lop­pée de façon sen­sible ces deux der­nières décen­nies, la crois­sance des inves­tis­se­ments impu­tables à l’i­ni­tia­tive des admi­nis­tra­tions locales est quelque peu sous-esti­mée. Mais bien enten­du quand ces der­nières par­ti­cipent plus ou moins au finan­ce­ment de ces opé­ra­tions leur dépense est ici prise en compte.
4. On note­ra que les dépenses mili­taires en capi­tal, confor­mé­ment à une conven­tion inter­na­tio­nale, ne sont pas comp­ta­bi­li­sées comme « inves­tis­se­ments » de l’É­tat, bien qu’elles concernent des équi­pe­ments, mais comme « consom­ma­tion » de l’É­tat, et à ce titre incluses dans ses dépenses de fonc­tion­ne­ment, les équi­pe­ments en ques­tion n’é­tant pas consi­dé­rés comme « productifs ».
5. Le solde bud­gé­taire des admi­nis­tra­tions locales entre avec celui de l’É­tat et des admi­nis­tra­tions de Sécu­ri­té sociale dans le cal­cul du solde de l’en­semble des admi­nis­tra­tions publiques, qui ne doit pas dépas­ser 3 % du PIB.
6. Il s’a­git de tous les trans­ferts autres que ceux « en capi­tal ». Les admi­nis­tra­tions locales en versent et en reçoivent.
7. On rap­pelle que ce coef­fi­cient est relié par une rela­tion simple à la pente de la « droite de régres­sion » qui, ajus­tée à tra­vers le nuage de points du gra­phique, maté­ria­lise la liai­son entre les deux variables (voir à titre d’exemple le gra­phisme mon­trant la liai­son entre la varia­tion de l’in­ves­tis­se­ment et celle du PIB). Il est com­pris entre – 1 et + 1. S’il est égal à – 1 les 2 variables sont tota­le­ment dépen­dantes l’une de l’autre et varient en sens inverse (quand l’une aug­mente, l’autre dimi­nue) ; entre – 1 et 0, la liai­son est tou­jours de sens contraire, mais de moins en moins forte ; si le coef­fi­cient est égal à 0, la liai­son est nulle, les 2 variables sont indé­pen­dantes ; entre 0 et + 1, la liai­son est de même sens et de plus en plus forte quand on va de 0 vers 1 ; si le coef­fi­cient est égal à + 1, la liai­son est par­faite, les 2 variables étant tota­le­ment dépen­dantes et variant dans le même sens (quand l’une aug­mente, l’autre aussi).

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