Gestion d’infrastructure L’optimisation des pôles d’échanges

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°618 Octobre 2006Par Philippe MASSINPar Hervé NADAL

Adapter la gestion du site à la typologie des flux

L’op­ti­mi­sa­tion d’une gare se lit d’abord à la flu­id­ité des échanges entre un mode de trans­port prin­ci­pal1 et la zone de la cha­lan­dise de la gare, cap­tée par des modes de pré-postacheminement.

Pour le ges­tion­naire d’in­fra­struc­ture, la nature des con­traintes d’opti­mi­sa­tion varie selon les modes de trans­port en cor­re­spon­dance, le vol­ume des flux à gér­er, les types de clien­tèles — plus ou moins cap­tives et plus ou moins sen­si­bles à la valeur du temps.

Le sché­ma n° 1 donne une idée du casse-tête logis­tique de l’op­ti­mi­sa­tion d’un pôle comme Paris-Charles- de-Gaulle, gérant 45 mil­lions de voyageurs annuels et des mil­liers de migra­tions alter­nantes quo­ti­di­ennes pour desservir la zone d’emploi.

Les ser­vices en gare doivent pou­voir s’adapter à la typolo­gie des échanges : gare péri­ur­baine de rabat­te­ment en park­ing +rail inté­grant dans un même bil­let le sta­tion­nement et le tram, gare de ban­lieue syn­chro­nisant des cor­re­spon­dances quai à quai (Juvisy), aéro­port tourné vers le point à point low-cost européen (Beau­vais-Tillé), aéro­port cher­chant à opti­miser l’ir­ri­ga­tion de sa zone de cha­lan­dise pour attein­dre la taille cri­tique jus­ti­fi­ant une offre inter­con­ti­nen­tale (Lyon- Saint-Exupéry).

Limiter l’effet de rupture des correspondances

La flu­id­ité dépend en pre­mier lieu de la fréquence de l’of­fre et de la syn­chro­ni­sa­tion entre l’of­fre du tra­jet prin­ci­pal et les modes de pré-posta­chem­ine­ment. Dans l’aéro­por­tu­aire par exem­ple, le fonction­nement en ” hub and spoke ” impose ain­si deux à trois plages de con­ver­gence par jour pour lim­iter le temps de cor­re­spon­dance, qui tient une place prépondérante dans le temps glob­al de déplace­ment. À Rois­sy-CDG, dans le cas d’un tra­jet TGV + avion, le temps de cor­re­spon­dance représente en moyenne trois heures quar­ante min­utes pour un tra­jet prin­ci­pal en avion de sept heures et un pré-posta­chem­ine­ment TGV de deux heures quinze min­utes, soit 28 % du temps de tra­jet total. Il atteint même 39 % à Lyon- Saint-Exupéry2 sur des tra­jets TGV + avion, il est vrai de moins longue dis­tance. Même sur des cor­re­spon­dances d’avion à avion, il est dif­fi­cile de descen­dre en dessous de quar­ante-cinq min­utes de bat­te­ment, quel que soit l’aéro­port3.

Les autres fonc­tions d’un pôle d’échange par­ticipent égale­ment à la per­for­mance d’ensem­ble. Elles suiv­ent le par­cours clas­sique d’un client : sta­tion­nement, accueil-ori­en­ta­tion, dis­tri­b­u­tion de titres, com­merces, enreg­istrement, accès à bord, pour citer les prin­ci­pales d’en­tre elles.

La performance du pôle d’échange dépend de la coopération d’acteurs à la fois complémentaires et concurrents

C’est l’ensem­ble de ces fonc­tions qui par­ticipent à la per­for­mance glob­ale d’un pôle d’échange. La dif­fi­culté réside dans le fait qu’elles impliquent la coopéra­tion d’ac­teurs à la fois com­plé­men­taires et con­cur­rents : le ges­tion­naire et le pro­prié­taire du site (par­fois dif­férents), des trans­porteurs et agents de voy­ages, des com­merces ou ser­vices publics et dif­férents niveaux de pou­voirs publics.

La com­plé­men­tar­ité joue par exem­ple entre les modes pour accroître la zone de cha­lan­dise du pôle d’échange, chaque trans­porteur béné­fi­ciant dans une cer­taine mesure de la présence d’autres offres.

La com­plé­men­tar­ité peut jouer égale­ment entre les trans­porteurs et les com­merces, d’abord parce que les com­merces par­ticipent à réduire le désagré­ment du temps d’at­tente et peu­vent même faire gag­n­er du temps aux clients en leur évi­tant des déplace­ments sup­plé­men­taires (tein­turi­er, tabac, cadeaux, etc.). Ensuite parce que les com­merces con­tribuent à human­is­er la gare et favorisent la sûreté. Enfin parce que les com­merces peu­vent con­tribuer à financer le coût de con­struc­tion (opéra­tion immo­bil­ière) ou à dimin­uer le coût d’exploi­ta­tion sup­porté par les transporteurs.

Dans la nou­velle gare cen­trale de Berlin Haupt­bahn­hof, les 700 M€ d’inves­tis­se­ment ont été large­ment financés par la con­struc­tion d’un cen­tre com­mer­cial et d’une tour de bureaux au sein même de la gare. En défini­tive, les clients dépensent plus dans le cen­tre com­mer­cial qu’en titres de transport.

La con­cur­rence s’ex­erce à la fois pour la maîtrise des clients et pour la maîtrise des ressources : prin­ci­pale­ment les espaces (allo­ca­tion des slots ou des temps à quais, allo­ca­tion des mètres car­rés) mais éventuelle­ment dans une moin­dre mesure les employés ou les sub­ven­tions publiques.

Pour la maîtrise des clients, la con­cur­rence est non seule­ment intramodale et inter­modale, selon les dis­tances de per­ti­nence de chaque mode, mais aus­si interopéra­teurs, ayant cha­cun une stratégie com­mer­ciale propre.

C’est pourquoi les exem­ples de coopéra­tion du type de celle qui existe entre Air France et Thalys pour reli­er Brux­elles à Rois­sy-CDG restent rares. Les com­pag­nies aéri­ennes préfèrent garder la maîtrise inté­grale du réseau de pré-posta­chem­ine­ment, qui con­stitue une forme de bar­rière à l’en­trée. Même en cas de coopéra­tion avec le fer, elles descen­dent rarement en dessous de 6 rota­tions par jour sur une des­ti­na­tion don­née, quitte à réduire l’emport moyen de leurs vols. C’est ain­si que le nom­bre de mou­ve­ments a con­tin­ué d’aug­menter entre Paris-Lyon et Paris-Nantes mal­gré la mise en ser­vice du TGV, pour ali­menter les hubs de Rois­sy et dans une moin­dre mesure d’Orly.

La baisse de l’emport moyen con­staté sur les prin­ci­paux aéro­ports européens s’ex­plique peut-être aus­si en par­tie par le fait que les com­pag­nies aéri­ennes, compte tenu du mode d’at­tri­bu­tion des droits d’ac­cès, préfèrent sat­ur­er les slots dont elles dis­posent déjà pour arbi­tr­er le moment venu sur la façon de les utiliser.

Dans cet envi­ron­nement, le ges­tion­naire du pôle d’échange peut plus ou moins sen­si­ble­ment influ­encer la per­for­mance du pôle et la régu­la­tion des équili­bres entre les acteurs, selon le spec­tre des respon­s­abil­ités qui lui sont con­fiées et son mode de gou­ver­nance.

Selon son posi­tion­nement, ses choix stratégiques peu­vent être assez différents.

En matière d’in­vestisse­ments : qui décide, autorise et finance les nou­velles infra­struc­tures ? Com­ment fix­er la con­tri­bu­tion des trans­porteurs déjà en place ? Com­ment les sub­ven­tions publiques sont-elles réper­cutées au béné­fice des trans­porteurs et des clients ?

En matière d’allo­ca­tion des espaces (quais, slots) : quelle est l’in­stance d’at­tri­bu­tion et de régu­la­tion ? Faut-il met­tre en place des enchères, ou favoris­er la con­ti­nu­ité (droit du plus ancien) ? Com­ment artic­uler l’al­lo­ca­tion des espaces au sein du pôle d’échange (logique de point) avec l’allo­ca­tion des sil­lons aériens ou fer­rovi­aires (logique de segment) ?

En matière de tar­i­fi­ca­tion : qui prend le risque com­mer­cial de rem­plis­sage des capac­ités, c’est-à-dire de bon dimen­sion­nement des infra­struc­tures en regard des besoins ? En Espagne par exem­ple, l’ADIF4, qui gère à la fois les voies et les gares, prend directe­ment une part du risque com­mer­cial en se rémunérant prin­ci­pale­ment en fonc­tion du nom­bre de voyageurs plutôt qu’en fonc­tion du nom­bre de mou­ve­ments ou du temps d’oc­cu­pa­tion des quais. En Alle­magne, le choix inverse avait d’abord été appliqué : la tar­i­fi­ca­tion cor­re­spondait de fait à la répar­ti­tion d’un coût fixe entre les dif­férents trans­porteurs en fonc­tion du nom­bre d’ar­rêts. Les tar­ifs étaient révisés en cas d’in­vestisse­ment et en cas de vari­a­tion du plan de trans­port de l’un des transporteurs.

En matière d’exploita­tion, la régu­la­tion des trafics con­duit néces­saire­ment à des arbi­trages entre les vols/les trains en cas de sit­u­a­tion per­tur­bée. Com­ment définir les pri­or­ités : min­imiser le nom­bre de pas­sagers affec­tés, favoris­er un retour rapi­de à la nor­male, répar­tir les per­tur­ba­tions entre les opérateurs ?

En matière de main­te­nance : qui fixe le niveau de per­tur­ba­tion du traf­ic accept­able en cas de main­te­nance lourde de l’in­fra­struc­ture du pôle d’échange ? Quel est l’ar­bi­trage entre le coût de la main­te­nance et le niveau de la gêne occasionnée ?

En matière de ser­vices annex­es, il appar­tient aux trans­porteurs d’ex­am­in­er ce qu’ils réalisent directe­ment ou ce qu’ils font faire par le ges­tion­naire de site, y com­pris en mutu­al­isant un ser­vice avec d’autres trans­porteurs, pour des raisons de masse cri­tique et d’ef­fets d’échelle.

Trois schémas de relations entre les acteurs

Compte tenu des straté­gies et rap­ports de force entre les trans­porteurs, les pou­voirs publics locaux et nationaux et les ges­tion­naires d’in­fra­struc­ture eux-mêmes, trois prin­ci­paux cas de fig­ure se présentent.

1) L’in­té­gra­tion pour réduire les coûts de trans­ac­tion, faciliter l’aligne­ment des déci­sions et le partage de la valeur. C’est ain­si par exem­ple que l’Eu­roAir­port de Bâle-Mul­house peut décider d’ex­ploiter lui-même des ser­vices ou com­merces, sur le mode de la gérance, plutôt que de don­ner des autori­sa­tions d’oc­cu­pa­tion ou de con­céder des espaces. C’est aus­si le cas dans le domaine fer­rovi­aire en Alle­magne et en France où l’en­tre­prise fer­rovi­aire his­torique et le ges­tion­naire des gares restent intégrés.

2) Une coopéra­tion entre les acteurs, don­nant lieu à des trans­ac­tions au titre des intérêts mutuels bien com­pris ou tout sim­ple­ment parce qu’elle est imposée par les droits don­nés (par le lég­is­la­teur ou par un régu­la­teur) à l’un des acteurs. C’est le cas de fig­ure le plus général en matière de ges­tion des grands aéro­ports, c’est égale­ment le cas de la ges­tion des gares en Espagne.

3) Des inter­ac­tions ne don­nant pas lieu à une trans­ac­tion moné­taire : c’est le mod­èle le plus sim­ple et le moins coû­teux quand les enjeux ne jus­ti­fient pas l’in­ter­nal­i­sa­tion des exter­nal­ités, pos­i­tives ou négatives.

Compte tenu des enjeux et selon les sit­u­a­tions (où est le bon équili­bre entre l’op­ti­mum économique théorique lié à la réduc­tion des coûts de trans­ac­tion et le risque de rente ou de bar­rière à l’en­trée ?), le mode de régu­la­tion des pôles d’échange pren­dra des formes diver­si­fiées dans les pays d’Eu­rope : une régu­la­tion assurée par le ges­tion­naire d’in­fra­struc­ture lui-même (avec sépa­ra­tion claire des fonc­tions) ce qui sup­pose qu’il reste de statut pub­lic, une régu­la­tion organ­isée par une autorité indépen­dante et non par­tie prenante (à l’in­star de l’AR­CEP dans le secteur des télé­com­mu­ni­ca­tions) ou un sys­tème mixte dans lequel le ges­tion­naire d’in­fra­struc­ture joue un rôle impor­tant de régu­la­tion mais sous le con­trôle d’une autorité indépen­dante. Enfin, en matière fer­rovi­aire, lorsque le niveau d’ac­tiv­ité des gares est très prin­ci­pale­ment dépen­dant des ser­vices de trans­ports régionaux ou locaux financés dans le cadre de con­trat avec oblig­a­tions de ser­vice pub­lic, quel sera, à terme, le rôle des autorités organ­isatri­ces des transports ?

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1. Le tra­jet prin­ci­pal est la par­tie la plus longue du tra­jet en cor­re­spon­dance. Le pré-post est la par­tie la plus courte.
2. Source : étude DGAC de mars 2006.
3. Étude IATA 2005 sur les aéro­ports européens.
4. Ges­tion­naire d’in­fra­struc­ture fer­rovi­aire indépen­dant de l’ex­ploitant his­torique, la RENFE.

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