Des territoires aux grandes écoles

Des territoires aux grandes écoles

Dossier : ExpressionsMagazine N°759 Novembre 2020
Par Jacques DENANTES (49)
Par Alix VERDET
Par Bixente ETCHECAHARRETA

Com­ment aider les jeunes gens orig­i­naires des ter­ri­toires à accéder aux grandes écoles ? Loin de se résign­er à la sit­u­a­tion qua­si monop­o­lis­tique des lycées parisiens, des diplômés des grandes écoles d’origine basque ont créé une asso­ci­a­tion qui aide à la con­créti­sa­tion des ambi­tions des jeunes provinciaux.

Lors d’une table ronde que nous avons organ­isée en 2002 au Col­lège de France sur le thème de l’exclusion sociale, le directeur de Sci­ences Po avait souligné l’anomalie résul­tant du fait que 80 % des élèves des grandes écoles prove­naient d’une ving­taine de class­es pré­para­toires de lycées situés à Paris, à Ver­sailles ou dans les grandes métrop­o­les, alors qu’il y avait 2 000 lycées en France.

J’ai ren­con­tré Bix­ente Etcheça­har­reta, diplômé de Sci­ences Po Paris, bache­li­er du lycée de Navarre, à Saint-Jean-Pied-de-Port. Il avait pris con­science de l’exception de sa réus­site en obser­vant que, dans ce lycée qui obte­nait de très bons résul­tats au bac, il parais­sait à tous, élèves, familles, enseignants, que ces grandes écoles se situ­aient dans un autre monde et qu’il était déraisonnable pour des lycéens de Saint-Jean-Pied-de-Port de pré­ten­dre y être admis. Ayant lui-même franchi cette bar­rière, il a décidé de s’investir pour la faire tomber.

Troisième promotion de boursiers de l'association des territoires aux Grandes écoles
Ran­don­née organ­isée à Itx­as­sou pour ren­con­tr­er la troisième pro­mo­tion de bour­siers, en 2020.

En 2013, création d’une association en Pays basque

Avec deux autres anciens du lycée qui avaient comme lui franchi la bar­rière, l’un vers l’Ensta, l’autre vers l’Essec, ils sont revenus à Saint-Jean-Pied-de-Port pour témoign­er de leurs itinéraires et pour inciter les élèves du lycée à les imiter. Mais pour être enten­dus, il fal­lait trou­ver des solu­tions au prob­lème du coût du dépayse­ment dans une grande ville. 

Ils ont été bien accueil­lis par le pro­viseur et par les enseignants du lycée et leur témoignage a vive­ment intéressé les élèves qui en ont par­lé autour d’eux de sorte qu’ils ont été appelés dans les dix autres lycées du Pays basque. En mobil­isant tous les anciens lycéens qui avaient été admis dans une grande école, ils ont créé l’association Du Pays basque aux grandes écoles (DPBGE), qui a passé des con­ven­tions avec les onze lycées pour insti­tu­tion­nalis­er leurs interventions. 

Accompagner financièrement le changement de ville

Il fal­lait aus­si trou­ver des solu­tions au prob­lème du coût d’une expa­tri­a­tion dans une grande ville en se don­nant les moyens de financer des bours­es. Des con­tacts ont été pris avec les entre­pris­es locales aux­quelles on a fait val­oir qu’en facil­i­tant l’accès aux grandes écoles de jeunes du Pays basque elles créaient des liens qui, en favorisant leur retour une fois for­més, val­ori­saient le ter­ri­toire. Pour amorcer ces liens et pour stim­uler la générosité des entre­pris­es, on a organ­isé des vis­ites d’étudiants dans les entreprises. 

Pour trou­ver des fonds, l’association a pu compter sur un diplômé de l’École poly­tech­nique, Jacques Gara­ialde (76), et a aus­si pris con­tact avec les entre­pris­es du ter­ri­toire comme le Crédit agri­cole du Pays basque et c’est ain­si qu’elle a été en mesure d’attribuer, depuis 2018, dix bours­es de 6 000 € chaque année. Elle s’est adressée à l’Estia, une école d’ingénieurs basée à Bidart, pour assur­er la ges­tion d’un bud­get de 174 000 euros. Ces réal­i­sa­tions de l’association ont trou­vé un écho au niveau nation­al : en 2016, Bix­ente qui était son prési­dent a été invité à présen­ter ses réal­i­sa­tions devant une com­mis­sion du Con­seil économique, social et envi­ron­nemen­tal (CESE).

Financement de l'association Des territoires aux Grandes écoles
Vis­ite de la Fro­magerie Agour à Hélette, dont le PDG, Peio Etx­eleku, con­tribue au finance­ment
du dis­posi­tif de bourse (2018).

Le passage à l’échelon national

D’autres ter­ri­toires à dom­i­nante rurale, où le prob­lème de l’inaccessibilité aux grandes écoles se posait dans les mêmes con­di­tions qu’au Pays basque, ont sol­lic­ité Bix­ente pour avoir des infor­ma­tions et des con­seils, de partout en France. Comme au Pays basque, on a trou­vé des jeunes ayant inté­gré une école qui étaient prêts à s’engager et, suiv­ant le mod­èle DPBGE, ils ont créé 32 asso­ci­a­tions, dont une en Guade­loupe et une à la Réunion.

Pour rester en con­tact et pour ren­forcer leurs moyens d’action, ces asso­ci­a­tions ont décidé en 2017 la créa­tion d’une fédéra­tion qui les rassem­ble et les coor­donne, Bix­ente a été choisi comme prési­dent de l’as­so­ci­a­tion Des ter­ri­toires aux grandes écoles (DTGE). Il est appuyé par une équipe nationale d’une ving­taine de per­son­nes, tous bénévoles.

L’appui des grandes écoles

L’association a noué des parte­nar­i­ats avec les grandes écoles, ce qui per­met de mobilis­er leurs élèves pour témoign­er de leurs par­cours. Depuis 2018, des élèves de l’ENA en stage en pré­fec­ture inter­vi­en­nent en appui dans les lycées. Des X en stage de for­ma­tion humaine dans des lycées inter­vi­en­nent en appui des mil­i­tants des asso­ci­a­tions locales.

Rencontre avec la ministre chargée de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, lors d’une conférence organisée à Sciences Po.
Ren­con­tre avec la min­istre chargée de la Cohé­sion des ter­ri­toires, Jacque­line Gourault, lors d’une con­férence organ­isée à Sci­ences Po.

Faire grandir le réseau

Le rap­port d’activité de la dernière Assem­blée générale DTGE résume la sit­u­a­tion et présente les ori­en­ta­tions pour l’avenir. Sept années après le pre­mier lance­ment en Pays basque, 32 ter­ri­toires se sont engagés, 70 lycées ont été con­ven­tion­nés, 5 grandes écoles dont l’X ont apporté leur con­cours et 800 adhérents, tous bénév­oles, sont mobil­isés sur le ter­rain, mais ils inter­vi­en­nent en plus grand nom­bre sur les réseaux soci­aux (Face­book et Insta­gram, la fédéra­tion DTGE et les asso­ci­a­tions locales dont l’association mère @dpbge).

Les objec­tifs du prési­dent sont de cou­vrir le ter­ri­toire nation­al, mais surtout de faire béné­fici­er toutes les asso­ci­a­tions locales du régime de bours­es qui fonc­tionne au Pays basque. Des démarch­es sont en cours dans le Béarn, le Tarn, l’Allier et en Mayenne, et des con­tacts sont pris au niveau nation­al avec le Crédit agricole.

Créer les conditions d’un retour afin de permettre aux territoires d’en bénéficier

Fidèle au Pays basque, Bix­ente met l’accent sur les dis­po­si­tions à pren­dre pour que l’admission dans une grande école n’entraîne pas sys­té­ma­tique­ment un départ défini­tif de la région des lau­réats. C’est pourquoi il met l’accent sur la mobil­i­sa­tion des entre­pris­es aux­quelles il demande non seule­ment de financer les bours­es, mais aus­si de se faire con­naître des étu­di­ants en grandes écoles par des vis­ites et par des stages. Son pro­jet n’est pas seule­ment de cor­riger l’inégalité des con­di­tions d’accès aux grandes écoles, il est aus­si de val­oris­er le ter­ri­toire en l’enrichissant d’emplois qual­i­fiés aux­quels ont pu accéder ou qu’ont pu créer les jeunes béné­fi­ci­aires de son programme.


Ambition : Polytechnique

Anna-Gabrielle, en pré­pa PCSI au lycée Mon­taigne à Bor­deaux : « Mon plus grand rêve est d’intégrer l’École poly­tech­nique pour deux raisons : elle per­met l’intégration d’un corps mil­i­taire pen­dant six mois ; elle per­met après trois ans d’études, de par­tir pour une année com­plète sup­plé­men­taire dans un pays étranger. »


Gros plan sur le Pays basque

Bix­ente Etcheça­har­reta : « Depuis trois ans au Pays basque, nous finançons chaque année 10 bours­es de 6 000 euros (sauf la pre­mière année où seule­ment neuf can­di­dats avaient été retenus suite à notre jury). Ce qui explique le bud­get de 54 000 euros la pre­mière année, puis 60 000 euros en 2019 et 60 000 euros en 2020, financés inté­grale­ment par des dons de par­ti­c­uliers et de PME locales (défis­cal­isés).

Les can­di­dats au dis­posi­tif de bourse sont d’abord sélec­tion­nés par leur pro­viseur au niveau de chaque étab­lisse­ment parte­naire sur des critères d’excellence académique et de néces­sité sociale, puis défini­tive­ment sélec­tion­nés par un jury com­posé d’enseignants de class­es pré­para­toires, de grandes écoles, d’entrepreneurs et de dona­teurs. Chaque élève se voit ensuite attribuer un par­rain, par­mi les étu­di­ants de l’association, qui assure son suivi. Les élèves aidés s’engagent sur l’honneur à s’impliquer dans les actions de l’association et à revers­er les fonds au dis­posi­tif au cours de leur vie pro­fes­sion­nelle si leur car­rière leur per­met, afin d’aider à leur tour d’autres jeunes.

Signature du partenariat Association Territoires et Grandes écoles et Fondation Nationale du Crédit Agricole
Sig­na­ture du parte­nar­i­at nation­al avec la Fon­da­tion nationale du Crédit agri­cole, en 2020 à Paris.

La force du maillage local

Au niveau nation­al, le nom­bre de lycées parte­naires pro­gresse rapi­de­ment en rai­son de la mon­tée en puis­sance pro­gres­sive de nos asso­ci­a­tions locales. Au total, nous esti­mons avoir réal­isé des témoignages devant env­i­ron 4 000 lycéens en 2019–2020. Nous ne dis­posons pas de chiffres plus pré­cis sur les pour­suites d’études de ces élèves sen­si­bil­isés. Par ailleurs, nous avons effec­tué une quin­zaines de vis­ites d’entreprises locales. Là aus­si le retour au ter­ri­toire est dif­fi­cile à quan­ti­fi­er pour le moment, mais nous en avons des exem­ples chaque année.

L’enjeu pour nous est désor­mais d’étendre le dis­posi­tif de bourse dans lequel nous croyons fer­me­ment. Nous sommes con­va­in­cus qu’il est capa­ble de faire émerg­er d’excellentes can­di­da­tures pour les class­es pré­para­toires et les grandes écoles. La con­struc­tion de ce dis­posi­tif néces­site une forte mobil­i­sa­tion de nos asso­ci­a­tions locales, car il s’agit de fédér­er préal­able­ment les pro­viseurs et de con­va­in­cre les entre­pre­neurs locaux pour obtenir les financements.

Pour leur don­ner un coup de pouce, nous cher­chons des dona­teurs nationaux, ce qui per­me­t­trait d’abonder les dons locaux pour enclencher la dynamique. »


Du Pays basque aux grandes écoles

Dans les trois dernières pro­mo­tions (2018, 2019 et 2020), 29 lycéens sont accom­pa­g­nés par l’association (bourse et parrainage) : 

- 17 filles et 12 garçons

- 16 en fil­ière sci­en­tifique, 10 en fil­ière lit­téraire, 3 en fil­ière économique.

- 17 en pré­pa, 2 en pré­pa inté­grée, 5 en dou­ble licence uni­ver­si­taire (Sci­ences Po Paris-let­tres, Info­com-espag­nol, let­tres-sci­ences poli­tiques, his­toire-sci­ences poli­tiques, Insa-Sci­ences Po Toulouse),
2 à Sci­ences Po Bor­deaux, 1 en bach­e­lor, 2 à l’université à l’étranger (EPFL).

Voici les résul­tats pour la pro­mo­tion 2018 (9 élèves) : Agro­sup Dijon (après une pré­pa BCPST à Ginette), HEIG-VD une école d’ingénieurs en microtech­nique et robo­t­ique à Yver­don-les-Bains (réori­en­ta­tion après l’EPFL), Estia (cycle ingénieur après le bach­e­lor), une khûbe en pré­pa ECS à Lons-le-Saunier, Pur­pan (cycle ingénieur après pré­pa inté­grée), Supaero (après une pré­pa PCSI à Stanis­las), Ponts et Chaussées Paris­Tech (après une pré­pa PC à Ginette), Ensimag Greno­ble (après une pré­pa MPSI au lycée Mon­taigne), Toulouse Busi­ness School (après une pré­pa ECS au lycée Montaigne).


Pour en savoir plus et soutenir l’association Des Ter­ri­toires aux Grandes Ecoles


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