Le Grenelle de l’environnement, un processus complexe et innovant aux résultats incertains

Dossier : Environnement : comprendre et agirMagazine N°637 Septembre 2008
Par Sophie LIGER-TESSIER

REPÈRES

REPÈRES
Les indus­tries man­u­fac­turières ont réduit leurs émis­sions de CO2 de 21,6 % (d’après l’OCDE) entre 1990 et 2005, quand le secteur de l’habitat les aug­men­tait de 20 %. Des résul­tats ont été obtenus par l’automobile française, dont les émis­sions moyennes sont par­mi les plus bass­es de l’Union européenne. De vrais pro­grès ont été enreg­istrés dans le car­ac­tère recy­clable d’un nom­bre gran­dis­sant de pro­duits et d’emballages. Sans par­ler des affichages « énergie » de l’électroménager, de l’indication des niveaux de bruit, etc. Autant de pro­grès qui vont dans le bon sens.
Mais face au défi mon­di­al du change­ment cli­ma­tique, Grenelle a aus­si acté que beau­coup reste à faire.

Le Grenelle de l’en­vi­ron­nement a rassem­blé l’an dernier les prin­ci­pales par­ties prenantes (entre­pris­es, syn­di­cats, ONG, col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales et État) et favorisé le dia­logue, les échanges et par­fois le partage de con­vic­tions entre ces par­ties prenantes. Cette démarche a été large­ment saluée à juste titre : son car­ac­tère inno­vant et exem­plaire a notam­ment été souligné par de nom­breux obser­va­teurs inter­na­tionaux. Ce proces­sus de con­cer­ta­tion inédit a entraîné une mobil­i­sa­tion sans précé­dent pour le développe­ment durable. L’en­t­hou­si­asme était certes lié aux enjeux des débats pour tous les acteurs mais égale­ment au sen­ti­ment que le Grenelle pou­vait mon­tr­er la voie d’une évo­lu­tion des modes de gou­ver­nance en France. Ce sen­ti­ment a per­mis de créer un élan dans lequel l’ensem­ble de la société française s’est in fine retrou­vé. Pour­tant, l’ap­proche nou­velle ini­tiée lors de ce Grenelle a par­fois éton­né, voire débous­solé. Les pou­voirs publics ont en effet décidé de rester dans un pre­mier temps des spec­ta­teurs aver­tis des débats en lais­sant l’ini­tia­tive des propo­si­tions aux autres par­tic­i­pants. Cette sit­u­a­tion très inhab­ituelle a toute­fois amené tous les acteurs à con­tribuer pos­i­tive­ment aux échanges.

Les cinq étapes du Grenelle de l’environnement
 
1. La pre­mière phase a con­sisté à éla­bor­er des propo­si­tions d’ac­tions. Six groupes de tra­vail et deux inter­groupes (Déchets et OGM) ont réu­ni les représen­tants des cinq col­lèges de par­ties prenantes (entre­pris­es, syn­di­cats, ONG, col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales et État) tout au long de l’été 2007.
 
2. La deux­ième étape a per­mis la con­sul­ta­tion des publics à tra­vers des réu­nions dans les régions, un forum Inter­net, des débats à l’Assem­blée et au Sénat et la con­sul­ta­tion de divers con­seils et comités d’organismes.
 
3. La troisième phase avait pour objec­tif de définir les pro­grammes et plans d’ac­tion sur la base des travaux des deux pre­mières phas­es. Après trois jours de négo­ci­a­tion (les 24, 25 et 26 octo­bre) sous la forme de qua­tre tables ron­des asso­ciant les cinq col­lèges, Nico­las Sarkozy a pronon­cé un dis­cours de clô­ture à l’Élysée qui a per­mis de sélec­tion­ner 268 engagements.
 
4. La qua­trième phase (en cours) vise à la déf­i­ni­tion de mesures opéra­tionnelles de mise en oeu­vre pra­tique des engage­ments offi­ciels. 34 chantiers opéra­tionnels ont été lancés en décem­bre et sont pilotés par un par­lemen­taire ou une per­son­nal­ité. Des pre­mières propo­si­tions ont été remis­es le 15 mars au min­istre d’É­tat et un rap­port d’ensem­ble est prévu pour la mi-septembre.
 
Plusieurs comités tra­vail­lent même sur une pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle. Un comité de suivi réu­nit régulière­ment les cinq col­lèges de par­ties prenantes.
 
5. Par­al­lèle­ment à ces réflex­ions, la cinquième étape (en cours) vise à la tra­duc­tion lég­isla­tive des engage­ments pris au mois d’oc­to­bre. Un pro­jet de loi de pro­gram­ma­tion a été rédigé par les ser­vices de l’É­tat puis soumis à la val­i­da­tion suc­ces­sive­ment du comité de suivi, du Con­seil d’É­tat et du CES. Le pro­jet sera dis­cuté à l’Assem­blée à l’au­tomne 2008. D’autres véhicules lég­is­lat­ifs et régle­men­taires (lois d’ap­pli­ca­tion, décrets, arrêtés) per­me­t­tront de met­tre en œuvre les mesures du Grenelle.

Un pro­jet de loi Grenelle ” 2 ” est actuelle­ment en cours d’élab­o­ra­tion pour être dis­cuté immé­di­ate­ment à la suite du pro­jet de loi de pro­gram­ma­tion. Le pro­jet de loi de finances 2009 inté­gr­era des mesures fiscales.

Différenciation et compétitivité

Le développe­ment durable con­stitue un fac­teur de dif­féren­ci­a­tion et donc de com­péti­tiv­ité pour les entre­pris­es françaises.

Faire que cha­cun paie le prix com­plet de ce qu’il utilise ou consomme

Il est vrai qu’on ne peut pas tout chang­er tout de suite : l’é­conomie a ses lois, le social aus­si ; c’est d’ailleurs ce que nous demande le développe­ment durable : pro­gress­er en matière envi­ron­nemen­tale certes, mais pas au point de met­tre en péril, à court terme, notre économie ou nos emplois. Cette remar­que ne doit pas servir de par­avent à l’i­n­ac­tion : c’est dès main­tenant qu’il faut tra­vailler à infléchir les logiques indus­trielles actuelles, pour les adapter aux con­traintes de demain (énergie chère, impor­tance du local…). De quoi par­le-t-on ? Par exem­ple, de la néces­sité d’in­té­gr­er dans la valeur économique des pro­duits et ser­vices le coût de leurs exter­nal­ités : inté­gr­er la néces­sité de ren­dre les objets hors d’usage plus facile­ment recy­clables, plus économes en embal­lages, et en embal­lages qu’on puisse plus facile­ment élim­in­er. La vraie logique de marché est de faire que cha­cun paie le prix com­plet de ce qu’il utilise ou con­somme. Mais on ne peut avoir rai­son tout seul. Les indus­triels craig­nent qu’en prenant divers­es mesures pour la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement, en adop­tant de nou­velles tech­niques plus chères, en met­tant en place des proces­sus plus onéreux, ils per­dent en com­péti­tiv­ité. C’est un vrai prob­lème pour cer­tains secteurs, qui sont soumis à une vive con­cur­rence mon­di­ale. On ne pour­rait sans risque leur impos­er des charges que leurs con­cur­rents étrangers ne sup­port­eraient pas. L’Eu­rope ne doit pas avancer seule en ces domaines. D’où l’im­por­tance de négo­ci­a­tions mon­di­ales (OMC).

Cinquante-huit propositions

Le Medef a for­mulé 58 propo­si­tions et 6 notes de cadrage au tra­vers d’un cahi­er de 232 pages pré­paré par le réseau de plus de 400 experts qu’il a réu­nis dans ce cadre. Les dis­cus­sions ont été menées avec le souci de l’é­coute et du com­pro­mis afin d’aboutir à des propo­si­tions fortes et engageantes. De plus, le Grenelle a été un véri­ta­ble catal­y­seur qui a per­mis de trou­ver des voies de con­sen­sus inédits entre les représen­tants des entre­pris­es. Le statut des ONG a été val­orisé : ce sont désor­mais des parte­naires-clés du dia­logue en matière d’en­vi­ron­nement. Leur place dans le débat a per­mis de dépass­er des oppo­si­tions par­fois stériles et d’a­vancer col­lec­tive­ment, par des échanges con­struc­tifs dans le cadre desquels les syn­di­cats de salariés ont égale­ment été des parte­naires priv­ilégiés avec les ONG et les organ­i­sa­tions syn­di­cales. Nous avons finale­ment trou­vé une large con­ver­gence sur les analy­ses et sur la déf­i­ni­tion des priorités. 

Une mise en oeuvre concrète

Aujour­d’hui, nous réfléchissons à la mise en oeu­vre con­crète des engage­ments que nous avons pris ensem­ble. Est-ce la fin du rêve ? Les travaux engagés dans le cadre des comités opéra­tionnels font à nou­veau ressor­tir les diver­gences de points de vue sur dif­férents sujets : — Com­ment financer les mesures ? Quelle évo­lu­tion pour la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale ? Sur qui la faire peser ? — Faut-il ren­forcer encore le poids de la régle­men­ta­tion ou priv­ilégi­er une poli­tique con­tractuelle ? — La France doit-elle dans cha­cun des domaines visés s’at­tach­er à faire mieux que l’Eu­rope ? — Recherch­es publique et privée peu­vent-elles tra­vailler ensem­ble ? Toute­fois, et mal­gré toutes ces ques­tions encore sans réponse, la France est dev­enue un ” mod­èle ” pour nom­bre de pays. Comme l’a souligné le prési­dent de la République, les ambi­tions du Grenelle doivent lui per­me­t­tre de pren­dre vingt-cinq années d’a­vance sur ses parte­naires (comme elle l’avait fait en optant en faveur de la fil­ière nucléaire). Alors, pour­suiv­ons avec con­fi­ance et volon­tarisme sur le chemin tracé.

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