Le vin australien :

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°592 Février 2004Rédacteur : Laurens DELPECH

Les pre­mières vignes ont été plan­tées en Aus­tralie dès le début de la coloni­sa­tion par les Anglais, au XVIIIe siè­cle, mais ce n’est qu’à par­tir du XXe siè­cle que la viti­cul­ture s’est réelle­ment dévelop­pée. Le grand marché des vins aus­traliens a tou­jours été l’Angleterre (il devient aus­si main­tenant les États-Unis). Avant la Deux­ième Guerre mon­di­ale, l’Australie, qui pro­dui­sait essen­tielle­ment des ersatz de por­tos, revendi­quait déjà 22 % du marché bri­tan­nique des vins et spiritueux.

En cinquante ans, les vins aus­traliens ont beau­coup changé. Les tech­nolo­gies nou­velles d’irrigation et de vini­fi­ca­tion avec con­trôle de tem­péra­ture (qui se sont répan­dues depuis une trentaine d’années) per­me­t­tent main­tenant de pro­duire en Aus­tralie de grandes quan­tités de vins secs rouges et blancs d’un bon niveau qual­i­tatif. La baisse du coût du fret mar­itime et la rapid­ité des trans­ports per­me­t­tent d’exporter dans de bonnes con­di­tions. Enfin, dans ce pays con­ti­nent, grand pro­duc­teur de matières pre­mières, il y a un con­sen­sus des acteurs économiques et des pou­voirs publics pour dévelop­per la viti­cul­ture, con­sid­érée comme la plus prof­itable des activ­ités agri­coles, loin devant les céréales et la viande, dont l’Australie est aus­si un gros pro­duc­teur. L’Australie est le qua­trième pays expor­ta­teur de vin au monde, der­rière la France, l’Italie et l’Espagne, mais loin devant les États-Unis et le Chili. Les expor­ta­tions aus­trali­ennes de vin représen­tent déjà en vol­ume grosso modo le tiers des expor­ta­tions français­es. Selon une étude récente, en 2006, elles équiv­au­dront à la moitié des expor­ta­tions de vins français.

En Aus­tralie, quand on par­le de vin, on par­le d’abord d’une indus­trie : qua­tre gross­es com­pag­nies représen­tent 85% du marché, si on ajoute les dix groupes suiv­ants, on arrive à 95 % du marché, 1 400 autres winer­ies se partageant les 5 % restants. La pro­duc­tion est très indus­tri­al­isée : la notion de cru est moins impor­tante que la notion de mar­que, liée à un posi­tion­nement prix. Les gros pro­duc­teurs assem­blent des raisins qui provi­en­nent de vig­no­bles éloignés de plusieurs mil­liers de kilo­mètres. Ces vins sont vinifiés avec l’aide des tech­niques les plus mod­ernes, l’accent étant mis sur le goût du fruit et sur la douceur (il y a beau­coup plus de sucre résidu­el que dans les vins européens) pour plaire à un pub­lic surtout anglo-sax­on. Le goût du vin cor­re­spond à ce qu’on sait être le goût du pub­lic ciblé.

Le vin n’est certes pas qu’un pro­duit de grande con­som­ma­tion, mais il faut établir une dis­tinc­tion entre les grands vins et les autres. À côté des crus pres­tigieux, il y a beau­coup de vins qui tant par leur prix que par leur mode de con­som­ma­tion sont en con­cur­rence directe avec d’autres bois­sons comme la bière, les jus de fruits, cer­tains alcools (rhum, vod­ka) et même les soft drinks et doivent donc se dévelop­per dans un envi­ron­nement régle­men­taire assez souple.

Les Aus­traliens ont très bien com­pris la dif­férence. Ils font quelques grands vins, qu’ils pla­cent sur un piédestal et com­par­ent aux plus grands crus d’Europe. Pour le reste, le vin est un pro­duit ali­men­taire comme un autre et est soumis à très peu de règles, sauf bien sûr celles qui con­cer­nent la san­té publique. Alliée au prag­ma­tisme aus­tralien, la sou­p­lesse de la lég­is­la­tion locale est cer­taine­ment une des raisons pour lesquelles les mar­ques de vin aus­traliens sont si dynamiques et gag­nent des parts de marché. Une autre rai­son de leur suc­cès est la qual­ité des vig­no­bles de ce pays con­ti­nent, essen­tielle­ment dans qua­tre grandes régions : l’Australie de l’Ouest (West­ern Aus­tralia), l’Australie du Sud (South Aus­tralia), Vic­to­ria et La Nou­velle-Galles-du- Sud (New South Wales).

C’est en Aus­tralie de l’Ouest que les pre­miers vig­no­bles ont été plan­tés au siè­cle dernier, à côté de Perth, le long de la riv­ière Swann. La présence de l’océan (océans Indi­en et Paci­fique-Sud) donne notam­ment un cli­mat assez tem­péré aux vig­no­bles situés à prox­im­ité de la Mar­garet Riv­er, où sont pro­duits cer­tains des meilleurs vins aus­traliens, des caber­nets sauvi­gnons (à Cape Mentelle) et d’excellents chardon­nays (comme ceux de Cape Mentelle et de Leeuwin Estate).

La plus grande région viti­cole d’Australie est l’Australie du Sud où les meilleurs vig­no­bles ont été plan­tés par des Silésiens dans les val­lées d’Eden et de Barossa. C’est aus­si là qu’on trou­ve les célèbres ter­res rouges du Coon­awar­ra qui per­me­t­tent de pro­duire des vins de syrah et de caber­net sauvi­gnon puis­sants mais bien équili­brés, avec une acid­ité suff­isante pour équili­br­er un fruit généreux. C’est en Aus­tralie du Sud que sont situés beau­coup des grands domaines dont les noms se sont imposés par­mi les grands de la viti­cul­ture inter­na­tionale : Pen­folds, Hen­schke, D’Arenberg, Petaluma

L’Australie ne pos­sède pas un sys­tème d’appellation com­pa­ra­ble à celui de la France et ne souhaite d’ailleurs pas en pos­séder un, car il serait con­sid­éré comme un frein à l’innovation et à l’expérimentation. Toute­fois, depuis 1994 (date des accords avec l’Union européenne) il y a un début de classe­ment. Près de 70 appel­la­tions régionales ont été approu­vées par le Geo­graph­i­cal Indi­ca­tions Com­mit­tee. Il s’agit unique­ment d’attester d’une orig­ine géo­graphique, sans règle par­ti­c­ulière con­cer­nant les cépages ou les ren­de­ments. Les vins aus­traliens sont avant tout nom­més par leur cépage. Le chardon­nay est le cépage blanc le plus répan­du, avec le sémil­lon, le ries­ling et le sauvi­gnon. Chardon­nay et sémil­lon sont tou­jours gras, rich­es en alcool et sou­vent mar­qués par des arômes de bois neuf et de fruits exo­tiques, bien que les vins “ non boisés ” (unoaked) devi­en­nent à la mode. Les ries­lings sont nerveux et fruités. Les sauvi­gnons sont un peu assom­més par le soleil : on peut préfér­er ceux de Nou­velle-Zélande. En rouge, les Aus­traliens peinent à pro­duire de bons pinots noirs (cépage du bour­gogne rouge), leurs caber­nets sauvi­gnons (cépage pré­dom­i­nant des grands bor­deaux du Médoc) sont sou­vent lourds, avec des notes de men­the et d’eucalyptus qui rap­pel­lent par­fois les vins cal­i­forniens, mais cer­tains sont très bons (comme ceux de Cape Mentelle). En revanche, il est dif­fi­cile de résis­ter au car­ac­tère folle­ment sen­suel et voluptueux des meilleures syrahs aus­trali­ennes, qui sou­ti­en­nent la com­para­i­son avec les vins de la val­lée du Rhône.

Les plus grandes syrahs sont générale­ment pro­duites en Aus­tralie du Sud, dans la Barossa Val­ley, la Hunter Val­ley et la Clare Val­ley. Les deux grands vins de syrah aus­traliens les plus con­nus sont le Grange pro­duit par Pen­folds et le Hill of Grace pro­duit par Hen­schke. Hen­schke est un domaine famil­ial d’une cen­taine d’hectares qui pro­duit de très beaux vins à par­tir de ter­roirs excep­tion­nels situés dans la Barossa Val­ley. Le Grange est très dif­férent : il est fait à par­tir de raisins achetés par Pen­folds (qui appar­tient au groupe South­corp) dans plusieurs vig­no­bles dif­férents. À côté de ces deux vins, qui sont devenus des insti­tu­tions, on trou­ve beau­coup de grands vins de syrah déli­cieux, moins con­nus et moins chers, comme par exem­ple ceux du domaine Kaesler (voir www.kaesler.com).

Le dynamisme aus­tralien effraie par­fois les Français, qui n’ont tou­jours pas su trou­ver la parade à l’apparition de ces con­cur­rents du Nou­veau Monde. Si l’Australie est un grand pays viti­cole, elle prof­ite aus­si beau­coup de nos faib­less­es surtout liées à l’hyperréglementation qui est un vrai car­can pour qui voudrait dévelop­per en France une mar­que mon­di­ale de vins. Les rap­ports sur ce sujet ne man­quent pas : les armoires du min­istère de l’Agriculture en sont pleins. Le dernier est le rap­port Berthome­au, vieux de bien­tôt trois ans. Il explique avec beau­coup de pré­ci­sion ce qu’il faudrait faire. Si rien n’a encore été fait, ce n’est sûre­ment pas la faute des Australiens…

Une petite note d’optimisme pour con­clure : la plus grande mar­que aus­trali­enne de vin, celle qui se développe le mieux est Jacob’s Creek, elle appar­tient à une entre­prise française (Pern­od Ricard), tout comme un des meilleurs domaines aus­traliens (Cape Mentelle) appar­tient à LVMH…

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