Former les dirigeants au développement durable

Dossier : Environnement : comprendre et agirMagazine N°637 Septembre 2008
Par Jacques BRÉGÉON

Nos dirigeants ont beau être issus des meilleures écoles, dis­pos­er d’une expéri­ence pro­fes­sion­nelle de pre­mier ordre et avoir accu­mulé de nom­breux suc­cès pro­fes­sion­nels, beau­coup sem­blent n’avoir pas encore inté­gré l’am­pleur des enjeux et com­pris toute la dimen­sion du développe­ment durable, s’en ten­ant en général à leur com­préhen­sion ” spon­tanée ” du con­cept. En out­re, par con­struc­tion cul­turelle et compte tenu de leur niveau d’é­tudes, ” ils savent ” et n’éprou­vent guère le besoin de com­pléter et d’ap­pro­fondir leur savoir sur ces champs, qui ne doivent pas être aus­si essen­tiels que cela, puisqu’ils ont pu con­duire bril­lam­ment leur car­rière sans avoir besoin de les maîtriser.

Repères
L’évo­lu­tion très rapi­de de cer­tains phénomènes (la fonte de la ban­quise, l’ef­fon­drement de la bio­di­ver­sité, la démo­gra­phie des pays émer­gents, la course aux matières pre­mières…) mon­tre l’ur­gente néces­sité d’une réac­tion effi­cace à la hau­teur des défis à relever. Le temps devient le paramètre essen­tiel. Il n’est plus temps d’at­ten­dre quand le temps écologique rat­trape les temps poli­tiques, économiques et soci­aux, quand il rejoint le temps des proces­sus soci­aux, comme l’é­d­u­ca­tion, ou socié­taux, comme celui de la prise de con­science du réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Vingt-cinq ans se sont en effet écoulés entre l’alerte sci­en­tifique (1980) et la mise en oeu­vre du pro­to­cole de Kyoto (2005).

Un sujet flou

Enfin, le con­stat d’im­passe, qu’il nous faut établir si l’on prend le temps de con­sid­ér­er notre mod­èle de société face aux grands enjeux du monde, n’est guère moti­vant et cela peut engen­dr­er des atti­tudes de déni ou tout au moins de doute et de scep­ti­cisme entretenues par les posi­tions de cer­taines per­son­nal­ités. C’est ain­si que les dirigeants de la sphère économique et finan­cière de notre pays ont longtemps con­sid­éré le développe­ment durable comme un sujet flou, l’ont même sou­vent qual­i­fié de ” tarte à la crème ” et se sont ras­surés en expli­quant que, tel Mon­sieur Jour­dain, ils font depuis tou­jours du développe­ment durable, mais sans le savoir… En défini­tive, après une bonne décen­nie d’in­com­préhen­sion, les dirigeants se trou­vent en déficit d’in­for­ma­tion sur ce sujet pour­tant majeur pour les décen­nies à venir, le prenant pour de l’en­vi­ron­nement que l’on aurait mât­iné de social et d’é­conomique pour faire plaisir à tel ou tel groupe de pres­sion. On voit que les vrais défis du développe­ment rési­dent dans la capac­ité de la société à pren­dre con­science et à se mobilis­er ; il s’ag­it bien de con­duire les muta­tions pour n’avoir pas à les subir. Con­duire les muta­tions relève évidem­ment de la respon­s­abil­ité des dirigeants. Il leur revient de faire les con­stats, d’éla­bor­er les straté­gies effi­caces, d’ac­célér­er les proces­sus d’in­no­va­tion et de con­duire le change­ment, alors que chaque année qui passe alour­dit la charge et rend plus dif­fi­cile la réponse.

Les fondements du développement durable

Le développe­ment durable n’est pas un champ com­pa­ra­ble à l’en­vi­ron­nement ou au social, mais plutôt une philoso­phie pour l’ac­tion s’ap­puyant sur un référen­tiel éthique recon­nu sur un plan international.

Les dirigeants se trou­vent en déficit d’information sur ce sujet majeur pour les décen­nies à venir

Il s’ag­it, d’une part, de principes de gou­ver­nance comme le principe de respon­s­abil­ité ou le principe de pré­cau­tion, qui ont pu être dégagés des textes fon­da­teurs du développe­ment durable (Déc­la­ra­tion de Rio) et, d’autre part, du ” Con­trat mon­di­al ” (Glob­al Com­pact), présen­té par le secré­taire général des Nations unies, Kofi Annan, lors du Forum de Davos en févri­er 1999. Cette philoso­phie a émergé dès les années 1970, alors que la com­mu­nauté humaine pre­nait con­science de l’am­pleur des prob­lèmes envi­ron­nemen­taux et des for­mi­da­bles défis du développe­ment. Depuis, les enjeux cli­ma­tiques, démo­graphiques, écologiques et énergé­tiques n’ont fait que se ren­forcer, et l’on com­mence seule­ment à com­pren­dre leur intri­ca­tion et leurs com­bi­naisons sys­témiques qui con­duisent à la dégra­da­tion rapi­de de notre pro­pre écosys­tème. Le développe­ment durable doit donc être com­pris comme une réponse, voire pour cer­tains comme ” la ” réponse que l’on peut oppos­er aux enjeux du monde. Il implique des révi­sions pro­fondes voire un change­ment rad­i­cal et urgent de notre mod­èle de société. Soulignons enfin que le développe­ment durable est un proces­sus dynamique qui con­stitue à la fois une réponse aux enjeux et une nou­velle manière de penser et d’agir.

L’environnement, une notion humaniste

La notion d’en­vi­ron­nement apporte une dimen­sion poli­tique à l’é­colo­gie, sci­ence dont on sait qu’elle étudie les rela­tions entre le milieu naturel et les êtres vivants par­mi lesquels l’e­spèce humaine a pris une part singulière.

Les seules solu­tions effi­caces impliquent des change­ments rad­i­caux de com­porte­ments et de stratégie

L’en­vi­ron­nement, en effet, c’est ce qui envi­ronne. Certes, mais quoi donc ? L’Homme, bien évidem­ment. L’en­vi­ron­nement est donc une notion anthro­pocen­trée, voire human­iste, alors que l’é­colo­gie — si l’on fait abstrac­tion de l’é­colo­gie poli­tique — est une dis­ci­pline sci­en­tifique, objec­tive, qui se situe sur un tout autre reg­istre puisqu’il s’ag­it de l’é­tude des rela­tions entre les êtres vivants et le milieu naturel. L’en­vi­ron­nement intro­duit ain­si un pre­mier niveau de com­plex­ité en plaçant les don­nées pro­pres à la nature et à l’homme (en tant qu’e­spèce) dans le cadre plus général de l’ac­tiv­ité humaine. Cette com­plex­ité s’est ren­for­cée par l’in­tro­duc­tion de la notion de développe­ment durable, dont on peut dire qu’il s’ag­it d’un mode de développe­ment économique­ment viable, sociale­ment équitable et écologique­ment sup­port­able en ajoutant qu’il doit répon­dre du mieux pos­si­ble aux besoins des pop­u­la­tions d’au­jour­d’hui, et ne pas hypothé­quer la capac­ité des généra­tions futures à sat­is­faire à leurs pro­pres besoins.

Développer des compétences complexes

Si l’é­colo­gie est une sci­ence, si l’en­vi­ron­nement est une plate­forme artic­u­lant les sci­ences du vivant aux sci­ences économiques et sociales, le développe­ment durable fait appel, quant à lui, à de mul­ti­ples domaines et savoir-faire, com­bi­nant la com­préhen­sion des enjeux à la prospec­tive, au man­age­ment des hommes et des organ­i­sa­tions, à l’éthique et à la psy­choso­ci­olo­gie. On mesure ici en quoi le pas­sage de l’en­vi­ron­nement au développe­ment durable n’est pas anodin et en quoi cela mod­i­fie con­sid­érable­ment la donne en matière de for­ma­tion. On ne peut pas se con­tenter d’ap­porter des con­nais­sances, seraient-elles très sophis­tiquées, il faut trou­ver le moyen de dévelop­per des com­pé­tences com­plex­es, d’ailleurs encore assez mal cernées, qui sont portées tout autant par les indi­vidus que par les organ­i­sa­tions ou par la société elle-même. On peut ain­si con­sid­ér­er que le développe­ment durable passe par l’in­té­gra­tion de com­pé­tences indi­vidu­elles, col­lec­tives et sociétales.

Un schéma général

Le Pourquoi avant le Comment
Il faut être imag­i­natif en ce qui con­cerne les méth­odes péd­a­gogiques adap­tées au pub­lic des respon­s­ables et dirigeants. Mal­gré l’ex­péri­ence acquise depuis treize années au sein du Col­lège des hautes études de l’en­vi­ron­nement et du développe­ment durable (CHEE & DD), cela reste un défi à relever, défi auquel le Col­lège s’at­telle en per­ma­nence avec l’aide de trois grandes écoles parte­naires, l’É­cole cen­trale de Paris, l’ESCP-EAP et AgroParis­Tech. Les recettes sont sim­ples : qual­ité et diver­sité des audi­teurs et des inter­venants, ouver­ture d’e­sprit, désir de mieux com­pren­dre, de partager son expéri­ence et de mieux faire ; s’in­ter­roger d’abord sur le ” Pourquoi ? ” avant d’aller au ” Comment ? “.

Les enjeux sont assim­ilés par les plus hauts respon­s­ables (le prési­dent, le directeur général), qui, après les avoir exprimés à l’oc­ca­sion d’une déc­la­ra­tion de poli­tique générale, désig­nent un respon­s­able au sein de l’or­gan­i­sa­tion pour porter la prob­lé­ma­tique, con­cevoir et dévelop­per la stratégie. En général, mais de moins en moins sou­vent, ce sont les respon­s­ables des ser­vices Envi­ron­nement qui se trou­vent en pre­mière ligne et sur lesquels pèsent de ce fait la for­ma­tion et l’é­d­u­ca­tion de leurs col­lègues et col­lab­o­ra­teurs, voire celles de leurs supérieurs hiérar­chiques. Par­fois, ce sont des respon­s­ables rel­e­vant d’autres secteurs comme la com­mu­ni­ca­tion et le mar­ket­ing, le juridique, les ressources humaines ou la pro­duc­tion. La ques­tion qui se pose en amont est alors celle de la for­ma­tion de ces respon­s­ables : celle-ci doit se déter­min­er en fonc­tion de leur pro­fil d’o­rig­ine, de leur expéri­ence pro­fes­sion­nelle, de leurs com­pé­tences et, bien sûr, en fonc­tion des objec­tifs pro­pres de l’or­gan­i­sa­tion en ter­mes de méti­er et de com­pé­tences indi­vidu­elles et collectives.

Un cahier des charges pour la formation

Quel est le cahi­er des charges pour la for­ma­tion de ces respon­s­ables ? Les respon­s­ables développe­ment durable doivent inté­gr­er la com­plex­ité du sujet, alors même que celui-ci n’est en général pas bien com­pris de leur hiérar­chie, ni par­fois même appréhendé. En out­re, ils doivent non seule­ment faire bonne fig­ure devant les inter­locu­teurs extérieurs (les par­ties prenantes) mal­gré les insuff­i­sances de l’or­gan­i­sa­tion, mais ils doivent aus­si être capa­bles d’en­gager le dia­logue en interne avec cha­cun des autres dirigeants, et pour cela adopter leur cul­ture afin de se pro­jeter dans leur paysage men­tal et se faire enten­dre d’eux. Par­mi les qual­ités du respon­s­able développe­ment durable, la per­sévérance n’est pas la moin­dre ; il lui faut, en effet, savoir sur­mon­ter l’in­er­tie interne et les résis­tances spon­tanées au change­ment de leur pro­pre organ­i­sa­tion. C’est qu’en fait ils dérangent l’or­dre des choses, puisqu’ils agis­sent dans la trans­ver­sal­ité, sol­lic­i­tant les uns et les autres. Pire, ils per­turbent, car ils sont annon­ci­a­teurs de dif­fi­cultés voire de calamités ; et, quand les faits leur don­nent rai­son, ils devi­en­nent aisé­ment boucs émis­saires… Enfin, ces respon­s­ables développe­ment durable sont frag­iles, car ils ne pro­posent pas de solu­tions agréables, et parce que les seules qui puis­sent être effi­caces impliquent des change­ments rad­i­caux de com­porte­ments, de stratégie ou même de mod­èle. Quel con­tenu péd­a­gogique pour dévelop­per quelles com­pé­tences ? L’ex­péri­ence acquise avec d’autres publics et sur d’autres sujets tels que la con­duite du change­ment, l’in­no­va­tion ou le man­age­ment de pro­jet ne nous laisse pas sans ressources. On sait ain­si quelles sont les com­pé­tences à dévelop­per. Con­sci­en­tis­er, respon­s­abilis­er, argu­menter : faire com­pren­dre l’évo­lu­tion des con­traintes et les enjeux asso­ciés ; appren­dre à sor­tir de sa dis­ci­pline ou de son méti­er ; appren­dre à échang­er avec les autres respon­s­ables ; sor­tir de sa pro­pre organ­i­sa­tion, aller à la ren­con­tre des autres acteurs, engager le dia­logue ; appren­dre la logique de réseau pour mieux dif­fuser et influ­encer ; savoir établir des parte­nar­i­ats ; savoir repér­er et trans­pos­er les bons exem­ples et les bonnes pra­tiques ; savoir com­mu­ni­quer et entraîn­er, etc.

Former les responsables en place

En ce qui con­cerne les futurs dirigeants, ceux qui, aujour­d’hui, suiv­ent les cur­sus des grandes écoles, le paysage péd­a­gogique a plutôt bien évolué en quelques années après quelques ini­tia­tives pio­nnières visant à la créa­tion de diplômes spé­ci­fiques. En effet, depuis deux ans, le mou­ve­ment a gag­né l’ensem­ble des grandes écoles ; le dernier con­grès de la Con­férence des grandes écoles (CGE, Brest, octo­bre 2006) por­tait sur la respon­s­abil­ité glob­ale et le développe­ment durable, la CGE ayant même signé le Con­trat mon­di­al, la charte des Nations unies pour le développe­ment durable, et élaboré un référen­tiel stratégique pour l’in­té­gra­tion du développe­ment durable dans toutes les mis­sions des écoles. En 2008, l’U­ni­ver­sité devrait égale­ment s’en­gager, la Con­férence des prési­dents d’u­ni­ver­sité (CPU) ayant pris le sujet en main. L’en­seigne­ment supérieur français doit pro­duire un effort soutenu et pro­longé pour inté­gr­er le développe­ment durable non seule­ment dans ses mis­sions de for­ma­tion et de recherche, mais aus­si dans la gou­ver­nance des étab­lisse­ments et dans l’éco­ges­tion des cam­pus. Cela passe par la for­ma­tion des respon­s­ables, et notam­ment par celle des enseignants et chercheurs, ce qui n’est pas le défi le plus facile à relever. S’il est vital que les futurs respon­s­ables et dirigeants du pays aient pleine­ment con­science des enjeux, il est bien plus urgent de for­mer les respon­s­ables en place. Sen­si­bil­i­sa­tion et for­ma­tion, déc­la­ra­tions d’en­gage­ments, chartes, bonnes pra­tiques sont autant de moyens pour déclencher des pris­es de con­science salu­taires et pour dévelop­per non seule­ment les com­pé­tences de cha­cun, mais surtout les com­pé­tences col­lec­tives de l’en­tre­prise ou de l’organisation.

Éduquer et former

Tout cela est très bien, mais comme nous l’avons com­pris, le développe­ment durable implique des muta­tions pro­fondes pour la société ; il s’ag­it de nous dot­er dans les meilleurs délais de com­pé­tences de haut niveau aptes à con­cevoir et à met­tre en oeu­vre des straté­gies glob­ales pour per­me­t­tre ces muta­tions et les accélér­er. Face au défi de cette muta­tion pro­fonde à laque­lle nous appelle le Développe­ment durable, nous sommes placés devant un impératif : édu­quer et for­mer les respon­s­ables et, en pre­mier lieu, les décideurs et les formateurs.

Une par­tie de cet arti­cle a été pub­liée dans le Bul­letin du Cen­tre d’é­tudes supérieures de la Marine, en févri­er 2007.

Le Col­lège des hautes études de l’en­vi­ron­nement et du développe­ment durable
 
Le con­cept de ” Hautes études ” est volon­tiers accep­té par les dirigeants, la référence la plus pres­tigieuse étant celle de l’In­sti­tut des hautes études de la Défense nationale.
Le cur­sus est conçu pour des respon­s­ables en exer­ci­ce et tient compte de leur indisponibilité.
On y ren­con­tre ses pairs et des respon­s­ables de même rang mais rel­e­vant d’or­gan­i­sa­tions étranges avec lesquelles on n’en­trete­nait pas de rela­tions. La diver­sité des orig­ines garan­tit l’ou­ver­ture, et la qual­ité des inter­venants le niveau de réflexion.
 
Une approche statégique
L’ap­proche des prob­lé­ma­tiques est assez panoramique, par­fois même jugée super­fi­cielle par les audi­teurs les plus experts du sujet, mais en fait stratégique grâce au con­cours de hauts respon­s­ables et de spé­cial­istes qui savent aller à l’essen­tiel, expliciter le paysage et inter­préter les évo­lu­tions. L’im­por­tant c’est le Pourquoi ? Autre dimen­sion du con­cept ” Hautes études “, l’ef­fet réseau entre les audi­teurs d’une même pro­mo­tion, mais aus­si avec ceux des ses­sions précé­dentes et avec les nom­breux intervenants.
Pour faire face à l’am­pleur soudaine des attentes en matière de for­ma­tion au développe­ment durable (effet Grenelle), le Col­lège s’or­gan­ise pour : essaimer le con­cept pour cou­vrir les besoins sur l’ensem­ble du ter­ri­toire ; qua­tre entités fonc­tion­nent déjà, le réseau ayant pour objec­tif d’en compter une dizaine en 2009 ; cibler en pri­or­ité les publics de décideurs ” névral­giques ” ou à effet levi­er ; dévelop­per sup­ports vidéo et TIC pour démul­ti­pli­er et pro­longer l’ac­tion pédagogique.
Le Col­lège est ain­si un dis­posi­tif en réseau d’en­tités elles-mêmes ” réseaux ” ; il réu­nit des insti­tu­tions et des indi­vidus dont la plu­part sont des respon­s­ables de haut niveau dis­posant de leviers d’action.
 
Pour en savoir plus : www.cheedd.net

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