Jean-Marc Otero del Val (86).

Les anciens de polytechnique reviennent sur leurs prépas

Dossier : Les prépasMagazine N°703 Mars 2015Par : Jean-Marc OTERO DEL VAL (86), .Pierre MICHEL (88), Gérard ARAUD (73), Alain VANICHE (87), David MORGANT (86) et les autres

REPÈRES

Six polytechniciens reviennent sur leurs classes prépas. De la jubilation intellectuelle à la galère, de la vie quasi monacale de Louis-le-Grand à la formation humaine complète de Sainte-Geneviève, tous, à travers des expériences très différentes, insistent sur le primat du collectif et l’excellence d’un enseignement qui, souvent, modèle encore leur vie personnelle et professionnelle.


Une cama­ra­de­rie très puis­sante qui dure tou­jours encore, pour Jean-Marc Ote­ro del Val (86), direc­teur stra­té­gie, solu­tions et bio­tech­no­lo­gies et direc­teur adjoint éner­gies nou­velles chez Total.


Jean-Marc Ote­ro del Val (86)

« Ain­si, Fran­çois, deve­nu un “serial entre­pre­neur” à suc­cès au ser­vice d’un idéal et sou­te­nant corps et âme les jeunes entre­pre­neurs de ce pays. Vincent, tou­jours à l’écoute des inno­va­tions tech­no­lo­giques. Antoine qui a ren­con­tré le suc­cès très tôt et qui surfe sur cette vague. L’autre Fran­çois, qui par­court le monde au ser­vice de sa mul­ti­na­tio­nale, comme moi, du reste.

« La pré­pa, c’était l’apprentissage de valeurs et de codes. Une coopé­ra­tion extra­or­di­naire pour atteindre un but col­lec­ti­ve­ment ; un tra­vail en équipe fon­dé sur une confiance vis­cé­rale, qui pour­rait pas­ser pour naïve, mais qui au contraire est gage d’efficacité.

Comme dans la théo­rie des jeux, l’instauration de modes de fonc­tion­ne­ment gagnant-gagnant col­lec­tifs. Ce liant qui per­met de géné­rer une valeur ajou­tée sup­plé­men­taire retrou­vée occa­sion­nel­le­ment au cours de ma carrière.

« Je dois ajou­ter : une phase de concen­tra­tion intense et d’introspection, très lar­ge­ment liée à ma décou­verte de la reli­gion : venu d’un milieu anti­clé­ri­cal bon teint, j’arrivais à Ginette. »

Une période de jublilation intellectuelle

Pour Pierre Michel (88), délé­gué géné­ral de la FFSA, la pré­pa fut « une période de jubi­la­tion intellectuelle ».

Pierre Michel (88).
Pierre Michel (88)

« Voi­là mes deux années à Louis-le-Grand. Pas­sage du cer­veau en cin­quième vitesse : sti­mu­la­tion bien­ve­nue, bouf­fée d’oxygène qui fai­sait appa­raître le secon­daire, par contraste, comme bien terne. Pas­sion de com­prendre, bon­heur de pro­gres­ser, appren­tis­sage de l’humilité et déploie­ment d’une téna­ci­té inoxydable.

« En sup, le cours de mathé­ma­tiques a été une mise à l’épreuve. Entra­per­ce­voir le raf­fi­ne­ment logique et concep­tuel des maths m’a fas­ci­né, mais il me man­quait la prise de recul, c’est-à-dire la capa­ci­té de visua­li­ser en pro­fon­deur les rela­tions et les propriétés.

“ La prépa, c’était l’apprentissage de valeurs et de codes ”

J’ai tra­vaillé très dur, ne sai­sis­sant entiè­re­ment que cer­tains pans mais ayant acquis un goût durable pour les maths. Le cours de phy­sique m’a été plus facile : je me suis enthou­sias­mé pour la ther­mo­dy­na­mique sta­tis­tique, l’électromagnétisme et les tout pre­miers élé­ments de rela­ti­vi­té restreinte. »

Les plaisirs de la physique

« En P’, tout a été plus natu­rel. J’ai abor­dé les maths avec une cer­taine flui­di­té et la phy­sique a été un plai­sir tel que j’ai même envi­sa­gé d’en faire mon métier.

Pour la pre­mière fois, grâce à la prof de chi­mie dédiée à sa matière, les expé­riences fonc­tion­naient et le rai­son­ne­ment écrit au tableau revê­tait un sens et un inté­rêt nou­veaux. Cela m’a moti­vé, une fois entré à l’X, à choi­sir la majeure de chi­mie les deux années de suite.

« Ses ensei­gne­ments me sont pré­cieux encore aujourd’hui : ne jamais lâcher un objec­tif, sur­tout lorsqu’il est dif­fi­cile à atteindre, savoir recon­naître hon­nê­te­ment et sim­ple­ment que l’on s’est trom­pé pour avoir infi­ni­ment plus de force lorsqu’on a rai­son, apprendre sans relâche et cher­cher à trans­mettre, com­prendre que l’intellect met du piment dans la vie dès lors qu’il est, à un moment don­né, mis au ser­vice de l’action. »

Un Khâgneux contrarié

Gérard Araud (73).
Gérard Araud (73)

« J’aurais vou­lu faire khâgne mais je fus inca­pable de me faire entendre », raconte Gérard Araud (73), ambas­sa­deur de France à Washington.

« Les parents déci­daient alors. Je me suis donc retrou­vé, en sep­tembre 1971, en maths sup au lycée Thiers à Mar­seille. Le choc fut rude : je ne suis pas doué en sciences, je leur pré­fé­rais le grec et l’histoire. Je fus un tau­pin beso­gneux, achar­né à apprendre par cœur mes cours et à faire tous les exer­cices dis­po­nibles sur le marché.

Il me man­quait cette intui­tion qui fait toute la dif­fé­rence. Je savais qu’être le meilleur en fran­çais ne m’aiderait pas beau­coup le jour des concours. Mais la souf­france deve­nait cau­che­mar lorsque nous devions nous appli­quer au des­sin industriel. »

Tous dans la même galère

« Nous avions 18 ans, nous étions tous dans la même galère, même si les rames pesaient plus sur cer­tains, nous étions donc soli­daires entre blagues bien grasses d’adolescents pro­lon­gés et expli­ca­tions don­nées par les plus doués aux autres.

« Et, comme j’étais à Mar­seille, lorsque l’été se rap­pro­chait, je res­tais tou­jours aus­si pâle tan­dis que mes condis­ciples bron­zaient au rythme de leurs sor­ties à la plage. Mar­seillais, je l’étais, puisque, lorsque je pas­sais l’épreuve d’anglais du concours, après que j’eus pro­non­cé trois mots, l’examinateur me dit : “Vous êtes Méri­dio­nal ?”, ce qui n’était pas encou­ra­geant, reconnaissons-le. »

La beauté des démonstrations

« Mais ne noir­cis­sons pas le trait : même moi, je fus sen­sible à la beau­té des démons­tra­tions et à l’économie de moyens de cer­taines ; j’éprouvais, trop rare­ment certes, l’impression de domi­ner la matière et de faire par­tie d’un cercle d’initiés à un jeu grave et ésotérique.

“ L’impression de dominer la matière et de faire partie d’un cercle d’initiés ”

Qui ne se sou­vient de l’excitation presque phy­sique éprou­vée à trou­ver une solu­tion à un exer­cice, qu’on juge astu­cieuse, voire élé­gante ? Moments trop rares qui parais­saient jus­ti­fier les sacri­fices de ces années où les loi­sirs avaient trop peu de place, en tout cas pour moi.

« À défaut de talent, le tra­vail et la chance me per­mirent d’intégrer l’X où je ne pen­sai, dès mon admis­sion dans un rang moyen, qu’à un but, ne pas deve­nir ingénieur.

C’est ain­si que je devins diplo­mate, mais c’est une tout autre histoire. »

Efficacité

SAVOIR GÉRER SON TEMPS

« J’ai suivi récemment une formation au management dans laquelle il y avait un module sur la gestion du temps », rapporte un camarade de la 88. « À l’issue de quelques exercices pratiques, le formateur, trouvant mon approche intéressante, m’a demandé comment j’avais appris à m’organiser de la sorte.
La réponse était évidente : en prépa. Tous les conseils de formation qu’il prodiguait ne faisaient que reprendre sur le mode théorique ce que j’avais expérimenté de manière empirique en prépa et que j’ai continué à mettre en œuvre tout au long de ma carrière. »

« Nous sommes 27 à avoir inté­gré l’X sur les 37 élèves de ma classe de maths spé au lycée Louis-le-Grand », rap­pelle Aya­lon (Alain) Vaniche (87), direc­teur géné­ral d’EDF en Israël.

« C’était un for­ma­tage inten­sif, dont nous, les X, avons bien pro­fi­té. Les ensei­gnants hors normes et les moyens excep­tion­nels dont nous avons béné­fi­cié sem­blaient entiè­re­ment mobi­li­sés vers un objec­tif unique et étroit : notre admis­sion à l’X. Nor­male sup ne concer­nait qu’un petit nombre d’élèves qui sau­raient se recon­naître et s’y pré­pa­rer si nécessaire.

La pré­pa­ra­tion des autres concours devait décou­ler natu­rel­le­ment de la pré­pa­ra­tion à l’X. Tout autre centre d’intérêt devait être mis en som­meil, et per­sonne ne trou­vait rien à redire à ce gas­pillage de talents. Et même par­mi les épreuves du concours de l’X, seules celles jugées dis­cri­mi­nantes méri­taient un investissement.

« Je n’avais aucune expé­rience fami­liale des classes pré­pa­ra­toires. Mes parents, ensei­gnant les langues orien­tales et la cui­sine, n’étaient pas fami­liers du sys­tème, et me pous­saient à aban­don­ner la pré­pa pour étu­dier la méde­cine. Je sor­tais de sept années insou­ciantes à Laka­nal, à Sceaux, entre les mains d’une équipe ensei­gnante extra­or­di­naire qui m’a fait pro­gres­ser et m’a orien­té logi­que­ment vers la maths sup.

Aéro­mo­dé­lisme et petits avions en bal­sa, club d’électronique, club d’informatique pour bidouiller un Apple II, TP de chi­mie pour les Olym­piades natio­nales orga­ni­sées par Elf Aqui­taine, sport, latin, alle­mand : plus de la moi­tié des heures que j’ai pas­sées dans l’enceinte du lycée étaient consa­crées à des acti­vi­tés sans rap­port avec le baccalauréat. »

Un casting idéal

« Reca­drage immé­diat à l’entrée en maths sup : emploi du temps écra­sant, devoirs sans fin, inter­nat, admi­nis­tra­tion effi­cace, sur­veillant géné­ral impi­toyable (“Béru”) : l’infrastructure était par­faite, bien rodée. Le cas­ting de l’équipe ensei­gnante était idéal.

D’un côté, les pro­fes­seurs de mathé­ma­tiques et de phy­sique qui étaient tous excel­lents, y com­pris de véri­tables stars. De l’autre, les pro­fes­seurs des matières “moins impor­tantes” qui avaient renon­cé à moti­ver des élèves dont l’attention était ailleurs – à l’exception notable du regret­té Alain Etche­goyen, qui avec panache conti­nuait à nous ensei­gner la phi­lo­so­phie même aux heures les plus sombres de nos révisions.

Les absences répé­tées de la prof d’anglais ne gênaient per­sonne. La ten­ta­tive d’organiser un cours d’allemand en seconde langue n’a tenu que quelques semaines. Le prof de sports ne pre­nait même plus la peine de faire acte de présence. »

Une focalisation extrème

ESPACES DE RESPIRATION

« J’ai essayé de préserver des espaces de respiration, plus ou moins consciemment. Je suis resté externe. Je me suis efforcé de maintenir une pratique religieuse relativement exigeante. J’ai trouvé une camarade pour m’accompagner dans un jogging (presque) hebdomadaire autour du jardin du Luxembourg. Et surtout j’ai continué à investir dans la chimie, vue par la plupart des taupins comme une matière aussi inutile que le dessin industriel.
Je filais tous les mercredis vers le labo de l’ENCPB pour suivre quatre heures de cours de chimie en préparation des Olympiades internationales. Je suis même parti en Hongrie pendant dix jours au milieu des oraux de l’X pour participer à la finale des Olympiades, ce qui aurait pu me coûter cher. Après coup, je ne regrette pas ces petits grains de folie. »
Alain Vaniche (87)

« La phi­lo, les langues, le sport figu­raient bien au pro­gramme du concours de l’X, mais le modèle domi­nant était que la dif­fé­rence se joue sur les mathé­ma­tiques. Et même en cours de maths nous fai­sions l’impasse sur cer­tains types d’exercices de géo­mé­trie qui ne sor­taient que dans des épreuves spé­ci­fiques des concours de Cen­trale ou des Mines.

« Cette foca­li­sa­tion reste la seule chose que je regrette de la pré­pa, alors que la quan­ti­té de tra­vail, la com­pé­ti­tion, même l’humour affli­geant et conta­gieux des tau­pins ne me laissent que de bons sou­ve­nirs aujourd’hui.

« J’ai vou­lu lut­ter contre l’exclusivité don­née aux mathé­ma­tiques et à l’X, mais je me suis lais­sé per­sua­der par mes ensei­gnants qu’il valait mieux pour moi pas­ser en maths spé M’ plu­tôt que P’, même si je vou­lais faire de la chi­mie plus tard. Quand ensuite il a fal­lu choi­sir entre l’X et Nor­male sup en chi­mie, j’ai choi­si l’École pour l’ouverture qu’elle permettait.

« “Le monde entier est un pont étroit, l’essentiel est de ne pas avoir peur”, dit rab­bi Nah­man de Breslev. »

Parisiens et provinciaux

« L’entrée dans le chau­dron de Sainte- Gene­viève s’effectue par une jour­née d’intégration – rien à voir avec un bizu­tage – pas­sée en tra­vail manuel », se sou­vient David Mor­gant (86), aujourd’hui spé­cia­liste du déve­lop­pe­ment urbain et régio­nal à la direc­tion des pro­jets de la Banque euro­péenne d’investissement (BEI), au Luxembourg.

« Rien de tel pour bri­ser quelques bar­rières, notam­ment entre Pari­siens sur­en­traî­nés et pro­vin­ciaux moins aver­tis. En effet, Ginette accueille aus­si bien les uns que les autres, contrai­gnant même les uns, au début de la sco­la­ri­té en inter­nat, à invi­ter les autres dans leur uni­vers fami­lial pour pou­voir ren­trer chez eux. De grandes décou­vertes et de solides ami­tiés en sont nées.

« Au tra­vail, de grands écarts existent. Loin de consi­dé­rer cela comme une sélec­tion natu­relle, un sys­tème de “binô­mage” est mis en place, condui­sant le pre­mier de la classe à aider un soir par semaine le der­nier, le second l’avant-dernier, et ain­si de suite. Extrê­me­ment effi­cace pour reprendre pied. »

Une formation humaine

« Le sport est très pré­sent à l’école. Les dis­jonc­teurs veillent aus­si à la régu­la­tion des heures de som­meil, de même que les Jésuites à la for­ma­tion humaine de leurs élèves : quo­ti­diens affi­chés, acti­vi­tés sociales, heures réser­vées à la réflexion sur les sujets de société.

“ J’ai choisi l’École pour l’ouverture qu’elle permettait”

« Quand arrive le mois M, l’entraide reste de mise : révi­sions en com­mun par petits groupes pen­dant les vacances de prin­temps chez l’un ou chez l’autre, dépla­ce­ments com­muns sur les lieux des concours, sou­tiens mutuels, etc. On doit donc par­ler de suc­cès col­lec­tifs plu­tôt qu’individuels.

« Cer­tains y retrou­ve­ront bien des aspects de la spi­ri­tua­li­té igna­cienne. Bien sûr, c’est effi­cace, mais c’est sur­tout extrê­me­ment solide et for­ma­teur pour toute la vie. Il ne s’agit pas seule­ment de pro­duire des méca­niques intel­lec­tuelles mais aus­si et sur­tout des hommes et des femmes capables de s’engager dans la com­plexi­té de ce monde. »

Poster un commentaire