Jean-Pierre Barani, professeur de mathématiques au lycée du Parc

Le vécu des enseignants

Dossier : Les prépasMagazine N°703 Mars 2015
Par Pierre LASZLO

Jean-Pierre Barani est pro­fesseur de math­é­ma­tiques au lycée du Parc, à Lyon. L’ascenseur social le hissa : depuis le lycée Massé­na, à Nice, jusqu’à l’agrégation. Cet homme est d’une générosité fon­cière, au ser­vice de la République, via les élèves.


Jean-Pierre Barani

Ain­si, lors du mois des con­cours, il con­ver­tit son traite­ment en heures de colles, qu’il offre aux élèves pour les pré­par­er à leurs oraux.

Ce fer­vent de l’élitisme répub­li­cain juge insup­port­a­bles les soci­o­logues qui tax­ent les pré­pas de repro­duc­tion à l’identique de la classe dirigeante.

Il énumère, dans sa dernière classe de 2014- 2015, les élèves issus de milieux mod­estes : fille ou fils de plom­bier, retraité, chauf­feur routi­er, éboueur, femme de ménage.

“ Mathématiques et informatique sont les éléments de saisie du réel ”

Un de ses anciens élèves témoigne : « Je lui dois énor­mé­ment. Sur le plan math­é­ma­tique, il fait mon­tre d’une grande orig­i­nal­ité, qui se man­i­feste tant dans ses solu­tions que dans ses ques­tions, sou­vent très éclairantes, et d’une grande habileté technique.

Sur le plan péd­a­gogique, j’ai appris de lui com­ment expos­er une preuve en la moti­vant plutôt qu’en la faisant pass­er comme suite d’astuces. Sur le plan humain, il m’a repêché en “spé”, à un moment difficile. »

REPÈRES

Les professeurs des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) sont organisés en réseau. Ils échangent des exercices pour les élèves.
Les relations avec les enseignants du secondaire, dans le même lycée, sont peu visibles : la différence des salaires, justifiée par une charge de travail largement supérieure, pourrait l’expliquer. Les relations avec leurs collègues universitaires sont rares, elles aussi.
Elles se font par le truchement des élèves, les examinateurs aux concours étant, en règle générale, des professeurs d’université. Pratiquement tous les enseignants en CPGE sont agrégés. Nombreux sont ceux passés par une École normale supérieure.
Une charge hebdomadaire effective de cinquante à soixante heures est la norme.

Un moment privilégié

Max Hochart est pro­fesseur de math­é­ma­tiques au lycée Blaise-Pas­cal, à Cler­mont- Fer­rand. À 42 ans, il en paraît dix de moins. Extrême­ment sym­pa­thique, ouvert et chaleureux.

UN ACTEUR DE THÉÂTRE

Voici quelques « baranismes ». « Les prépas sont un espace de liberté. Je transmets un savoir existentiel. Les bons élèves actuels sont aussi bons dans les jeux (électroniques). J’enseigne beaucoup par métaphores. J’ai comme rôle de mobiliser de l’autonomie intellectuelle.
Un prof est comme un acteur de théâtre : c’est quelqu’un qui, avec sa culture personnelle, interprète un texte. »

Le goût des maths lui est venu en troisième, par un pro­fesseur « très clair ». Il aime l’enchaînement logique des idées. Il a ressen­ti l’attrait des pré­pas à l’occasion de colles qu’il fai­sait pass­er au lycée Charle­magne, à Paris.

« J’adorais l’énergie des élèves, leur propen­sion à pos­er des questions. »

Sa charge heb­do­madaire, du 1er sep­tem­bre au 20 juin, est d’une ving­taine d’heures de con­tact heb­do­madaires. Aux­quelles s’ajoutent, à longueur d’année, petites et grandes vacances com­pris­es, chaque semaine une trentaine d’heures, env­i­ron cinquante heures au total.

Il reçoit, toutes les trois semaines, deux paque­ts de 30 à 35 copies à cor­riger, devoirs sur­veil­lés d’une part, devoirs à la mai­son d’autre part.

Quant aux colles, elles restent pour lui un élé­ment pri­mor­dial de séduc­tion par son méti­er. Elles sont un moment priv­ilégié, durant lequel les aspects soci­aux et psy­chologiques sont patents.

Max Hochart, professeur de mathématiques au lycée Blaise-Pascal
Max Hochart a des rap­ports de con­vivi­al­ité avec ses élèves.

Il y trou­ve un « vrai apport à voir les élèves, et ce qu’ils ont com­pris ou pas ». Il éprou­ve une pro­fonde admi­ra­tion pour ses élèves, avec lesquels il a des rap­ports de con­vivi­al­ité, pas de supéri­or­ité. Il conçoit son rôle comme une maïeu­tique, « j’aime bien quand on vient con­tester, j’essaie vrai­ment d’écouter leurs raisonnements ».

En quinze ans d’exercice, il fut inspec­té qua­tre fois. Cer­taines de ces inspec­tions furent pour lui « franche­ment intéres­santes ». Un inspecteur lui sig­nala une petite erreur, un autre s’intéressa au club d’échecs qu’il avait organ­isé, et tint à aller le voir.

Écrire des livres

Les programmes ?

DES ÉLÈVES EXTRAORDINAIRES

« Je suis sidéré de voir à quel point les élèves sont soudés. J’ai chaque année des élèves extraordinaires. Les classes sont extrêmement hétérogènes. Le lycée Blaise-Pascal est un lycée où la compétition interne n’existe pas, les meilleurs expliquent aux moins bons. Les élèves y font aussi un apprentissage d’autonomie et de créativité. »
Cela, estime Max Hochart, « par contraste avec les grands lycées parisiens, dont chacun est un marqueur social ».

« J’ai un peu peur qu’on mette trop en avant la mod­éli­sa­tion, les sim­u­la­tions numériques. Si, en revanche, on parvient à dévelop­per l’intuition, on aura gag­né quelque chose.

J’aimais bien les anciens pro­grammes, je trou­vais que les épreuves écrites étaient vrai­ment jolies. »

Autonomie et soli­tude ? « Je ne suis pas véri­ta­ble­ment isolé, Inter­net per­met les échanges avec les col­lègues exerçant ailleurs. Des pro­jets édi­to­ri­aux per­me­t­tent de se retrou­ver » (Max Hochart a édité plusieurs manuels). De même, des forums sur la Toile.

“ Un texte s’étoffe et s’enrichit peu à peu ”

Il a édité, en col­lab­o­ra­tion, un pre­mier manuel, de pre­mière année : « Il exis­tait très peu de prob­lèmes de pre­mière année. Dès la math sup, on peut démon­tr­er de très jolis résul­tats. Écrire des livres, ça oblige à se remet­tre en ques­tion. » C’est un gros tra­vail d’élaboration. Il a beau­coup goûté ce qu’apporte une col­lab­o­ra­tion, les allers retours d’un texte qui, de la sorte, s’étoffe et s’enrichit peu à peu.

Une communauté passionnée

Quelle est, pour lui, la morale de son métier ?

« J’ai ren­con­tré une com­mu­nauté pas­sion­née, ce que je respecte pro­fondé­ment. Out­re la com­mu­nauté des pro­fesseurs, celle des élèves con­tin­ue à me sur­pren­dre par leur curiosité.

J’associe le mot “générosité” au sys­tème des pré­pas. Vis-à-vis des élèves, il faut ten­ter de répon­dre à leur curiosité intel­lectuelle ; et adapter leur pas­sion pour les aider à inté­gr­er l’école pour eux la plus attrayante, la plus prestigieuse. »

Un moine-soldat

François Petitet Gos­gnach est pro­fesseur de physique en PC*, égale­ment au lycée Blaise-Pas­cal de Cler­mont-Fer­rand. Sa classe compte 44 élèves, dont 20 % d’internes et 25 % de filles.

François Petitet Gosgnach, professeur de physique au lycée Blaise-Pascal
François Petitet Gos­gnach.

Orig­i­naire de Sar­celles, il fit ses pré­pas au lycée Blaise-Pas­cal, avant d’intégrer l’École nor­male supérieure de Saint-Cloud. Après l’agrégation, son tout pre­mier poste fut à Louis-le-Grand.

“ Fournir la même formation, où que je sois ”

Il en acquit une grande assur­ance, moteur de sa car­rière ultérieure. Il enseigna ensuite au lycée Lafayette, à Cler­mont-Fer­rand. Puis il par­tit à La Réu­nion, où il enseigna au lycée Lecon­te-de-Lisle, à Saint-Denis.

De retour en métro­pole, il est depuis lors enseignant à Blaise-Pas­cal. Il habite à la cam­pagne, à trente kilo­mètres de Cler­mont, et il a six enfants.

Gros tra­vailleur, il a fréquem­ment par­ticipé à des jurys de con­cours : un énorme tra­vail, absorbant toutes les vacances pour pré­par­er des sujets originaux.

Sa voca­tion d’enseignant fut tenace, depuis la petite enfance. Il pour­suit son idéal, car par principe « ma mis­sion est de fournir la même for­ma­tion, où que je sois ». Il conçoit son rôle comme « d’aider à con­stituer un être humain qui réflé­chit mieux. Essay­er de déblo­quer les ver­rouil­lages. Rester bien­veil­lant et serein. »

Il a tout du moine-sol­dat, c’est un pas­sion­né, il se sent investi d’une mis­sion d’enseignement de la physique dans ses aspects les plus con­crets, ain­si que de pro­mo­tion sociale pour les élèves issus de milieux modestes.

À bras-le-corps avec la matière

UN LIVRE POUR EXPÉRIMENTER

François Petitet Gosgnach est l’auteur du manuel Concevoir et réaliser des expériences de physique, initiation à la recherche, application aux travaux d’initiative personnelle encadrés (TIPE), travaux personnels encadrés (TPE), méthodes et pratiques scientifiques (MPS), projets L1 et L2. 
Ce manuel ne donne pas une liste d’expériences clés en main, mais explique les moyens et les méthodes de conception d’une expérience, aussi bien en mécanique qu’avec les ondes, la thermodynamique, etc.
Il incite à exploiter produits et matériaux du quotidien. Ce sont des « manips » faites, suivant l’expression, avec des bouts de ficelle.
Ce livre a été finaliste du prix Roberval, décerné par l’université technologique de Compiègne, en 2014.

François Petitet Gos­gnach s’est par­ti­c­ulière­ment impliqué dans les travaux d’initiative per­son­nelle encadrés (TIPE) intro­duits dans les pré­pas en 1997.

Bricoleur-né, il a fait sien ce pro­gramme, dérivé de « La main à la pâte », d’enseigner la physique par des mon­tages astu­cieux, peu coû­teux, conçus par les élèves eux-mêmes, et non par une instru­men­ta­tion lourde, dédiée. Il adore le bras-le-corps avec la matière.

Initiative et inventivité

Selon lui : « Les class­es pré­para­toires offrent gra­tu­ite­ment sur tout le ter­ri­toire français, y com­pris out­re-mer, des for­ma­tions sci­en­tifiques équiv­a­lentes (pro­grammes nationaux), avec une vision trans­ver­sale de chaque dis­ci­pline et une approche aus­si bien théorique de haut niveau qu’expérimentale et infor­ma­tique, dans un encadrement moti­vant et per­son­nal­isé pour chaque jeune, tout en dévelop­pant l’autonomie, l’initiative et l’inventivité par la con­duite de projets. »

Les contacts humains

Michel Renard, professeur de prépa au lycée Blaise-Pascal
Michel Renard

Michel Renard, lui, est pro­fesseur de physique et de chimie, égale­ment au lycée Blaise-Pas­cal, à Cler­mont-Fer­rand. Il est fils d’instituteurs et petit-fils d’ouvriers.

Il suiv­it les pré­pas au lycée Blaise-Pas­cal. Il inté­gra l’École nor­male supérieure de la rue d’Ulm, devint physi­cien, réus­sit l’agrégation et boucla son par­cours sco­laire par un doc­tor­at d’astrophysique.

Bref, un par­cours exem­plaire de l’élitisme républicain.

Un peu déçu par la faible den­sité des con­tacts humains dans le quo­ti­di­en d’un chercheur, il trou­ve finale­ment sa voie dans l’enseignement : « Je fais ce méti­er d’enseignant pour ses con­tacts humains. Ça empêche de vieillir ! »

Il enseigna, d’abord en hypotaupe à Angers, puis à Cler­mont (Lafayette) avant de se retrou­ver, en 1987, prof de physique en taupe à Blaise-Pascal.

Un adepte du cours magistral

L’HARMONICITÉ DES INSTRUMENTS À VENT

Les travaux d’initiative personnelle encadrés (TIPE) apportent, selon Michel Renard, une interaction totalement différente avec les élèves. Par exemple, un élève musicien se demande, à propos des instruments à vent : pourquoi des trous latéraux à tel endroit et de telle taille ? S’ensuivent expérimentation et théorisation.
« Nous avons été bluffés que ça marche aussi bien ! » Cela se conclut par une publication, sur l’harmonicité des instruments à vent, dans le Bulletin des professeurs de physique et de chimie, périodique ayant succédé au Bulletin de l’union des physiciens.

Sa classe compte 35 élèves, dont, à son esti­ma­tion, 30 % de très bon niveau. Son temps de tra­vail est, grosso modo, dou­blé par rap­port aux dix-huit heures de con­tact heb­do­madaires avec les élèves.

“ Les contacts humains empêchent de vieillir ”

Adepte du cours magis­tral tra­di­tion­nel pour les class­es pré­para­toires, s’aidant d’un vidéo­pro­jecteur pour affich­er courbes et graphes, cal­culs numériques et doc­u­ments Web, il dis­tribue aux élèves un résumé de cha­cun de ses cours, au for­mat PDF.

Dicter son cours est pour lui très posi­tif : « Il est impor­tant que les élèves le pren­nent en note. Rien ne vaut l’écriture qu’on fait soi-même. »

Un côté assistante sociale

Il con­sid­ère les colles comme d’une impor­tance pri­mor­diale. Ces échanges avec les élèves per­me­t­tent de les recadr­er (mise en place des méth­odes d’apprentissage du cours, des raison­nements). Ces con­tacts humains révè­lent d’éventuels prob­lèmes de famille, de coeur, de san­té : « Ce côté assis­tante sociale est impor­tant. Ces jeunes adultes ont besoin de repères et par­fois d’aide. »

Donner envie de faire des sciences

LES VERTUS DE L’ERREUR

La liberté pédagogique est essentielle. Michel Renard affectionne les problèmes ouverts, par exemple comment déterminer la température d’une flamme. Il enseigne la construction d’un raisonnement, après étude d’un ensemble de données brutes. Il croit fermement à la vertu didactique de l’erreur.

Michel Renard enseigne à ses élèves com­ment tir­er par­ti des décalages théorie-obser­va­tion. Mais, en sens inverse « les élèves nous motivent. Ils ont un esprit neuf. Au bout de vingt-huit ans de méti­er, il y a des choses aux­quelles je n’ai pas pen­sé. Ils posent des ques­tions extraordinaires. »

Quelle est la morale de son métier ?

« Don­ner envie de faire des sci­ences. Attis­er la curiosité des élèves. En faire des êtres qui sachent raison­ner, qui sachent réfléchir. Les amen­er à devenir logiques, à devenir cohérents. Les ren­dre malins. »

Une charge de travail impressionnante

Nicolas Tosel, professeurde mathématiques au lycéeLouis-le-Grand
Nico­las Tosel

Nico­las Tosel est pro­fesseur de math­é­ma­tiques au lycée Louis-le-Grand, à Paris, À 46 ans, il est issu du lycée Massé­na de Nice. Puis, il a fait l’École nor­male supérieure de Saint-Cloud.

Il est agrégé de math­é­ma­tiques. Son épouse est elle aus­si prof en pré­pa, au lycée Hen­ri-IV. Après le lycée Descartes de Tours, le lycée du Parc à Lyon, Saint-Louis à Paris, il a rejoint Louis-le-Grand, où il prévoit de con­tin­uer jusqu’à la fin de sa carrière.

Sa charge de tra­vail reste impres­sion­nante. Les enseignants de pré­pas ont pour mis­sion de don­ner le goût du tra­vail à leurs élèves, ils mon­trent l’exemple : « Cette for­ma­tion leur inculque l’habitude de gér­er l’urgence, d’aller à l’essentiel. »

Faire mieux que le prof

Ses anciens élèves main­ti­en­nent sou­vent le con­tact, par­fois même sont devenus des amis. C’est un homme ado­rant son méti­er, sous toutes ses faces.

Il com­mu­nie avec ses élèves en une pas­sion pour les maths. Il a des têtes de classe « absol­u­ment remar­quables », des élèves qui le dépan­nent lorsqu’il est lui-même en dif­fi­culté devant la con­clu­sion d’un exer­ci­ce : il faut « val­oris­er les élèves, leur mon­tr­er qu’ils peu­vent faire mieux que le prof ».

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