Une expérience de maire

Dossier : Les collectivités localesMagazine N°543 Mars 1999
Par Philippe AUBERGER (61)

I. Le maire et l’économie

La crise économique qui a pro­fondé­ment mar­qué les vingt dernières années a touché tout le tis­su indus­triel et com­mer­cial, en par­ti­c­uli­er les arti­sans, com­merçants, et petites et moyennes entre­pris­es qui con­stituent l’essen­tiel de l’ac­tiv­ité économique de nos com­munes, surtout pour celles qui, comme la mienne, n’ont pas de passé indus­triel marqué.

Face aux entre­pris­es en dif­fi­culté, aux men­aces de licen­ciements, le maire est l’in­ter­locu­teur naturel des parte­naires économiques et admin­is­trat­ifs afin de rechercher les solu­tions les moins douloureuses.

Mais au-delà de cet aspect défen­sif, il doit aus­si avoir une action offen­sive, de pro­mo­tion de l’ac­tiv­ité économique, en dévelop­pant les opéra­tions d’amé­nage­ment et d’ac­cueil pour de nou­velles activ­ités ou des activ­ités en expan­sion. Amé­nage­ment de parcs d’ac­tiv­ité, pro­mo­tion de ces parcs, recherche de nou­velles entre­pris­es, con­struc­tion de bâti­ments relais, à chaque fois le maire doit con­va­in­cre son con­seil munic­i­pal de pren­dre des risques, ce qui est nou­veau pour lui, avec les risques de l’échec et des con­séquences finan­cières qui peu­vent être lour­des. Qu’il soit résol­u­ment libéral ou au con­traire inter­ven­tion­niste, le maire est amené à s’im­pli­quer de plus en plus dans ces actions.

Les com­munes sont aus­si d’im­por­tants pre­scrip­teurs dans le domaine du bâti­ment et des travaux publics. En France, près des trois quarts des équipements publics sont réal­isés par les col­lec­tiv­ités locales. Les com­munes ne peu­vent donc se dés­in­téress­er de l’ac­tiv­ité des entre­pris­es de ce secteur et elles ont même par­fois à envis­ager des investisse­ments con­tra­cy­cliques afin d’éviter une trop forte sous-activité.

Enfin face aux prob­lèmes de l’ur­ban­isme com­mu­nal et, en par­ti­c­uli­er, au développe­ment des grandes sur­faces, le maire doit rechercher un juste équili­bre entre les formes de com­merce mod­erne et les formes plus tra­di­tion­nelles. Il n’est pas de tâche qui demande plus de con­stance, de per­sévérance et de fac­ultés de per­sua­sion, tant les antag­o­nismes sont forts et par­fois irréductibles.

II. Le maire et le social

Les deux dernières décen­nies ont été mar­quées par une for­mi­da­ble aug­men­ta­tion du niveau du chô­mage. Toutes les com­munes ont été touchées par cette évolution.

Il faut d’abord veiller à l’ac­cueil des sans-emploi. C’est ain­si que, dans ma com­mune, nous avons instal­lé une antenne de l’A­gence nationale pour l’emploi (ANPE) et, plus récem­ment, des Assedic.

Mais la préoc­cu­pa­tion essen­tielle est, bien sûr, de faciliter la réem­bauche des licen­ciés et surtout l’in­ser­tion des jeunes dans le monde du tra­vail. Un bureau de l’emploi a été créé à Joigny qui reçoit toutes les per­son­nes de la ville en dif­fi­culté pour les aider à s’ori­en­ter et les motiv­er à rechercher un emploi ou une for­ma­tion. Une atten­tion par­ti­c­ulière a été portée à ceux dont l’in­ser­tion est dif­fi­cile faute d’une for­ma­tion préal­able suff­isam­ment poussée ou récente. C’est ain­si que les com­munes ont eu recours pour leur compte ou celui des asso­ci­a­tions qu’elles aident aux travaux d’u­til­ité col­lec­tive, devenus depuis con­trats emplois sol­i­dar­ité (CES), aux con­trats d’emploi con­solidé et, tout récem­ment, aux emplois-jeunes. Des chantiers écoles ont été créés pour cer­taines spé­cial­ités (bâti­ment, envi­ron­nement) afin de motiv­er et d’en­cadr­er les jeunes. La fil­ière de l’ap­pren­tis­sage a été ouverte dans les ser­vices munic­i­paux. Enfin, les com­munes sont sou­vent sol­lic­itées par les ser­vices judi­ci­aires pour l’emploi dans le cadre de travaux d’in­térêt général (TIG).

Face au prob­lème de l’emploi et de l’in­ser­tion pro­fes­sion­nelle les com­munes sont amenées de plus en plus à s’im­pli­quer dans le développe­ment des actions de for­ma­tion : trans­for­ma­tion des sec­tions tech­niques et pro­fes­sion­nelles des lycées, ouver­ture de sec­tions post­bac­calau­réat type brevet de tech­ni­cien supérieur et même, for­ma­tion en alter­nance dans le cadre des organ­ismes patronaux de for­ma­tion pro­fes­sion­nelle (soudure à Joigny par exemple).

Naturelle­ment cette aide et cette impli­ca­tion se trou­vent redou­blées face aux publics en grande dif­fi­culté : tit­u­laires du revenu min­i­mum d’in­ser­tion, appli­ca­tion de la loi de lutte con­tre l’ex­clu­sion et de la loi sur le droit au loge­ment. Dans ces cas, les ser­vices soci­aux de la mairie, en par­ti­c­uli­er le cen­tre com­mu­nal d’ac­tion sociale, sont forte­ment sollicités.

III. Le maire et la sécurité

La sécu­rité, c’est nor­male­ment l’af­faire de l’É­tat, qu’il s’agisse de la police nationale (min­istère de l’In­térieur), de la gen­darmerie (min­istère de la Défense) ou de la jus­tice. Les actions lim­itées de police qui sont con­fiées aux maires, essen­tielle­ment la police de la cir­cu­la­tion et du sta­tion­nement, sont exer­cées au nom de l’État.

Église Saint-Jean à Joigny.Mais l’évo­lu­tion actuelle, en par­ti­c­uli­er en milieu urbain, qu’il s’agisse de la mon­tée de la délin­quance, de la vio­lence, de l’usage des stupé­fi­ants ou de ce que l’on nomme pudique­ment ” les actes d’in­ci­vil­ité ” font que le maire se trou­ve de plus en plus large­ment impliqué dans tout ce qui touche à la sécu­rité. Déjà la sim­ple con­ser­va­tion des con­struc­tions publiques, du mobili­er urbain, des loge­ments gérés par la mairie ou ses satel­lites l’oblige à inter­venir con­stam­ment dans ce domaine. La mon­tée d’une insat­is­fac­tion crois­sante de la part de nos conci­toyens et le fait que le maire est en con­tact per­ma­nent avec la pop­u­la­tion ne peu­vent le laiss­er indifférent.

Dans les aggloméra­tions les plus impor­tantes ou les plus sen­si­bles ont été dévelop­pés les con­trats de ville. Ailleurs, dans ma ville par exem­ple, qui n’est pas dotée d’un tel con­trat, nous avons été amenés à dévelop­per de notre pro­pre ini­tia­tive des actions de préven­tion, notam­ment en direc­tion de jeunes (créa­tion de points de ren­con­tre, mul­ti­pli­ca­tion des activ­ités notam­ment pour les péri­odes de loisirs, nom­i­na­tion d’un directeur de la jeunesse). Tra­di­tion­nelle­ment, ces actions étaient surtout à car­ac­tère sportif, mais elles devi­en­nent néces­saire­ment beau­coup plus multiformes.

Les com­munes ne peu­vent plus aujour­d’hui faire l’é­conomie d’ac­tions de dis­sua­sion, ne serait-ce que pour éviter que des faits isolés n’aboutis­sent au développe­ment d’une psy­chose sécu­ri­taire très dom­mage­able pour l’équili­bre de nos quartiers. Aus­si, le maire doit-il, sous sa respon­s­abil­ité, met­tre en place une police munic­i­pale, qui a certes des prérog­a­tives lim­itées mais qui con­stitue par sa seule présence per­ma­nente un fac­teur de dis­sua­sion utile, y com­pris dans cer­tains points chauds comme aux abor­ds des écoles. Pour assur­er une bonne coor­di­na­tion de ces efforts avec la police d’É­tat, des con­trats locaux de sécu­rité sont mis en place, tan­dis que les com­mis­sions locales de sécu­rité où vien­nent tous ceux qui veu­lent par­ticiper ou ont une cer­taine appréhen­sion con­stituent d’u­tiles relais avec l’opin­ion publique locale.

En vingt ans, les fonc­tions de maire ont pro­fondé­ment évolué : les actions qui vien­nent d’être citées n’ex­is­taient pas alors, sauf peut-être à l’é­tat embryonnaire.

Aus­si le maire est-il de plus en plus sol­lic­ité : par sa con­nais­sance intime de la pop­u­la­tion de sa com­mune, de ses besoins et de ses aspi­ra­tions, il se trou­ve appelé dès qu’une action nou­velle est envis­agée par les pou­voirs publics et il en devient le relais naturel.

Quoi qu’on fasse, la décen­tral­i­sa­tion est une absolue néces­sité dans un souci d’efficacité.

Mais la mul­ti­plic­ité des sol­lic­i­ta­tions fait qu’il devient de plus en plus dif­fi­cile de men­er de front une vie pro­fes­sion­nelle nor­male et une action munic­i­pale, qu’on risque d’être con­duit inéluctable­ment à sac­ri­fi­er l’une à l’autre, au moins pour les com­munes d’une cer­taine taille.

Faut-il pour autant aller jusqu’à la pro­fes­sion­nal­i­sa­tion de la fonc­tion de maire comme le font cer­tains pays ? Je pense que cela serait dan­gereux car cela revient à con­fon­dre gou­verne­ment et admin­is­tra­tion. Le gou­verne­ment est là pour don­ner les impul­sions, les direc­tives et en con­trôler l’exé­cu­tion, l’ad­min­is­tra­tion munic­i­pale est là pour appli­quer les direc­tives au jour le jour. Avec la fonc­tion­nar­i­sa­tion, il y aurait aus­si le risque de couper les élus du monde économique, en par­ti­c­uli­er du monde de l’en­tre­prise, et de dévelop­per une sub­or­di­na­tion de fait à l’ad­min­is­tra­tion pré­fec­torale, ce qui serait man­i­feste­ment con­traire à l’au­tonomie des communes.

Face à ce prob­lème, la ten­dance est naturelle­ment à aller vers le cumul des man­dats. Cumuler un man­dat de maire et de con­seiller général ou de maire et de con­seiller région­al est évidem­ment l’as­sur­ance d’une meilleure coor­di­na­tion des actions de ces col­lec­tiv­ités et accroît les chances de pou­voir men­er à bien les réal­i­sa­tions au moin­dre coût.

Faut-il alors inter­dire le cumul d’un man­dat de maire avec celui de par­lemen­taire ? Sous réserve d’une bonne organ­i­sa­tion des tâch­es et des délé­ga­tions, l’ex­péri­ence mon­tre que, sauf peut-être dans les très gross­es com­munes, les deux fonc­tions peu­vent être menées de front. Elles per­me­t­tent au par­lemen­taire de garder le sens des réal­ités face à une action lég­isla­tive et admin­is­tra­tive qui ne l’a pas tou­jours. Une bonne expéri­ence munic­i­pale est dans ce domaine extrême­ment salu­taire. Oblig­er les députés-maires ou les séna­teurs-maires à choisir entre leurs deux fonc­tions dev­enues incom­pat­i­bles, ce serait assuré­ment un déchire­ment humain mais plus sûre­ment encore l’avène­ment d’une représen­ta­tion par­lemen­taire qui serait beau­coup plus fondée sur des critères par­ti­sans que sur la volon­té de bien représen­ter nos conci­toyens dans leur diver­sité et d’ap­porter des solu­tions con­crètes à leurs dif­fi­cultés quotidiennes.

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