Lycée Blaise Pascal à Clermont-Ferrand

À propos de l’ascenseur social

Dossier : Les prépasMagazine N°703 Mars 2015
Par Michel RENARD

Premier point : la qua­si-gra­tu­ité des études en class­es pré­para­toires. L’inscription dans un étab­lisse­ment de l’enseignement supérieur est oblig­a­toire avec les frais asso­ciés, mais ni plus ni moins que pour un étu­di­ant de l’université.

“ Un boursier, même à taux zéro, dépensera zéro euro de frais d’inscription aux concours ”

Dans notre lycée, nous avons env­i­ron un tiers de bour­siers en class­es pré­para­toires sci­en­tifiques, preuve d’attractivité pour des étu­di­ants peu aisés. Le fait d’être bour­si­er, même à taux zéro (sans percevoir d’aide finan­cière), per­met de réduire très forte­ment les frais d’inscription aux con­cours des grandes écoles scientifiques.

Cette réduc­tion est totale dans la majorité des cas par exem­ple, en 2015, un can­di­dat non bour­si­er devra débours­er 100 euros pour se présen­ter au con­cours de l’X et env­i­ron 600 euros s’il se présente à six écoles du con­cours com­mun Cen­trale Supélec (100 euros par école) ; un bour­si­er dépensera zéro euro.

REPÈRES

Le nombre des élèves issus de milieux modestes dans certaines grandes écoles est encore faible. Par exemple, en 2013, 13,6 % seulement des 403 étudiants admis au concours de l’École polytechnique étaient boursiers. On est encore loin des 30 % en lycée de province. Doit-on s’en émouvoir ?
Personnellement, je trouve gênant pour un pays démocratique que les futurs hauts décideurs de l’État et des grandes entreprises ne proviennent en majorité que de milieux aisés et ne connaissent pas la situation concrète, notamment financière, de la majorité des Français.

Un ascenseur performant

De plus, les frais de sco­lar­ité des grandes écoles sci­en­tifiques ne se chiffrent pas en dizaines de mil­liers d’euros par an, comme c’est le cas dans les uni­ver­sités de renom des autres États européens ou aux États-Unis.

Certaines de nos grandes écoles rémunèrent leurs étudiants (X, Écoles normales supérieures, École des travaux publics de l’État, Écoles militaires de l’Armée de terre, de l’Armée de l’air, École navale, etc.).
La solde ou le salaire ne manquent pas d’attirer les étudiants issus de milieux modestes.

Le sys­tème français des grandes écoles, si sou­vent présen­té comme une excep­tion inutile, a son équiv­a­lent ailleurs sous la forme d’universités pres­tigieuses, mais forte­ment payantes.

La sélec­tion à l’entrée de ces grandes uni­ver­sités inter­na­tionales n’est pas unique­ment fondée sur les com­pé­tences des étu­di­ants, mais aus­si, le plus sou­vent, sur les pos­si­bil­ités finan­cières de la famille. Les étu­di­ants de milieu mod­este sont con­traints de s’endetter durable­ment ou, comme aux États-Unis, de s’engager dans l’armée en con­trepar­tie d’une aide finan­cière pour la pour­suite de leurs études.

A con­trario, les écoles français­es recru­tant à par­tir du con­cours com­mun Poly­tech­nique imposent des frais de sco­lar­ité peu élevés, proches de ceux d’une uni­ver­sité française. Sou­vent, elles pro­posent un héberge­ment à frais réduits en cité universitaire.

En pré­pa au lycée Blaise-Pas­cal, nous avons chaque année des élèves, fils ou filles d’agriculteurs ou d’ouvriers, à la réus­site spec­tac­u­laire : Ulm, X, etc. Notre rôle d’ascenseur social est donc bien avéré, tout au moins dans les lycées de province


Le lycée Blaise-Pas­cal de Cler­mont-Fer­rand voit pass­er chaque année des élèves à la réus­site spectaculaire.

Autocensure

Pour autant, les élèves issus de milieux mod­estes sont encore rares dans cer­taines grandes écoles. Plusieurs caus­es peu­vent expli­quer ce manque d’étudiants boursiers.

UN PHÉNOMÈNE GÉNÉRAL

Aux États-Unis, les enquêtes conduites par les autorités fédérales de 1990 à 2012 font état de moins de 15 % d’étudiants issus de milieux modestes accédant aux grandes universités du pays, comme Harvard, Yale ou Princeton.
Voir l’article de Richard Pérez-Peña, « Generation later, poor still rare at elite colleges », The New York Times, 26 août 2014.

La pre­mière est l’autocensure que peu­vent man­i­fester les jeunes de milieu mod­este à l’égard des études longues, et des class­es pré­para­toires en par­ti­c­uli­er : « Les études longues ce n’est pas pour moi car mes par­ents n’ont pas les moyens de me pay­er des études, alors faire ingénieur… »

Les études en pré­pa et en grande école n’étant pas aus­si coû­teuses qu’il y paraît, ce dis­cours ne traduit qu’un défaut d’information.

“ La communication écrite et orale est aussi une source de discrimination sociale ”

Deux­ième cause, le manque de con­fi­ance en eux de ces élèves, mal à l’aise dans les exer­ci­ces oraux où la prestance et la facil­ité d’élocution sont fon­da­men­tales (présen­ta­tion de leur tra­vail de l’année, travaux d’initiative per­son­nelle encadrés, analy­ses de doc­u­ments scientifiques).

Ces exer­ci­ces sont évidem­ment utiles dans un monde où la com­mu­ni­ca­tion orale, voire le paraître, sont de plus en plus impor­tants, mais c’est, sem­ble-t-il, une source de dis­crim­i­na­tion sociale. Le manque de con­fi­ance se traduit aus­si par une atti­tude plus en retrait lors des oraux plus clas­siques des con­cours, même si l’arrogance n’a jamais été une plus-value.

Des handicaps

De même, la maîtrise impar­faite de la langue française (et de l’anglais) peut être un hand­i­cap : la richesse du vocab­u­laire et la justesse syn­tax­ique ne sont pas tou­jours aus­si présentes pour les élèves d’origine mod­este, indépen­dam­ment de l’histoire per­son­nelle de chaque candidat.

Or, les épreuves de langues et de let­tres aux con­cours d’entrée (Cen­trale, Mines, Ponts en par­ti­c­uli­er) con­tribuent très forte­ment à la réus­site ou à l’échec. Il ne s’agit pas de réduire le poids de ces matières, con­nais­sant le rôle fon­da­men­tal de la com­mu­ni­ca­tion écrite et orale, en français et en anglais, dans le méti­er d’ingénieur.

Toute­fois, la façon de pren­dre en compte ces matières sem­ble être aus­si une source de dis­crim­i­na­tion sociale.

L’épée de Damclès

De même, la cul­ture générale, sou­vent plus dévelop­pée, dans les milieux aisés peut pénalis­er les étu­di­ants issus de familles modestes.

Faire référence à l’épée de Damo­clès dans une com­po­si­tion de français de 2014 de Cen­trale Supélec est prob­a­ble­ment dis­crim­i­na­toire : il ne me paraît pas cer­tain que cette référence soit con­nue dans la majorité des familles modestes.

Cours particuliers

L’École polytechnique participe à la campagne ” Une grande école pourquoi pas moi ? ” (GEPPM). La démarche entreprise consiste en un tutorat de soutien en lycée et en l’accueil de jeunes le mercredi après-midi au sein de l’X.

Dernière cause : les cours de rat­tra­page ou de sou­tien sco­laire. Si l’on est encore loin du sys­tème des pré­pa­ra­tions par­al­lèles mis en place lors de la pre­mière année d’études de médecine, il est fréquent que nos élèves aient besoin de cours par­ti­c­uliers lorsqu’ils arrivent en class­es pré­para­toires (si ce n’est auparavant).

Leur coût financier n’est pas sup­port­able par toutes les familles. On pour­rait citer aus­si les séjours lin­guis­tiques payants à l’étranger pour par­faire les con­nais­sances en anglais ou en allemand.

Chercher des solutions

Le prob­lème est com­plexe. L’opinion qui suit, par­tielle, est néces­saire­ment par­tiale. On peut remédi­er au manque d’information des élèves du sec­ondaire de lycées moins favorisés, comme le mon­trent les solu­tions déjà mis­es en place.

Les polytechniciens soutiennent des jeunes dans le cadre de la campagne GEPPM.
Les élèves poly­tech­ni­ciens sou­ti­en­nent des jeunes dans le cadre de la cam­pagne GEPPM. © ÉCOLE POLYTECHNIQUE — J.BARANDE

Citons les Cordées de la réus­site, qui met­tent en réseau d’une part des écoles d’ingénieurs, des lycées à class­es pré­para­toires, et d’autre part des jeunes d’origine mod­este du sec­ondaire au sein de lycées dans des zones moins favorisées.

Grâce au dia­logue avec des étu­di­ants des grandes écoles ou de class­es pré­para­toires, des lycéens de ces zones entre­pren­nent des études supérieures, par prise de con­science que cet enseigne­ment est acces­si­ble à tous intel­lectuelle­ment et financièrement.

Les ini­tia­tives exis­tent et ten­dent à s’amplifier. Au niveau local et depuis de nom­breuses années, les pro­fesseurs des lycées à class­es pré­para­toires de l’académie de Cler­mont-Fer­rand se dépla­cent au sein des lycées de la région afin de trans­met­tre des infor­ma­tions con­cer­nant l’accès aux pré­pas, le type d’études suiv­ies, mais aus­si les grandes écoles.

Ces infor­ma­tions sont com­mu­niquées sous forme de présen­ta­tions ou de séances de ques­tions-répons­es par­fois indi­vid­u­al­isées, lors de forums organ­isés par les lycées.

Nous ren­con­trons régulière­ment des jeunes de petites villes qui ne con­nais­saient pas l’existence des class­es pré­para­toires et des grandes écoles. Cette infor­ma­tion directe auprès des élèves de lycée est effi­cace et per­met de touch­er toutes les tranch­es de la pop­u­la­tion et de lever l’autocensure des milieux modestes.

Il en va de même pour l’autocensure des filles à l’égard des métiers d’ingénieurs et des fil­ières sci­en­tifiques hors biolo­gie- médecine.

En amont des prépas

L’enseignement en amont des class­es pré­para­toires joue-t-il son rôle d’intégrateur social ? Nous, pro­fesseurs de class­es pré­para­toires, con­sta­tons la faib­lesse dans toutes les matières de nos étu­di­ants sor­tant du sec­ondaire, et cela mal­gré la bonne volon­té de leurs enseignants.

“ L’information directe auprès des élèves de lycée est efficace ”

Les lacunes observées ne peu­vent que favoris­er les élèves issus de milieux aisés, leur famille pou­vant plus facile­ment pal­li­er ces lacunes par des cours particuliers.

Ne peut-on pas fournir à tous les jeunes, très tôt dans leur sco­lar­ité, les moyens de com­penser leurs points faibles, quelle que soit leur orig­ine ? Il ne s’agit pas de rem­plac­er l’enseignement dans les étab­lisse­ments publics par une pri­vati­sa­tion de cet enseigne­ment, qui ne ferait que ren­forcer la dis­crim­i­na­tion sociale en créant encore plus de ghettos.

Un enseigne­ment pub­lic gra­tu­it et de qual­ité me sem­ble être la seule solu­tion si l’on veut vrai­ment com­bat­tre la repro­duc­tion des élites.

Le poids de la culture


L’information directe auprès des élèves de lycée per­met de touch­er toutes les tranch­es de la population.

Les con­cours d’entrée aux grandes écoles doivent-ils don­ner autant de poids à la com­mu­ni­ca­tion et à la cul­ture générale ? Il ne faut pas nier l’importance de cette com­mu­ni­ca­tion et de cette cul­ture dans les métiers d’ingénieurs.

Toute­fois, les qual­ités de réflex­ion, d’innovation et de rigueur sci­en­tifiques ne doiven­telles pas être pris­es en compte de façon plus forte afin de recruter de jeunes cerveaux bril­lants et effi­caces, même si leur maîtrise de la langue et de la cul­ture est moins bonne à ce stade ?

Enfin, faut-il aug­menter les aides finan­cières sous forme de bours­es, dimin­uer les frais pour les étu­di­ants des milieux mod­estes ? Cela paraît néces­saire alors que l’on assiste au niveau européen à une ten­ta­tive d’homogénéisation du « com­merce » de l’enseignement à tous les niveaux.

“ Fournir très tôt les moyens de compenser les points faibles ”

L’enseignement doit-il être un marché comme un autre ou doit-il jouer un rôle plus dés­in­téressé dans un pre­mier temps, avant d’être « rentable » par la for­ma­tion de cadres et de chercheurs per­for­mants ? On touche ici à la poli­tique au sens noble du mot.

Notre pays aura-t-il la volon­té poli­tique de con­tin­uer à for­mer des sci­en­tifiques com­pé­tents issus de tous les milieux soci­aux en redonnant à l’école de la République son vrai rôle et sa vraie place ?

Commentaire

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Lau­rent Combémorelrépondre
13 juillet 2020 à 11 h 21 min

Mer­ci à mon ancien pro­fesseur pour cet arti­cle ! J’a­jouterais quelques points com­plé­men­taires qui me sem­blent essen­tiels : le pre­mier est que beau­coup d’élèves de milieux mod­estes ne vont pas oser aller en class­es pré­para­toires, et ils n’ont pas la famille qui poussent der­rière eux => sen­si­bilis­er les par­ents peut donc être utile ; le deux­ième est que les entre­pris­es ne vont pas chercher les cerveaux les plus intel­li­gents mais les per­son­nes qui ont tou­jours l’en­vie d’ap­pren­dre et de pro­gress­er, et, en ce sens, venir d’un milieu mod­este peut être une source de moti­va­tion et généra­teur de l’en­vie de réus­sir ; le troisième est qu’il faut inciter plus de femmes à réalis­er ces par­cours d’ingénieur, car leur ténac­ité (en moyenne plus forte que celle des hommes) attire de plus en plus les grandes entre­pris­es (elles vont égale­ment moins per­dre d’én­ergie dans les luttes de pou­voir qui per­turbent grande­ment la vie des grandes entreprises).

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