Réacteurs électronucléaires fin 2000

L’EPR, European Pressurized Reactor

Dossier : ÉnergiesMagazine N°601 Janvier 2005
Par Bertrand BARRÉ

“Filières” et “Générations”

“Filières” et “Générations”

Un réac­teur nucléaire est une machine qui pro­duit de l’én­ergie en entre­tenant dans le com­bustible qui con­stitue son cœur des réac­tions de fis­sion nucléaire. Pour con­stituer le cœur d’un réac­teur, il faut agencer un cer­tain nom­bre d’in­gré­di­ents : des matières fis­siles, qui pro­duiront l’én­ergie, des matières fer­tiles qui, sous l’ac­tion des neu­trons, se trans­formeront par­tielle­ment en matières fis­siles, com­pen­sant ain­si plus ou moins la con­som­ma­tion de ces dernières, des poi­sons de con­trôle ajusta­bles en posi­tion ou en con­cen­tra­tion, pour réguler la pop­u­la­tion des neu­trons et, par là, main­tenir la puis­sance du réac­teur au niveau désiré, et, bien sûr, il faut aus­si un flu­ide calo­por­teur pour trans­porter les calo­ries du cœur vers les sys­tèmes ou cir­cuits qui met­tront cette énergie sous une forme util­is­able, en général de l’élec­tric­ité. Ajoutons‑y, le cas échéant, un mod­éra­teur qui ralen­tit les neu­trons entre la fis­sion dont ils sont issus et celle qu’ils vont provo­quer à leur tour. On conçoit que le mélange de ces ingré­di­ents ait pu don­ner lieu à une com­bi­na­toire d’un foi­son­nement considérable.

Fig­ure 1
Réac­teurs élec­tronu­cléaires fin 2000

De fait, dans les tout débuts de l’ère nucléaire, tous les réac­teurs pos­si­bles ont été rêvés, dess­inés, le plus sou­vent con­stru­its, et la plu­part ont effec­tive­ment fonc­tion­né ! L’im­mense majorité de ces réac­teurs sont restés sans postérité.

Une petite poignée seule­ment a été à l’o­rig­ine d’une série de réac­teurs en con­ti­nu­ité tech­nologique, ce que l’on appelle une fil­ière nucléaire.

Sans revenir sur l’his­toire de cette sélec­tion “naturelle” [1], on en con­state les résul­tats sur la fig­ure 1. 87 % de la puis­sance nucléaire en fonc­tion­nement provient de réac­teurs où l’eau ordi­naire sert à la fois de calo­por­teur et de mod­éra­teur tan­dis que le com­bustible est for­mé de pastilles frit­tées d’oxyde d’u­ra­ni­um enrichi aux envi­rons de 4 % en ura­ni­um 2351, empilées dans des tubes étanch­es en alliage de zir­co­ni­um qui for­ment des assem­blages. Ces réac­teurs, de tech­nolo­gies voisines, sont répar­tis en trois filières :

  • dans les réac­teurs à eau sous pres­sion, REP occi­den­taux et VVR de con­cep­tion russe, l’eau qui cir­cule dans le cir­cuit pri­maire qui con­tient le cœur est main­tenue à l’é­tat liq­uide sous une pres­sion de l’or­dre de 15 MPa par un pres­suriseur. Elle cède ses calo­ries dans un généra­teur de vapeur à un cir­cuit sec­ondaire où se pro­duit la vapeur qui va entraîn­er un tur­boal­ter­na­teur. Aujour­d’hui, les 58 réac­teurs d’EDF sont des REP ;
  • dans les réac­teurs à eau bouil­lante REB, c’est directe­ment l’eau du cir­cuit pri­maire qui entre en ébul­li­tion et va action­ner la turbine.


Si ces trois fil­ières de réac­teurs à eau ordi­naire domi­nent le marché, on y trou­ve trois autres fil­ières, dont une seule est réelle­ment active :

  • les réac­teurs mod­érés au graphite et refroidis au gaz car­bonique GG, qui achèvent pro­gres­sive­ment leur belle car­rière au Roy­aume-Uni après avoir été à l’o­rig­ine du pro­gramme français ;
  • les réac­teurs RBMK mod­érés au graphite et refroidis à l’eau ordi­naire bouil­lante. Ils ont été défini­tive­ment dis­qual­i­fiés par l’ac­ci­dent de Tchernobyl ;
  • les réac­teurs mod­érés et refroidis par de l’eau lourde D2O, qui se main­ti­en­nent active­ment sur ce qui con­stitue un marché de niche.


À côté de cette notion de fil­ière, on par­le aus­si de généra­tions suc­ces­sives de réac­teurs. La pre­mière généra­tion regroupe tous les réac­teurs de l’époque pio­nnière des années cinquante et soix­ante. En France, il s’ag­it typ­ique­ment des anciens réac­teurs gaz-graphite et de quelques autres.

Fig­ure 2
Disposi­tifs de “ mit­i­ga­tion ” des acci­dents graves dans EPR
Dispositifs de “ mitigation ” des accidents graves dans EPR


La deux­ième généra­tion est con­sti­tuée de la plu­part des réac­teurs actuelle­ment en fonc­tion­nement dans le monde, mis en ser­vice entre 1975 et 2005. C’est à cette généra­tion qu’ap­par­ti­en­nent tous les REP français, même s’il y a eu de nom­breux pro­grès entre Fes­sen­heim 1 (1977) et Civaux 2 (2000).

La généra­tion 3, c’est celle qui arrive aujour­d’hui sur le marché. Elle ne com­prend que des réac­teurs à eau, et EPR en est l’archétype.

Quant à la généra­tion 4, c’est celle dont on com­mence à définir les con­tours, dans l’idée de la con­cré­tis­er vers 2040. C’est elle que l’on veut vrai­ment inscrire dans un con­texte de nucléaire durable, com­posant d’un développe­ment durable. On y trou­vera sans doute des réac­teurs à neu­trons rapi­des, héri­tiers de Super­phénix, capa­bles de tir­er pleine­ment par­ti des ressources en ura­ni­um de la planète et des réac­teurs à hautes tem­péra­tures, per­me­t­tant la pro­duc­tion simul­tanée d’élec­tric­ité, d’hy­drogène et d’eau douce… Mais ces réac­teurs sont encore sur la planche à dessin.

La genèse du projet EPR

Le pro­jet de réac­teur EPR, Euro­pean Pres­sur­ized water Reac­tor, est l’aboutisse­ment de trois démarch­es parallèles.

La pre­mière démarche est de nature indus­trielle : c’est la volon­té de Fram­atome et Siemens de faire con­verg­er les mod­èles REP français et alle­mand. Pour éviter d’aboutir à un sys­tème de super­po­si­tion des dis­posi­tifs qui aurait ren­du l’in­vestisse­ment nucléaire exor­bi­tant sans ajouter réelle­ment à la sûreté de l’ensem­ble, une con­ver­gence des mod­èles ne pou­vait s’é­tudi­er que dans le cadre d’une con­ver­gence des approches de sûreté dans les deux États concernés.

La deux­ième démarche est venue des Autorités de sûreté, prenant en compte les enseigne­ments tirés des con­séquences de l’ac­ci­dent de Tch­er­nobyl, que l’on pour­rait ain­si sim­pli­fi­er à l’ex­trême : moins de morts qu’on ne le red­outait, mais con­t­a­m­i­na­tion d’une éten­due très supérieure à ce qui était anticipé, et réac­tion plané­taire de rejet de l’op­tion nucléaire.

Nous en retien­drons les trois objec­tifs com­muns défi­nis en juin 1993 :

1) réduire encore la prob­a­bil­ité de fusion de cœur,
2) “élim­in­er pra­tique­ment” les sit­u­a­tions acci­den­telles qui pour­raient aboutir à un relâche­ment pré­coce et mas­sif de radioactivité,
3) en cas de fusion de cœur, garan­tir par con­cep­tion que le relâche­ment max­i­mum de radioac­tiv­ité n’en­traîne que des mesures de pro­tec­tion très lim­itées dans le temps et dans l’espace.

Si les deux pre­miers objec­tifs sont en con­ti­nu­ité avec la philoso­phie de sûreté antérieure, le troisième, que l’on peut traduire par : pas d’é­vac­u­a­tion per­ma­nente, évac­u­a­tion tem­po­raire lim­itée au voisi­nage immé­di­at du site, et pas de con­damna­tion durable de ter­rains agri­coles, fait entr­er la fusion de cœur dans les critères de dimen­sion­nement2.

La dernière démarche est celle des com­pag­nies européennes d’élec­tric­ité. Cinq com­pag­nies européennes, rejointes peu à peu par bien d’autres, ont lancé en décem­bre 1991 l’ef­fort qui devait aboutir aux EUR, Euro­pean Util­i­ties Require­ments, exi­gences com­munes, que devraient doré­na­vant sat­is­faire les réac­teurs à eau ordi­naires. Ces objec­tifs ne se lim­i­taient pas à la sûreté : coûts, marges, disponi­bil­ité, durée de vie, sou­p­lesse d’opéra­tion, capac­ité de recy­clage font égale­ment l’ob­jet de spé­ci­fi­ca­tions, absolues ou rel­a­tives. Voici quelques-unes de ces spécifications :

  • com­péti­tiv­ité économique avec la plus mod­erne des gross­es cen­trales ther­miques pour un fonc­tion­nement entre 4 500 et 5 500 heures à pleine puis­sance par an,
  • durée de vie de 60 ans pour les com­posants non rem­plaçables (cuve, enceinte, génie civil),
  • pos­si­bil­ité de charg­er 50 % du cœur en assem­blages MOX,
  • cycles de 12 à 24 mois, avec pos­si­bil­ité d’ex­ten­sion de 60 jours équiv­a­lents à pleine puissance,
  • fréquence totale d’en­dom­mage­ment du cœur < 10–5 par an,
  • et fréquence cumulée d’ac­ci­dent menant à un relâche­ment sig­ni­fi­catif de radioac­tiv­ité < 10–6 par an,
  • pas d’é­vac­u­a­tion de plus d’un an au-delà de 800 mètres du réacteur.


Ces trois démarch­es ont amené la fusion du pro­gramme de développe­ment des indus­triels avec celui d’EDF et d’un groupe d’élec­triciens alle­mands pour créer l’EPR, Euro­pean Pres­sur­ized water Reac­tor, et l’aboutisse­ment de la con­ver­gence fran­co-alle­mande a été la con­sti­tu­tion de la com­pag­nie Fram­atome ANP, fil­iale d’ARE­VA à 66 %.

Un réacteur à la pointe de la technologie

Grosso modo, EPR est une com­bi­nai­son améliorée du N4 français et du Kon­voi alle­mand, les deux mod­èles les plus mod­ernes en ser­vice dans les deux pays, en choi­sis­sant chaque fois l’op­tion la plus con­ser­va­trice en matière de marges. Il se con­forme à la fois aux objec­tifs de sûreté de 1993 et aux EUR : la con­cep­tion est “évo­lu­tion­naire” pour tir­er le meilleur par­ti du retour d’ex­péri­ence des parcs français et alle­mand, le niveau de sûreté est ren­for­cé tant vis-à-vis des inci­dents internes que des agres­sions extérieures et des dis­posi­tifs ad hoc lim­i­tent les rejets dans le cas — très improb­a­ble — d’une fusion du cœur.

Les avancées de l’EPR en matière de sûreté

Ces avancées sont en ligne avec les ori­en­ta­tions de la sûreté nucléaire dans le monde. Elles ont trait à la pro­tec­tion vis-à-vis des acci­dents graves de fusion du cœur et leurs conséquences.

Les sit­u­a­tions acci­den­telles qui pour­raient aboutir à un relâche­ment pré­coce et mas­sif de radioac­tiv­ité (acci­dent avec fusion de cœur à haute pres­sion) sont élim­inées. Pour attein­dre ce résul­tat, l’EPR est équipé, en plus des sys­tèmes usuels de dépres­suri­sa­tion et d’ex­trac­tion de la puis­sance résidu­elle, d’une ligne de défense sup­plé­men­taire con­sti­tuée d’un train de vannes motorisées com­mandé par l’opérateur.

La prob­a­bil­ité de fusion de cœur, déjà infime avec le N4, est encore divisée par 10 avec l’EPR. Ce gain est obtenu, d’une part, par la réduc­tion de la prob­a­bil­ité des événe­ments qui pour­raient con­duire à une sit­u­a­tion de fusion de cœur et, d’autre part, par l’ac­croisse­ment de la disponi­bil­ité des sys­tèmes de sécu­rité des­tinés à enray­er le développe­ment de telles situations.

Fig­ure 3
Protec­tion d’EPR con­tre les agres­sions externes
Protection d’EPR contre les agressions externes

À cette fin, l’EPR est doté de réserves d’eau impor­tantes (cuve, pres­suriseur, généra­teurs de vapeur) qui accrois­sent le temps disponible pour met­tre en œuvre des actions cor­rec­tri­ces et ses sys­tèmes impor­tants pour la sûreté sont sim­ples, redon­dants et diver­si­fiés. En par­ti­c­uli­er, le sys­tème d’in­jec­tion de sécu­rité et celui d’al­i­men­ta­tion de sec­ours en eau des généra­teurs de vapeur sont cha­cun divisés en qua­tre sous-sys­tèmes ou “trains”. Cha­cun des qua­tre trains a la capac­ité d’as­sur­er à lui seul l’in­té­gral­ité de la fonc­tion de sûreté et est séparé physique­ment des trois autres pour éviter qu’ils ne soient défail­lants ensem­ble sous l’ef­fet d’une même cause.

De plus, la cen­trale est conçue pour qu’un acci­dent de fusion de cœur, bien que haute­ment improb­a­ble, n’en­traîne, hors du site, que des mesures très lim­itées dans le temps et l’e­space : pas d’é­vac­u­a­tion per­ma­nente, évac­u­a­tion tem­po­raire lim­itée au voisi­nage immé­di­at du site, pas de con­damna­tion durable de ter­rains agri­coles. La réten­tion néces­saire de la radioac­tiv­ité est obtenue par l’ex­trême robustesse du con­fine­ment étanche qui ren­ferme le réac­teur (2,6 mètres d’é­pais­seur de béton au total) et les dis­po­si­tions et sys­tèmes qui pro­tè­gent ce con­fine­ment con­tre tout type d’endommagement :

  • une enceinte interne du bâti­ment réac­teur en béton pré­con­traint, résis­tant à la pres­sion due à la com­bus­tion de l’hy­drogène, et des recom­bineurs cat­aly­tiques pour prévenir la détonation,
  • une zone dédiée à l’é­tale­ment et au refroidisse­ment du cori­um avec dis­posi­tif pas­sif de noy­age, et pro­tec­tion réfrac­taire du béton de structure,
  • un sys­tème d’asper­sion dédié au con­trôle de la pres­sion à l’in­térieur de l’en­ceinte et au refroidisse­ment du béton de struc­ture pour en assur­er l’in­tégrité à long terme,
  • une col­lecte des fuites dans l’e­space entre enceintes interne et externe du bâti­ment réac­teur, et une fil­tra­tion avant rejet à la cheminée.


La pro­tec­tion de l’EPR con­tre les con­séquences d’une chute d’avion ou d’une agres­sion externe est par­ti­c­ulière­ment robuste :

  • un bâti­ment réac­teur dont l’en­ceinte externe en béton armé et les struc­tures internes sont dimen­sion­nées pour résis­ter aux effets des vibra­tions induites et à la perforation,
  • une dis­tri­b­u­tion des dif­férents trains des sys­tèmes de sécu­rité dans qua­tre bâti­ments dis­tincts : deux bâti­ments “bunkérisés” (pro­tégés par une coque en béton armé) et les deux autres, géo­graphique­ment dis­tants (de part et d’autre du bâti­ment réac­teur), de manière à garan­tir qu’au moins un train demeure tou­jours opérationnel,
  • un bâti­ment abri­tant le com­bustible usé égale­ment “bunkérisé”.


Cette descrip­tion des avancées en matière de sûreté a été très détail­lée pour soulign­er le saut con­ceptuel de ce pro­jet, le pre­mier vrai réac­teur “post-Tch­er­nobyl”. EPR com­porte aus­si d’autres amélio­ra­tions, men­tion­nées ci-après plus succinctement.

Les avancées de l’EPR en matière d’exploitation

Out­re des pro­grès en matière de radio­pro­tec­tion, de pro­duc­tion de déchets et efflu­ents et d’er­gonomie de la salle de con­duite, sig­nalons la sim­pli­fi­ca­tion de la main­te­nance. Il est, notam­ment, pos­si­ble d’ef­fectuer cer­taines inter­ven­tions sans devoir arrêter le réac­teur, grâce à la redon­dance des sys­tèmes de sécurité.

L’économie de l’EPR

Des marges plus con­fort­a­bles, davan­tage de béton, des dis­posi­tifs addi­tion­nels : on pour­rait en déduire que l’EPR sera plus cher que le N4, alors même que l’on cherche à l’in­tro­duire dans un con­texte de con­cur­rence beau­coup plus dure avec les cen­trales à com­bustibles fos­siles, notam­ment les tur­bines à gaz à cycle com­biné. En fait, il n’en est rien. Ces sur­coûts sont plus que com­pen­sés par des gains sur :

  • l’in­vestisse­ment par mégawatt instal­lé (puis­sance portée à près de 1 600 MWe, ren­de­ment ther­mique de 36 % à 37 % selon les sites (source froide), durée de vie soix­ante ans),
  • le taux de disponi­bil­ité (on vise 91 %, grâce, notam­ment, à la main­te­nance en service),
  • l’u­til­i­sa­tion du com­bustible3.

Coûts de pro­duc­tion cen­tral­isée d’électricité en base en 2015 (euro2001/MWh)
2015 valeur médi­ane TTC Nucléaire EPR Cycle com­biné gaz Char­bon pulvérisé Char­bon lit flu­idisé ;
Actu­al­i­sa­tion
8%
28,4 35,0 33,7 32,0
Actu­al­i­sa­tion
5%
21,7 33,4 29,5 28,1
+ Coûts CO(4 à 20 e/t) 1,4 — 7,1 2,9 — 14,6 3 — 15

Pour une pro­duc­tion en base à l’hori­zon 2020, selon les esti­ma­tions de Fram­atome ANP (en 2002), le MWh EPR se situe en dessous de 30 euros (coût actu­al­isé), soit env­i­ron 20 % moins cher que le MWh fos­sile le plus per­for­mant à cette époque. Les évo­lu­tions récentes du prix du gaz, qui suiv­ent tou­jours celles du pét­role avec un cer­tain retard, ne remet­tent évidem­ment pas en cause cette appré­ci­a­tion ! La com­péti­tiv­ité de l’EPR par rap­port aux cen­trales à com­bustible fos­sile serait encore très supérieure si l’on tenait compte, dans le prix du MWh, des coûts “externes” soci­aux et envi­ron­nemen­taux de chaque mode de pro­duc­tion de l’élec­tric­ité et notam­ment des émis­sions de gaz à effet de serre, ain­si qu’il­lus­tré par le tableau ci-dessous [2].

On peut aus­si not­er que la durée de vie tech­nique de l’EPR, soix­ante ans, dont les quar­ante pre­mières au moins sans jou­vence lourde, occa­sion­nera une moin­dre quan­tité de déchets ultimes à gér­er après son arrêt définitif.

Le marché de l’EPR

Si l’EPR est bien l’arché­type de la Généra­tion 3, il ne la con­stitue pas à lui tout seul ! il a des con­cur­rents sérieux dans la famille REP, dans la famille REB et même un VVR et un CANDU. Le seul, avec EPR, qui soit déjà com­mandé est l’AB­WR, REB avancé que Gen­er­al Elec­tric est en train de con­stru­ire à Tai­wan4. C’est égale­ment un gros réac­teur de type “évo­lu­tion­naire”.

Dans la mou­vance révo­lu­tion­naire, West­ing­house vient d’obtenir de l’Au­torité de sûreté améri­caine la précer­ti­fi­ca­tion de son mod­èle AP 1000, et Gen­er­al Elec­tric fig­nole son pro­jet de REB “sim­pli­fié” ESBWR. Fram­atome-ANP a aus­si en cat­a­logue le SWR 1000, un réac­teur à eau bouil­lante de troisième généra­tion dont la con­cep­tion com­porte cer­tains dis­posi­tifs très innovants.

Fin 2003, à l’is­sue d’une com­péti­tion où étaient aus­si en lice l’AB­WR et le plus mod­erne des VVR, c’est l’EPR que l’élec­tricien TVO a choisi pour réalis­er sur le site d’Olk­ilu­o­to le cinquième réac­teur de la Fin­lande, pre­mière com­mande européenne depuis plus de dix ans. EDF vient de décider la con­struc­tion d’un deux­ième EPR, après que l’Au­torité de sûreté a con­fir­mé son accord aux dis­po­si­tions de sûreté qui font la base du projet.

Et après la Fin­lande et la France ? Il n’est pas inter­dit de rêver à la Chine, voire aux États-Unis… La seule vraie lim­ite à la péné­tra­tion de ce mod­èle à la pointe de la tech­nique est sa grande taille, qui le met hors de portée de réseaux élec­triques trop lim­ités ou insuff­isam­ment interconnectés.

Mais revenons chez nous : pourquoi un EPR en France… aujour­d’hui, alors que nous avons déjà plus des trois quarts de notre élec­tric­ité d’o­rig­ine nucléaire ?

Décider le renouvellement du parc en connaissance de cause…

Selon les scé­nar­ios priv­ilégiés par EDF, la puis­sance instal­lée du parc renou­velé serait d’une soix­an­taine de GWe, com­pa­ra­ble à celle du parc actuel, les pre­mières unités entr­eraient en ser­vice entre 2020 et 2025.

Con­traire­ment à la con­struc­tion du parc actuel, issu d’un “crash-pro­gramme” lancé dans l’ur­gence de la pre­mière crise pétrolière, le renou­velle­ment serait lis­sé et s’é­tendrait sur une trentaine d’an­nées (ce qui sup­pose une durée de vie moyenne du parc actuel autour de cinquante ans). Par ailleurs, c’est au plus tôt vers 2035 que les pre­miers réac­teurs de la fameuse 4e généra­tion pour­raient, s’ils débouchent indus­trielle­ment, entr­er en pro­duc­tion sur son parc.

Dans ces con­di­tions, la pre­mière phase au moins du renou­velle­ment du parc, à par­tir de 2020, ne pour­ra être assurée qu’avec la con­struc­tion, à un rythme de l’or­dre de 3 000 MW tous les dix-huit mois, d’un palier de réac­teurs à eau d’une capac­ité de 20 à 30 GW, ou plus encore si les con­cepts de 4e généra­tion tar­dent à déboucher.

Pour décider en 2015, avec un retour d’ex­péri­ence suff­isant, de la con­struc­tion d’un palier d’au moins une douzaine d’u­nités, qui aura à pro­duire à par­tir de 2020, c’est bien main­tenant qu’il fal­lait décider et entre­pren­dre une pre­mière réal­i­sa­tion qui entr­era en ser­vice en 2012. Cette réal­i­sa­tion, c’est l’EPR, pro­duit com­péti­tif qui répond aux attentes de l’ex­ploitant EDF et aux exi­gences de l’Au­torité de sûreté.

… tout en garantissant le soutien du parc existant…

Le parc actuel est économique­ment per­for­mant. C’est l’ob­jec­tif qu’il le demeure, avec des unités devenant plus âgées, dans des con­di­tions sat­is­faisantes au regard d’ex­i­gences de sûreté qui seront plus con­traig­nantes dans vingt ans qu’au­jour­d’hui. Pour cela, il faut main­tenir en éveil toute une indus­trie et pou­voir renou­vel­er ses capac­ités de con­cep­tion et d’in­no­va­tion. La mobilis­er autour du pre­mier EPR y con­tribuera de manière déterminante.

… pour un prix raisonnable

La réal­i­sa­tion d’un pre­mier EPR est estimée à 2,8 mil­liards d’eu­ros (hors intérêts inter­calaires), soit moins de 3 % de la valeur de l’outil français actuel de pro­duc­tion nucléaire d’élec­tric­ité. C’est un investisse­ment qui paraît raisonnable pour dis­pos­er, quand il fau­dra décider du renou­velle­ment du parc, de l’as­sur­ance procurée par le retour d’ex­péri­ence d’ex­ploita­tion d’une pre­mière unité. Ce n’est pas une prime d’as­sur­ance “stérile” : son élec­tric­ité sera bien­v­enue sur le réseau européen !

En conclusion

Nous con­som­mons chaque année l’équiv­a­lent de 10 mil­liards de tonnes de pét­role, alors que près d’un tiers de l’hu­man­ité n’a accès qu’aux sources tra­di­tion­nelles que sont le bois de chauffage et les déjec­tions ani­males. Sous la pres­sion de la démo­gra­phie et du développe­ment qui com­mence — enfin — à touch­er les pays les plus peu­plés de la planète, nos besoins en énergie n’ont pas fini de croître.

80 % de cette énergie provient de la com­bus­tion de pét­role, de gaz et de char­bon. Out­re les prob­lèmes de dura­bil­ité des ressources en hydro­car­bu­res (et de leur répar­ti­tion géopoli­tique), cette com­bus­tion con­stitue, de loin, la source prin­ci­pale d’émis­sion dans notre atmo­sphère de gaz à effet de serre, dont l’ac­cu­mu­la­tion fait peser une sérieuse men­ace sur l’hab­it­abil­ité future de notre planète.

Pour faire face à ce dilemme, il fau­dra met­tre en œuvre toute une palette de mesures, dont aucune ne suf­fi­rait à elle seule : maîtris­er la demande d’én­ergie, aug­menter sen­si­ble­ment la con­tri­bu­tion rel­a­tive des sources d’én­ergie nucléaire et renou­ve­lables qui n’émet­tent pra­tique­ment pas de CO2, et séquestr­er ce dernier à la source, là où c’est réalisable.

L’én­ergie nucléaire ne pro­duit encore que moins de 7 % de l’én­ergie pri­maire que nous con­som­mons : dans le con­texte que nous venons d’évo­quer, elle a un fort poten­tiel de crois­sance mon­di­ale. Dans cette crois­sance, la France a une carte à jouer, un atout qui s’ap­pelle EPR.

Bib­li­ogra­phie
[1] His­toire naturelle des réac­teurs nucléaires. B. Bar­ré, Sci­ences 2004–3, 3e trimestre 2004.
[2] Les coûts de référence de la pro­duc­tion élec­trique. Rap­port DGEMP/DIDEME décem­bre 2003 (disponible sur www.industrie.gouv.fr).

_____________________________
1.
Ou d’un mélange d’oxy­des d’u­ra­ni­um et de plu­to­ni­um que l’on appelle “MOX”.
2. Il n’est pas indif­férent de not­er que les Autorités de sûreté française et alle­mande indi­quaient claire­ment leur préférence pour les con­cepts “évo­lu­tion­naires”, parce que le retour d’ex­péri­ence dont ils béné­fi­cient est un élé­ment impor­tant de la sûreté, par rap­port aux con­cepts “révo­lu­tion­naires”, plus inno­vants mais moins rassurants.
3. Avec l’EPR, le com­bustible est mieux util­isé, en rai­son d’une meilleure économie des neu­trons (moins de fuites) grâce à un cœur plus gros et à un réflecteur latéral, d’un accroisse­ment du ren­de­ment (rap­port entre la puis­sance élec­trique et la puis­sance ther­mique de l’in­stal­la­tion), de la pos­si­bil­ité d’aug­menter le taux de com­bus­tion des assem­blages jusqu’à 70 GWj/t. Il en résulte un gain sur le coût de cycle.
4. Deux réac­teurs d’un mod­èle antérieur d’AB­WR sont en fonc­tion­nement au Japon depuis 1997, mais ce mod­èle n’est pas tout à fait de généra­tion 3, notam­ment en ce qui con­cerne la mit­i­ga­tion des acci­dents graves.

Poster un commentaire