Les “35 h” ou comment transformer une contrainte en un avantage compétitif ?

Dossier : Emploi et temps de travailMagazine N°532 Février 1998
Par Cyril WELLENSTEIN (92)
Par Jean KASPAR
Par Pierre LAROUTURROU

Les enjeux techniques permettant à l’entreprise de transformer la contrainte en une opportunité

L’analyse des mul­ti­ples accords déjà inter­venus dans le domaine de l’ARTT per­met de con­stater de mul­ti­ples avan­tages pour l’entreprise.

Gains de pro­duc­tiv­ité (aug­men­ta­tion de la D.U.E., Durée d’u­til­i­sa­tion des équipements, diminu­tion de la masse salar­i­ale, des cap­i­taux engagés). Exem­ple : une entre­prise (Remafer) spé­cial­isée dans l’en­tre­tien et la transformation/ con­struc­tion de matériel fer­rovi­aire (220 mil­lions de francs de chiffre d’af­faires, 220 per­son­nes con­cernées par l’ac­cord), en réor­gan­isant sa pro­duc­tion de 39 h par semaine à un tra­vail en 2 équipes à 32 h, a porté la durée d’u­til­i­sa­tion de l’outil de pro­duc­tion à 64 h (+ 64 %). De plus, les nou­veaux embauchés étant des jeunes, le non-verse­ment de prime d’an­ci­en­neté a per­mis à l’en­tre­prise de dis­pos­er d’une marge de manœu­vre, qu’elle a util­isée en main­tenant les salaires (à masse salar­i­ale con­stante). Dans un autre secteur, Décathlon a réal­isé des gains de pro­duc­tiv­ité impor­tants par une adap­ta­tion des heures de tra­vail aux besoins de la pro­duc­tion (LSA de jan­vi­er 1997).

Amélio­ra­tion de la qual­ité (délai, régu­lar­ité du ser­vice, horaires d’ou­ver­ture…). Exem­ple : un cen­tre d’ap­pel de France Télé­com (70 con­seillers) a util­isé un ARTT pour assur­er à sa clien­tèle une plage horaire d’ou­ver­ture large (8 h à 20 h du lun­di au same­di), les téléopéra­teurs tra­vail­lant sur une base horaire de 35 h. De même, Les 3 Suiss­es ont pu met­tre en place la flex­i­bil­ité néces­saire au “24 h chrono” (LSA de jan­vi­er 1997).

Mise en con­for­mité des pra­tiques avec la régle­men­ta­tion (heures sup­plé­men­taires). Exem­ple : cer­taines entre­pris­es de grande dis­tri­b­u­tion, sanc­tion­nées par les pou­voirs publics pour un dépasse­ment des horaires légaux, pour­raient saisir cette oppor­tu­nité pour se met­tre en règle.

Catal­y­seur pour une recon­fig­u­ra­tion plus vaste de l’en­tre­prise (redé­ploiement d’ef­fec­tif, remise à plat de con­ven­tion com­pliquée). Exem­ple : France Télé­com ou EDF-GDF Ser­vices sont aujour­d’hui dans cette logique. Tout comme les ban­ques, par le cou­plage des négo­ci­a­tions sur les 35 h avec des négo­ci­a­tions sur la con­ven­tion collective.

Redy­nami­sa­tion du cli­mat social (pas­sage d’une logique de per­dant à une logique de gag­nant, sur les rails de la crois­sance). Rap­pel : un salarié sur qua­tre “craint de per­dre son emploi dans les années à venir” (sondage Sofrès pub­lié dans L’Ex­pan­sion du 4 décem­bre 1997). Exem­ple : une entre­prise (Rabot-Dutilleul) du secteur des BTP, con­fron­tée comme beau­coup d’en­tre­pris­es de ce secteur à une baisse impor­tante de son chiffre d’af­faires (d’un mil­liard à 750 mil­lions de francs) a subi le choc de “plein fou­et”, voy­ant ses effec­tifs pass­er de 700 à 420 per­son­nes en trois ans. Le per­son­nel, com­plète­ment impliqué dans la démarche d’ARTT ini­tiée par la direc­tion, s’est asso­cié à une réor­gan­i­sa­tion com­plète du tra­vail et a accep­té une réduc­tion de salaire de 10 %. Sept mois après l’en­trée en vigueur de l’ac­cord, le nom­bre de licen­ciements évités est de 86 et l’en­tre­prise, plus per­for­mante et réac­tive, a acquis fin 96 sa cer­ti­fi­ca­tion ISO 9001.

Accroisse­ment du chiffre d’af­faires (la recon­fig­u­ra­tion de l’en­tre­prise dans une logique de réac­tiv­ité et de per­for­mance se traduit néces­saire­ment par une crois­sance des ventes). Exem­ple : il est impos­si­ble de trou­ver une expli­ca­tion unique au suc­cès comme à l’échec d’une entre­prise. Cepen­dant, les entre­pris­es pio­nnières de l’ARTT ne sem­blent pas être con­fron­tées à des dif­fi­cultés, bien au contraire.

Ces enjeux mul­ti­ples sont à la portée des acteurs de la négo­ci­a­tion, notam­ment car :

  • L’am­pleur du champ de la négo­ci­a­tion d’un ARTT joue un rôle de catal­y­seur : beau­coup d’en­tre­pris­es pos­sè­dent un poten­tiel d’amélio­ra­tion con­sid­érable. Mais ce poten­tiel est par­fois inex­ploité, notam­ment car le man­age­ment ne se pose pas la ques­tion ou plutôt le man­age­ment ne souhaite pas se pos­er la ques­tion (en rai­son de risque de mod­i­fi­ca­tion de l’équili­bre des pou­voirs, de licen­ciements (liés à l’amélio­ra­tion de la pro­duc­tiv­ité), d’in­hi­bi­tion à tous les niveaux ; un man­ag­er de haut niveau nous con­fi­ait récem­ment : “je sais qu’il y a des choses à faire mais si je pro­pose un change­ment et que celui-ci échoue, ma car­rière sera brisée en 4 jours… alors que si je ne pro­pose rien, per­son­ne n’au­ra con­science de l’op­por­tu­nité man­quée et ma car­rière pour­suiv­ra sa pro­gres­sion”. Enfin, les représen­tants du per­son­nel et/ou les salariés sont par­fois crispés sur la sit­u­a­tion exis­tante et ne souhait­ent aucune modification.
     
  • L’ef­fet posi­tif de la mesure sur l’emploi per­met d’aller plus loin dans la négo­ci­a­tion : l’en­gage­ment d’embauche (par­fois de fac­to dans les familles du per­son­nel de l’en­tre­prise dans des bassins d’emploi restreints) est un geste fort. De même, l’en­gage­ment de main­tien des effec­tifs a un pou­voir de mobil­i­sa­tion fort des hommes autour des objec­tifs de l’entreprise.
     
  • La réduc­tion des salaires ne con­stitue pas en fait un réel obsta­cle : à la ques­tion “pour tra­vailler un jour de moins par semaine, seriez-vous prêt à accepter une baisse de salaire pou­vant aller jusqu’à 5 % ?” (sondage La Vie du 9 mai 1997), la réponse est “oui” à 67 % et “non” à 31 %. De plus, la réduc­tion de la masse salar­i­ale ne sig­ni­fie pas perte pro­por­tion­nelle de revenu pour les salariés. En effet, les heures sup­plé­men­taires, des primes divers­es (stock-options…), la lim­i­ta­tion des déplace­ments domi­cile-tra­vail (dans l’hy­pothèse d’une réduc­tion en jours), des change­ments de tranche en ter­mes d’im­pôt sur le revenu ont pour effet d’amor­tir la réduc­tion du salaire (brut + coti­sa­tion patronale). Tout l’in­térêt d’une négo­ci­a­tion sur le Temps de Tra­vail est de lier un grand nom­bre de paramètres (organ­i­sa­tion du tra­vail, com­pen­sa­tions salar­i­ales dif­féren­ciées…) de manière à aug­menter les marges de manœu­vre de toutes les parties.

Les enjeux diffus d’un ARTT, liés aux spécificités du processus de négociation

Point de vue de J. Kaspar,

Dans les travaux réal­isés avec J. Kas­par, celui-ci a beau­coup insisté sur l’im­por­tance de l’ARTT comme moyen d’abor­der trois enjeux soci­aux de l’entreprise.

Moderniser les relations sociales

Bon nom­bre de chefs d’en­tre­prise se plaig­nent de l’ar­chaïsme des rela­tions sociales et des organ­i­sa­tions syn­di­cales. Ce faisant, ils sous-esti­ment leur rôle et leurs pos­si­bil­ités de faire évoluer pos­i­tive­ment les rela­tions sociales. La façon d’ou­vrir un débat ou au con­traire de le fer­mer, la manière d’abor­der une négo­ci­a­tion, de répon­dre à des préoc­cu­pa­tions sociales ou non, peut ren­forcer les con­ser­vatismes ou au con­traire les évo­lu­tions. Les organ­i­sa­tions syn­di­cales peu­vent avoir le réflexe de négoci­er les 35 h à la manière d’une con­fronta­tion au périmètre restreint (à quelle vitesse va-t-on réduire le temps de tra­vail ?). La bonne réponse est un élar­gisse­ment du champ des négo­ci­a­tions (qui doivent lier amé­nage­ment, réduc­tion du temps de tra­vail et évo­lu­tion des salaires).

Ce type nou­veau de négo­ci­a­tion sup­pose une con­nais­sance fine des mécan­ismes de l’en­tre­prise et redonne du “grain à moudre” à des organ­i­sa­tions syn­di­cales can­ton­nées dans un rap­port de force qui ne leur est pas tou­jours favor­able. Mod­i­fi­er le temps, c’est mod­i­fi­er le quo­ti­di­en des salariés. Aus­si, “un représen­tant syn­di­cal doit-il être très sûr de lui, de sa représen­ta­tiv­ité, de sa légitim­ité pour engager les salariés sur un chemin où il y a gag­n­er, mais où il y a aus­si à per­dre“3. De nom­breux cir­cuits de négo­ci­a­tion courts (direc­tion-salariés) ont ain­si été observés, qui abor­dent les réels enjeux sans risque de dérive idéologique.

En abor­dant la glob­al­ité des ques­tions, la négo­ci­a­tion sur l’ARTT peut con­duire à un saut qual­i­tatif de la négo­ci­a­tion pour pass­er du gagnant/ gag­nant au gag­n­er ensemble.

En inté­grant dans la négo­ci­a­tion de l’ARTT, ce qui est essen­tiel, la ques­tion du change­ment du tra­vail et de son organ­i­sa­tion, on ne peut plus en rester au con­cept de la négo­ci­a­tion fondée sur le gagnant/gagnant, c’est-à-dire à l’idée que l’en­tre­prise gagne en sou­p­lesse et les salariés en heures de tra­vail en moins. En abor­dant cette ques­tion, il faut accepter qu’in­ter­vi­en­nent 4 types d’ex­per­tise : l’ex­per­tise des salariés, l’ex­per­tise de la hiérar­chie, l’ex­per­tise syn­di­cale et sou­vent une exper­tise externe. Le change­ment de l’or­gan­i­sa­tion du tra­vail ne peut être con­duit pos­i­tive­ment par une seule de ces exper­tis­es. C’est dans leurs syn­er­gies, leurs com­plé­men­tar­ités et leur capac­ité à dévelop­per un réel parte­nar­i­at que se con­stru­ira une réor­gan­i­sa­tion du tra­vail féconde et généra­trice de pro­grès économique, social et humain.

Per­son­ne n’a intérêt à ignor­er l’une ou l’autre de ces exper­tis­es. C’est de la capac­ité à vouloir gag­n­er ensem­ble que se dégagera l’or­gan­i­sa­tion du tra­vail la plus féconde. Pour l’en­tre­prise car son effi­cac­ité s’en trou­vera améliorée. Pour les salariés parce qu’ils auront été par­tie prenante du proces­sus. Pour les organ­i­sa­tions syn­di­cales qui auront con­solidé leur légitim­ité en démon­trant leur utilité.

Permettre une plus grande motivation des personnels

La négo­ci­a­tion de l’ARTT peut avoir des con­séquences pos­i­tives sur la moti­va­tion et l’im­pli­ca­tion du per­son­nel, pour peu que soient mis en place les out­ils per­me­t­tant de bien con­naître les aspi­ra­tions des salariés, de sol­liciter leur avis. Il s’ag­it d’ac­com­pa­g­n­er par une com­mu­ni­ca­tion adap­tée le proces­sus de négo­ci­a­tion, de réfléchir aux procé­dures de con­sul­ta­tion, d’im­pli­quer à tous les niveaux, d’é­tudi­er l’en­cadrement de la mise en œuvre et le suivi des processus…

En répon­dant à l’an­goisse du chô­mage par des pos­si­bil­ités de créa­tion d’emplois, en prenant en compte les besoins des entre­pris­es mais aus­si ceux des salariés, la négo­ci­a­tion de l’ARTT peut, au sein des entre­pris­es, créer une impli­ca­tion pos­i­tive des salariés (qui voient leurs con­di­tions de tra­vail et leur employ­a­bil­ité4 s’amélior­er), et con­tribuer à une évo­lu­tion des organ­i­sa­tions syn­di­cales à l’é­gard d’un grand nom­bre de ques­tions (annu­al­i­sa­tion, flex­i­bil­ité, com­pen­sa­tion salar­i­ale dif­féren­ciée, etc.).

Améliorer la coopération compétitive

La négo­ci­a­tion, par les ques­tions qu’elle pose, peut con­stituer un point d’ap­pui pour con­stru­ire des rela­tions sociales fondées sur la volon­té de coopéra­tion. La coopéra­tion sup­pose un cer­tain nom­bre de con­di­tions : recon­naître la légitim­ité de l’autre (des autres), jouer au max­i­mum le jeu de la trans­parence, faire de la con­cer­ta­tion et de la négo­ci­a­tion l’axe stratégique des poli­tiques de change­ment et accorder une grande atten­tion aux ques­tions de méth­odes. Si le xxe siè­cle aura été celui de la com­péti­tion et de la con­cur­rence comme fonde­ment de l’ef­fi­cac­ité et du pro­grès économique, le xxie siè­cle sera celui de la coopéra­tion et du parte­nar­i­at. Cela com­mence déjà à se véri­fi­er dans les domaines de la sci­ence, des tech­niques, de la recherche médi­cale et même sur le plan économique. Cela s’im­posera de plus en plus sur le plan des rela­tions sociales.

La réduction du temps de travail : une tendance historique lourde dont l’objectif a changé de nature, pour devenir un fantastique levier de changement et d’évolution des pratiques sociales

Point de vue de J. Kaspar

La réduction du temps de travail (RTT) est une tendance historique lourde…

La RTT n’est pas quelque chose de nou­veau. Depuis l’o­rig­ine de la révo­lu­tion indus­trielle jusqu’à nos jours, grâce à la crois­sance, aux gains de pro­duc­tiv­ité, mais aus­si à la pres­sion sociale, le temps de tra­vail s’est con­tin­uelle­ment réduit, avec une étape par­ti­c­ulière­ment impor­tante en 1936 (loi sur les 40 heures et instau­ra­tion des con­gés payés).

Date Agriculture Industrie/ bâtiment Tertiaire Total
1831 3 047 h 100 3 232 h 100 2 751 h 100 3 041 h 100
1851 3 047 h 3 177 h 2 716 h 3 021 h
1896 3047 h 2992 h 2 595 h 2 913 h
1931 2 925 h 95 2 573 h 80 2 459 h 90 2 676 h 88
1936 2 607 h 2 045 h 2 036 h 2 227 h
1949 2 454 h 1978 h 1 916 h 2 096 h
1961 2 366 h 2 050 h 1 930 h 2 063 h
1995 2 220 h 73 1 703 h 58 1 591 h 58 1 631 h 54
L’évolution des horaires annuels. Source : Le tra­vail en France (O. Marc­hand, C. Thélot).


His­torique­ment, on peut résumer le proces­sus con­duisant à la réduc­tion du temps de tra­vail en France de la manière suivante :

Date Événement
1906 Loi sur le repos hebdomadaire
1919 Journée de 8 heures
1936 Accords de Matignon
1956 3e semaine de con­gés payés
1968 4e semaine de con­gés payés
1982 Semaine de 39 heures — 5e semaine de con­gés payés — pos­si­bil­ité de faire val­oir ses droits à la retraite à 60 ans
1996 Loi de Robi­en5 (inci­ta­tion à négoci­er la RTT en lien avec création/maintien d’emplois)
1997 Pro­jet de loi Aubry sur le pas­sage de la durée légale à 35 heures

Ce que l’on peut retenir de ce sur­vol his­torique, c’est que le lég­is­la­teur, sous la pres­sion sociale, a été amené à pren­dre des mesures con­duisant à la réduc­tion du temps de tra­vail soit heb­do­madaire, annuelle (aug­men­ta­tion du nom­bre de jours de con­gés payés) ou dans la vie (abaisse­ment de l’âge de la retraite).

Notons aus­si que depuis deux siè­cles, nous assis­tons à une trans­for­ma­tion rad­i­cale dans l’u­til­i­sa­tion du temps parce que l’e­spérance de vie a aug­men­té, le temps de la sco­lar­ité s’est sin­gulière­ment allongé, l’âge de la retraite a été abais­sé et le temps de tra­vail s’est réduit.

Ces quelques élé­ments con­tribuent à expli­quer les évo­lu­tions et les trans­for­ma­tions qui se sont opérées dans le rap­port des indi­vidus au tra­vail et à la “place rel­a­tive” qu’il a pris dans l’ex­is­tence, même s’il reste encore, pour la grande majorité des per­son­nes, l’u­nique moyen d’af­firmer son util­ité sociale.

Part de la v​ie éveil­lée consacrée 1800 1996
au travail 48 % 12 %
aux loisirs 10 % 31 %
aux transports
l’enfance/scolarité
au temps physiologique
Source : Fran­co­scopie 1997 - G. Mermet.

… mais l’objectif de la réduction du temps de travail a changé de nature

Pen­dant très longtemps, la reven­di­ca­tion de la réduc­tion du temps de tra­vail avait pour objec­tif d’être la con­trepar­tie à la péni­bil­ité du tra­vail, de réduire le temps con­traint, de per­me­t­tre aux salariés de se repos­er ou de béné­fici­er d’un temps libre sup­plé­men­taire. Ce n’est que pro­gres­sive­ment (à par­tir des années 75–80) devant la mon­tée per­sis­tante du chô­mage et des phénomènes d’ex­clu­sion que la RTT est mise en avant comme l’un des moyens de lut­ter con­tre le chô­mage et créer des emplois.

La RTT a changé de nature car elle est main­tenant au cen­tre d’une dou­ble pres­sion : une pres­sion sociale6 liée à l’ex­i­gence de voir le chô­mage régress­er, la volon­té de dis­pos­er de temps libre sup­plé­men­taire, le besoin d’un meilleur équili­bre entre la vie per­son­nelle et l’ac­tiv­ité pro­fes­sion­nelle en par­ti­c­uli­er (mais pas seule­ment) chez les femmes, le souhait d’une organ­i­sa­tion du tra­vail moins rigide, plus sou­ple et au total plus moti­vante et impli­quante pour les salariés. Ain­si qu’une pres­sion économique7 et de com­péti­tiv­ité liée au besoin de sou­p­lesse des entre­pris­es, à la néces­sité de dévelop­per leur capac­ité d’adapt­abil­ité, à l’ex­i­gence de réac­tiv­ité, à la néces­sité de pren­dre en compte les deman­des de plus en plus diver­si­fiées des clients (qual­ité, ser­vices, spé­ci­ficité des demandes).

Dès lors, même si le débat idéologique entre par­ti­sans et adver­saires per­dure, le débat se développe de plus en plus autour des con­di­tions et des modal­ités de la RTT (lien avec l’amé­nage­ment du temps de tra­vail, référence à la durée annuelle, mod­u­la­tion, durée d’u­til­i­sa­tion des équipements, plage d’ou­ver­ture des ser­vices, horaires diver­si­fiés, niveau de la com­pen­sa­tion salar­i­ale, temps partiel…).

On peut estimer que d’une dimen­sion sociale (con­trepar­tie à des con­traintes), la réduc­tion du temps de tra­vail s’in­scrit de plus en plus dans une dimen­sion économique, organ­i­sa­tion­nelle et de com­péti­tiv­ité. Elle peut devenir un extra­or­di­naire levi­er pour les trans­for­ma­tions mul­ti­di­men­sion­nelles. Le débat frontal entre par­ti­sans et adver­saires de la réduc­tion du temps de tra­vail me paraît secondaire.

En effet, la Réduc­tion du Temps de Tra­vail n’est pas par principe généra­trice d’emplois, de meilleures con­di­tions de tra­vail, source de lib­ertés et d’é­panouisse­ment pour les indi­vidus. A con­trario, elle n’est pas non plus par déf­i­ni­tion source de chô­mage ou de con­trainte pour les entre­pris­es comme ten­tent de le faire croire les opposants : tout dépend des con­di­tions de sa réal­i­sa­tion et mise en œuvre… Est-elle imposée par la loi ou le résul­tat d’un proces­sus de négo­ci­a­tion ? À quel niveau est-elle négo­ciée ? Quelles sont les artic­u­la­tions entre ces dif­férents niveaux ? Avec qui est-elle négo­ciée ? Quel est le degré d’im­pli­ca­tion de la hiérar­chie, des insti­tu­tions représen­ta­tives, des organ­i­sa­tions syn­di­cales, des salariés ? Est-elle par­tielle­ment ou au con­traire entière­ment com­pen­sée ? Dif­féren­ciée dans sa nature et sa com­pen­sa­tion ? Est-elle définie dans un cadre annuel ou heb­do­madaire ? Quel est le lien avec l’or­gan­i­sa­tion du travail ?

La ques­tion de la réduc­tion du Temps de Tra­vail mérite autre chose qu’une oppo­si­tion théorique et idéologique entre irré­ductibles par­ti­sans et adver­saires. Si un objec­tif de la réduc­tion de tra­vail vise réelle­ment la créa­tion ou le main­tien de l’emploi, la ques­tion déci­sive réside dans les modal­ités de cette réduc­tion : ce n’est pas l’ap­pli­ca­tion mécanique et uni­forme d’un vol­ume de réduc­tion du temps de tra­vail qui per­met de répon­dre aux objec­tifs mais la manière dont elle est ini­tiée, con­duite et réal­isée. La réponse per­ti­nente est bien dans un proces­sus de négo­ci­a­tion au plus près des réal­ités8, assur­ant le lien entre Amé­nage­ment et Réduc­tion du temps de travail.

Les enjeux de ce débat pour les entre­pris­es, mais aus­si pour l’avenir des rela­tions sociales et la place de la France dans l’é­conomie glob­al­isée mon­trent l’in­térêt à dépass­er ce débat idéologique et à trans­former la con­trainte en un avan­tage compétitif.

Cela me paraît pos­si­ble en ren­trant dans une logique de négo­ci­a­tion, en abor­dant les vraies ques­tions et en dévelop­pant une logique de coopération.

Un sacré défi pour les entre­pris­es ! Il est de leur intérêt de le relever.

Les facteurs clés de succès de mise en œuvre d’un aménagement-réduction du temps de travail (ARTT)

Au-delà de la con­cep­tion d’un posi­tion­nement (de l’of­fre, de l’or­gan­i­sa­tion et des hommes) per­ti­nent, la réus­site d’un pro­jet d’ARTT passe par la maîtrise de trois thèmes clés.

I — Maîtrise du dialogue social9

• Nécessité de négocier au cas par cas

L’amé­nage­ment du temps de tra­vail mod­i­fie la vie du salarié dans son intim­ité, aus­si est-il dif­fi­cile d’im­pos­er depuis la Direc­tion générale un change­ment de rythme opti­mal. Pour aboutir à la meilleure solu­tion, après avoir défi­ni la vision et un cadre général, il faut accepter une cer­taine perte de maîtrise au niveau cen­tral pour laiss­er le ter­rain s’adapter à la nou­velle donne : dans le cen­tre d’ap­pel OLA, trois téléac­teurs béné­fi­cient d’un rythme de tra­vail dif­féren­cié, calé sur les horaires du train qui les amène de leur domi­cile au centre.

• Acceptabilité sociale du changement

Des change­ments impor­tants peu­vent être accep­tés par le corps social s’ils sont légitimes (l’ensem­ble de l’en­tre­prise doit com­pren­dre l’in­térêt de mod­uler ses horaires pour s’adapter à la charge, l’in­térêt d’in­ten­si­fi­er la rela­tion client…), s’ils sont maîtrisés (per­ti­nence de la cible, com­mu­ni­ca­tion interne, dis­posi­tif par­i­taire de suivi de mise en place…), s’ils équili­brent les efforts (réduc­tion de salaire, élar­gisse­ment des horaires, inten­si­fi­ca­tion du tra­vail…) et les con­trepar­ties (enrichisse­ment des tâch­es, acte citoyen si embauche, autres organ­i­sa­tions du travail…).

II — Maîtrise technique du changement

• Gestion de l’évolution de la relation manager/managé

Dans le cen­tre d’ap­pel OLA de France Télé­com (qui est act­if de 8 h à 20 h du lun­di au same­di grâce à un tra­vail amé­nagé et réduit des téléac­teurs), les cadres n’ont pas été inclus dans le dis­posi­tif et sont con­traints de tra­vailler beau­coup plus qu’au­par­a­vant (pour assur­er le suivi des per­son­nels sous leur respon­s­abil­ité). Cette sit­u­a­tion insouten­able à terme mon­tre que c’est le lien même entre le man­ag­er et le man­agé qui doit évoluer : l’en­cadrement doit réus­sir à pass­er d’une logique de pilotage à vue à une logique prévi­sion­nelle. Ce qui est sim­ple à organ­is­er et à con­trôler pour des fonc­tions opéra­tionnelles de production/exécution l’est beau­coup moins lorsque l’on raisonne sur la valeur ajoutée plus dif­fi­cile­ment mesurable des cadres. La RTT implique un niveau de délé­ga­tion accru (le chef n’est plus tou­jours là) : ce résul­tat par­fois dif­fi­cile à obtenir ne peut qu’être souhaitable pour le bon fonc­tion­nement de l’en­tre­prise (et doit être l’oc­ca­sion d’or­gan­is­er un rythme de tra­vail dif­férent, qui laisse l’en­tre­prise per­for­mante, même pen­dant les con­gés de ses cadres…).

• Adaptation des compétences

La RTT implique sou­vent une flex­i­bil­i­sa­tion des com­pé­tences : l’ab­sence d’un salarié liée à la réduc­tion de son temps de tra­vail doit être l’oc­ca­sion de dévelop­per la poly­va­lence (totale ou par­tielle). Ce principe doit bien enten­du pren­dre en compte les com­pé­tences clés (exper­tis­es sans lesquelles l’en­tre­prise ne peut fonc­tion­ner) et fournir pour cha­cune d’elles des solu­tions par­ti­c­ulières (for­ma­tion, con­cen­tra­tion des besoins sur une péri­ode…). Ces points survi­en­nent fréquem­ment lors de l’é­tude des fonc­tions supports.

• Management de la connaissance

La diminu­tion du temps disponible pour la for­ma­tion (qu’elle soit formelle à tra­vers la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle ou informelle à tra­vers le temps passé par les anciens à la trans­mis­sion du savoir aux plus jeunes) peut néces­siter la mise en œuvre de dis­posi­tifs spé­ci­fiques de man­age­ment de la con­nais­sance10.

• Gestion des cas particuliers

Le temps de tra­vail se car­ac­térise par son éclate­ment : une opéra­tion de RTT doit pren­dre en compte les caté­gories de per­son­nels qui tra­vail­lent déjà à temps réduit, “à feu con­tinu”, à temps partiel…

Cer­tains salariés, du fait de leur sit­u­a­tion (bas niveau de rémunéra­tion, seule ressource d’un foy­er, suren­det­te­ment…) ne peu­vent accepter de réduc­tion de salaire.

• Dispositif de suivi efficace

La ges­tion d’ho­raires diver­si­fiés, la com­plex­ité des mod­u­la­tions (par rap­port à la sim­plic­ité mono­lithique des 39 h par semaine) néces­si­tent sou­vent la mise en place de dis­posi­tifs de régu­la­tion et de plan­i­fi­ca­tion plus com­plex­es qu’au­par­a­vant. Ce pilotage indis­pens­able est égale­ment l’oc­ca­sion de crédi­bilis­er (matéri­alis­er) le change­ment et de l’an­cr­er dans les mœurs de l’entreprise.

III — Maîtrise de l’évolution de la culture d’entreprise (pour réussir la nécessaire intégration des cadres dans le dispositif)

Le mod­èle cul­turel français se décline pour les cadres par le lien fait entre le temps passé et l’ef­fi­cac­ité recon­nue de l’en­cadrement : com­ment faire fonc­tion­ner un sys­tème avec des cadres en horaire réduit dans une entre­prise où la cul­ture leur impose de tra­vailler beau­coup (large­ment au-delà de 39 h) ? Les cadres actuelle­ment en horaires réduits sont con­sid­érés comme atyp­iques et leur car­rière s’en trou­ve sou­vent com­pro­mise. L’autre car­ac­téris­tique du mod­èle cul­turel français pour les cadres est le besoin d’ex­em­plar­ité de l’encadrement.

Les cadres sont la pierre angu­laire de toute opéra­tion de change­ment : ce sont les cadres qui assurent la bonne marche de tout dis­posi­tif de réor­gan­i­sa­tion. Or, au vu des deux fon­da­men­taux ci-dessus, la réduc­tion du temps de tra­vail pour un cadre ressem­ble fort à un marché de dupe.

L’in­té­gra­tion des cadres dans le dis­posi­tif d’ARTT est cepen­dant une néces­sité : ne pas respecter ce principe revient à met­tre en place une entre­prise à deux vitesses, ali­men­tant une scis­sion totale entre le man­age­ment et le ter­rain, exac­er­bant les con­flits soci­aux. Par exem­ple, com­ment résoudre la dif­fi­culté de la fron­tière séparant les cadres rel­e­vant d’une logique d’exé­cu­tion dont on est prêt à se pass­er et ceux rel­e­vant d’une logique de cadres indis­pens­ables voués à tra­vailler tou­jours plus ? De manière pos­i­tive, la réduc­tion du temps de tra­vail devrait per­me­t­tre aux cadres de pren­dre le recul néces­saire vis-à-vis de leur tra­vail et surtout de sor­tir de cette logique très française du “il faut tra­vailler plus pour tra­vailler mieux” (nos col­lègues d’outre-Rhin, anglo-sax­ons ou scan­di­naves ne fonc­tion­nent pas du tout dans cette logique et un cadre effec­tu­ant des heures sup­plé­men­taires est plus con­sid­éré comme incom­pé­tent que per­for­mant). On assiste de plus à une pres­sion crois­sante des pou­voirs publics sur le respect des horaires légaux pour l’en­cadrement (Car­refour mais aus­si Thom­son, Alcatel…).

“Je suis prêt à tra­vailler 4 jours par semaine. On a trop ten­dance à se croire indis­pens­able. Quand on s’ar­rête, on réflé­chit, on prend du recul…”

Kléber Beauvil­lain, prési­dent de Hewlett Packard

Afin de mieux expliciter le “com­ment ?” d’une opéra­tion d’ARTT, voici quelques exem­ples de chantiers à mener :

• Optimisation de l’adaptation à la variabilité de la charge

Beau­coup d’en­tre­pris­es sont aujour­d’hui con­fron­tées à une vari­abil­ité impor­tante de charge. Ce prob­lème tra­di­tion­nel du secteur des ser­vices tend à gag­n­er l’in­dus­trie du fait de la général­i­sa­tion du flux ten­du. Les vari­a­tions sont de natures mul­ti­ples : struc­turelle (agence de voy­age lors des péri­odes de con­gés, dis­tri­b­u­tion de fioul des­tiné au chauffage en hiv­er, péri­ode de Noël pour les com­merces…) ou con­jonc­turelle (que ce soit prévis­i­ble comme la pro­mo­tion chez un VPCiste, poten­tiel comme le lance­ment réus­si de pro­duits, exem­ple : lance­ment de la Scenic chez Renault, ou bien imprévis­i­ble comme la vari­a­tion bru­tale du cli­mat ou de cours financiers sur lesquels est indexée l’activité).

Cette vari­abil­ité a de plus ten­dance à s’ac­croître (en rai­son des exi­gences de plus en plus fortes des clients sur les délais).

Les trois types de dis­posi­tifs actuelle­ment en œuvre ont des lim­ites voire des effets per­vers : la flex­i­bil­ité de l’emploi (comme l’ex­ter­nal­i­sa­tion, qui per­met la mutu­al­i­sa­tion avec des activ­ités con­tre-saison­nières) ne peut s’ap­pli­quer partout (ex. les métiers faisant par­tie du cœur de méti­er de l’en­tre­prise, assur­ant la dif­féren­ci­a­tion de l’en­tre­prise, sont dif­fi­ciles à exter­nalis­er). La flex­i­bil­ité du temps de tra­vail n’est pas non plus la panacée : les heures sup­plé­men­taires nuisent sou­vent à la qual­ité du ser­vice (ou de la pro­duc­tion) et au cli­mat social. De plus, elles ne représen­tent qu’un poten­tiel de 5 h (de 39 h à 44 h).

Les ren­forts saison­niers (sous forme de CDD, intérim) ne con­nais­sent que super­fi­cielle­ment les proces­sus de fonc­tion­nement de l’en­tre­prise et peu­vent être à l’o­rig­ine de mécon­tente­ments clients ou de dys­fonc­tion­nements internes. Enfin, la flex­i­bil­ité de l’or­gan­i­sa­tion est plus dif­fi­cile à met­tre en œuvre : la poly­va­lence est un moyen élé­gant de s’adapter à la charge de tra­vail. Cepen­dant, elle peut, lorsqu’elle est subie (cf. débor­de­ment de fonc­tions sur d’autres) avoir autant d’ef­fets per­vers que les autres types d’adap­ta­tion (irrégu­lar­ité de la prestation…).

• Redéploiement des ressources

Dans le cas des accords de type offen­sif (avec embauche), l’ARTT est l’oc­ca­sion de revi­talis­er les Ressources humaines de l’en­tre­prise : par l’embauche de jeunes (qui out­re leurs com­pé­tences spé­ci­fiques n’ont pas le coût de leur aînés), de per­son­nels adap­tés au nou­veau con­texte con­cur­ren­tiel de l’en­tre­prise (redé­ploiement de l’ad­min­is­tratif vers le com­mer­cial), de com­pé­tences pointues (pro­fil inter­na­tion­al, d’ex­pert, voire tranche d’âge particulière…).

L’embauche n’est cepen­dant que le volet le plus facile d’un redé­ploiement, qui englobe la prob­lé­ma­tique de l’évo­lu­tion des com­pé­tences du per­son­nel en place voire de l’amé­nage­ment de fin de car­rière (cf. accord France Télécom).

• Remise à plat du contrat social

Dans cer­taines entre­pris­es où l’his­toire con­stitue un poids impor­tant, la con­trepar­tie de la réduc­tion du temps de tra­vail peut être la remise à plat d’un sys­tème com­plexe et inadap­té car hérité du passé. Ce qui n’au­rait pu être envis­agé du fait de la méfi­ance des salariés et de leurs syn­di­cats peut le devenir dans le cadre d’une négo­ci­a­tion ouverte dans une réelle per­spec­tive de gag­n­er ensemble.

À l’encontre de quelques idées reçues ou faut-il avoir peur de la semaine de 4 jours à la carte ?

Point de vue de P. Larouturrou,
fon­da­teur du Mou­ve­ment citoyen 4 Jours-Nou­v­el Équili­bre11

Pourquoi réduire le temps de travail ?

Au début du siè­cle, tout le monde tra­vail­lait 7 jours sur 7 (et sou­vent 12 heures par jour). Puis en 1906, on a eu le dimanche pour se repos­er. Dans les années 1960, on est passé à la semaine de 5 jours (“la semaine anglaise”). Le Temps de Tra­vail est une vari­able naturelle d’a­juste­ment du tra­vail à l’ac­tiv­ité et la productivité.

1974 1994 Évolution
P.I.B.​ 100 150 + 50 %
Total des heures travaillées
(en milliards)
37​,9 34 — 10 %
Pop­u­la­tion active*
(en​mil­lions)
22,3 24,5 + 10 %
* Y co​mpris les deman­deurs d’emploi.

Pour maîtris­er un débat sur l’ARTT, il est néces­saire d’avoir con­science d’un cer­tain nom­bre d’idées reçues.

“La question est pour ou contre le partage du travail ?”

Dans un pays qui compte 4 mil­lions de gens qui “tra­vail­lent” 0 h par semaine et 20 mil­lions qui tra­vail­lent 39 h ou plus12, le partage du tra­vail existe déjà… mais il est subi par la société et ne cor­re­spond pas à des valeurs choisies.

Partout de par le monde, le temps de tra­vail a déjà été réduit, suiv­ant des valeurs différentes :

  • au Japon, la femme est à la maison,
  • aux États-Unis ou au Roy­aume-Uni, les emplois de ser­vices à faible durée se sont mul­ti­pliés (“boulots Mac Don­ald’s” à 8 h par semaine),
  • aux Pays-Bas, le temps par­tiel est très développé…,
  • en France, les jeunes n’ont pas accès à un tra­vail avant 25 ans, et sont envoyés à la retraite après 55 ans : notre partage du tra­vail se fait sur la durée de la vie, en le con­cen­trant sur la tranche 30–50 ans.

“Ce sont les pays où le temps de travail est élevé qui créent le plus d’emploi”

À force d’en­ten­dre hommes poli­tiques et jour­nal­istes le répéter, l’opin­ion fait son chemin. Or c’est faux. Exem­ple : les Pays-Bas, où le temps de tra­vail est le plus bas d’Eu­rope (durée effec­tive pour l’ensem­ble des salariés : 31,7 heures par semaine) con­nais­sent un taux de chô­mage inférieur à 6 %. Aux États-Unis, con­traire­ment à l’opin­ion com­mune, le temps de tra­vail heb­do­madaire est de 34 heures 30 (source : Départe­ment d’É­tat au tra­vail, juil­let 97). Ce chiffre est la résul­tante d’un temps de tra­vail assez élevé dans les grandes branch­es indus­trielles (42 ou 43 h) et de durées faibles dans les ser­vices, avec notam­ment de nom­breux emplois à 8 ou 10 heures par semaine.

“Pour l’emploi, la vraie solution : c’est la croissance”

De 1988 à 1990, la France a con­nu une crois­sance de 4 % par an, et le chô­mage n’a bais­sé que de 180 000 per­son­nes. Du coup, on estime qu’il faudrait à peu près 6 % de crois­sance par an pen­dant dix ans pour ne serait-ce que réduire le chô­mage par deux. On en est loin : même de 1960 à 1969, ils n’ont pas été atteints (+ 5,6 % par an) et depuis les années 80, la moyenne est inférieure à 2 %… S’en remet­tre à la crois­sance, c’est en fait se résign­er au chô­mage de masse. Le nom­bre de chômeurs et d’ex­clus au sens large a été récem­ment éval­ué à 7 mil­lions par le Com­mis­sari­at général au Plan : le statu quo est-il vrai­ment une solu­tion de bon sens ?

Par ailleurs, il n’y a aucune rai­son d’op­pos­er crois­sance et réduc­tion du temps de tra­vail. Si 1,5 à 2 mil­lions de per­son­nes retrou­vent un emploi sta­ble et un revenu réguli­er, si des mil­lions de salariés voient s’éloign­er la men­ace du chô­mage, quel en sera l’im­pact sur l’économie ?

La réduc­tion du temps n’est pas la solu­tion mir­a­cle : elle peut réus­sir ou échouer selon la façon dont elle est menée. Mais elle paraît aujour­d’hui incon­tourn­able pour s’at­ta­quer vrai­ment au chô­mage. Réus­sir la réduc­tion du temps de tra­vail néces­site notam­ment de créer une vraie dynamique nationale et de don­ner un sens au changement.

Créer une vraie dynamique

On en est loin ! La con­fu­sion règne autour de la ques­tion du temps de tra­vail. Or, on ne change pas le rap­port au tra­vail et les modes de vie et de pen­sée de mil­lions de per­son­nes par un sim­ple texte de loi. Il faut donc dans notre pays un vrai débat pub­lic sur le temps de tra­vail. Un référen­dum, précédé pen­dant plusieurs mois d’un débat appro­fon­di, per­me­t­trait de cass­er les doutes et les inquié­tudes du plus grand nom­bre, de reviv­i­fi­er la démoc­ra­tie et de respon­s­abilis­er tous les acteurs du changement.

Donner du sens

39 h, 35 h ou 32 h ? En fait, ça nous est égal. Ce n’est pas un prob­lème de ther­mo­stat. C’est un enjeu de société, un choix de valeurs. Sol­i­dar­ité, qual­ité de vie et exi­gence : il ne s’ag­it pas de “tra­vailler moins” mais d’être plus nom­breux à “tra­vailler mieux”.

Les 35 h peu­vent être une heure de télévi­sion en plus chaque jour… La semaine de 4 jours à la carte, c’est une ouver­ture vers la société de pleine activ­ité, où l’i­den­tité humaine n’est plus con­finée au salari­at et où la vie per­son­nelle, civique, asso­cia­tive prend enfin tous ses droits. Quel sera le mod­èle social européen de demain ? C’est peut-être à nous d’en décider.

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1. Con­cept dévelop­pé par Bossard Gem­i­ni Consulting.
2. Fon­da­teur du Mou­ve­ment citoyen 4 Jours-Nou­v­el Équilibre.
3. Cité de Négoci­er la flex­i­bil­ité, Bernard Brun­hes Consultants.
4. Par l’en­richisse­ment des tâch­es, le développe­ment de la poly­va­lence, l’ac­croisse­ment du niveau de délégation…
5. Voir le site Inter­net www.loi-robien.net ou le rap­port de l’Assem­blée nationale de mi-97 réal­isé à la demande de M. Méhaignerie.
6. L’an­cien com­mis­saire au Plan, J.-B. de Fou­cault, dis­tingue plusieurs niveaux de crise qui se super­posent et s’ag­gravent mutuelle­ment : la crise du tra­vail (plus de 3 mil­lions de deman­deurs d’emploi et un grand nom­bre de cadres et autres caté­gories de tra­vailleurs sur­menés), la crise du lien humain et du lien social (7 mil­lions de chômeurs et d’ex­clus au sens large selon un récent rap­port du Com­mis­sari­at général au Plan), la crise du sens et la crise de la par­tic­i­pa­tion. La bonne util­i­sa­tion du temps est donc un levi­er puis­sant d’at­taque simul­tanée de tous ces niveaux de crise.
7. Les marchés évolu­ent vers plus de flex­i­bil­ité. Du fait de la glob­al­i­sa­tion du jeu con­cur­ren­tiel, la France ne pour­ra durable­ment laiss­er per­dur­er un sys­tème de marché ouvert avec une lég­is­la­tion sociale fermée.
8. Des réal­ités de cha­cune des entre­pris­es, qui ne pos­sè­dent pas les mêmes spé­ci­ficités (suiv­ant les secteurs, la taille) ni les mêmes marges de manœu­vre (suiv­ant leur rentabil­ité, leur posi­tion concurrentielle).
9. Les parte­naires soci­aux éprou­vent néces­saire­ment des dif­fi­cultés à s’en­gager dans des négo­ci­a­tions d’un genre nou­veau car glob­ales (temps de tra­vail, rémunéra­tion, emploi, com­pé­tence…) et néces­si­tant une con­nais­sance fine de l’organisation.
10. Cette prob­lé­ma­tique du <i>knowledge management</i> se pose de plus en plus dans des organ­i­sa­tions “en réseaux”, plus com­plex­es et moins tayloriennes.
11. 4 Jours-Nou­v­el Équilibre.
Le site Inter­net http://www.paloalto.fr/4jours.htm détaille les mécan­ismes pro­posés par l’as­so­ci­a­tion, donne des exem­ples d’entreprises.
93, rue Lafayette, 75010 Paris. Tél. : 01.53.25.14.14.
12. Car­i­ca­ture ne ten­ant pas compte des temps par­tiels, heures supplémentaires…

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