L’environnement, un enjeu de la religion chrétienne

Dossier : Environnement : comprendre et agirMagazine N°637 Septembre 2008
Par Jean-Paul MARÉCHAL

Pour de nom­breux écol­o­gistes, et notam­ment pour ceux qui se récla­ment de l’é­colo­gie pro­fonde, la destruc­tion de la planète aurait comme cause fon­da­men­tale une tra­di­tion judéo-chré­ti­enne à l’o­rig­ine, via la révo­lu­tion sci­en­tifique, de notre moder­nité tech­no-indus­trielle si pré­da­trice à l’é­gard du milieu naturel. Dans une telle per­spec­tive, exprimée il y a trente ans par le médiéviste améri­cain Lynn White dans son célèbre texte The His­tor­i­cal Roots of Our Eco­log­i­cal Cri­sis, le chris­tian­isme porterait une lourde part de respon­s­abil­ité dans la mise en péril des écosys­tèmes ter­restres. Lynn White assène que les racines de nos prob­lèmes sont ” large­ment religieuses ” et que la crise écologique que nous con­nais­sons s’ap­pro­fondi­ra tant que nous n’au­rons pas rejeté l’ax­iome chré­tien selon lequel la nature n’a d’autre rai­son d’ex­is­tence que d’être au ser­vice de l’homme. Sur cette base argu­men­ta­tive ont fleuri les cri­tiques les plus rad­i­cales. Or, de telles posi­tions més­es­ti­ment, voire nient par­fois pure­ment et sim­ple­ment, l’éthique écologique dont est por­teur le mes­sage évangélique. 

Toute la création

En effet, le Nou­veau Tes­ta­ment pro­pose une lec­ture des rap­ports entre l’homme et la nature qui ne manque pas de soulign­er l’im­por­tance de l’at­ten­tion que Dieu porte à cette dernière. Ain­si, alors qu’il les envoie en mis­sion, le Christ dit à ses dis­ci­ples : ” Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous man­gerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. […] Regardez les cor­beaux ; ils ne sèment ni ne moisson­nent, ils n’ont ni cel­li­er ni gre­nier, et Dieu les nour­rit ! Com­bi­en plus valez-vous que les oiseaux ! […] Regardez les lis, comme ils ne filent ni ne tis­sent. Or, je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. ” (Luc 12, 22–27) Pour les chré­tiens, c’est toute la créa­tion qui attend sa rédemp­tion. Comme l’écrit Paul dans son Épître aux Romains (8,18–21) : ” J’es­time […] que les souf­frances du temps présent ne sont pas à com­par­er à la gloire qui doit se révéler en nous. Car la créa­tion en attente aspire à la révéla­tion des fils de Dieu : si elle fut assu­jet­tie à la van­ité -, et non qu’elle l’eût voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise -, c’est avec l’e­spérance d’être elle aus­si libérée de la servi­tude de la cor­rup­tion pour entr­er dans la liber­té de la gloire des enfants de Dieu. ” 

La destruction insensée du milieu naturel

La théolo­gie chré­ti­enne repren­dra ces thèmes. On pense à François d’As­sise (1181 ou 1182–1226), pous­sant à l’ex­trême le sen­ti­ment de fra­ter­nité cos­mique. Dans le chapitre XII des Fioret­ti, il enjoint aux oiseaux de se garder du péché d’in­grat­i­tude et de tou­jours s’ap­pli­quer à glo­ri­fi­er Dieu. Dans son Can­tique des créa­tures, il loue Dieu d’avoir créé ses ” frères ” Soleil et Vent, ses soeurs Lune, Étoiles, Eau, Terre mais égale­ment l’air, les nuages, les fruits, les ” fleurs diaprées ” et l’herbe. Plus récem­ment, l’en­cy­clique Cen­tes­imus Annus (1991) abor­de la ques­tion de l’é­colo­gie en dénonçant ” la destruc­tion insen­sée du milieu naturel ” qui résulte, selon le doc­u­ment du Vat­i­can, d’une erreur anthro­pologique répan­due à notre époque, à savoir le fan­tasme de la maîtrise totale du réel. 

La beauté de l’univers

Le Catéchisme de l’Église catholique réca­pit­ule tous ces thèmes en soulig­nant qu’il n’ex­iste rien qui ne doive son exis­tence à Dieu, que toutes les créa­tures sont inter­dépen­dantes et sol­idaires et que cha­cune d’en­tre elles pos­sède sa bon­té et sa perfection.

La beauté de la créa­tion reflète l’infinie beauté du Créateur

Certes, il existe une hiérar­chie entre les créa­tures et l’homme occupe le som­met de la créa­tion, mais cela ne lui con­fère aucune légitim­ité pour détru­ire la nature de façon incon­sid­érée. Le para­graphe con­sacré à la beauté de l’u­nivers mérite en cela d’être cité in exten­so : ” L’or­dre et l’har­monie du monde créé résul­tent de la diver­sité des êtres et des rela­tions qui exis­tent entre eux. L’homme les décou­vre pro­gres­sive­ment comme lois de la nature. Ils font l’ad­mi­ra­tion des savants. La beauté de la créa­tion reflète l’in­finie beauté du Créa­teur. Elle doit inspir­er le respect et la soumis­sion de l’in­tel­li­gence de l’homme et de sa volonté. ”

Comme on le voit, et ain­si que le souligne Jean Bas­taire, ” il est impos­si­ble d’a­vancer l’idée d’une ” men­tal­ité judéo-chré­ti­enne ” hos­tile à la nature. C’est le con­traire qui est vrai : une estime si infinie de la créa­tion qu’elle l’éternise et ne dis­so­cie par sur ce point ultime — la résur­rec­tion finale — le sort de l’homme et celui des autres créa­tures, après le pas­sage par la mort qui puri­fie l’ensem­ble de l’oeu­vre divine empoi­son­née par le péché. ” 

Dessiner les contours d’une éthique

L’homme, col­lab­o­ra­teur de Dieu
Le pape Jean-Paul II écrit que l’homme ” croit pou­voir dis­pos­er arbi­traire­ment de la Terre, en la soumet­tant sans mesure à sa volon­té, comme si elle n’avait pas une forme et une des­ti­na­tion antérieure que Dieu lui a don­nées, que l’homme peut dévelop­per mais qu’il ne doit pas trahir.
Au lieu de rem­plir son rôle de col­lab­o­ra­teur de Dieu dans l’oeu­vre de la créa­tion, l’homme se sub­stitue à Dieu et, ain­si, finit par provo­quer la révolte de la nature, plus tyran­nisée que gou­vernée par lui.

Et le pape de con­clure le para­graphe par ces mots : ” L’hu­man­ité d’au­jour­d’hui doit avoir con­science de ses devoirs et de ses respon­s­abil­ités envers les généra­tions à venir.

Il ne con­vient donc pas de dis­qual­i­fi­er, sous de faux pré­textes, la pen­sée biblique mais au con­traire de ten­ter de voir si celle-ci n’est pas sus­cep­ti­ble d’aider à dessin­er les con­tours d’une éthique, d’un rap­port au monde apte à ori­en­ter le com­porte­ment des hommes. Il s’a­gi­rait alors, comme l’écrivait André Néher il y a presque cinquante ans à pro­pos de la pen­sée juive antique, ” d’ar­racher à des principes anciens toute leur sig­ni­fi­ca­tion dans ce qu’elle a d’éter­nelle­ment val­able et de faire sur­gir, ain­si, dans des con­textes renou­velés, leur inde­struc­tible et con­struc­tive jeunesse. ” 

Le ” con­texte renou­velé “, c’est notam­ment aujour­d’hui celui de l’ex­i­gence de développe­ment durable, exi­gence qui peut être située dans la per­spec­tive de deux enjeux théologiques majeurs : l’al­liance et la promesse.

De fait, en nous appelant à redéfinir notre mode de vivre ensem­ble sur la même planète, le développe­ment durable fait, d’une cer­taine façon, écho à la notion d’al­liance biblique. Pour repren­dre les ter­mes d’An­dré Néher : ” La créa­tion con­siste […] à établir un rap­port nou­veau à l’e­space et au temps, une alliance entre des élé­ments qui étaient confondus. ”

Un don reçu pour être partagé

Le développe­ment durable invite, ensuite, à renou­vel­er l’ex­péri­ence de la promesse escha­tologique, autrement dit à faire une nou­velle expéri­ence de la ” terre promise ” enten­due ” sous le mode d’un don reçu pour être partagé “. Une notion théologique plus ” con­crète ” pour­rait, par ailleurs, être mise au ser­vice de l’ob­jec­tif de dura­bil­ité : la des­ti­na­tion uni­verselle des biens. Celle-ci ren­voie à l’idée que Dieu a con­fié la Terre à la ” gérance com­mune ” de l’hu­man­ité pour qu’elle en prenne soin, la maîtrise par son tra­vail et prof­ite de ses fruits. 

Une utilisation laïque

En fait, la plu­part des notions ain­si forgées ou mobil­isées peu­vent être util­isées de façon ” laïque ” comme le sont par exem­ple de nos jours les Droits de l’homme. La procla­ma­tion de ces derniers au xvi­i­ie siè­cle est, comme le mon­tre notam­ment Hen­ri Berg­son, la tra­duc­tion dans l’or­dre poli­tique mod­erne de l’af­fir­ma­tion prophé­tique de l’in­vi­o­la­bil­ité de la per­son­ne voire un aboutisse­ment de l’idée de jus­tice uni­verselle présente chez Isaïe.

Les enseigne­ments bibliques peu­vent donc aider, au-delà de leur dimen­sion stricte­ment religieuse, à éla­bor­er une ” économie éthique ” c’est-à-dire, pour repren­dre une for­mule de François Per­roux, une économie ” au ser­vice de tout l’homme et de tous les hommes “. Un tel pro­jet s’in­scrit dans le droit fil de ce que la théolo­gie juive nomme de la belle expres­sion de ” répa­ra­tion du monde ” (tik­oun olam1), répa­ra­tion, voire amélio­ra­tion, à laque­lle cha­cun se trou­ve invité à par­ticiper. 1. Voir Col­loque des intel­lectuels juifs, Éthique du Jubilé. Vers une répa­ra­tion du monde ? Paris, Albin Michel, 2005.

BIBLIOGRAPHIE
 
— Lynn White Jr., ” The His­tor­i­cal Roots of Our Eco­log­i­cal Cri­sis “, Sci­ence, 10 mars 1967, vol. 155, n° 3767, p. 1203–1207.
 
— Jean Bas­taire, ” L’ex­i­gence écologique chré­ti­enne “, Études, n° 4033, sep­tem­bre 2005, p. 207.
 
— André Néher, ” Le rôle du prophétisme dans le mou­ve­ment de l’é­conomie du XXe siè­cle “, in L’En­cy­clopédie française, tome IX, L’u­nivers économique et social, Paris, Société nou­velle de l’En­cy­clopédie française, 1960, p. 9.64–4.

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